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Enquête

LA PRIME AU PARCHEMIN

Enquête | publié le : 01.03.2004 | Anne-Cécile Geoffroy

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LA PRIME AU PARCHEMIN

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Le diplôme fait la différence sur la fiche de paie. Dans le public, le privé, à tous les niveaux de qualification, il dame le pion à l'expérience, et ceci tout au long de la carrière. Les velléités de déconnecter salaire et diplôme suscitent bien des réticences.

« Cinq ans après, mon DUT fixe toujours mon salaire et mes compétences ne pèsent pas lourd dans la balance », s'énerve Pierre Delorme, 28 ans, technicien supérieur. Entré chez Cegelec après l'IUT de Cachan, il a cru au miracle quand l'an dernier la Générale des eaux est venue le débaucher. « Je pensais être en situation de force. C'était l'occasion de valoriser mon expérience et de gonfler ma fiche de paie. J'espérai 29 000 euros par an, un salaire raisonnable compte tenu du marché. J'en ai obtenu 27 000, tout ça parce que ma rémunération a été fixée en fonction de ma formation initiale sans prendre en compte mon expérience. »

Les entreprises ont beau parler de logique de compétences, le salaire reste indexé sur le diplôme. Le niveau de diplôme positionne le salarié dans une hiérarchie explicite ou implicite de rémunération. « Et les années d'expérience n'en gomment pas l'effet », assurent Magda Tomasini et Emmanuelle Nauze-Fichet, qui ont étudié ce lien diplôme rémunération pour la Dares et l'Insee. Une récente étude du Cereq montre que « l'obtention du diplôme joue essentiellement sur le salaire ». Les jeunes qui ont suivi l'intégralité d'un cursus de BTS ou de DUT sans en décrocher le sésame gagnent moins bien leur vie – avec un manque à gagner de 1 200 euros par an – que leurs homologues diplômés, trois ans après leur entrée sur le marché du travail. Et c'est vrai à tous les niveaux de ualification.

Inégalités de traitement

« Quand je veux expliquer un écart de rémunération au sein de l'entreprise, c'est souvent à la case diplôme que je trouve la réponse, remarque Joséphine, responsable des rémunérations et des données sociales dans une entreprise de l'agroalimentaire. À fonction égale, un universitaire n'aura pas le même salaire qu'un diplômé de grande école. » Le secteur public n'échappe pas à la règle. Lucas, maquettiste depuis dix ans dans une mairie de la couronne parisienne, constate les inégalités de traitement. « Je possède un diplôme des Beaux-Arts, un bac + 5. Je serai bientôt titularisé. L'un de mes collègues maquettistes, qui a 40 ans et qui est plus ancien que moi, ne le sera jamais. Il m'a pourtant appris le métier, bidouille l'informatique comme personne, répare les ordinateurs. Il est vraiment polyvalent. Sa seule erreur : n'avoir qu'un BEP. Et sur la fiche de paie, dès le départ, j'ai gagné 456 euros de plus. »

Cette prime au diplôme, certaines entreprises, petites et grandes, l'ont institutionnalisée et traduite en grilles salariales souvent très codifiées. Quitte à creuser un peu plus les inégalités. Dans ce domaine, les cabinets de conseil et d'audit sont passés maîtres et paient encore leurs consultants en fonction de la notoriété des écoles. Une pilule que Bénédicte, diplômée de l'Edhec, avait du mal à avaler lorsqu'elle travaillait chez Arthur Andersen comme auditrice. « À l'embauche, on ne nous parlait même pas du salaire. Le sujet était entendu. Un diplômé de l'Edhec était recruté à 27 400 euros par an. Pour le même travail, un ESCP touchait 31 660 euros, et un diplômé de Polytechnique ou de Centrale culminait à 38 000 euros annuels, raconte la jeune femme. Aussi, quand on audite ensemble une boîte au fin fond de la France et que l'on planche sur les mêmes dossiers avec le même stress et les mêmes emmerdes jusqu'à 3 heures du matin, mais à un taux horaire différent, les frustrations naissent vite ! » D'autant que les écarts de salaire au démarrage sont quasiment impossibles à combler, malgré le discours de ces cabinets assurant qu'en cinq ans les différences se seront envolées.

Pour Philippe, cadre chez EDF, diplômé de l'Edhec, le constat est sans appel : « En 1997, j'ai été recruté au coefficient 17. Six ans après je suis à 20, ce qui correspond au salaire d'embauche d'un HEC frais émoulu. Encore un échelon et j'atteindrai le niveau de rémunération d'un jeune centralien ! » Les ingénieurs n'échappent évidemment pas à cette hiérarchisation. Les recruteurs, prompts à assimiler la notoriété d'un diplôme à une assurance qualité, se sont dotés de repères souvent très subjectifs.

« Toutes les entreprises établissent en interne un classement des écoles d'ingénieurs dit « ABC », explique Daniel Ameline, secrétaire général du Conseil national des ingénieurs et des scientifiques de France (CNISF). Un classement jamais publié. Il reste très arbitraire et en constante évolution. Il change d'un secteur à l'autre en fonction de la spécialité des écoles. » Une enquête de l'Insee sur le salaire des ingénieurs montre que « l'expérience professionnelle et la réputation de l'école expliquent l'essentiel de la disparité des salaires. La formation est assimilable à un investissement qui a des répercussions persistantes sur le salaire durant toute la carrière. Ainsi, sortir de l'X engendre en moyenne une différence de salaire de l'ordre de 43 % » par rapport à une école moins cotée, à expérience, secteur d'activité, taille d'entreprise… identiques par ailleurs.

Des grilles de classification à faire évoluer

Mais la réputation d'une formation ne fait pas tout. La France, dans son culte du diplôme, n'a pas oublié d'en faire un élément déterminant des grilles de classification établies par les conventions collectives. Pour garantir un salaire minimal en fonction du niveau de qualification, la plupart fixent des seuils d'entrée. Ainsi, dans l'industrie chimique, CAP, BEP, BTS et DUT assurent un certain coefficient. Un principe également adopté par la métallurgie, qui garantit un niveau de classement et une évolution salariale aux titulaires d'un bac + 2. Certaines branches, comme la banque, ont été jusqu'à mettre en place des primes : 1 450 euros pour le titulaire du brevet professionnel banque, 1 900 euros pour le salarié passé par l'Institut des techniques bancaires.

En entrant à la Générale des eaux, Pierre a découvert l'automaticité de cette hiérarchie salariale à ses dépens. « Mon salaire est régi par une grille de la fonction publique de la Ville de Paris dont la DRH ne s'écarte pas d'un iota. Un bac + 2 entre au quatrième échelon de la grille en tant qu'assistant technique. Maintenant, si je fais mes preuves, elle me fait miroiter un changement de grille pour rejoindre la catégorie des automaticiens, plus favorable. » Paul, directeur d'un centre social dans le Rhône, peste également contre la nouvelle grille de classification qui, sur la base de huit critères, donne selon lui une bonne place au niveau de qualification. « Auparavant, l'ancienneté était plus forte que le diplôme. Les nouvelles règles du jeu imposent à un directeur de centre social d'avoir un bac + 5. Mon employeur me demande d'engager une VAE et une formation diplômante pour prétendre à un bon salaire ! »

Certaines entreprises aimeraient bien aujourd'hui déconnecter le diplôme du salaire, pour mieux valoriser les compétences. Quelques branches professionnelles sont d'ailleurs en passe d'ouvrir, à cet effet, des négociations sur leurs classifications. C'est le cas de l'UIMM ou encore de la Chambre syndicale des eaux minérales. Cette dernière compte aborder le sujet au printemps prochain. « Nous voulons écarter toute référence aux niveaux de qualification fixés par l'Éducation nationale, annonce Christian Ruffat, responsable des négociations pour le patronat. L'idée est de donner autant d'importance à la formation initiale qu'aux compétences acquises. »

Du côté de l'UIMM, l'idée serait d'établir une grille unique de l'ouvrier au cadre, contre deux actuellement, et de rémunérer les salariés en fonction de leur poste de travail et non de leur qualification. Un sujet explosif. Le patronat marche sur des œufs et les syndicats, qui craignent une gestion à la tête du client, considèrent que le diplôme, seul critère objectif à l'entrée dans l'entreprise, doit être au moins reconnu au même titre que l'expérience.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy