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Politique sociale

Quand le torchon brûle entre employées de maison et particuliers

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.03.2004 | Isabelle Moreau

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Quand le torchon brûle entre employées de maison et particuliers

Crédit photo Isabelle Moreau

Femmes de ménage, gardes d'enfants ou de personnes âgées : dopés par les avantages fiscaux, les emplois familiaux explosent. Les litiges aussi. Temps de travail, salaire, rupture du contrat… Souvent par méconnaissance, les particuliers manquent à leurs devoirs. Des différends douloureux parce que souvent teintés d'affectif.

15 000 euros, c'est la coquette somme réclamée aux prud'hommes de Nanterre par une ex-nounou à son employeur pour non-paiement des heures supplémentaires. Pour Bernard, qui s'était séparé de son employée un an auparavant après avoir trouvé une place en crèche pour sa fille, cette assignation a fait l'effet d'une douche froide. « Cette jeune femme, dont je n'avais plus aucune nouvelle, m'a assigné aux prud'hommes, vraisemblablement à l'initiative de son mari qui s'était très vite immiscé dans notre relation de travail et m'appelait au moindre problème. » Par précaution, Bernard avait adhéré à la Fédération nationale des particuliers employeurs (Fepem) afin de s'assurer que contrat de travail et fiches de paie respectaient la convention collective des salariés des particuliers employeurs. Relativement confiant, il attend le jugement prud'homal qui interviendra en avril prochain.

À l'instar des 1,5 million de particuliers qui emploient directement – ou via une association mandataire – un salarié à leur domicile, Bernard s'est rendu compte qu'il n'est pas simple de s'improviser employeur. Et que c'est même parfois risqué. « Nous sommes de plus en plus confrontés à des litiges opposant des particuliers à leurs salariés. Ils représentent la moitié des affaires nouvelles portées devant la section activités diverses en 2003 », indique Michel André, vice-président du conseil de prud'hommes de Nanterre et responsable du Medef des Hauts-de-Seine. La première explication de cette forte hausse de la conflictualité, c'est tout simplement le boom des emplois familiaux (près de 800 000 salariés travaillent à domicile pour garder des enfants, des personnes âgées ou handicapées ou réaliser des travaux ménagers), dopés par les allégements fiscaux doublés en 2002 sous le gouvernement Raffarin et la facilité d'utilisation du chèque emploi service créé il y a dix ans. Plus de la moitié des personnes employant un salarié à domicile utilisent en effet ce moyen de paiement simplifié, selon une étude réalisée en 2001 par la Fepem. Ce qui ne dispense pas les particuliers de leurs obligations d'employeurs.

La montée du contentieux s'explique principalement, selon l'avocat Guillaume Bluzet, par « la méconnaissance du particulier employeur en matière de législation applicable à son salarié ». Pour sa consœur, Florence Lemaistre Callies, « le particulier est en général peu expérimenté et isolé. Il a rarement consulté une documentation juridique et n'a pas la facilité ni le réflexe de l'employeur “professionnel” de joindre un avocat. Il découvre trop souvent ses obligations tardivement, à l'occasion d'un litige ». Mal informé, « l'employeur se trouve, dans ce domaine, sur un pied d'égalité avec le salarié », reconnaît Nathalie dos Santos, du Syndicat des salariés de particuliers employeurs CFDT d'Ile-de-France.

Temps de présence « responsable »

Certains litiges pourraient être évités si le contrat de travail ou la fiche de paie respectaient la convention collective en vigueur, « récemment toilettée pour être plus didactique », rappelle Christiane Morellet, juriste à la Fepem. Certaines dispositions majeures ne s'appliquent pas, en effet, au cas des particuliers employeurs. Par exemple, les salariés du secteur ne bénéficient pas des 35 heures et restent soumis à une durée conventionnelle hebdomadaire de 40 heures pour un temps plein. « Beaucoup d'employeurs ignorent aussi qu'il faut différencier temps de travail effectif et temps de présence responsable », ajoute Guillaume Bluzet. Dans la convention collective, le temps de présence responsable, par exemple la surveillance d'un enfant pendant la sieste, compte pour seulement deux tiers de temps de travail effectif. Résultat, « les salariés qui travaillent 50 heures par semaine ont souvent du mal à comprendre qu'ils sont dans le cadre de la convention collective », explique Michel André, des prud'hommes de Nanterre.

En région parisienne, les litiges relatifs à la durée du travail sont fréquents lorsqu'il s'agit de garde d'enfants. « Les particuliers employeurs salariés ont souvent des horaires tardifs. La convention collective permet, en distinguant les heures de présence responsable de celles de travail effectif, d'assurer l'amplitude horaire adéquate, avec d'éventuelles heures supplémentaires », précise l'avocate Florence Lemaistre Callies.

Mais cette distinction doit être clairement notifiée dans le contrat de travail. Faute de quoi la durée du travail peut toujours être contestée. « Deux à trois heures supplémentaires par jour, qu'il est possible de réclamer rétroactivement sur cinq ans, cela aboutit à un nombre d'heures colossal », relève Anahid Papazian, avocate spécialisée en droit du travail. Il arrive aussi que « des employeurs oublient qu'ils ont demandé à la salariée chargée de garder leurs enfants de faire le ménage pendant les heures de sieste », ajoute Guillaume Bluzet.

D'où l'intérêt d'établir un contrat de travail précis, indiquant le salaire, les tâches requises et les horaires du salarié. « Certains employeurs copient un modèle à gauche et à droite et leur contrat est souvent mal adapté à leur cas particulier », constate une juriste. Gare aussi aux petits arrangements avec la loi qui avantagent tantôt l'employeur, tantôt le salarié mais qui débouchent souvent sur du contentieux. Comme la sous-déclaration de salaire. « On voit régulièrement des salariés qui travaillent au noir assigner leur employeur aux prud'hommes », confirme Jean-Marc Olivier, secrétaire de la Fédération CGT du commerce et des services. Et, en cas de litige, l'employeur qui n'a pas bordé son contrat peut se voir réclamer des sommes importantes. D'autant que « le doute profite toujours au salarié », complète Michel André.

Condamnée à verser 2 600 euros
La distribution entre travail effectif et heures de présence responsable, quand l'enfant dort, est à l'origine de nombreux litiges.HANNING/REA

Pour les utilisateurs du chèque emploi service qui font travailler un salarié moins de huit heures par semaine ou moins d'un mois non renouvelable par an, le titre tient lieu de contrat de travail. Il n'empêche que le fameux chèque génère de plus en plus de conflits du travail. « Il reste un moyen de paiement et ne dispense pas l'employeur du respect du droit, notamment lors de la rupture du contrat », estime l'avocat Guillaume Bluzet. « Les particuliers, et notamment les personnes âgées, qui utilisent ce mode de paiement ne savent pas toujours qu'ils doivent respecter la procédure de licenciement et tombent des nues lorsqu'ils se retrouvent condamnés à verser des indemnités substantielles », explique Michel André, citant le cas d'une personne âgée condamnée à verser 2 600 euros à sa femme de ménage, qu'elle avait licenciée du jour au lendemain, n'ayant plus besoin de ses services.

Autre source de litige, la déclaration de salaire effectuée à l'Urssaf. Dans le cas d'une déclaration sur le salaire réel, les cotisations sociales sont calculées sur le salaire effectivement versé, alors qu'avec une déclaration au forfait, elles sont calculées sur le salaire minimal conventionnel en vigueur. Et lorsque le salarié est malade ou se retrouve au chômage, cette distinction prend tout son sens. « Quand le salarié s'aperçoit que les indemnités sont calculées sur le salaire minimal et non sur le salaire réellement perçu, il y a des déconvenues », confirme Anahid Papazian. Qui peuvent se traduire par du contentieux.

En règle générale, c'est au moment de la rupture du contrat de travail qu'apparaissent les conflits. L'employeur commet souvent des erreurs de procédure : il oublie la convocation à l'entretien préalable par lettre recommandée, notifie au salarié son licenciement au lieu d'indiquer qu'il envisage de le licencier ou ne précise pas le motif du licenciement… Il lui arrive aussi de se contenter d'une démission orale de son employé, alors que celle-ci doit être notifiée par écrit. « Certains employeurs n'osent pas inscrire le motif réel du licenciement, une présomption de vol par exemple, et allèguent un autre motif. Celui-ci est alors abusif, car il n'existe pas de preuve », explique Anahid Papazian.

De véritables petits chefs

Dans ce dernier cas, et sans témoin direct, c'est souvent la parole de l'employeur contre celle du salarié. Un tête-à-tête qui caractérise aussi l'entretien préalable de licenciement puisque l'article 12 de la convention collective stipule que les règles de procédure relatives à l'assistance du salarié ne sont pas applicables. Pour une simple raison : le particulier employeur n'est pas une entreprise et son domicile privé fait office de lieu de travail.

Particularité de ce type de litiges : ils débordent largement sur le terrain de l'affectif. « La rupture du contrat de travail est souvent mal vécue par les parties. L'employeur a le sentiment d'avoir été trahi ; l'employé, qui s'est attaché aux enfants ou à la personne âgée, se sent humilié. Il y a une perte de confiance réciproque alors que la relation s'était établie sur cet élément fondamental », explique Florence Lemaistre Callies. Cette relation de travail très particulière repose avant tout sur la confiance. En onze ans, Marie a employé pas moins de neuf nounous pour faire garder ses enfants. « Entre celle qui s'est fait avorter chez moi, celle qui a disparu du jour au lendemain, celle qui se relayait avec une autre nounou pour garder les enfants de deux familles différentes », elle avoue s'être sentie un peu désemparée… mais soulagée de ne pas avoir été traînée devant les prud'hommes, comme l'avait menacée une ancienne salariée.

Des déboires, les salariés qui travaillent chez des particuliers en connaissent aussi. Parce que leurs employeurs ont péché par méconnaissance de leurs droits, mais aussi parce qu'ils se comportent parfois comme des tyrans. « Certains chinoisent pour des traces d'aspirateur sur les plinthes, d'autres piquent des crises quand les vêtements ne sont pas rangés au bon endroit… », reconnaît Félicie Henry, conseil en droit social au Medef des Hauts-de-Seine nord, qui estime que « certains employeurs se comportent comme de véritables petits chefs ».

Garde d'enfants à domicile, Patricia est intarissable sur le sujet. Embauchée en garde partagée par deux familles, elle a subi des critiques incessantes de la part de l'une des mamans. « Au début, tout s'est bien passé, puis l'un de mes employeurs s'est montré d'un coup très exigeant. Pour mettre fin aux critiques, j'ai démissionné. Mais cette personne refusait de me régler mes congés payés. Sans l'intervention de la deuxième famille, je n'aurai jamais récupéré ce qu'on me devait. » Auparavant, elle avait déjà dû menacer des prud'hommes un ancien employeur. Embauchée comme garde d'enfants, elle avait accompagné pendant un mois la famille en vacances sur la Côte d'Azur. Le séjour s'est bien déroulé, jusqu'à ce que son employeur refuse de lui régler son mois, considérant qu'il s'agissait de vacances. « C'est inadmissible, raconte Patricia, car je m'occupais toujours des enfants. Je les ai menacés d'aller devant les prud'hommes et ils m'ont finalement payé mon mois de salaire. »

Pas de conciliation possible

Dans le contrat de travail, l'employeur doit indiquer précisément les modalités de prise des congés par le salarié et le nombre de jours octroyés. Et s'il peut fixer les dates de congés de son employé en fonction de ses propres dates de vacances, « il ne peut en revanche pas mettre au chômage technique son salarié s'il a pris une RTT pour s'occuper de son enfant. Or le salarié a droit à sa rémunération pleine et entière », explique l'avocat Guillaume Bluzet.

Dans ce genre de litiges, les tentatives de conciliation échouent la plupart du temps. « Aux prud'hommes de Nanterre, la conciliation marche dans seulement 2 % des affaires traitées. Et, dans les différends entre particuliers employeurs et salariés, c'est encore plus rare », explique Michel André. Habituée des tribunaux prud'homaux, l'avocate Anahid Papazian estime, quant à elle, qu'on « arrive parfois à transiger lorsque l'employeur est intelligent et que le salarié n'est pas trop gourmand. C'est plus facile lorsque le salarié ne se défend pas seul ». Faute d'accord entre les parties, il revient donc aux juges prud'homaux de trancher. Mais dans ce type d'affaires, où l'affectif occupe une place prépondérante, il est fréquent que la partie déboutée fasse appel du jugement. Quitte à devoir attendre quelques longs mois supplémentaires l'issue du litige.

Un système simplifié

« Mets-toi à la Paje ! » lance une future maman à sa mère qui lui demande si elle s'est renseignée sur les allocations dont elle peut bénéficier. Diffusée sur les ondes, la campagne d'information sur la prestation d'accueil jeune enfant interpelle tous les parents d'un enfant né après le 31 décembre 2003. Actée lors de la Conférence de la famille d'avril 2003, la nouvelle prestation mise en place par Christian Jacob, ministre délégué à la Famille, remplace pas moins de six allocations existantes pour la petite enfance. Composée d'une prime à la naissance ou à l'adoption, d'une allocation de base, d'un complément de libre choix d'activité et de mode de garde, la Paje concerne ceux qui choisissent de faire garder leur enfant à domicile. Pour Noël Lesellier, ancien délégué général du Syndicat des entreprises de services à la personne et nouveau directeur général de l'Ircem, la caisse de retraite complémentaire de la branche, le nouveau dispositif est une bonne chose car « beaucoup de familles ne veulent pas être employeurs. Avec la Paje, une famille pourra bénéficier d'une aide de la caisse d'allocations familiales même si elle a recours à une garde d'enfants salariée par une association ou une entreprise ». À condition que ces structures se multiplient dans le secteur.

« Il y a un créneau, car cela correspond à une véritable demande du marché », pronostique Jean-Noël Lesellier. En attendant, les familles qui resteront des particuliers employeurs se verront remettre un carnet Pajemploi permettant de déclarer la rémunération de leur salarié. À charge ensuite pour l'Urssaf de calculer le montant des cotisations, celles qui restent dues par les familles, et d'adresser au salarié l'attestation d'emploi qui vaut bulletin de salaire. Un système simple, très proche du chèque emploi service. Reste toutefois aux particuliers employeurs à bien se renseigner sur leurs droits et devoirs. C'est dans cette optique que la Fédération des particuliers employeurs (Fepem) vient de créer la Maison du particulier employeur, qui se décline en un site Internet (www.fepem.fr) et en lieux d'information et de formation au sein de ses 22 antennes régionales.

Auteur

  • Isabelle Moreau