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Que penser de l'accord sur l'égalité professionnelle entre hommes et femmes ?

Débat | publié le : 01.04.2004 |

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RACHEL SILVERA

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Rebelote. Après celui sur la formation professionnelle, les partenaires sociaux ont bouclé début mars un nouvel accord interprofessionnel sur la mixité et l'égalité professionnelles entre hommes et femmes qui devrait être ratifié par l'ensemble des organisations syndicales. Faute d'objectifs chiffrés, le texte sera-t-il assez contraignant pour venir à bout des inégalités existantes ? Les réponses d'une économiste et de deux juristes.

« Le risque est, qu'une fois de plus, il n'engage pas les acteurs sur des objectifs précis. »

RACHEL SILVERA Maître de conférences à Paris X, membre du Mage (Marché du travail et genre).

On peut souligner l'ambition de la démarche retenue dans cet accord qui, dès le préambule, reconnaît la nécessité d'une « volonté politique de tous les acteurs de mettre en œuvre des actions concrètes, y compris, si nécessaire, d'actions positives, en faveur de la mixité et de l'égalité professionnelles ». Certes, cette volonté politique s'articule à un objectif économique clairement identifié : répondre à des besoins de ressources en main-d'œuvre, notamment qualifiée. Pour cela, l'accord traite de nombreux domaines : l'orientation scolaire, le recrutement, la formation professionnelle, les promotions et la mobilité, ou encore l'égalité salariale…

Différents articles de cet accord constituent effectivement de véritables avancées en matière d'égalité professionnelle, même si certains points restent décevants ou même problématiques. Le premier titre abordé est central : c'est bien sur l'évolution des mentalités et la remise en cause de certains stéréotypes que l'égalité professionnelle pourra se réaliser. Parmi ceux-ci, appuyons la critique accordée dans ce texte aux fameuses présumées « compétences féminines », considérées comme naturelles, servant de prétexte pour fermer l'accès aux femmes à des métiers valorisants et, inversement, pour ne pas reconnaître certaines compétences dans des emplois à dominante féminine.

Le second point important porte sur un thème transversal, traité à plusieurs reprises. Les critères retenus dans les définitions de postes doivent être non discriminants à l'égard du sexe, que ce soit en matière de recrutement, de promotion ou d'égalité salariale.

Ce champ d'analyse a toujours rencontré des résistances en France, alors qu'il a été largement investi dans d'autres pays et identifié comme l'une des sources principales d'inégalités.

Mais la critique majeure de cet accord porte sur les moyens concrètement avancés dans la réduction des inégalités. On pouvait espérer qu'il propose, à l'instar de son préambule qui introduisait l'idée d'actions positives, des recommandations et des mesures concrètes, comme un objectif quantitatif de mixité dans l'accès aux promotions et à la formation. Et, surtout, les mesures en matière salariale sont insuffisantes : l'écart de salaires est estimé à 5 %, alors que l'on sait que pour certaines catégories d'emploi, notamment cadres, le différentiel est nettement plus élevé. Qui plus est, des mesures de rattrapage concrètes et des moyens financiers adaptés sont nécessaires, à l'instar de l'expérience canadienne où une part de la masse salariale est consacrée à l'égalité. Sur tous ces points, le risque est qu'une fois de plus cet accord n'engage pas véritablement les acteurs sur des objectifs précis d'égalité et ne les oblige à aucun résultat…

Par ailleurs, des thèmes qui ne sont pas abordés, comme les formes d'emploi atypique et le temps partiel subi, à dominante largement féminine, méritaient une attention particulière. Cet accord risque, à l'instar de celui signé en 1989, de ne pas atteindre son objectif s'il n'est pas accompagné d'une plus forte implication des acteurs dans un processus de négociations au niveau des branches et des entreprises. Il permettra alors de donner véritablement tout son sens à la loi du 9 mai 2001 faisant de l'égalité un thème de négociation obligatoire.

« Il ouvre la voie à une plus juste appréciation des talents féminins et à une revalorisation. »

MICHEL MINÉ Professeur associé en droit privé à l'université de Cergy-Pontoise.

L'accord national interprofessionnel du 1er mars 2004 marque un progrès sensible dans la volonté des partenaires sociaux de mettre en œuvre des actions concrètes en faveur de l'égalité professionnelle, après le précédent de 1989 dont les effets furent très limités. Ce nouvel accord est innovant à plusieurs titres. Il se réfère explicitement au cadre normatif interne et communautaire. Des éléments de la directive du 23 septembre 2002, pas encore transposés dans la loi interne, sont repris par l'accord. Ce dernier se situe dans une « démarche volontariste » de « lutte contre toute forme de discrimination directe ou indirecte » et d'adoption, enfin, de « mesures transitoires de progression », d'actions positives, recourant ainsi aux concepts clés du droit communautaire comme modèle de comportement. Motivé par « le respect de la dignité des personnes » et « le développement de l'économie », se saisissant des perspectives démographiques, l'accord identifie des causes structurelles déterminantes des inégalités professionnelles.

Tout d'abord, de manière novatrice, il veut remettre en cause les représentations culturelles négatives des femmes dans la vie professionnelle et démystifier les stéréotypes. La dimension culturelle de l'inégalité est enfin abordée. Les entreprises, avec toutes leurs composantes, « doivent assimiler la culture et la pratique de l'égalité professionnelle ». Ensuite, l'accord décline cette « démarche pertinente de changement » sur plusieurs terrains, notamment en matière d'organisation du travail. Désormais, au sein d'une même fonction, la répartition des tâches doit être réalisée sans discrimination – une femme, en particulier quand elle est nouvellement affectée dans un secteur « masculin », ne doit plus se voir confier les tâches les moins qualifiées, etc. Les intitulés de postes doivent être attribués sans discrimination – une salariée qui exerce une fonction de gestionnaire doit bénéficier de la qualification correspondante, et non plus de celle de secrétaire, etc. Les compétences mobilisées par les femmes, en particulier dans les professions très féminisées, ne sont pas des « aptitudes innées », elles doivent être reconnues en tant que compétences professionnelles.

Ces règles ouvrent la voie à une plus juste appréciation des talents des femmes et à des actions de revalorisation, notamment par l'application du « principe de l'égalité de rémunération… pour un travail de même valeur », enfin affirmé conventionnellement. Le recrutement doit tendre vers l'objectif de mixité, au regard d'un rapport sexué entre les embauches réalisées et les candidatures reçues.

Cet accord impératif fixe des règles d'application directe et ouvre des espaces, nouveaux ou de manière nouvelle, pour les négociations de branche et d'entreprise, en favorisant l'acquisition du réflexe de l'égalité (mainstreaming gender). Ses effets, dont le bilan sera réalisé dans trois ans, dépendront aussi des résultats des négociations de branche pour les petites entreprises, où les femmes sont davantage présentes.

« On ne peut qu'être surpris par la banalité de ce rappel de bonnes pratiques. »

MARIE-ANGE MOREAU Professeur à l'Institut de droit des affaires, université d'Aix-Marseille III.

On pourrait se réjouir car, pour la deuxième fois depuis septembre 2003, un accord interprofessionnel vient d'être signé par tous les partenaires sociaux(*). L'unanimité autour de la nécessité de promouvoir la mixité et l'égalité professionnelles démontre qu'aussi bien du côté patronal que du côté syndical une exigence sociale est clairement reconnue. Si l'objectif était de montrer que les partenaires sociaux prenaient conscience de la nécessité d'agir concrètement, il est atteint puisqu'une partie importante de l'accord consiste en une incantation à faire évoluer les mentalités et à agir au niveau de la branche ou de l'entreprise. Que les objectifs de mixité dans l'éducation soient une nécessité, que l'équilibre dans les recrutements entre les femmes et les hommes soit nécessaire, que l'accès des femmes aux qualifications par la formation professionnelle soit indispensable, tout le monde le sait depuis longtemps. De même, pour assurer la mixité des emplois, l'accord indique la marche à suivre. Bref, il donne un guide de « bonnes pratiques » à l'entreprise qui veut vraiment introduire de l'égalité professionnelle. Mais il est difficile, après trente années d'action pour faire progresser le statut des femmes au travail, de ne pas être surpris par la banalité de ce rappel qui ne s'accompagne d'aucune disposition contraignante ou innovante. Cet accord n'introduit aucun mécanisme nouveau qui permettrait de faire tomber les barrières sociales les plus criantes : aucun droit de priorité pour la mise en œuvre des formations continues et du droit individuel à la formation pour le sexe sous-représenté, aucun mécanisme d'action positive qui permettrait des rattrapages, aucune obligation d'introduire un accès au temps plein pour les travailleuses à temps partiel. Il sera objecté que cet accord interprofessionnel renvoie à la négociation de branche ou d'entreprise qui pourrait mettre en œuvre des mesures de rattrapage. Pourquoi, cependant, y aurait-il des changements significatifs en 2004 ? On ne voit pas ce qui permettrait de modifier les facteurs les plus pénalisants et les plus discriminants pour les femmes, ni de provoquer une modification sensible des réticences du monde économique face à l'accès des femmes aux postes à responsabilité, à moins que cet accord ne soit le signe d'un retournement de la conscience sociale face à l'égalité professionnelle.

Il serait, en effet, souhaitable que les entreprises trouvent un intérêt fort à mettre en place ces bonnes pratiques.

On a pu constater que les modifications apportées aux règles de preuve sur le terrain de la discrimination syndicale avaient donné lieu à une série d'actions permettant des rattrapages de carrière pour les représentants du personnel et ayant justifié la signature d'accords collectifs. Le même mouvement ne se constate pas pour dénoncer les discriminations entre les travailleurs masculins et féminins. Il serait utile que les mêmes stratégies judiciaires se redéploient afin de mettre en lumière les obligations juridiques imposées aux entreprises.

Ce serait certainement efficace pour « booster l'égalité professionnelle », selon l'expression de Force ouvrière.

* L'accord définitif de la CGT devait être donné le 25 mars dernier.

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