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Politique sociale

L'horizon s'obscurcit pour le personnel des mutuelles de santé

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.03.2004 | Valérie Devillechabrolle

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L'horizon s'obscurcit pour le personnel des mutuelles de santé

Crédit photo Valérie Devillechabrolle

Réforme du Code de la mutualité, tarification à l'acte et hausse du forfait hospitalier, déremboursements et bientôt réforme de la Sécu : les nuages s'amoncellent sur les mutuelles de santé. Si une première vague de concentrations s'est faite sans casse sociale, la suite s'annonce plus douloureuse.

Un déficit abyssal de 4 à 7 millions d'euros par an, une érosion d'adhérents rebutés par les augmentations successives de cotisations, des réserves financières qui s'amenuisent… les Mutuelles de Provence n'arrivent plus à joindre les deux bouts. « Nous ne pouvons pas continuer ainsi », reconnaît Michel Valle, le secrétaire général de ce géant mutualiste des Bouches-du-Rhône dont l'offre de soins comprend deux cliniques, une douzaine de centres médicaux, des pharmacies et des centres d'optique.

Conséquence : un an après la mise en œuvre d'une première restructuration entraînant la fermeture d'un centre médical et la suppression d'une quarantaine d'emplois, les dirigeants de ce regroupement d'environ 50 mutuelles s'apprêtent à annoncer en juin à leur assemblée générale extraordinaire un nouveau plan d'économies concernant, cette fois, les autres centres médicaux. « Si nous allons tout faire pour privilégier la requalification des établissements plutôt que leur fermeture, nous ne pouvons exclure aucune hypothèse », explique Michel Valle. De quoi aviver les craintes des 1 200 salariés des Mutuelles de Provence, même si, de l'avis de Jean-Marc Maillard, leur délégué CGT, « le premier plan de sauvegarde de l'emploi s'est relativement bien passé ». Autrement dit, sans licenciements secs.

Un sérieux avertissement

Si les difficultés financières des Mutuelles de Provence résultent aussi d'erreurs de gestion, elles ne devraient pas moins sonner comme un sérieux avertissement pour les quelque 60 000 salariés des 2 500 groupements et établissements composant aujourd'hui la vénérable institution mutualiste. Des salariés longtemps protégés par l'épais matelas de réserves financières – plus de 9 milliards d'euros en 2000, selon les dernières statistiques de la Drees – accumulées par les mutuelles grâce à leur solide implantation sur le marché de la couverture maladie complémentaire (60 % des parts de marché). Des salariés donc plutôt habitués à « une politique sociale calme et sécurisante », pour reprendre l'expression de Gilles Marchandon, délégué général de la Fédération nationale interprofessionnelle des mutuelles (Fnim), qui regroupe le dernier quarteron de mutuelles non membres de la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF).

Car l'horizon s'assombrit pour la mutualité. En imposant la séparation des comptes entre ce qui relève de la gestion de l'assurance complémentaire santé proprement dite et de celle des 1 600 « réalisations » sanitaires et sociales (RSS) – établissements de soins et pour personnes âgées, cliniques dentaires, centres optiques… –, le nouveau Code de la mutualité imposé par Bruxelles et mis en œuvre en 2003 a donné le premier coup de semonce. Il a en effet révélé le déficit chronique d'exploitation qui fragilise nombre de ces établissements de soins.

« Notre réseau de RSS est structurellement déficitaire », confirme par exemple Jean-Michel Laxalt, le président de la Mutuelle générale de l'éducation nationale (Mgen). La plus importante mutuelle française, avec 9 000 salariés et 2,7 millions d'assurés, se voit donc contrainte d'y injecter chaque année une part accrue du produit de la cotisation de ses adhérents. « Il faut avoir aujourd'hui les reins particulièrement solides pour tenir », renchérit de son côté Christian Poimbœuf, directeur général de la Mutualité française d'Ille-et-Vilaine. Le patron de cette mutuelle, qui emploie 720 salariés dans un réseau diversifié de cliniques, de maisons de retraite et autres centres optiques, est lui aussi parfois contraint de piocher dans ses fonds propres pour assurer la trésorerie. « Cela peut nous conduire à faire des arbitrages par rapport au maintien de telle ou telle activité », poursuit ce professionnel qui s'apprête à fermer, pour des raisons d'économies, ses résidences pour personnes âgées.

Supprimer les doublons

Pour les mêmes raisons, la Mutuelle générale (l'ex-MG PTT) vient d'être contrainte de céder sa maison de retraite de Jouarre, en Seine-et-Marne, à la Fondation des Caisses d'épargne, faute de pouvoir assumer financièrement la mise aux normes obligatoire de cet établissement. Une opération toutefois jugée « plutôt positive » par les salariés concernés, selon Marylène Thézé, la nouvelle secrétaire CGT du comité d'entreprise de la Mutuelle générale, dans la mesure où ceux-ci héritent au passage d'une meilleure convention collective.

Mais ce sont assurément les établissements qui dépendent des financements de l'assurance maladie qui donnent aujourd'hui le plus de soucis aux organisations syndicales : « La mise en œuvre de la tarification à l'activité dans les établissements hospitaliers pousse à réorganiser l'offre de soins mutualistes », explique Martial Garcia, le secrétaire de la Fédération CFDT de la protection sociale, chargé du secteur mutualiste. Autrement dit à supprimer les établissements redondants à l'échelle régionale.

Un risque encore accru depuis le rapprochement en 2002 des deux frères ennemis de la mutualité : mue par des difficultés financières, la Fédération des mutuelles de France a dû en effet retourner dans le giron de la toute-puissante FNMF, laquelle fédère désormais 95 % des établissements mutualistes. La restructuration en cours en Provence-Alpes-Côte d'Azur, érigée en « région pilote » par la FNMF pour ces réorganisations, pourrait donc bien faire des émules dans d'autres régions où des regroupements sont en cours, en Midi-Pyrénées ou encore en Poitou-Charentes. « Nous n'en sommes qu'au début… », confirme Christine Di Costanzo, la déléguée générale de l'Union des groupements d'employeurs mutualistes (Ugem).

Une réforme à l'impact majeur

Les activités sanitaires et sociales ne sont toutefois pas les seules à donner du fil à retordre aux mutuelles. Car la réforme du financement et de l'architecture du système d'assurance maladie constitue l'autre grande préoccupation de leurs dirigeants et des représentants du personnel. L'ensemble de l'activité de couverture complémentaire santé risque d'être soumis à de profonds bouleversements, même si, dans l'attente de la présentation des grandes lignes de sa réforme, les 1 500 mutuelles « santé » agréées en sont encore réduites à des conjectures. « L'impact de la réforme sera majeur et immédiat, tant du point de vue financier qu'organisationnel », prédit Gérard Alix, le directeur général d'Imadies, l'une des plus importantes mutuelles interprofessionnelles nationales basée en Normandie.

Après avoir déjà encaissé les conséquences à la fois des déremboursements successifs décidés par le gouvernement en matière de médicaments et de la hausse du forfait hospitalier, ces institutions s'attendent à prendre en charge un nouveau contingent de prestations afin de soulager les comptes désastreux du régime d'assurance maladie. Et ce sans pouvoir répercuter intégralement ce surcoût par une hausse de cotisations : « Si nos adhérents ont longtemps accepté sans broncher les hausses successives de cotisations, d'environ 10 % par an ces dernières années, ils suivent aujourd'hui moins bien », reconnaît Gilles Marchandon, délégué général de la Fnim.

Mais la réforme devrait aussi renchérir considérablement les coûts fixes des mutuelles. D'abord parce qu'elle va mécaniquement augmenter le montant des réserves obligatoires dont le mode de calcul avait déjà été réévalué en 2002 par la directive européenne reprise dans le nouveau Code de la mutualité. En obligeant désormais les mutuelles à constituer des réserves équivalentes à 18 % du montant des prestations servies ou encore à 26 % des cotisations encaissées, cette directive a déjà débouché sur la disparition de quelque 2 500 structures et l'obligation pour 700 autres de s'adosser financièrement à d'autres plus importantes.

Mort de centaines de mutuelles

Mais ce mouvement de concentration est encore loin d'être achevé : la mise en œuvre, à l'horizon 2008, d'une nouvelle directive européenne devrait bousculer encore un peu plus les finances des mutuelles en les contraignant non seulement à multiplier par cinq les seuils de calcul de ces réserves, mais aussi à augmenter leurs fonds propres, qui passeront de 250 000 à 1,5 million d'euros. « Cela va entraîner l'adossement, l'absorption, voire la disparition de centaines de petites mutuelles qui avaient obtenu leur agrément de justesse en 2002 », pronostique Matthieu de Sorbay, du cabinet G & M Consultants, spécialisé dans la formation des administrateurs mutualistes.

Quant aux groupes mutualistes aux reins plus solides, ils vont être amenés à investir massivement dans leur outil de gestion informatique, a minima pour suivre les évolutions technologiques en cours au sein du régime obligatoire. Sont en effet attendues la mise en œuvre, dès cette année, de la version 1.40 de la carte Sesam-Vitale et celle de la nouvelle nomenclature des actes médicaux. « Cela peut révolutionner nos méthodes de calcul de remboursement et nous conduire à travailler en direct avec les professionnels de santé, alors que jusqu'à présent la très grande majorité de nos échanges informatiques passait par la Sécurité sociale », explique Loïc Salomé, directeur du développement du groupe Harmonie Mutualité. Cette mutuelle vient de recevoir le feu vert pour investir dans un nouvel outil informatique en partenariat avec Préviade-Mutouest, la plus importante mutuelle interprofessionnelle adhérente à la FNMF. Ce n'est pas le seul rapprochement en cours. Pariant lui aussi sur « la concentration inéluctable des systèmes d'information », Maurice Duranton, président de la Mutualité Fonction publique, principal gestionnaire du régime obligatoire des fonctionnaires, vient de conclure un accord en ce sens avec la Mgen.

Pas encore de séisme

Face à cette avalanche de nouvelles contraintes financières, les mutuelles peuvent être tentées d'agir sur leurs charges de personnel. Une variable d'ajustement idéale, sachant que celles-ci représentent, comme le rappelle Christine Di Costanzo, déléguée de l'Ugem, « de l'ordre de 70 % des coûts de gestion », du fait de la forte ancienneté des salariés et des avantages sociaux conséquents dont ils bénéficient. Mais alors que toutes les organisations syndicales s'inquiètent déjà, à l'instar de Jean-Luc Georges, secrétaire de la Fédération CGT de la protection sociale, du « sort des emplois en doublon générés par les nouvelles restructurations », les dirigeants des gros paquebots mutualistes multiplient les déclarations rassurantes : « Nous allons gérer cela dans le temps en privilégiant l'aspect social et le volontariat », affirme Jean-Michel Laxalt, président de la Mgen. « Penser que la masse salariale puisse être une variable d'ajustement est une politique à courte vue », tranche de son côté Gérard Alix, directeur général d'Imadies.

Il faut dire aussi que, jusqu'à présent, les mutuelles n'ont pas lésiné sur les moyens pour adoucir les éventuels impacts négatifs de leur gestion sur le personnel. « Par pudeur vis-à-vis de la gestion pure », commente Christine Di Costanzo. Résultat, la première vague de concentrations mutualistes de 2002 s'est opérée « sans casse sociale ». D'abord parce que nombre de mutuelles n'étaient en réalité animées que par des bénévoles. Mais cette absence d'incidence s'explique aussi par le fait que toutes les dispositions administratives des structures ainsi rapprochées ont jusqu'à présent été conservées. Et enfin parce que, même en cas de reprise du personnel, celui-ci s'est toujours vu proposer une harmonisation de son statut par le haut.

De la même façon, « les mutuelles ont toujours absorbé les adaptations technologiques à taux d'emploi égal ou presque », confirme un professionnel du secteur. Au point que même l'explosion depuis deux ans du volume des télétransmissions entre les professionnels de santé et le régime obligatoire – qui s'est traduite par une chute vertigineuse d'activité comprise entre 60 et 80 % en deux ans – n'a pas déclenché de séisme social. Dans les mutuelles de fonctionnaires, 200 à 250 emplois sur 1 800 ont été supprimés, « sans plan social et grâce aux 35 heures », précise Maurice Duranton, président de la MFP. À la Mutuelle générale, l'ex-MG PTT, 250 mises en préretraite FNE ont été « conclues in extremis en mai 2003, à la veille de l'entrée en vigueur de nouvelles dispositions fiscales moins avantageuses », indique Didier Bazzochi, son directeur général. Quant à la Mgen, où 80 % des 4 000 salariés affectés à la complémentaire effectuent encore des tâches de liquidation, « les télétransmissions ont débouché sur des redéploiements vers nos nouvelles plates-formes téléphoniques, mais uniquement sur la base du volontariat, ce qui nous a amenés à procéder à quelques recrutements », indique Jean-Michel Laxalt, en confessant « un léger sureffectif ».

