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Vie des entreprises

Française des jeux-PMU : gestion flexible contre statut doré

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.10.1999 | Frédéric Rey

Bingo et Tac-O-Tac ont donné un sacré coup de vieux au tiercé. Sur le plan social, même contraste : participation, intéressement et horaires flexibles à La Française des jeux contre emploi quasiment à vie, congés à gogo et retraite « gratuite » au PMU, qui s'est donné cinq ans pour devenir une société de services.

Le million ! Le million ! Pendant que le public scande et applaudit, un joueur tourne la grande roue. Le suspense est à son comble dans ce jeu, où l'on peut empocher entre 100 000 francs et 1 million de francs. Tous les week-ends, ce rendez-vous du petit écran est devenu familier pour les Français, détrônant la traditionnelle retransmission des courses hippiques en direct des hippodromes de Vincennes ou de Longchamp. Le bon vieux tiercé, qui tenait le haut du pavé dans les années 60, a perdu sa place de leader au profit du Loto, et surtout des jeux de grattage. La Française des jeux, jeune société d'économie mixte née en 1991, qui a repris le flambeau de La Loterie nationale, ne cesse de bousculer le Pari mutuel urbain, bientôt septuagénaire, créé par les sociétés de courses et transformé, en 1983, en groupement d'intérêt économique.

Depuis l'apparition des Keno, Banco, Morpion, Tac-O-Tac ou autres Bingo, les Français sont devenus davantage des joueurs que des parieurs. En 1998, 33,3 millions ont tenté leur chance à l'un des nombreux jeux de La Française des jeux, contre seulement 6 millions pour le PMU. Au cours des dix dernières années, le chiffre d'affaires de La Française des jeux s'est envolé, tandis que celui de l'institution hippique connaissait une sévère érosion.

Dépoussiérer une gestion trop administrative

De 1990 à 1997, le reflux se chiffre à 10 % en francs constants. Malgré le nouveau produit phare, le Quinté Plus, les courses de chevaux souffrent d'une image vieillotte, d'une réputation de jeu très technique réservé aux turfistes. Tandis que le PMU peine à renouveler sa clientèle, essentiellement représentée dans les milieux populaires et ruraux, son concurrent a su conquérir un large public. Dans la population des 16 ans et plus, sept personnes sur dix jouent au moins une fois par an. La Française des jeux s'est positionnée sur le registre de l'imaginaire et de la psychologie. C'est le rêve du gros lot pour le Loto, avec des gains qui peuvent atteindre plusieurs dizaines de millions de francs, l'instantanéité et le ludisme pour les jeux de grattage. Du retraité auvergnat au jeune cadre parisien, tout le monde cède à la tentation.

Dans cet environnement très concurrentiel, le PMU a réagi en lançant, en 1997, un plan de réorganisation sur cinq ans. Une véritable campagne de remobilisation du personnel, dont l'objectif général est de dépoussiérer une gestion par trop administrative. « Ce projet vise à recentrer l'entreprise sur ses métiers de base : la collecte et le traitement des paris, explique le directeur des ressources humaines du Pari mutuel urbain, Denis Banizette. Mais nous voulons aussi doper notre action commerciale, la rendre agressive de façon presque obsessionnelle. Pour assurer notre pérennité, il nous faut évoluer vers un management digne d'une véritable entreprise de services. » Le plan de restructuration réduit de 9 à 5 le nombre des directions régionales et de 37 à 27 celui des agences. En ce qui concerne l'organe central, l'institution hippique se dote d'une direction du marketing, de la communication, ainsi que d'un pôle TV et multimédia. Les activités de maintenance et de logistique sont sous-traitées.

