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Le délicat transfert des salariés

Dossier | publié le : 01.03.2004 | S.L.

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Le délicat transfert des salariés

Crédit photo S.L.

Quand l'externalisation ne s'arrête pas aux tâches mais concerne aussi le personnel, l'opération se complique. Et les salariés qui partent ne sont pas toujours gagnants.

Ancienne employée de Bull, Patricia Gandais fait partie de la multitude de salariés qui ont quitté l'entreprise lors des nombreuses opérations d'externalisation décidées par le groupe informatique français. « J'ai passé vingt et un ans au service de la paie. Quand Bull a commencé à travailler avec ADP-GSI sur l'externalisation de la paie, je me suis effectivement demandé ce qu'on allait faire de moi. J'avais beaucoup d'ancienneté, je faisais en quelque sorte partie de la mémoire de l'entreprise, et j'étais très attachée à ce service. Partir chez ADP-GSI n'était pas évident. Mais notre métier n'existait plus. Si j'étais restée chez Bull, qu'est-ce que j'aurais pu faire ? » s'interroge-t-elle. Ce transfert du service de la paie, échelonné sur les années 2001-2002 et réalisé dans le cadre du dernier plan social de Bull, « s'est entièrement déroulé, dans le cadre de la reprise du personnel (voir encadré page 74) par ADP-GSI, sur la base du volontariat », explique Jean-Louis Encontre, directeur des affaires sociales du constructeur informatique, qui a négocié l'opération avec ADP-GSI et les partenaires sociaux de Bull.

Plus d'un an après, Patricia dresse un bilan positif de ce changement d'employeur : « Je suis ravie. Bien entendu, il a fallu que j'évolue, que j'intègre la notion de service dans mon travail. Chez Bull, on connaissait les salariés, on n'avait pas avec eux cette relation de prestataire à client, ce qui n'est pas toujours évident », reconnaît-elle. Comme beaucoup de salariés externalisés dans des sociétés de services, Patricia a dû adopter une autre logique et un autre mode de fonctionnement. « Je voulais tourner la page. Cette externalisation a été l'occasion de poursuivre une activité que j'aimais, de me former et de me spécialiser. »

Une condition de reprise pas automatique
« Cette externalisation a été l'occasion de poursuivre une activité que j'aimais, de me former et de me spécialiser », estime Patricia Gandais, passée de Bull à ADP-GSI.MICHEL LABELLE

Cet exemple d'externalisation réussie ne doit pourtant pas masquer les difficultés d'une telle opération sur le plan social. Des spécialistes comme ADP-GSI sont rodés à la reprise de personnel. Mais, d'une part, cette condition de reprise n'est pas automatique ; d'autre part, tous les salariés n'y sont pas prêts, a fortiori dans des services administratifs où la notion de contact et la culture d'entreprise sont généralement très forts. Les organisations syndicales sont les premières à pointer les limites de l'externalisation, tant pour les salariés transférés que pour ceux qui restent. Selon Ivan Béraud, secrétaire général du Betor Pub CFDT, les conséquences sociales d'une telle opération peuvent même s'avérer « catastrophiques ». « Les salariés sont parfois externalisés sans en avoir eu vraiment le choix. Ils travaillent dans de tout autres conditions, avec des déplacements à répétition, par exemple, changent souvent de conventions collectives et, finalement, n'en ressortent pas gagnants. » Les plus mal lotis sont les salariés repris par un prestataire spécialisé dans l'accueil téléphonique. Quant aux salariés restants, « ils se mobilisent rarement pour défendre le service concerné, note également Ivan Béraud. Si le service fonctionne comme avant, notamment pour la paie, les gens ne vont pas bouger ». Mais il existe des exceptions. L'externalisation des services informatiques d'Elf Aquitaine a ainsi donné lieu à une grande grève des informaticiens. En règle générale, pour se prémunir, les sociétés prestataires « ne prennent aucun risque dès qu'il y a un danger de clash social », souligne Ivan Béraud.

Chez Novell France, constructeur informatique qui compte en France une soixantaine de personnes, un délégué syndical dresse un bilan très mitigé de l'externalisation des RH : « La paie a été externalisée, la responsable des ressources humaines est partie en septembre 2003 et n'a jamais été remplacée. Le quartier général européen de Novell est, certes, basé dans les mêmes locaux, à Neuilly, mais le référent RH intervient au niveau international et ne connaît pas bien la législation française. Notre interlocutrice, une consultante RH indépendante, vient nous voir deux ou trois jours par semaine. » Une carence qui n'améliore pas le climat social de l'entreprise. « Nous n'avons plus d'interlocuteur au sein de l'entreprise et nous ne savons pas combien de temps cela va durer. Enlever un responsable RH sans le remplacer, c'est un bon moyen de ne pas considérer l'histoire de l'entreprise », conclut cet élu. Sans accompagnement social, une externalisation des services RH peut rapidement montrer ses limites.

La reprise de personnel, une procédure à manier avec précaution

En cas d'externalisation de personnel, l'article L. 122-12 du Code du travail dispose que « s'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ». Cet article donne évidemment lieu à des débats acharnés entre les partenaires sociaux, lors des négociations sur la reprise du personnel par les entreprises prestataires. Car la jurisprudence ne rend pas cette procédure automatique, loin de là.

« Pour parler de reprise de personnel du service concerné, il faut qu'il existe une entité économique autonome, ce qui est rarement le cas au niveau de la paie ou de la gestion administrative », indique Cécile Georges, directrice juridique d'ADP-GSI. Selon son raisonnement, cet article n'est pas fondé à s'appliquer dans le cas d'une externalisation. « De manière plus générale, précise-t-elle encore, nous ne souhaitons pas faire de la reprise de personnel une notion automatique, et encore moins un argument commercial pour vendre nos prestations d'externalisation.

Nous pouvons bien sûr reprendre du personnel, mais en général sur la base du volontariat. » En clair, même si c'est rarement exprimé officiellement, aucun prestataire ne souhaite mener un plan social à la place de l'entreprise dont il aura éventuellement repris les troupes.

« On n'externalise pas ses problèmes », résume Philippe Guinaud, chef de produits de Cegedim SRH.

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  • S.L.