« Le référendum, c'est la mort du fait syndical », rétorquait Jean Auroux, le père des lois du même nom, aux députés de l'opposition qui, en 1982, souhaitaient la mise en œuvre d'une consultation du personnel, à défaut d'accord collectif conclu dans l'entreprise. Plus de quinze ans après cette sentence frappée au coin du bon sens, le référendum risque d'entrer par la grande porte dans le Code du travail (seuls des cas de recours marginaux sont aujourd'hui prévus). Cela à l'initiative d'un gouvernement de gauche, et sous couvert de renforcer la légitimité des accords sur les 35 heures. L'article 11 du projet de loi Aubry II subordonne en effet le bénéfice du nouveau dispositif d'allégement de cotisations patronales à la signature de l'accord par les syndicats majoritaires dans l'entreprise ou, à défaut, à son approbation par la majorité du personnel. Un accroc de taille au vieux principe de notre droit du travail selon lequel un accord est valable lorsqu'il est signé par un syndicat « minoritaire » dans l'entreprise, dès lors que celui-ci est représentatif.
Que la question de la représentativité des organisations syndicales mérite d'être posée, c'est aujourd'hui une évidence. Au risque de choquer, il faut bien reconnaître que le Yalta de 1966 – la représentativité automatique accordée aux cinq « grandes » confédérations – a contribué à fossiliser le paysage syndical, à pérenniser sa balkanisation, à bureaucratiser ses centrales, et donc, in fine, à affaiblir le syndicalisme hexagonal.
Mais, en procédant de la sorte, le gouvernement joue les apprentis sorciers. Accordant une légitimité renforcée aux accords majoritaires, le projet de loi jette implicitement le discrédit sur ceux qui auront été ratifiés par un ou des syndicats « minoritaires » sans avoir reçu l'onction du personnel. La distinction ainsi introduite entre les accords « plébiscités » et les autres, forcément moins légitimes, a toutes chances de créer une dynamique en faveur des premiers. Il y a fort à parier que la règle de la ratification majoritaire fera tache d'huile dans les années à venir. Seul syndicat à défendre l'article 11, la CGT en demande d'ailleurs – fort logiquement – l'extension à tous les accords de réduction du temps de travail.
Pour ensuite, demain, exiger son application à tous les accords collectifs.
En ouvrant la boîte de Pandore, les rédacteurs du projet de loi font vraisemblablement le calcul que la logique majoritaire qu'ils introduisent conduira à terme les syndicats à se regrouper (les petites confédérations perdant tout poids dans la négociation, sauf comme force d'appoint) et à prendre leurs responsabilités dans le jeu contractuel. Le pari implicite est celui de la conversion définitive de la CGT (qui jouera, avec la CFDT, un rôle pivot dans le nouveau dispositif) à une pratique conventionnelle et réformiste. Un pronostic bien optimiste.
Car la ratification majoritaire peut tout aussi bien déboucher sur le scénario catastrophe d'un blocage de la vie contractuelle.
Par ailleurs, le recours au référendum ressemble fort à un acte de défiance du politique vis-à-vis des organisations intermédiaires que sont les syndicats. C'est la démocratie directe contre la démocratie déléguée, l'expression du « peuple réel » contre celle des « apparatchiks » syndicaux. Un choix bien périlleux. Faute d'avoir participé directement au cheminement de la négociation et au jeu subtil des concessions réciproques, faute donc d'avoir toujours bien saisi les tenants et les aboutissants du compromis final, le salarié ainsi consulté sera une proie facile pour les manipulations de toute sorte. Les politiques le savent bien, eux qui l'utilisent de façon extrêmement précautionneuse, le référendum est une arme qui vous explose facilement entre les doigts. Le danger est aussi que le salarié privilégie, dans son vote, ses intérêts particuliers et catégoriels à l'intérêt général, ses avantages acquis d'« insider » aux créations d'emplois dont pourraient bénéficier les « outsiders ».
Enfin, avec cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête, et la perspective d'un possible désaveu du personnel, les syndicats minoritaires risquent fort de laisser leur stylo au vestiaire.
De deux choses l'une. Soit le gouvernement avance masqué et l'article 11 de son projet de loi est en réalité un artifice pour remettre en cause le système de représentation syndicale en vigueur. S'agissant d'un sujet aussi fondamental, qui mériterait un véritable débat démocratique, la façon de procéder – en catimini – est alors hautement contestable. Soit son intention est seulement de conforter la légitimité du compromis élaboré autour des 35 heures, dans la mesure où il touche à la vie quotidienne des salariés. Pourquoi alors ne pas assouplir les conditions de recours au droit d'opposition dont bénéficient les syndicats majoritaires dans l'entreprise, aujourd'hui tellement restrictives que son usage reste exceptionnel ? Plutôt qu'une prudente abstention, en attendant le verdict des salariés, les syndicats majoritaires seraient alors tenus de prendre leurs responsabilités s'ils estiment devoir s'opposer à l'accord.