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Vie des entreprises

L'irruption des TIC dans le Code du travail

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.03.2004 | Jean-Emmanuel Ray

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Jean-Emmanuel Ray

Crédit photo Jean-Emmanuel Ray

Le projet de loi sur la formation et le dialogue social permet à un accord d'entreprise d'autoriser la diffusion de tracts syndicaux via intranet ou la messagerie électronique, celui sur la « confiance dans l'économie numérique » habilite les partenaires sociaux à recourir au vote électronique pour les élections professionnelles. Attention aux chausse-trappes !

C'est la révolution mère. C'est le mode d'expression de l'humanité qui se renouvelle totalement, c'est la pensée humaine qui dépouille une forme et en revêt une autre. » C'est en ces termes qu'en 1831 Victor Hugo évoquait dans Notre-Dame de Paris la naissance de l'imprimerie quatre siècles auparavant. La formule, non dénuée d'emphase, n'est pas sans rappeler celle des technomordus de 2004.

Mais il est vrai que la situation a beaucoup changé en France depuis trois ans : l'arrivée du haut débit permet de ne plus ramer sur le Web mais de vraiment surfer ; la chute verticale des prix des machines et des abonnements très haut débit associée à l'explosion des photos numériques a amené nombre de Français à monter dans le TGV des TIC, avec un taux d'équipement grimpé en flèche en 2003.

Les conséquences en droit du travail de cette irruption sont très variées. Du développement du télétravail à domicile (l'ADSL est plus pratique que le fax) à l'accident provoqué par un coup de téléphone professionnel sur le mobile d'un itinérant fonçant sur l'autoroute. En passant par le « syndrome du gros doigt » ou l'erreur d'adressage sur un intranet mondial. Exemples : un DRH français recevant par exemple et par erreur le plan de bataille de l'intersyndicale européenne ; ou des photos de charme aboutissant sur le poste d'une cadre américaine, exigeant et obtenant dans la journée le licenciement pour faute grave du fautif de 44 ans. Ce qui est arrivé le 28 janvier dernier au Havre dans l'entreprise Millenium, entraînant une grève de solidarité suivie par 98 % du personnel.

Sans oublier le grand classique allant de pair avec la banalisation et donc la privatisation de l'outil Internet : le temps professionnel grignoté par une utilisation au mieux personnelle, au pire malveillante, des TIC.

Particulièrement depuis le 11 septembre 2001, « Times are changing » pour les TIC, avec une multiplication des textes européens, communautaires et nationaux voulant réguler, sinon contrôler ce premier média vraiment mondial qu'est devenu la Toile. Le projet de loi sur la formation et le dialogue social, dit Fillon IV, prévoit pour sa part deux nouveautés. Sur le plan individuel, l'obligation pour les entreprises ayant un intranet de mettre en ligne « un exemplaire à jour (c'est-à-dire évolutif) de la convention collective ou de l'accord collectif par lequel il est lié » (article 43). Et, sur le plan collectif, une double modification.

1° Droit syndical et NTIC

« Un accord d'entreprise peut autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale, soit sur un site syndical mis en place sur l'intranet, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise. Dans ce dernier cas, cette diffusion doit être compatible avec les exigences de bon fonctionnement du réseau informatique de l'entreprise et ne pas entraver l'accomplissement du travail. L'accord d'entreprise définit les modalités de cette mise à disposition ou de ce mode de diffusion en précisant notamment les conditions d'accès des organisations syndicales et les règles techniques visant à préserver la liberté de choix des salariés d'accepter ou de refuser un message. » Cet article 45 fait passer notre article L. 412-8 du premier millénaire (dazibao chinois : l'affiche papier) au troisième millénaire. Huit brèves remarques sur cette nouveauté :

a) « Un accord collectif peut autoriser » : en l'absence d'accord collectif en ce sens, le texte semble exclure tout droit des syndicats à un site dédié, comme à l'utilisation de la messagerie de l'entreprise. Mais les employeurs ayant dans le passé refusé un accès à l'intranet l'ont souvent regretté : un site Internet est accessible aux journalistes de toute la planète, et exclut toute application du droit du travail. Mais comme le rappelle l'article 24 de l'accord Snecma du 16 janvier 2004, intranet et messagerie sont complémentaires : « Les envois individuels et collectifs de tracts aux salariés par la messagerie ne sont pas autorisés : ces tracts sont disponibles sur le site de l'organisation syndicale. »

b) Les représentants élus du personnel (DP, membres du CE) ne sont pas visés par ce texte, mais pourraient revendiquer l'égalité de traitement : de très nombreux CE ont d'ailleurs et depuis longtemps un site dédié, souvent limité aux activités sociales et culturelles. « Pour l'exercice de leurs fonctions », leurs membres disposent du droit « de circuler librement dans l'entreprise, et d'y prendre tous les contacts nécessaires à l'accomplissement de leur mission, notamment auprès d'un salarié à son poste de travail sous réserve de ne pas apporter de gêne importante à l'accomplissement du travail ». La formulation de 1982 ne pouvait viser que la tournée physique, mais rien ne semble interdire qu'au lieu des longs couloirs de bureaux ils empruntent les autoroutes de l'information s'ils respectent les conditions de sécurité habituelles et communes à tous.

c) Conformément à l'esprit de la loi Fillon IV, ce nouvel alinéa donne un rôle central à la négociation d'entreprise, voire de groupe, en cas d'intranet commun. À elle de fixer les classiques règles de volume ou de contenu, ou celles nettement plus tactiques de la fréquence des communications (cf. conflit collectif) comme du niveau ayant accès à ces facilités : une section syndicale locale confrontée à un plan social est plus réactive, sinon enflammée, que le délégué syndical national. D'où, par exemple, le rappel effectué par l'article 23 de l'accord Snecma du 16 janvier 2004 : « En application des dispositions de l'article L. 412-8 du Code du travail, chaque nouvelle communication syndicale éditée sur le site syndical est transmise, à l'identique, à la direction des ressources humaines de l'entité concernée. »

d) De façon légitime, le nouvel article insiste sur le respect impératif des consignes de sécurité informatique, aujourd'hui beaucoup plus importantes que la bonne vieille sécurité incendie. Ainsi, l'actualisation des pages ne pourra se faire qu'avec un matériel lui-même sécurisé, si possible à partir d'un local de l'entreprise. Ce qui évitera aux 5 647 collaborateurs les facéties du fils du DS voulant « s'amuser un peu » grâce au puissant ordinateur paternel, dont les codes d'accès figurent sur le Post-it à droite de l'écran.

e) Dans l'esprit de la directive 2002/58/CE sur « le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée » en cours de transposition ayant retenu l'opt-in, le texte insiste sur la nécessaire liberté de choix des salariés. À l'instar du tract du matin que l'on peut prendre ou laisser, chaque collaborateur doit en effet pouvoir indiquer s'il souhaite ou non recevoir des messages syndicaux : même si un tel courriel n'est pas assimilable au « pourriel » des spammeurs, le principe reste que les messages non sollicités en nombre sont a priori exclus. Le titrage doit à notre sens faire apparaître la source, chaque syndicat devant par ailleurs constituer sa liste de diffusion dont la confidentialité reste forcément relative, comme toute connexion sur le site syndical.

f) Cette légalisation va rapidement poser la question du temps consacré par les DS à cette nouvelle activité, très chronophage si le site se veut attrayant et réactif. Comment décompter ces heures de délégation passées au poste de travail ? Pratiquement réaliste mais juridiquement créatif, l'accord Chantiers de l'Atlantique du 27 juin 2002 a prévu une imputation forfaitaire de deux heures de délégation par mois au titre de cette communication new-look.

g) Si le message a été titré « personnel/section CGT », l'arrêt Nikon interdit en principe à l'employeur d'en prendre connaissance, même si certains destinataires mécontents peuvent se plaindre de ce harcèlement courriel, tirage papier à l'appui. D'où la précision créative que l'on retrouve dans certains accords : les signataires renoncent expressément à invoquer le caractère personnel et confidentiel d'un tel courriel. Dans l'arrêt du 31 mai 2002 (société Clear Channel France/fédération CFDT), la Cour de Paris avait dénié tout caractère privé à ces envois syndicaux en nombre, assimilés aux tracts visés à l'article L. 412-8.

h) Un syndicat non signataire de l'accord pourra-t-il revendiquer au nom de l'égalité de traitement le bénéfice des TIC, mais en refuser les contraintes ? Le jugement CGT métallurgie/Renault du TGI de Nanterre du 31 mai 2002 a adopté une position équilibrée : l'égalité des droits impliquant celle des devoirs, le « non-signataire » doit être « bénéficiaire » des deux.

