logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Bloc-notes

Une rentrée sur route glissante

Bloc-notes | publié le : 01.10.1999 | Catherine Barbaroux

« L'affaire Michelin ». La réalité obéit rarement aux prévisions, surtout dans le domaine social. Sous l'effet de l'euphorie économique, nous nous préparions à une rentrée paisible : la seule manifestation d'envergure prévue au retour des vacances était celle du Medef contre la seconde loi Aubry. L'annonce, début septembre, du plan de restructuration de Michelin qui prévoit la suppression de 7 500 emplois en Europe, a rouvert un débat de fond sur les conséquences de la mondialisation et les mécanismes de régulation du capitalisme. Pourquoi est née « l'affaire Michelin » ? Après tout ce n'est pas la première fois qu'une grande entreprise, confrontée à la vivacité de la concurrence et à l'exigence de ses actionnaires, annonce de bons résultats et un plan social. Ce n'est pas la première fois que la Bourse applaudit à une promesse de gains de productivité. Ce n'est pas non plus le premier plan social dans cette entreprise emblématique : édouard Michelin ne revendique-t-il pas 25 000 postes supprimés en neuf plans sociaux et « seulement 89 licenciements secs » ?

Pourtant, comme dans certaines tragédies, il lui a manqué le sens du temps et du lieu. La France sort de la crise, ou du moins commence-t-elle à s'en convaincre, aidée en cela par des indices convergents. Les salariés espèrent enfin toucher les dividendes des sacrifices consentis.

Le gouvernement ose, certes à l'échéance d'une décennie, parler de retour au plein-emploi. Les grandes fusions de l'été minimisent leur coût social ou le limitent à des chiffres « acceptables » pour qui veut jouer dans la cour des grands de ce monde impitoyable. Bref, entre une purge de l'appareil industriel qu'on espère achevée et des pénuries de main-d'œuvre qu'on voit réapparaître, ce projet de restructuration est à contretemps. La reprise, loin d'amortir le choc, l'exacerbe. Plus symbolique, ce projet est révélé dans un lieu qui à lui seul matérialise les exigences illimitées des marchés : une réunion d'analystes financiers ! La logique de l'actionnaire non seulement privilégiée dans les faits mais dans la forme, c'est plus qu'il n'en faut pour stigmatiser l'agressivité sociale et le dédain pour les partenaires sociaux tenus à l'écart.

Les départs anticipés. Paradoxalement, les salariés de Michelin sont sans doute en situation plus « enviable » que bien des salariés en activité sous contrats précaires. Car là est bien le plus troublant, un plan social bien négocié devient un « avantage acquis » non négligeable, notamment en termes de mesures d'âge.

Le recours aux départs anticipés sous forme de congés de fin de carrière s'amplifie encore malgré les discours convenus sur les retraites. La France poursuit sa course folle vers l'exclusion des salariés « âgés » de plus de 50 ans au moment où GM et Daimler-Chrysler signent une garantie inédite d'emploi à vie pour hâter la modernisation de certaines unités. Triste record qui nous fait avoir les vieux les plus jeunes… sans que l'entrée dans la vie active en soit accélérée.

35 heures. Derrière les dogmes, les mots, les apparences, il est indiscutable que la seconde loi propose quelques réponses novatrices sur des sujets clés : le décompte en jours pour les cadres, le volume des aides structurelles, les annualisations, le coïnvestissement formation. Pourvu que ce fragile édifice politique et social ne se complique pas davantage à l'issue du débat parlementaire. Espérons même qu'il se clarifiera.

Pour l'instant, c'est surtout l'article 11 sur la représentativité qui met les organisations syndicales en ébullition, certaines en faisant un casus belli. On invente ici le « cavalier social » comme en d'autres moments on utilise des « cavaliers budgétaires » pour régler, par la bande, des sujets sans relation entre eux. Il est en effet étrange de modifier, au détour des 35 heures, des décennies de pratiques représentatives contestables, mais qui ont fondé notre système de négociation sociale. C'est sans doute un peu rapide dans la méthode, un peu hasardeux dans les effets. On sent bien que le statu quo n'est plus tenable, mais l'incitation au référendum pose au moins trois questions : quel rôle pour les adhérents et les négociateurs si leur position peut être désavouée ? Auront-ils toujours le même courage réformiste ? Le référendum ne se transformera-t-il pas en simple droit d'opposition, faute de pouvoir traduire les nuances qui accompagnent la construction de tout compromis social ? Comme le faisait remarquer un dirigeant d'entreprise qui sait ce que négocier veut dire : « Quand cet article servira, ça ne servira pas nécessairement les organisations syndicales ! » Le risque serait pourtant de ne rien faire. Espérons que le débat initié par le projet gouvernemental et relayé par plusieurs prises de positions syndicales finement argumentées va s'amplifier. Seul le dialogue approfondi permettra une démocratie sociale vivante.

Auteur

  • Catherine Barbaroux