Cette médecine douce apparaît toutefois aujourd'hui en décalage total avec l'ampleur du choc à venir : « Les mutuelles vont devoir faire face à une révolution à la France Télécom, avec un basculement d'une fraction importante de leurs emplois aujourd'hui affectés au traitement des prestations vers les fonctions commerciales et le service au client », explique, par exemple, Emmanuel de Leusse, expert du cabinet d'expertise comptable Syndex, chargé du secteur de la protection sociale.

Une adaptation douloureuse

Une évolution que les dirigeants mutualistes confirment d'ailleurs à demi-mot : « Nous allons devoir convertir le temps libéré par la montée en charge de la télétransmission en temps consacré à l'accueil de nos adhérents ainsi qu'au développement », explique Didier Bazzochi, directeur général de la MG. « D'ici à 2008, il nous faudra porter notre proportion d'encadrement et d'expertise technique de 20 à 50 », renchérit de son côté Jean-Michel Laxalt. De quelle façon ? « Ce sera relativement douloureux et difficile », pronostique pour sa part Gérard Alix, son homologue d'Imadies.

Reste que les salariés concernés pourraient bien être les derniers informés de ces chantiers. « Jusqu'à présent, tout cela relève du flou artistique », constate Marylène Thézé, secrétaire CGT du comité d'entreprise de la MG. « Nous allons devoir apprendre à avoir des relations un peu plus conflictuelles avec nos employeurs », estime de son côté Jean-Luc Georges, pour la CGT de la Protection sociale. Même son de cloche à la CFDT, où les dirigeants fédéraux ont organisé l'an passé un séminaire de formation aux restructurations en collaboration avec l'avocat prosalarié Henri-José Legrand et le cabinet Syndex. Jusqu'à présent davantage accaparés par la gestion de leurs enjeux de pouvoir que par celle de leur personnel, les dirigeants mutualistes risquent d'être bientôt sérieusement rappelés à la réalité…

Une jeune branche

50 000, 55 000, 60 000 ? Difficile de faire de la prospective quand nul ne sait en réalité combien de salariés travaillent dans les établissements mutualistes. L'Observatoire des métiers, créé il y a dix-huit mois ? « Au départ, il ne nous permettait pas de faire remonter les informations », reconnaît Christine Di Costanzo, déléguée générale de l'Union des groupements d'employeurs mutualistes, principale organisation patronale du secteur qui fédère 850 mutuelles. Et pour cause ! « En raison du vieux réflexe mutualiste, ses demandes de renseignements allaient systématiquement au panier », reconnaît un employeur. Dans ce contexte, la signature en décembre d'un accord entre l'Ugem et l'ensemble des organisations syndicales entérinant la création d'une commission paritaire nationale de l'emploi et des compétences fait figure d'événement. « Cela va nous servir d'instance d'anticipation et de concertation sur les questions d'emploi », se félicite Christine Di Costanzo. « Nous allons en profiter pour demander l'ouverture d'une négociation, au niveau de la branche, en vue d'aboutir à un accord de méthode portant sur la gestion des restructurations », rebondit Martial Garcia au nom de la CFDT.

Cet accord illustre la résolution des employeurs mutualistes de renforcer le dialogue social au niveau de la branche. Prochaine étape de cet effort de structuration de la branche, l'extension, à compter du mois de juin, de la convention collective négociée en 2000 aux mutuelles de fonctionnaires. « La mise en place de la convention collective de la Mutualité est pour nous l'occasion de repenser un certain nombre de ses dispositifs (horaires variables, crédits d'heure, etc.) et d'adapter notre organisation aux défis nouveaux qu'elle doit relever », se réjouit Didier Bazzochi, directeur général de MG. Seule ombre au tableau, les personnels travaillant dans les œuvres sanitaires et sociales sont encore exclus de toute convention collective, en raison des dissensions persistantes entre la Mutualité et les employeurs de l'économie sociale.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle