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Hormis le contrat de projet, que faut-il retenir du rapport de Virville

Débat | publié le : 01.03.2004 |

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GILLES BÉLIER

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Le rapport de la commission de Virville a fait couler beaucoup d'encre… sur une seule de ses 50 propositions : le contrat de projet. Que penser de cet ensemble de préconisations qui visent à rendre le droit du travail plus accessible, plus prévisible et plus efficace, et qui devraient en partie inspirer le projet de loi Fillon sur l'emploi ? Les réponses divergentes de trois juristes, dont un des membres de la commission.

« Donner plus de place aux acteurs sociaux sans mettre en cause la prééminence du législateur. »

GILLES BÉLIER Avocat associé, cabinet Freshfields et membre de la commission de Virville.

Le tumulte médiaticopolitique qui a accompagné la publication du rapport de Virville impose de rappeler la portée de ce genre d'exercice. Il ne s'agit aucunement d'une injonction aux pouvoirs publics, mais d'un rapport issu d'une commission composée dans la diversité afin de rechercher les voies d'une meilleure efficacité et d'une plus grande sécurité juridique pour l'ensemble des acteurs du droit du travail. Le jeu traditionnel reprend ses droits et enverra probablement une grande partie de ces travaux aux poubelles de la petite histoire des rapports. C'est bien dans ce contexte qu'il paraît nécessaire de se demander quels seraient les points dont la reprise ultérieure serait le plus utile dans la réalisation des objectifs de sécurité, de stabilité et d'efficacité pour l'ensemble des acteurs.

Le rapport de Virville comporte, pour près de la moitié de ses propositions, des suggestions d'ordre méthodologique : comment articuler la loi et la négociation collective, comment mieux prendre en compte la place de la jurisprudence dans les diverses sources de droit ou comment favoriser un droit du travail plus lisible et plus accessible. Ce premier axe de réflexion n'est pas nouveau et il est très largement partagé. Diverses mesures, et en premier lieu celles qui visent à donner une plus grande place aux acteurs sociaux sans mettre en cause la prééminence du législateur, devraient être poursuivies. Les modifications législatives survenant à chaque alternance politique n'apportent pas assez de garanties de stabilité, pourtant nécessaire à l'appropriation par chacun du droit du travail. Chaque fois que la négociation collective a pu précéder d'une manière sérieuse et approfondie l'intervention du législateur, une plus grande stabilité des règles du jeu a pu être observée. Pourtant, et cela a sans doute manqué à l'occasion des textes sur la réduction du temps de travail, le pacte entre la société civile et le pouvoir politique doit être clair et pérenne. C'est dans ce sens que se prononce le rapport et cette piste pourrait être utilement suivie.

Ensuite, quelques-uns des éléments portant sur la jurisprudence et son rôle dans la mise en œuvre du droit mériteraient de donner lieu à un débat réel. Le développement de la procédure d'avis peut, certes, être présenté comme correspondant à « une dérive de notre temps de tout vouloir tout de suite », mais attendre plusieurs années avant que ne se dessine une orientation claire de la jurisprudence sur tel ou tel point important d'un nouveau texte ne peut pas constituer une situation satisfaisante. Il est tout aussi vrai que le temps de la justice est un temps différent de celui de la vie et que les choix des juges impliquent également que la vie sociale ait permis une certaine maturation des problèmes et de leurs enjeux. Il ne faudrait pas que la procédure d'avis aboutisse à une forme de glaciation des positions jurisprudentielles. Enfin, diverses propositions méritent sans doute également d'être retenues dans l'avenir, telles que le contrat écrit comportant les éléments essentiels dont la modification nécessiterait l'accord du salarié, ainsi que nombre de suggestions portant sur la représentation du personnel et le développement de la négociation collective, afin d'assurer une plus grande effectivité de ces aspects essentiels du droit du travail dans les PME.

« Il aurait fallu des pistes sur ce qui appartient à la loi et à la négociation collective. »

PHILIPPE LANGLOIS Professeur émérite à l'université Paris X-Nanterre, avocat associé, Flichy & Associés.

Pour caractériser d'un trait le rapport de la commission présidée par M. de Virville, on pourrait avancer qu'il réunit un ensemble de mesures qu'il est possible de mettre en œuvre immédiatement. Quelle que soit l'opinion qu'on peut avoir sur leur bien-fondé, on ne peut que constater leur qualité technique : c'est du bon travail. Ce rapport a aussi l'insigne mérite de démontrer que la rénovation est possible, le travail accompli devant être considéré comme un commencement et non une fin. L'envers de la médaille est une certaine insatisfaction sur les grands thèmes abordés. Si la commission a un peu été prise à contre-pied par le législateur à propos de l'articulation entre la loi et la négociation collective, on aurait aimé que soit indiquées des pistes sur ce qui appartient en propre à la loi et à la négociation collective. Cette question est fort complexe, ainsi qu'en attestent le thème de la durée du travail, la compétence législative pour la réglementation protégeant la sécurité des salariés étant incontestable, comme la compétence des partenaires sociaux pour la définition de la durée normale du travail et le régime des heures supplémentaires, la difficulté se concentrant sur tout ce qui est en rapport avec le repos.

On aurait souhaité aussi un plus grand optimisme sur la qualité future du travail législatif, l'exigence de rénover chaque partie du Code du travail que le législateur réforme paraissant constituer la seule condition de sa modernisation. Refondre le Code du travail par ordonnance peut être une première étape. Mais une réelle modernisation passe par des réformes de fond et l'abandon de certains tabous, comme celui selon lequel la réglementation contraignante des contrats à durée déterminée est favorable à l'emploi et prévient sa précarité, ce qui n'a jamais été démontré, la seule véritable contrainte juridique étant d'éviter que le recours à ce type de contrat ne permette de tourner le droit du licenciement.

Il serait temps enfin de considérer la jurisprudence pour ce qu'elle est, à savoir une véritable source de droit, pour modifier les pratiques actuelles. S'inspirant des exemples étrangers et des juridictions internationales, il faudrait être plus exigeant dans la motivation des décisions et favoriser l'accès à tous les débats écrits auxquels les arrêts de la Cour de cassation donnent lieu, le secret du délibéré ne s'imposant pas pour une juridiction qui statue en droit et non en fait. Telle est la véritable problématique, la recherche de certains remèdes pouvant laisser sceptique, comme la limitation de la rétroactivité des décisions, qui ne peut être envisagée que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles. La contrainte du précédent et l'exigence de raisonnements techniquement indiscutables justifiant une évolution qui ne doit jamais être radicale paraissent constituer les exigences nécessaires devant peser sur le pouvoir créateur du juge.

« Le rapport réclame la certitude pour les règles au bénéfice exclusif des employeurs. »

ANTOINE LYON-CAEN Professeur à l'université Paris X-Nanterre.

Le rapport de la commission de Virville se prête à plusieurs lectures. Il constitue d'abord une suite d'appréciations, plus ou moins convaincantes, sur l'état de notre droit du travail et des propositions très diverses par leur ambition, leur réalisme, leur portée, supposées répondre à des difficultés que la commission a identifiées. Mais comment ?

Pourquoi, par exemple, cette révision souhaitée de la définition du corps électoral dans l'entreprise pour en exclure les salariés participant au processus de production, et en contemplation de quelles données cette affirmation d'un contentieux s'amplifiant ? De prime abord, la sélection des difficultés dites de fond et des sujets traités obéit à des critères obscurs.

Peut-être prend-elle sens avec une deuxième lecture qu'inspirent les objectifs que la commission déclare s'être assignés. Ils s'expriment sous la forme d'oppositions ou d'antonymes : obscur, le droit du travail doit gagner en clarté ; complexe, il doit gagner en simplicité ou intelligibilité ; changeant, il doit offrir plus de sécurité ; peu ou mal appliqué, il doit devenir plus efficace. Mais ces notions sont-elles si simples et leur liaison si évidente ? Le rapport reste dans le confort des lieux communs.

L'accessibilité ? Cela concerne les textes. Va donc pour la mise en ligne. La lisibilité ? Avant tout une question de qualité linguistique et grammaticale. Va a priori pour une nouvelle codification. Mais l'intelligibilité du droit ? Elle ne vient pas du seul maniement d'un Code élégant. La cherche-t-on du côté des salariés, des dirigeants, des représentants du personnel, ceux que le rapport appelle les usagers ? Ou entend-on en limiter l'exigence au législateur et aux partenaires sociaux ? Et comprendre le droit, c'est-à-dire accéder à l'intelligence de son fonctionnement, n'est-ce pas se convaincre aussitôt que ses énoncés sont exposés à l'interprétation ?

Faisons l'hypothèse d'une abrogation d'une large partie du Code et de son remplacement par la proposition suivante : « l'employeur est raisonnable dans l'exercice de ses pouvoirs ».

Texte facile d'accès. Mais suffit-il de le lire pour comprendre la règle dont il est porteur ? Et sa signification est-elle une et immuable ? Il est probable qu'il donnerait lieu à des solutions diverses et évolutives. La commission, faute d'avoir dépassé les propos convenus, renonce à saisir si et comment le droit du travail peut devenir plus intelligible.

Preuve vivante qu'entre un texte et son sens il existe une distance, le rapport dit encore autre chose, de façon compréhensible. Il revendique la certitude pour les règles. Plus de la moitié des propositions expriment cette revendication : un accord doit être préservé des changements législatifs et ne doit pouvoir être attaqué que dans un bref délai ; la jurisprudence doit cesser d'être, par principe, rétroactive ; les frontières entre salariat et travail indépendant doivent être fortifiées ; l'élaboration de contrats types permettrait aux usagers (?) de choisir le régime de leur relation… Rien ne dit que ces propositions, dont bon nombre voudraient tarir les litiges, atteindraient leur but. Cependant, ce qui doit être souligné est avant tout que la certitude réclamée est à sens unique, une certitude exclusivement au bénéfice des employeurs. Car il est difficile d'imaginer un salarié se plaindre d'avoir obtenu ce qu'il réclamait en justice.

Il serait, en tout cas, audacieux de faire de la sécurité des employeurs l'axe d'une mobilisation pour l'emploi.