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LA DICTATURE DU DIPLÔME

Enquête | publié le : 01.03.2004 | Sandrine Foulon, Anne-Cécile Geoffroy

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LA DICTATURE DU DIPLÔME

Crédit photo Sandrine Foulon, Anne-Cécile Geoffroy

Obsession des grands groupes, un diplôme haut de gamme est la condition sine qua non pour faire carrière. Y compris dans des secteurs jusqu'alors peu regardants comme le transport. Et l'expérience a toujours autant de mal à être reconnue à sa juste valeur. L'ascenseur social est décidément bien grippé.

Le coup du charisme, de l'expérience, des compétences, on ne lui fait plus, à Grégoire. Il y a quinze ans, avec un bac + 2 pour tout viatique, il franchit la Manche « pour apprendre l'anglais ». Très vite, il prend des responsabilités dans une entreprise britannique « où l'on accorde de l'importance à ce que vous faites, pas à ce que vous valez sur le papier ». Puis il entame une carrière de globe-trotteur aux États-Unis, en Allemagne et, aujourd'hui, aux Pays-Bas. Trilingue, il a bourlingué dans des sociétés comme Burberry, British Telecom, Cable & Wireless. Pour finir à NCR où, à 38 ans, il encadre 160 personnes et gère un budget de 13 millions de dollars. Il y a deux ans, Grégoire a cherché à rentrer en France avec femme et enfants. « Je n'ai même pas reçu de réponses. Mes années d'expérience ne valent rien dans des groupes comme France Télécom, qui ne recrutent pas à moins de bac + 5 pour un poste de direction. » Actuellement, Grégoire se sait condamné à l'expatriation.

Sans diplôme reconnu, il est déjà très difficile de décrocher un premier emploi dans l'Hexagone. Mais ce handicap de départ continue de peser par la suite, malgré l'expérience acquise. DRH et recruteurs ont beau vanter les mérites de la gestion par les compétences, mettre en avant le culte de la performance et minorer l'importance du diplôme, celui-ci reste une condition sine qua non pour gravir les échelons. « Si de nombreuses études existent sur le rendement de la formation initiale à l'entrée de la vie active, on possède peu d'éléments sur l'influence du diplôme tout au long de la vie, et pourtant elle est indéniable », souligne Vincent Merle, professeur au Cnam et père de la VAE, la validation des acquis de l'expérience.

Cette dictature du diplôme n'est pas près d'être renversée. Car les recruteurs, inquiets par nature, assurent leurs arrières en exigeant un solide bagage. « Le diplôme n'est plus le gage de compétences ou de technicité mais le signe d'une excellence scolaire. Le tri continue de s'effectuer à partir de ce premier tamis », poursuit Vincent Merle. Dernier argument invoqué par certains DRH, le diplôme deviendrait synonyme d'effort dans une société qui s'est adonnée au « culte des loisirs ». Tant pis pour les non-diplômés, relégués au rang de paresseux. Enfin, le CV épouse encore étroitement la représentation très hiérarchisée de notre système social. « On ne montre plus ses lettres de noblesse, mais son diplôme », assure Alain-Dominique Perrin, P-DG de la holding Richemont et président de l'École des dirigeants et créateurs d'entreprise (EDC), une école de commerce postbac qui cultive sa différence avec les business schools à la française.

Extraordinaire rempart contre le chômage
JOCHEN GERNIER

Président du Haut Conseil de l'évaluation de l'école (HCEE), Christian Forestier en convient : « Les Français sont convaincus, à raison, que les hauts niveaux de qualification sont d'extraordinaires remparts contre le chômage. Mais ce qu'ils savent moins, c'est que cela vaut désormais à tous les niveaux, de l'ouvrier au cadre. » Mieux vaut posséder un sésame et, de préférence, le bon.

François Demnard a ainsi découvert sur le tard que sa maîtrise de communication ne valait pas grand-chose aux yeux des recruteurs. « À l'époque, j'étais responsable de la communication de l'Esiee, une école d'ingénieurs à Marne-la-Vallée, explique le directeur actuel de la communication du Centre de formation industrielle Gambetta. Un chasseur de têtes m'a contacté pour le compte d'une division du Commissariat à l'énergie atomique. Nous avons évoqué mon parcours professionnel puis abordé mon niveau de formation. Et là, l'entretien a tourné court… Mes vingt années d'expérience ont été rayées d'un trait de plume : la division du CEA ne recrutait que des bac + 5 pour ses postes de cadres. » C'est dire si à 34 ans, sans bac, Ouahiba traîne comme un boulet ce qu'elle appelle son « mauvais départ ». « Un diplôme de moniteur-éducateur en poche, j'ai été recrutée par une association en Seine-Saint-Denis pour un poste d'éducateur spécialisé. Pendant cinq ans j'ai dirigé le service des fonds solidarité logement. Quand un nouveau directeur est arrivé, il a voulu me faire changer de poste sous prétexte que je n'avais pas le diplôme requis. » Son employeur a entamé une procédure de licenciement avec ce seul motif, et le conflit s'est soldé par une transaction. Aujourd'hui, Ouahiba commence une formation d'assistante sociale et prépare en même temps une licence d'administration économique et sociale (AES) à Villetaneuse. « On ne sait jamais. Bardée de diplômes, j'arriverai peut-être à exercer le métier qui me plaît. »

72 % des CV plus ou moins falsifiés
JOCHEN GERNIER

Une exigence qui pousse certains candidats à bidouiller leur curriculum vitae. Selon une étude du cabinet Florian Mantione, 72 % des CV seraient plus ou moins falsifiés. Et ils le seraient de plus en plus. Le nombre de CV maquillés a fortement augmenté entre 1989 et 2001 sous l'effet du chômage. D'où la multiplication d'agences chargées de débusquer les fraudeurs et de fouiller dans les annuaires d'anciens. « Un tiers des CV sont exacts, un tiers gonflés et un tiers faux », estime Patrick Stephan, patron d'une agence de détectives privés. « Si je ne m'étais pas inventé deux diplômes, je n'aurais jamais attiré l'attention d'un recruteur. Il n'aurait même pas été jusqu'à la ligne expérience professionnelle », plaide Olivier, cadre dans une entreprise de papeterie. Il y a huit ans, Dominique, qui alignait cinq ans d'expérience dans une SSII et cherchait à entrer à la Générale des eaux, a reçu simultanément une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne : « Vous êtes embauchée. » La mauvaise : « Merci de nous fournir la photocopie de votre BTS de secrétariat de direction. » Diplôme qu'elle avait raté. En un rien de temps, elle a appelé une copine de promotion et produit un faux.

L'obsession du diplôme est davantage propre aux grandes structures qu'aux petites entreprises. « Ceux qui font carrière dans les PME ne sont pas les mêmes que ceux qui progressent dans les grands groupes. Le diplôme fait office de frontière, constate Didier Duhomez, recruteur chez Mercuri Urval à Lille, spécialisé dans le recrutement de commerciaux. Un jeune sorti de grande école voudra bien faire ses premières armes dans une PME ; y passer sa vie, non. Inversement, on voit des BTS commerciaux plafonner dans les grands groupes, faute du bon diplôme, et bifurquer vers des PME pour évoluer. » La perméabilité entre les deux mondes reste, en définitive, assez faible.

Quant aux autodidactes, ils sont en voie d'extinction. Selon le Cadroscope 2003 de l'Apec, 22 % des cadres sont autodidactes. Les deux tiers d'entre eux travaillent dans des PME, la moitié sont âgés de 35 à 50 ans et quatre sur dix ont plus de 50 ans. Un statut qu'il faut savoir assumer face aux diplômés. Daniel Jouve, associé du cabinet de chasse de têtes Addill et créateur du prix de l'Autodidacte de l'année, se souvient d'un « nominé » débusqué dans une grande banque nationalisée. Cet autodidacte est resté insensible à ses sollicitations : « Vous plaisantez ? Avec le poste que j'occupe, tout le monde croit que je suis inspecteur des finances. » Un gagnant du prix, membre du comité exécutif du Crédit lyonnais, l'a plutôt vécu comme une belle revanche. Les applaudissements lui ont fait digérer des années de remarques désagréables. Si aujourd'hui on trouve encore des grands patrons autodidactes, les générations suivantes cumulent les lauriers. Alors que François Pinault n'a pas dépassé le collège Saint-Martin de Rennes, son fils François-Henri est diplômé de HEC.

La promotion interne de plus en plus rare

Et les derniers self-made-men vont chercher dans le diplôme une assurance pour évoluer. Non titulaire du bac, Michel Vincent, 45 ans, directeur opérationnel de la filiale de restauration de la Caisse des dépôts et consignations à Angers, a ressenti la nécessité d'améliorer son bagage. « Je suis entré à 22 ans à la CDC en réussissant un concours de catégorie D, puis j'ai passé le C et le B, et j'ai fait ma place dans la restauration. Toutefois, si ce cursus est reconnu en interne, il ne l'est pas à l'extérieur. » Pendant un an et demi, Michel Vincent a donc suivi un programme de gestion et management à l'IFG (Institut français de gestion). « J'ai évidemment enrichi mes connaissances mais je ne me suis pas engagé dans ces études pour combler des lacunes ou me mettre à niveau. C'est un passage obligé si je veux un jour rebondir ailleurs. »

D'autant que la situation s'est plutôt durcie. Traditionnellement, des secteurs comme la banque, l'audit ou le conseil se sont protégés par des diplômes. Mais d'autres, plus ouverts, à l'instar de l'aide à domicile ou de la collecte des déchets, tendent aujourd'hui à se professionnaliser. « Dans les métiers où il n'existait pas de diplômes, Veolia en a créé de toutes pièces avec l'Éducation nationale, explique Christian Dapilly, directeur de l'Institut de l'environnement urbain, érigé par le groupe. C'est le cas par exemple du CAP de gestion des déchets et propreté urbaine. » Plus question d'être gérant d'agence immobilière sans un BTS en poche. Éric l'a appris quand il a voulu s'installer à son compte pour mettre ses douze ans d'expérience à profit dans la vente. « J'ai un BEP de commerce pour tout diplôme. Il y a trois ans, quand j'ai voulu m'installer comme franchisé dans le réseau Guy Hoquet, c'est ma femme qui a obtenu la gérance de l'agence car elle a fait des études supérieures. Moi j'étais salarié. Cette situation m'a vraiment mis mal à l'aise. »

De plus en plus rares sont les secteurs qui favorisent la promotion interne. Le transport, la grande distribution, le tourisme recrutent ainsi à des niveaux de plus en plus élevés. Chef d'une agence Nouvelles Frontières dans le sud de la France, Hélène est entrée chez le voyagiste il y a douze ans, à l'époque où Jacques Maillot était aux commandes et où les critères de recrutement étaient moins rigides. « L'entretien consistait à vérifier votre passion pour les voyages. Depuis, les règles ont changé. Avec mon seul bac, je ne pourrais plus entrer à NF. Un BTS est devenu indispensable et mieux vaut avoir choisi l'option action commerciale que tourisme pour décrocher un poste de vendeur. »

Embouteillages et frustrations à la clé

Chez Auchan, où la culture de la promotion reste forte – les 118 directeurs de magasin ont tous été chefs de rayon et, sur 8 000 salariés embauchés en 2003, un quart seulement étaient cadres –, le niveau de recrutement externe tend à s'élever. Pas de jeune chef de rayon à moins de bac + 4. Yann Picard, Essec de 35 ans, directeur du Carrefour d'Amiens, fait partie de cette nouvelle génération de la grande distribution. « Il y a dix ans, tous les postes à responsabilité étaient occupés par des salariés issus de l'entreprise. Aujourd'hui, Carrefour a aussi besoin de chercher des compétences à l'extérieur. »

Mais cette course aux jeunes diplômés n'est pas sans inconvénient. « Le risque est de ne plus arriver à satisfaire des hauts potentiels qui veulent progresser et de freiner les troupes à l'arrière. On crée embouteillages et frustrations », explique un recruteur. Du coup, certaines branches professionnelles commencent à revoir leurs critères à la baisse pour continuer à faire fonctionner l'ascenseur social. L'industrie chimique fait ainsi machine arrière. « Dans le courant des années 70, elle a recruté des bataillons de BTS de techniciens de maintenance, relate Nicolas Mazet, consultant chez Algoé. Aujourd'hui, elle est incapable d'offrir une évolution de carrière à ces profils qui plafonnent sans pouvoir devenir cadres. A posteriori, les chargés de recrutement se rendent compte que de bons bacs pro pourraient faire le même boulot. »

Néanmoins, bien rares sont les secteurs à échapper à la « diplômite ». Restauratrice de tableaux depuis treize ans, Florence, diplômée des Beaux-Arts, sait qu'elle ne pourra bientôt plus travailler pour l'État. À moins de passer la maîtrise des sciences techniques de restauration et conservation des biens culturels, devenue depuis peu obligatoire afin de continuer à exercer pour le compte de la Réunion des musées nationaux. Peu importent ses journées de travail à rénover tableaux et fresques dans les églises et la confiance que lui ont témoignée des conservateurs. Contrainte et forcée, Florence, tout comme quelque 130 restaurateurs dans son cas, a dû en passer par la validation des acquis de l'expérience. « Pourquoi pas ? Je ne suis pas contre le principe. Sauf que mon expérience n'a absolument pas été prise en compte par le jury composé de professionnels dont certains me connaissent et m'avaient même fait travailler. Mais ces restaurateurs, également enseignants de la maîtrise, veulent des gens à leur image et privilégient l'aspect académique. » Loin d'obtenir la maîtrise en totalité, Florence doit encore repasser deux modules et présenter un mémoire. C'est d'ailleurs le cas de la majorité des candidats au diplôme. Belle idée pour décrocher le fameux sésame, la VAE peut devenir un vrai parcours du combattant. Témoin, Grégoire Provot qui, de l'étranger, se démène pour faire valider son expérience, car il doit justifier d'un niveau bac + 4 afin de suivre un DESS ou un MBA par correspondance.

La VAE, une façon de réintroduire le diplôme
JOCHEN GERNIERJOCHEN GERNIER

Reste qu'aujourd'hui la VAE est encore le meilleur moyen de décrocher un diplôme sans mettre sa carrière entre parenthèses. Les postulants ne s'y sont pas trompés. Selon la dernière enquête de la Fédération de la formation professionnelle (FFP), la grande majorité des demandes provient de particuliers, loin devant les entreprises. Quelque 18 000 actifs ont bénéficié en 2002 d'une validation de leurs acquis (dont 1 140 pour la seule VAE entrée en application cette année-là). « C'est une façon, par la formation continue, de réintroduire le diplôme », constate Philippe Méhaut, directeur de recherche au laboratoire du CNRS d'économie et de sociologie du travail à Aix-en-Provence, spécialiste de la formation. Impossible d'y échapper. Trop de diplômes tuera-t-il le diplôme ? Le risque est d'accentuer encore le déclassement professionnel. Selon le Cereq, plus de la moitié des diplômés du supérieur arrivés sur le marché en 1998 occupent un premier job inférieur à leur qualification. Et, trois ans après, plus d'un tiers (38 % exactement) restent surdiplômés.

L'autre écueil est que les diplômes obtenus par cette voie parallèle soient dédaignés. L'expérience sera-t-elle un jour reconnue à sa juste valeur ? Et se verra-t-elle renforcée par le fameux droit individuel à la formation (DIF), créé par l'accord national interprofessionnel de septembre dernier, qui pourrait valoriser, enfin, la formation continue ? D'aucuns mettent en avant le triple miracle attendu de la démographie, des départs en retraite et des pénuries de main-d'œuvre. « En 2000, à l'apogée des start-up et d'Internet, jamais on n'avait connu autant de créativité, d'ouverture, se souvient Jean-Marc Danton, consultant chez Progress. Mais, depuis l'explosion de la bulle, le tour de vis n'en est que plus dur. On revient à la logique du diplôme et du sérieux. » Terminé les DSI et autres DRH de 26 ans… Jusqu'à ce que le marché s'emballe à nouveau, pour de bon. La contrainte des tensions à venir sur l'emploi permettra peut-être à la logique des compétences de sortir des discours convenus et d'entrer réellement dans les pratiques d'entreprise.

Allemagne
Le diplôme en passe de détrôner l'expérience
CHAMUSSY/SIPA PRESS

« J'ai grandi à Taïwan, je parle chinois et j'ai suivi une formation de technicienne du textile », explique Anke, 32 ans, qui fait aujourd'hui office de cadre commercial import-export dans une PME de Hambourg. « Malgré la crise du textile, je n'ai jamais eu de problème pour trouver un emploi. Mais on m'a fait comprendre que sans diplôme de management ce serait difficile de faire carrière en Allemagne. J'ai donc pris un congé sabbatique et je prépare un MBA. » Outre-Rhin, le diplôme serait-il aussi devenu déterminant ?

« Pour l'instant, il est encore possible de commencer au bas de l'échelle et de gravir tous les échelons. Cela prend plus de temps, mais ça n'est pas du tout atypique. Cependant, même si la tendance n'est que très récente, avoir un diplôme d'études supérieures est en train de devenir la base de toute évolution de carrière », affirme Anja Wegmann, responsable des contacts « high potentials » pour le cabinet Kienbaum und Partner. Une étude réalisée par l'OCDE en 2001 montre que, sur une classe d'âge, l'Allemagne ne compte que 19 % de diplômés de l'enseignement supérieur, contre 26 % pour la moyenne des pays de l'OCDE : « Chez nous, le diplôme universitaire est concurrencé par des formations professionnelles de bon niveau qui conservent un certain prestige. L'Allemagne produit moins de diplômés du supérieur que les autres pays de l'OCDE. Mais plus de techniciens spécialisés sur la base d'une formation professionnelle par alternance », explique le professeur Axel Plünnecke, spécialiste des questions de formation à l'Institut de l'économie de Cologne. « Ici, ajoute-t-il, celui qui fait des études supérieures peut s'attendre à avoir un salaire moyen de 9 % plus élevé que celui qui fait une formation professionnelle. En France, la différence est de 14 %. »

Sélection antiélitiste

La moindre importance accordée au diplôme outre-Rhin ne résulte pas seulement de l'existence d'un solide système de formation professionnelle. Jusqu'à aujourd'hui, le système universitaire a favorisé un mode de sélection antiélitiste. Selon Anja Wegmann, le recrutement des étudiants se fait toujours en fonction de la région d'origine de l'étudiant et de l'ordre d'inscription : « Bien sûr, selon les matières, il y a des facultés plus ou moins renommées », précise-t-elle. Mais il n'existe pas encore en Allemagne de diplômes prestigieux de grandes écoles sésames incontournables pour pénétrer dans certaines chasses gardées. À terme, le marché des diplômes devrait néanmoins évoluer.

Depuis 1998, les universités ont le droit de proposer des « bachelors » et des « masters », des formations plus courtes, axées sur les réalités de l'entreprise et « monnayables » à l'étranger. Par ailleurs, le chancelier Schröder a annoncé en début d'année que l'Allemagne devrait se doter rapidement d'universités d'élites, capables un jour de rivaliser avec leurs homologues anglo-saxonnes.

Mondialisation oblige

« Les entreprises allemandes n'ont pas perdu le goût de la promotion interne. Les grandes, mais aussi de nombreuses PME, ont mis en place des procédures d'évaluation permanente des savoir-faire, des contrats d'objectifs, et offrent des passages réguliers dans des « assessment centers » aux salariés qui ont prouvé leur valeur », raconte Ingeborg Engel, chasseuse de têtes pour le cabinet hambourgeois Siebenhorst. Il n'empêche, l'entreprise allemande n'échappe pas à la pression de la crise, de la mondialisation et de la concurrence. « Les métiers de l'entreprise se sont fortement professionnalisés et l'on fait appel à des savoir-faire de plus en plus complexes, mais aussi à des profils plus flexibles et plus ouverts, l'expérience à l'étranger et la maîtrise de plusieurs langues étant un minimum. Face à cette évolution, les diplômés ont l'avantage pour faire carrière. »

Un autre élément moins évident plaide pour une importance croissante du diplôme : « Avec la mondialisation, les entreprises allemandes doivent de plus en plus tenir compte des classements internationaux et des avis émis par les agences de notation financière, explique Daniel Goedevert, ancien membre du directoire de Volkswagen.

Or, parmi leurs critères d'évaluation, il y a le profil et le niveau de formation des dirigeants ! »

Thomas Schnee, à Berlin

Espagne
Un sésame nécessaire mais pas suffisant

Au pays de Zara, dont le fondateur, Amancio Ortega, a commencé comme simple livreur à l'âge de 12 ans, les cadres dirigeants sans diplôme sont l'exception dans les grandes entreprises. Mais ils sont nombreux dans les PME, tout particulièrement dans la franchise. « Le système espagnol est trompeur, souligne Eloy Gonzalo, directeur du personnel d'une entreprise agroalimentaire : au début d'une carrière, on croit que le relationnel fait tout, que le diplôme ne garantit pas un poste plus intéressant, mais, au fil du temps, on se rend compte qu'il devient indispensable. » Et les possibilités d'évolution dans l'entreprise sont compliquées pour ceux qui ne possèdent pas la bonne formation initiale. « On préférera toujours un diplômé pour encadrer une équipe, même si, hormis dans l'administration, on ne demande jamais la preuve papier d'un diplôme à l'embauche », affirme Lydia Minguella, directrice pour l'Espagne et le Portugal du cabinet de recrutement InterSearch Worldwide. Mais autant posséder un sésame car il est difficile de faire valider les acquis de l'expérience par un employeur, reconnaît Francisco Moreno, des Commissions ouvrières. Un syndicat qui prône « l'établissement d'un catalogue de titres professionnels afin de valider tout au long d'une carrière à la fois l'expérience pratique et les formations complémentaires, de reconnaître à plein la valeur d'un salarié et de pouvoir utiliser la palette de ses compétences et favoriser la mobilité professionnelle ».

Master de réceptionniste

À l'instar du modèle français, le diplôme a beau être un passeport nécessaire pour évoluer dans l'entreprise, il ne garantit pas un départ sur les chapeaux de roue.

Pas question de chouchouter les jeunes élites. « Les diplômés ? Bons pour servir le café, comme tous les autres. » Almudena Cerda, 24 ans, est une habituée des contrats formation sans suite. « Au bout de six mois au siège d'une banque, trois mois dans une chaîne hôtelière et ainsi de suite, c'est comme si j'avais fait un master de serveuse-réceptionniste », plaisante-t-elle. Son diplôme de gestion d'Icade, considéré comme l'un des meilleurs en Espagne, lui a ouvert les portes des entreprises mais pas déroulé le tapis rouge.

Démarrer avec un CDD au bas de l'échelle est une chose normale en Espagne. D'autant plus que les études universitaires, très théoriques, laissent peu de place aux stages, aux études de cas et aux expériences concrètes. Tandis que, de son côté, le monde de l'entreprise méconnaît le type de formations développées dans les universités, déplorent les responsables de cellule d'orientation des étudiants. Selon une enquête du ministère de l'Éducation, un tiers des diplômés de l'année 2000 exercent aujourd'hui un emploi en deçà (24 %), voire très en deçà (9 %) de leur qualification. Du coup, les nombreux stages et les connaissances pratiques favorisent les jeunes Français à l'heure du premier emploi. « En voyant leurs CV, les DRH sont parfois étonnés de constater qu'à 23 ans ils ont acquis autant d'expérience professionnelle », souligne Estelle Petraman, responsable de la bourse de stages de l'association Dialogo à Madrid qui, chaque année, facilite l'entrée de 2 500 Français sur le marché espagnol. Pour le reste, le diplôme compte peu. « En plus, les employeurs espagnols ne connaissent pas les diplômes français : pour eux, HEC ou un BTS, c'est pareil », estime-t-elle. Témoin, Aurélie, diplôme de Sciences po et master de marketing en poche, parfaitement bilingue, à qui on a offert un poste de secrétaire de direction en lui faisant miroiter une possibilité d'évolution.

En Espagne, mieux vaut avoir un bon bagage et savoir se montrer patient…

Cécile Thibaud, à Madrid

Grande-Bretagne
Un système de plus en plus élitiste

James a longtemps rêvé d'expéditions en Jordanie et de fouilles en Iran. Pourtant, après avoir étudié pendant cinq ans à l'université londonienne de Bristol pour devenir archéologue, il a fait une croix sur son rêve d'enfant. « Il y a dans cette discipline beaucoup de candidats pour peu d'élus. Mais il ne m'a pas été difficile de me réorienter : j'ai été recruté par une grande banque d'investissement qui m'a formé à mon nouveau métier », explique-t-il.

À 35 ans, il travaille au sein de la division fusions et acquisitions et dirige une équipe de six personnes.

Des profils divers

James n'est pas un cas isolé : un tel changement d'orientation et de carrière est même fréquent en Grande-Bretagne où le diplôme est moins sacralisé et moins cloisonnant qu'en France. « Pendant ma formation de deux ans au sein de la banque, confirme James, il y avait dans ma promotion des diplômés qui avaient suivi des études de comptabilité ou d'économie, bien sûr, mais aussi des historiens et même quelqu'un qui avait fait des études de théologie. »

Les grandes entreprises britanniques disposent souvent de leur propre programme de formation : « par souci d'efficacité et pour élargir le spectre du recrutement de l'entreprise », avance Tamsin Meyers, responsable d'un cabinet de recrutement à Londres. « Souvent les entreprises nous demandent de leur fournir des profils de candidats les plus divers possibles. Le seul critère requis est le nombre d'années d'études minimal. » À l'instar du cabinet de consultants PKF, l'un des principaux en Grande-Bretagne. « Nous recrutons des jeunes diplômés de l'université et les formons à notre métier de base », avance un de ses responsables. « Ils sont stagiaires pendant trois ans et alternent périodes de formation et expérience sur le terrain avec leur tuteur. »

Mais si les passerelles d'un secteur à l'autre sont facilitées, mieux vaut avoir un diplôme du Russell Group, nom de code des douze meilleures universités britanniques. Ce qui est le cas de James. « Quelle que soit la matière étudiée, si vous êtes diplômé de l'une des douze grandes universités, vous pouvez prétendre entrer dans ce système qui, au final, est tout aussi élitiste que le système français des grandes écoles », tempère la docteur Christine Akim, sociologue à la London School of Economics (LSE). Seule différence, ces douze universités réunies diplôment davantage d'étudiants (quelque 120 000 par an) que les grandes écoles françaises.

Moins d'autodidactes

Pour autant, l'élitisme anglais pourrait gagner du terrain. Les employeurs s'arrachent toujours les diplômés d'Oxford et de Cambridge, mais aussi ceux de Bristol et de certaines universités londoniennes, LSE et Ucla en tête. Et, plus globalement, la Grande-Bretagne, qui compte 37 % de diplômés de l'enseignement supérieur sur une classe d'âge donnée, aspire à faire progresser davantage ce chiffre pour le porter à 50 % : « Ce qui devrait accroître encore l'élitisme du système : si le nombre des universités et des formations augmente, les employeurs ne vont pas prendre de risques et privilégieront les universités les plus réputées », prédit Christine Akim.

Les détracteurs d'« Oxbridge » soulignent également que le système en place ne laissera plus guère de place aux autodidactes et aux plus démunis : seuls 9 % des élèves de l'université de Cambridge, par exemple, sont issus de familles à faibles revenus, contre un quart dans l'ensemble des universités du pays.

Jérôme Rasetti, à Londres

Auteur

  • Sandrine Foulon, Anne-Cécile Geoffroy