2° Vote électronique

La proposition du rapport de Virville concernant l'allongement des mandats DP/CE à quatre ans a connu dans les milieux RH un franc succès, les élections professionnelles devenant parfois « Cauchemar à Clochemerle ». Outre les naturelles surenchères, il faut assurer matériellement des opérations (listes actualisées, urnes, isoloirs, bureaux de vote) conçues pour le modèle Boulogne-Billancourt de la grande usine d'hier, alors qu'aujourd'hui entre l'éclatement des sites, les salariés nomades, base-domicile et ceux en RTT…

D'où l'intérêt du discret article 37 quinquies adopté le 8 janvier 2004 dans le cadre du projet de loi « sur la confiance dans l'économie numérique » permettant aux partenaires sociaux de retenir le vote électronique pour les élections professionnelles ; pratique jusqu'à présent interdite par la Cour de cassation au nom du droit commun électoral (Cass. soc., 20 octobre 1999). Le vote électronique peut en effet apparaître comme un véritable miracle. En termes de participation, tout d'abord, ce mode très à la mode peut inciter les jeunes générations à voter. Il facilitera par ailleurs l'expression des expatriés et autres nomades ou télétravailleurs. Sans parler du changement radical en termes de rapidité du dépouillement et de la proclamation des résultats. Mais, dans les entreprises où les opérations électorales font l'objet d'une méfiance réciproque, sinon d'une judiciarisation fréquente, le miracle pourrait se transformer en mirage, pour au moins trois raisons.

a) Si le vote est électronique, il sera difficile pour l'employeur de refuser que la campagne électorale ne le soit pas, même en l'absence du nécessaire accord collectif examiné ci-dessus. Et si l'accord existe, la période préélectorale sera un moment privilégié pour constater le respect des règles conventionnellement fixées (volume, fréquence). La surenchère quantitative ou de contenu, par écran ou messagerie interposés, peut en effet conduire à des dérapages beaucoup plus rapides qu'avec les tracts ou affiches.

b) Au moins dans un premier temps, les élections par voie électronique vont susciter l'effet Big Brother habituel, l'employeur étant au mieux soupçonné de chercher à savoir qui vote pour qui, au pire de vouloir traficoter les résultats. Surtout si les élections deviennent stratégiques avec l'irruption des accords majoritaires de la loi Fillon IV. En attendant la banalisation de cette méthode, ses modalités concrètes doivent donc faire l'objet d'une étude technique solide et conjointe, se concluant par un PAP ad hoc si possible unanime. Il est nécessaire que l'opération soit confiée à un prestataire extérieur spécialisé, avec, lors de la préparation du premier tour, la possibilité d'une expertise indépendante en amont permettant d'assurer aux électeurs leur anonymat comme la sincérité et la fiabilité du scrutin: un essai sera évidemment fait la veille.

c) Le jour J, en présence d'un expert informatique à même de faire face à un bug pas vraiment imprévisible mais aussi de conseiller les illettrés technologiques, l'électeur muni de sa carte à puce se rendra dans l'isoloir où sera installé un écran tactile : il fera alors son choix comme sur un écran de réservation SNCF, qu'il confirmera en émargeant électroniquement. Simple ?

FLASH
• Élections électroniques

C'est à l'employeur qu'il appartient d'assurer une égalité de traitement entre syndicats, « dans des conditions de transparence et de loyauté qui assurent l'équilibre entre les différents candidats » (TGI de Paris, 21 décembre 2000). L'arrêt de la chambre sociale rendu le 14 janvier 2004 a rappelé que « l'employeur est tenu d'une obligation de neutralité ». Il sera donc dangereux pour ce dernier de répondre par le même moyen à des affiches ou messages virtuels jugés excessifs. A fortiori, « l'employeur ne dispose d'aucun pouvoir de contrôle ou de censure sur le contenu des tracts », qu'ils soient papiers ou virtuels, avait indiqué la même chambre le 12 novembre 2003. S'agissant d'un site syndical ayant mis en ligne des propos confidentiels ou diffamatoires, la possibilité de se faire techniquement et immédiatement justice à soi-même est tentante. D'où les prévisions apaisantes signées à froid, comme l'article 25 de l'accord Snecma du 16 janvier 2004 : « Tout litige sur le contenu ou la forme des documents publiés sous forme électronique est porté à la connaissance des délégués syndicaux de l'établissement, pour être réglé dans les meilleurs délais. » Et, précise l'accord, toute utilisation abusive « pourra conduire : – à un rappel à l'ordre par la DRH de la société concernée ; à une fermeture immédiate de l'accès au site et aux moyens de communication confiés aux organisations syndicales pour une durée d'un mois ».

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray