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Partie délicate pour Jean-Claude Mailly

Repères | publié le : 01.03.2004 | Denis Boissard

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Partie délicate pour Jean-Claude Mailly

Crédit photo Denis Boissard

Une page est tournée. Avec le retrait de Marc Blondel, c'est le dernier protagoniste d'une génération de leaders syndicaux – celle des Viannet, Notat, Deleu – qui s'en va. Hormis Jean-Luc Cazettes (CFE-CGC), les numéros un du syndicalisme français sont désormais tous quadras ou quinquagénaires. N'ayant pas vécu les clivages idéologiques qui ont conduit leurs organisations à se diviser dans les années 50-60, peut-être peut-on espérer que ces « jeunes » responsables feront œuvre de pragmatisme en travaillant à ressouder un syndicalisme hexagonal profondément désuni. Et de plus en plus morcelé depuis que la FEN s'est scindée entre la FSU et l'Unsa et que les trublions de SUD ont fait irruption sur la scène sociale. Pour l'avenir d'une représentation syndicale digne de ce nom dans ce pays, c'est aujourd'hui une question de survie.

Quelques signes encourageants, mais bien timides,

sont venus donner corps sinon à l'idée d'une recomposition du paysage (aujourd'hui bien trop prématurée), du moins à la recherche de convergences entre les confédérations syndicales. D'abord, une tentative de rapprochement au sommet entre la CGT et la CFDT, laquelle a malheureusement pâti de leurs dissensions sur la réforme des retraites. Ensuite, les rencontres bilatérales dont Jean-Claude Mailly, le successeur de Marc Blondel, a pris l'initiative le mois dernier avec ses homologues de la CGT, CFDT, CGC et CFTC. Le nouveau secrétaire général de FO chercherait-il à sortir son organisation syndicale du splendide isolement dans lequel son prédécesseur l'a plongée ? C'est évidemment trop tôt pour le dire. Mais s'il a fait officiellement allégeance à l'homme qui l'a fait roi, Jean-Claude Mailly est trop perspicace pour s'illusionner sur la postérité de la ligne protestataire et solitaire imposée par celui-là à FO.

Car le bilan des quinze années Blondel n'est pas brillant.

En délaissant le réformisme contractuel d'André Bergeron pour adopter un positionnement contestataire, le « Monsieur Niet » du syndicalisme tricolore a fait perdre à FO sa place d'interlocuteur privilégié des pouvoirs publics et du patronat au profit de la CFDT. Au passage, la confédération de l'avenue du Maine s'est fait déposséder de ses places fortes dans le paritarisme, la Caisse nationale d'assurance maladie et l'Unedic, pour ne conserver que l'Arrco. Cette radicalité n'a pas payé : FO a perdu la plupart des combats qu'elle a engagés, contre l'accord sur l'assurance chômage, contre le remodelage du régime des intermittents ou – défaite plus cuisante encore – contre la réforme des retraites, un conflit dans lequel Marc Blondel s'est déconsidéré en revendiquant le retour aux 37,5 années de cotisation pour tous et en appelant à la grève générale. Autant de batailles dans lesquelles FO s'est de surcroît révélée incapable de mobiliser autrement qu'en s'adossant à la CGT. Et, au final, un fossé grandissant s'est creusé entre le comportement défensif de la confédération – seulement deux accords interprofessionnels signés, sur les retraites complémentaires et la formation, lors des cinq dernières années – et la pratique constructive dont font preuve la plupart de ses responsables dans les branches et les entreprises du secteur privé. Une attitude schizophrénique à laquelle les salariés n'adhèrent visiblement pas : FO a ainsi connu un échec cinglant aux élections prud'homales de 2002, en perdant plus de deux points par rapport aux deux précédents scrutins (18,3 % des voix, contre 20,4 % en 1992 et 20,5 % en 1997). FO s'est enfin isolée en Europe : après s'être opposée en pure perte à l'entrée de la CGT au sein de la Confédération européenne des syndicats, la centrale dirigée par Marc Blondel s'est marginalisée à Bruxelles du fait du radicalisme de ses positions (lors du congrès du mois de février, le courant trotskiste a d'ailleurs mené bataille pour que la confédération se désaffilie de la CES).

La partie s'annonce délicate pour Jean-Claude Mailly.

Grâce à son charisme et à sa faconde, Marc Blondel avait réussi, vaille que vaille, à maintenir un semblant d'unité. Depuis la chute du mur de Berlin, FO ne bénéficie en effet plus du ciment anticommuniste qui a permis de fédérer un large éventail de militants, des gaullistes à l'extrême gauche. Le nouveau secrétaire général, un apparatchik qui a toujours travaillé dans l'ombre de son mentor, va vite devoir trouver les ressorts pour s'imposer à cette organisation hétéroclite. Et il devra adopter un positionnement convaincant et fédérateur entre une CFDT ouvertement réformiste et une CGT plus crédible que son organisation sur le terrain de la contestation. La voie est étroite. Une chose est sûre : un repli corporatiste de FO sur ses bastions du public se traduirait par un grand écart à terme insoutenable avec ses fédérations du privé, et placerait l'organisation dans une concurrence suicidaire avec l'Unsa, SUD et la FSU, laquelle vient de décider d'élargir son influence aux trois fonctions publiques.

Auteur

  • Denis Boissard