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Politique sociale

Aux États-Unis, taxer ne dissuade pas de licencier

Politique sociale | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.03.2004 | Isabelle Lesniak,

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Aux États-Unis, taxer ne dissuade pas de licencier

Crédit photo Isabelle Lesniak,

Des cotisations chômage plus fortes pour les firmes qui licencient… la proposition du rapport Blanchard-Tirole est directement inspirée du modèle américain. Un dispositif dont la portée est en réalité très limitée outre-Atlantique. D'ailleurs, la plupart des chefs d'entreprise américains estiment que ce malus n'influe pas sur leurs décisions.

Taxer les licenciements ? La proposition iconoclaste des économistes Olivier Blanchard, professeur au célèbre Massachusetts Institute of Technology, et Jean Tirole, professeur à l'université de Toulouse, dans un récent rapport au Conseil d'analyse économique s'est attiré les foudres des syndicats. Il est vrai qu'elle supposait une contrepartie : la simplification des procédures de plans sociaux. L'idée, elle, vient tout droit d'outre-Atlantique, où « les cotisations d'assurance chômage des entreprises dépendent du nombre de licenciements réalisés dans les trois ou cinq dernières années », explique David Margolis, économiste à l'université Paris I, auteur en 1999 d'une étude sur le sujet pour le Commissariat général du Plan.

La taxe en vigueur aux États-Unis, dite experience rating, s'applique aux entreprises de toutes tailles. De nationalité américaine, le chercheur David Margolis observe ainsi que son propre père, un dentiste qui employait trois personnes dans son cabinet de Pennsylvanie, a vu ses cotisations bondir l'année qui a suivi le licenciement de sa secrétaire. Outre-Atlantique, l'assurance chômage est du ressort des États (voir encadré, page 39). À l'instar des cotisations patronales, l'experience rating, expérimenté pour la première fois dans le Wisconsin en 1931, est donc modulé à l'intérieur du territoire : chaque État calcule son propre taux de prélèvement, notamment en fonction de la situation financière de sa caisse d'assurance chômage. La formule la plus courante de ce bonus-malus adoptée par 33 États se fonde sur des comptes fictifs pour chaque entreprise. Au crédit sont portées les cotisations payées par l'employeur, au débit les allocations versées par l'État aux ex-employés de la société. En cas de solde négatif, l'entreprise verse une surprime. Un malus de plus de 10 % dans le Dakota du Nord ou le Tennessee alors que dix-huit autres États, dont la Californie ou le Colorado, ne vont pas au-delà de 5,4 %, le minimum préconisé au niveau fédéral. Les cotisations patronales étant variables selon chaque État, une entreprise qui possède des filiales ou des établissements dans plusieurs d'entre eux paiera des taxes très différentes. Si une société ferme un site à Los Angeles, elle verra ses cotisations augmenter sur les effectifs qu'elle emploie à San Francisco, même si elle a parallèlement procédé à de nombreuses embauches à New York.

Pour les entreprises nouvellement créées, la plupart des États déterminent des taux provisoires (de 1 % dans l'Iowa à 4,8 % dans le Connecticut), élaborés le plus souvent sur la base des risques de licenciements dans le secteur donné. Ainsi, dans l'État de Washington, la taxe varie de 0,57 % à 5,40 % selon le domaine d'activité. Ce n'est qu'après quelques années que la société se verra appliquer une taxe spécifiquement calculée pour elle, d'un taux faible si elle n'a pas ou peu recouru aux licenciements, plus élevé dans le cas contraire.

Le principe du pollueur payeur

Curieusement, l'experience rating a traversé le XXe siècle sans qu'aucun lobby ne monte au créneau pour réclamer sa suppression. « Si ce système semble légitime, c'est qu'il a tendance à être considéré comme juste, à l'instar du principe du pollueur payeur », avance David Margolis. De fait, il n'est pas un fardeau insupportable pour le patronat américain. « Quand vous êtes licencié, vous ne bénéficiez pas d'allocations très élevées ni très longues [en règle générale, vingt-six semaines, prolongées de treize semaines lorsque le taux de chômage local est particulièrement élevé, NDLR]. Les patrons peuvent donc supporter les pénalités », relativise Hans Cox, porte-parole de la National Association of Manufacturers, la fédération des industriels.

Ce bonus-malus n'est pourtant guère apprécié des syndicats ouvriers. « Nous n'y avons jamais été favorables, rappelle Mark Levinson, l'économiste en chef du syndicat du textile Unite, basé à New York. Non seulement cette taxe ne constitue par un frein aux licenciements durant les périodes de récession, mais elle fragilise certains secteurs à l'activité cyclique. » Selon lui, l'experience rating a accéléré la faillite de nombreuses entreprises textiles qui « ne sont plus là aujourd'hui pour payer quelque taxe que ce soit ». Autre effet pervers dénoncé par les adversaires du système : comme la taxe ne concerne que les licenciements économiques, mais ni les démissions ni les mises à pied pour faute lourde, les employeurs recourent à des motifs fictifs pour réduire leurs effectifs.

Dissuasif pour le chômage partiel
Le système de taxation ne dissuade pas les sociétés américaines de se restructurer, à l'image de Verizon dans les télécoms.FABIANO/SIPA PRESS

Du côté des chercheurs, les points de vue sont plus nuancés. La grande spécialiste de l'experience rating, Patricia Anderson, professeur d'économie au Dartmouth College (New Hampshire), reconnaît que « le bonus-malus ne peut rien contre les grandes vagues de restructurations, mais qu'il stabilise l'emploi au niveau des entreprises entre les hauts et les bas du cycle économique. Il dissuade les employeurs de recourir au chômage partiel en réaction à une faible baisse de la demande, même s'il peut aussi les faire réfléchir à deux fois lorsqu'il s'agit de recruter pour faire face à de nouvelles commandes. C'est notamment vrai dans le commerce de détail, par exemple à Noël ».

Reste que ce système de pénalité n'a pas empêché les dizaines de milliers de suppressions d'emplois dans les télécoms ou la finance. Lors des récentes vagues de restructurations, les bells, c'est-à-dire les opérateurs de téléphonie, et les banques n'ont d'ailleurs pas supporté la totalité du coût des licenciements, tous les États ayant fixé des montants de cotisations plafonds et planchers afin de limiter le niveau de modulation des taxes. Pour un employeur au taux maximal, les licenciements supplémentaires n'ont donc rien coûté. Et les États ont pris en charge les nouvelles mises à pied, 20 à 40 % des coûts étant ainsi mutualisés selon les endroits. Ce genre d'aménagements (comme celui qui consiste à exempter les très nombreuses sociétés en faillite de payer leur dette à l'assurance chômage) limite considérablement la portée du système.

Dans une étude réalisée en 1993 pour le compte du gouvernement canadien, deux chercheurs, Gordon Betcherman et Norm Leckie, ont interrogé 300 patrons de la mécanique et de la métallurgie, installés dans des États où l'experience rating est contraignant, comme dans le Minnesota ou la Pennsylvanie, et dans des zones plus « libérales », à l'instar du Wisconsin. La moitié ont répondu que le malus n'avait aucune incidence sur leur décision de licencier, 5 % seulement étant d'un avis contraire.

41 % des chômeurs indemnisés

En 1935, durant le New Deal, le Social Security Act a créé le régime d'assurance chômage obligatoire ainsi que le régime public des retraites, tandis que le Federal Unemployment Tax Act a fixé en 1939 le cadre des cotisations patronales. Le régime d'assurance chômage est financé par des cotisations sur les salaires à la charge exclusive des employeurs, sauf dans l'Alaska, le New Jersey et la Pennsylvanie, qui demandent une (faible) contribution aux salariés.

Les cotisations patronales varient à l'intérieur des États-Unis, chaque État devant boucler le financement de son propre programme d'indemnisation du chômage. Chacun d'entre eux détermine les conditions d'admissibilité, les motifs d'exclusion, le montant des allocations et la structure des cotisations utilisée pour financer ces prestations. Seuls 41 % des chômeurs sont indemnisés (28 % dans le Dakota du Sud, 76 % dans le Connecticut). Le montant hebdomadaire de ces allocations s'élève en moyenne à 256,50 dollars (166 dollars en Alabama, 357 dollars dans le Massachusetts), ce qui correspond à un taux de remplacement avant impôts de 37 %. Au régime public peut s'ajouter un régime d'entreprise, facultatif, financé par l'employeur. En pratique, seuls en bénéficient les salariés des grandes entreprises qui ont de l'ancienneté, à condition de justifier d'un minimum d'heures de travail hebdomadaires.

Auteur

  • Isabelle Lesniak,