Les successeurs des « Gueules cassées »

Parallèlement la voilure est réduite, avec la suppression de 600 postes sur 1 800, sans aucun licenciement sec. La maison est respectable et l'emploi quasiment à vie. Pour les salariés qui restent, l'entreprise déploie de gros efforts de formation : elle y consacrera 10 % de la masse salariale jusqu'en 2002 ! Cet énorme chantier concerne d'abord les 600 salariés déployés sur le territoire, sous forme d'un accompagnement pour ceux qui changent de lieu de travail ou ceux dont le métier évolue. « L'objectif est de professionnaliser, souligne Olivier Pieuchot, responsable de la formation, et d'aider les personnes qui changent de poste à acquérir les compétences techniques et les comportements qu'impliquent leurs nouvelles fonctions. Nous voulons faire monter le niveau d'exigences. »

Le second volet de ce plan de formation s'adresse à l'ensemble du personnel du PMU. Il vise à faciliter l'évolution de l'entreprise vers une culture de plus en plus orientée vers le client. « L'objectif à plus long terme, poursuit Olivier Pieuchot, est de permettre à chacun d'intégrer une filière professionnelle. Une secrétaire du PMU aura, au-delà de la connaissance spécifique de l'univers des paris, les mêmes compétences que son homologue de n'importe quelle autre entreprise. Pour cela, nous souhaitons inclure un parcours qualifiant ou des stages afin de pouvoir compléter ses connaissances liées à sa filière. »

Pas de maillage territorial à La Française des jeux, le concurrent : les 750 salariés de la SEM sont répartis sur trois principaux sites possédant chacun une spécialité fonctionnelle. À Moussy, au milieu des champs de betteraves de Seine-et-Marne, les bureaux abritent les services administratifs et le développement informatique. Les directions commerciales, le marketing et les studios d'enregistrement sont situés à Boulogne-Billancourt, tandis que Vitrolles accueille les services informatiques, chargés du traitement des jeux en aval. À la différence du PMU, la force de vente de La Française a toujours été externalisée. À la création de La Loterie nationale, en 1933, les anciens combattants de 14-18 avaient la possibilité d'émettre des dixièmes de billet. Avec les commissions perçues sur les ventes, ils finançaient des établissements accueillant et soignant les blessés à la face.

Leur activité prenant de l'importance, les « Gueules cassées » se sont appuyées sur un réseau de mandataires. Après la disparition de La Loterie nationale et la création de La Française des jeux, au début des années 90, les anciens soldats ont abandonné leurs droits en échange d'une participation dans le capital, mais les courtiers mandataires sont restés. Ces intermédiaires quadrillent tout le territoire pour la promotion des produits auprès des 42 600 bars, tabacs, maisons de la presse ou autres points de vente. Au nombre de 200, ils sont dépendants de La Française des jeux et emploient 1 500 personnes, avec un statut qui leur est propre. « Ces travailleurs indépendants gèrent leur personnel en toute liberté sans que nous ayons à nous immiscer dans leurs affaires », précise Patrick-Louis Hubert, directeur de l'administration générale.

Dans le secteur du jeu, où l'activité informatique est une fonction primordiale, La Française des jeux a opté pour un service interne occupant une place importante. 200 des 700 salariés de l'entreprise travaillent pour l'informatique maison. La société possède son propre système de traitement des jeux de tirage comme le Loto ou le Keno. La prochaine étape consistera à développer un nouveau système informatique pour les jeux de grattage. Grâce à une lecture instantanée de la validité du billet par le détaillant, l'économie réalisée devrait atteindre plusieurs millions de francs.

Avec seulement 100 informaticiens, sur un effectif total de 1 700 personnes, le PMU a fait un choix complètement différent, en externalisant la conception de ses outils. Le plan de réorganisation, adopté en 1997, prévoit le déploiement d'un nouveau système informatique devant assurer une plus grande rapidité et une parfaite sécurité du traitement des paris. Confiée à IBM, la mise en place de ce système, du nom de Pégase, doit s'effectuer en quatre étapes. Mais, à ce jour, seule la première a été réalisée. « Pégase patine complètement dans la choucroute, estime Pierre Bellaïche, secrétaire du comité central d'entreprise et délégué syndical CGC. Cette usine à gaz prend de plus en plus de retard, pour un coût qui ne cesse de s'alourdir. »

Des statuts dorés

Curieusement, les ratés de Pégase suscitent aujourd'hui une grande inquiétude parmi le personnel du PMU, alors que les suppressions d'emplois n'ont pas entraîné de conflit social. Et pour cause. Le plan social va permettre à certains salariés de partir en préretraite dès 55 ans, dans des conditions extrêmement confortables : 80 % du salaire est conservé mais, grâce à une prime de licenciement, c'est en fait 100 % de leur dernier salaire que les partants vont toucher durant cinq ans. D'une manière générale, les salariés du PMU n'ont pas à se plaindre. La preuve, on retrouve parmi le personnel beaucoup de membres d'une même famille. « Lorsque les paris étaient encore traités manuellement, les risques de triche étaient importants. En embauchant des personnes d'une même famille, ils étaient moindre car, en cas de tricherie, l'opprobre retombait sur tous ceux qui portaient le même nom », explique Pierre Bellaïche, figure charismatique du syndicalisme dans la maison, dont le père a lui-même été employé au PMU. Cette forte cohésion, ajoutée au poids des syndicats, n'a sans doute pas été étrangère à l'élaboration d'un statut social qui laisse rêveur.

Aux cinq semaines de congés payés s'ajoutent neuf jours instaurés dans le passé pour compenser la nécessité d'une continuité de service, même si, avec l'informatisation des paris, les contraintes ont été beaucoup atténuées. Le salarié bénéficie de jours supplémentaires après cinq ans d'ancienneté, puis après quinze ans de présence. Tous les ans, le personnel profite d'une augmentation automatique de 1 %. Et, en 1998, le salaire de base d'un cadre s'élevait à 18 329 francs et à 11 382 francs pour un agent de maîtrise. Le PMU soigne enfin ses retraités en leur reversant une pension « gratuite », non soumise à cotisations. Grâce à un mode de financement original : ce supplément de retraite est, en effet, financé avec les gains sur les paris qui n'ont pas été encaissés par les gagnants.

Les avantages de la maison d'en face sont plus modestes. Mais à peine… « Nos fourchettes de rémunération n'ont rien d'extraordinaire par rapport au marché », souligne Patrick-Louis Hubert. Un jeune cadre de La Française des jeux touche un salaire de base de 14 414 francs et, pour un agent de maîtrise, il atteint 9 137 francs. La société a toutefois développé une politique de rémunération indirecte, qui n'est pas négligeable. Les primes liées aux accords de participation et d'intéressement représentent 20 % du salaire annuel. « Elles pourraient atteindre des montants bien plus élevés, souligne Pascale Zobec, secrétaire du comité central d'entreprise, mais la tutelle impose que les primes soient plafonnées à ce niveau. » D'autre part, l'intéressement et la participation ont été complétés par un plan d'épargne d'entreprise et un système de retraite par capitalisation avec abondement de l'entreprise.

38 heures contre 37 h 30

En matière de temps de travail, le PMU accuse du retard. Il est passé à 37 h 30 de travail hebdomadaire il y a quinze ans. La Française des jeux s'est montrée plus innovante en permettant, grâce à des jours de récupération, de travailler en moyenne 36 heures par semaine avant de faire marche arrière. Sous la présidence de Gérard Colé, l'horaire hebdomadaire a été ramené à 38 heures. Avec la loi Aubry, les 35 heures sont de nouveau d'actualité mais dans un contexte aujourd'hui différent. La moitié de l'effectif de la société est constituée de cadres qui se plaignaient d'horaires à rallonge. En 1998, syndicats et direction se sont entendus pour réintroduire la badgeuse, que Gérard Colé avait supprimée. Un système de journées de récupération a été instauré, mais dans une certaine limite. Au-delà de neuf heures de dépassement d'horaires dans le mois, les heures tombent tout simplement aux oubliettes. « Chaque mois, 600 journées sont déposées pour l'ensemble du personnel, précise Patrick Lahm, directeur des ressources humaines. De l'employé au patron de département, tout le monde a bien compris l'intérêt de ce système et cherche à se constituer des jours. Ce surplus d'heures sup concerne à peine 70 personnes. De plus, une grande partie de ce temps est perdue en transports et déplacements. »

Les bandits manchots font de l'ombre

Avec la prochaine entrée en vigueur des 35 heures, la direction de La Française des jeux envisage d'abandonner la badgeuse pour lui substituer un système autodéclaratif. « La réduction du temps de travail devrait pouvoir s'appliquer sans avoir à embaucher plus de 12 personnes, souligne Patrick-Louis Hubert, directeur de l'administration générale ; le personnel a encore une marge de manœuvre suffisante. » Si les négociations se poursuivent cet automne à La Française des jeux, elles sont carrément au point mort au PMU. Syndicats et direction s'empoignent à propos de l'embauche de 250 jeunes.

Cette intégration de sang neuf a été prévue dans le plan de modernisation du PMU, dont un tiers de la population a plus de vingt-cinq ans d'ancienneté. Mais il n'est pas prévu que les nouveaux embauchés bénéficient du même statut social que leurs aînés. La prime d'ancienneté, par exemple, pourrait être plafonnée. « Ils veulent recruter à des conditions inférieures de 30 % aux nôtres, nous ne pouvons accepter ce chantage à l'emploi. S'ils touchent à l'accord d'entreprise, ils récolteront un mois de grève », tempête Pierre Bellaïche, délégué CGC. « Nous sommes en situation de concurrence, rétorque le directeur des ressources humaines, Denis Banizette. Le PMU ne peut se permettre de rémunérer certaines compétences au-dessus des prix du marché, mais les partenaires sociaux sont aveuglés par une croyance indicible selon laquelle quoi qu'il arrive le PMU existera toujours. »

Pourtant, sous l'effet de la mondialisation et de la construction de l'Europe, la fin des monopoles n'épargne pas les sociétés de jeux qui vont devoir aussi composer avec la concurrence étrangère. Pour La Française des jeux, l'échéance est toute proche. En 2008, la licence qui lui a été concédée par l'État fera l'objet d'un appel d'offres. Dans l'immédiat, elle doit – comme le PMU – faire face à la montée en puissance d'autres machines à rêve : les casinos, dont les bandits manchots font un tabac.

Deux fromages de la République

Avec 70 milliards de francs d'enjeux collectés en 1998, le PMU et La Française des jeux sont deux auxiliaires formidables pour le ministère du Budget. Même si la plus grande partie de ces sommes est reversée aux gagnants (le taux de redistribution est de 86 % au PMU contre 57 % en moyenne pour le leader des jeux instantanés), les caisses de l'État ne sont pas oubliées au passage. Bercy a ponctionné 6 milliards de francs au PMU et 10,3 milliards à La Française des jeux l'année dernière.

Après ces divers prélèvements, il en reste assez au PMU pour financer la filière hippique et contribuer au fonctionnement des 16 000 sociétés de courses qui représentent 50 000 emplois. Quant à La Française des jeux, elle finance une équipe de cyclisme ainsi que le Fonds national pour le développement du sport.

L'état ne peut donc pas se désintéresser de la gestion de ces deux pompes à finances. Nommé par décret du président de la République, le P-DG de La Française des jeux est souvent choisi parmi les hauts fonctionnaires méritants. Énarque, ancien de la direction du Budget passé par la présidence de la Seita, Bertrand de Gallé a succédé, il y a cinq ans, à Gérard Colé, ex-conseiller en communication de François Mitterrand, débarqué après un énorme scandale financier. Au PMU, contrairement à la tradition bien établie qui voulait que les sociétés de courses choisissent un haut fonctionnaire comme président, c'est un ancien du GAN, Bertrand Bélinguier, qui en est actuellement le P-DG.

Auteur

  • Frédéric Rey