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Vie des entreprises

Contrats à durée déterminée

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.02.2004 | Jean-Emmanuel Ray

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Jean-Emmanuel Ray

Crédit photo Jean-Emmanuel Ray

Alors que la controverse bat son plein sur la suggestion du rapport de Virville de créer un « contrat de projet », entre le contrat à durée indéterminée et celui à durée déterminée, la chambre sociale de la Cour de cassation vient, dans plusieurs arrêts, conforter ou compléter utilement sa jurisprudence sur le recours au CDD par les entreprises.

La mauvaise monnaie chasse la bonne : la loi de Gresham pouvant s'appliquer à l'embauche, le législateur français a, depuis 1982, cherché à dissuader les entreprises d'avoir recours au CDD. En multipliant d'abord les obstacles : à l'embauche (cas limitatifs de recours), lors de l'exécution (totale rigidité) comme de la rupture avant terme (limitée à la faute grave). Puis, prévoyant que des irrégularités seraient donc commises, il a édicté, au-delà des éventuelles sanctions pénales souvent disproportionnées, la règle du retour à la norme : le contrat de travail à durée indéterminée (CDI)… que l'employeur avait justement tenté d'éviter.

La chambre sociale a récemment rendu de nombreux arrêts, précisant certains points ici, innovant largement là… en attendant les suites du rapport dit « de Virville », qui souhaite modifier les règles du contrat d'usage et créer un contrat du troisième type : le contrat de projet.

1° Embûches de l'embauche d'un CDD

« Le CDD, quel que soit son motif, ne peut avoir pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise. » Le principe énoncé par l'article L. 122-1 est régulièrement rappelé par la Cour de cassation : « Le poste occupé par la salariée avait été pourvu quelques jours après son départ dans le cadre d'un recrutement, ce dont il résultait qu'elle avait été recrutée afin de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise. » (Cass. soc., 19 novembre 2003.) Seule exception à la règle, pour favoriser « l'insertion durable de travailleurs ayant des difficultés particulières d'accès à l'emploi », la chambre sociale, qui avait admis le 16 mars 1999 que le salarié titulaire d'un contrat emploi solidarité (CES) puisse occuper un emploi permanent, a élargi cette possibilité aux contrats initiative emploi (CIE) le 18 novembre 2003 : « ils peuvent par exception au régime de droit commun des CDD être contractés afin de pourvoir des emplois liés à l'activité normale et permanente de l'entreprise ». Il n'est en effet pas illégitime que ces personnes fragiles bénéficient au quotidien d'une meilleure insertion grâce à un poste sans siège éjectable.

S'il est inutile de revenir ici sur l'impérieuse nécessité de rédiger par écrit chaque CDD, avec un motif précis de recours sous peine de le voir se transformer en CDI (Cass. soc., 5 novembre 2003) au choix exclusif du seul salarié, la période d'essai, ici légalement extrêmement brève pour éviter toute précarité supplémentaire, pose parfois problème. Ainsi, dans l'arrêt du 5 novembre 2003 où un CDD est rompu par l'employeur après quelques semaines : rupture d'essai licite, ou avant terme fautive ? Constatant que lors de l'embauche « le contrat ne prévoyait pas de période d'essai », la chambre sociale n'accorde logiquement aucune possibilité de rattrapage à l'employeur. « L'acceptation ultérieure d'une prorogation de l'essai ne suffisait pas à apporter la preuve qu'elle ait été convenue » : rupture avant terme fautive, ici fort coûteuse puisque le CDD avait une durée d'un an. Cette interdiction d'une prétendue régularisation a posteriori de l'essai avec effet rétroactif – commune avec les CDI – s'applique également à un cas de recours inexact ou inexistant. S'agissant d'un CIE non présenté comme tel à l'embauche, mais ensuite régularisé avec effet rétroactif : « la régularisation par avenant d'un CDD, consistant à préciser le motif pour lequel il avait été conclu, sans aucune modification de la nature, ni des clauses de ce contrat, était exclusive de toute intention de nover, et ne pouvait faire obstacle à la requalification justifiée par l'irrégularité constatée » (Cass. soc., 17 décembre 2003).

2° Requalification plus difficile des contrats de saison et d'usage

Dissuasive spécificité du CDD : l'embauche n'est pas libre, mais limitée aux quatre cas énoncés par l'article L. 122-1-1. Mais l'interprétation de ce texte pose parfois problème : à l'instar du législateur voulant lutter contre le chômage (l'emploi à tout prix : un CDD n'est dans l'immédiat plus chômeur, et peut même voir son emploi consolidé), la chambre sociale semble depuis un an moins rigide.

Plus vieux contrat de travail du monde, le contrat de saison – hier dans l'agriculture, aujourd'hui dans le tourisme –, peut être renouvelé plusieurs années (ex. : moniteur de ski plusieurs hivers de suite) sans risque a priori de requalification. Il n'existe « aucune limite au-delà de laquelle s'instaurerait une relation de travail à durée indéterminée », indiquait logiquement l'arrêt du 15 octobre 2002 : l'homme ne dompte pas encore la nature au point de pouvoir faire se succéder deux hivers consécutifs. Conclusion logique : « En l'absence de clause de reconduction, le refus de renouveler le dernier contrat ne peut s'analyser en un licenciement. » Mais, a contrario, si la convention collective prévoit la requalification « au bout de deux saisons consécutives », cette succession « constitue un ensemble à durée indéterminée dont la rupture est soumise à l'exigence d'une cause réelle et sérieuse » (Cass. soc., 18 novembre 2003).

Moins prévisible constitue le revirement opéré par les arrêts du 26 novembre 2003 sur les CDD d'usage… qui ont également intéressé la commission de Virville. Reprenant dans un très long chapeau l'énoncé déjà emberlificoté de l'article L. 122-1-1 renvoyant lui-même aux vingt secteurs énoncés par l'article D. 121-2, secteurs auxquels il faut ajouter ceux ayant fait ce choix par voie de convention ou d'accord étendu, ces quatre arrêts limitent les possibilités de requalification de ce CDD : « L'office du juge saisi d'une demande de requalification est seulement de rechercher, par une appréciation souveraine, si pour l'emploi concerné il est effectivement d'usage constant de ne pas recourir à un tel contrat […]. L'existence de l'usage doit être vérifiée au niveau du secteur d'activité défini par l'article D. 212-1 ou par une convention ou un accord collectif étendu. » Le juge prud'homal doit donc examiner :

a) Si un usage en ce sens existe au niveau de tout le secteur d'activité auquel appartient l'entreprise (et non pas l'activité effectuée par le salarié) : pas le « volley-ball », mais le « sport professionnel » dans la seconde espèce.

b) S'il constate un usage constant aux conditions supra, il doit ensuite examiner celui de ne pas recourir au CDI pour l'emploi en cause : il n'a donc plus à rechercher si l'emploi est par nature temporaire ou lié à l'activité permanente de l'entreprise. S'agissant par exemple d'un réalisateur de France 2 : « En ce qui concerne l'emploi de M. R., existait-il un usage constant de ne pas recourir à un CDI dans ce secteur d'activité ? »

3° Ruptures conflictuelles du CDD

Si cet aspect pathologique intéresse le plus les juristes, la norme juridique et statistique reste l'arrivée de l'échéance, suivie par la transformation du CDD en CDI. Le premier est parfois destiné à contourner la limitation conventionnelle de la période d'essai du second ; et si cette super période d'essai est concluante…

L'autolicenciement ayant, avant le légitime revirement opéré le 25 juin 2003, largement rempli le compte en banque de certains commerciaux désirant quitter leur entreprise, il était prévisible que l'autorupture avant terme tente aussi les CDD. D'autant que leur faible ancienneté est largement compensée par le versement prévu par l'article L. 122-3-8 du Code du travail : l'équivalent de tous les salaires à courir, plus l'indemnité de fin de contrat. Invoquant n'importe quelle faute patronale, pouvaient-ils prendre acte de la rupture et obtenir cette somme ? C'est ce dont rêvait Mme L., qui avait elle-même rompu son contrat et qui, invoquant la liste limitative de l'article L. 122-3-8 pour la rupture avant terme (accord des parties, faute grave, force majeure), demandait, puisqu'elle prétendait avoir démissionné, le versement de dommages-intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'elle aurait perçues jusqu'à la fin du contrat, plus l'indemnité de fin de contrat : « Le salarié qui rompt le CDD en méconnaissance de l'article L. 132-3-8 n'a pas droit à des dommages-intérêts », lui a vertement répondu la chambre sociale le 23 septembre 2003.

Si, en effet, la loi de modernisation sociale de janvier 2002 a permis la rupture anticipée d'un CDD par le salarié qui fait la preuve d'une embauche en CDI ailleurs, la démission reste par définition exclue en cas de CDD : le droit constitutionnel de « retrouver sa liberté » s'agissant d'un CDI devient ici une faute contractuelle. Mais cet arrêt ne signifie nullement qu'un CDD ne puisse plus quitter l'entreprise et imputer la rupture à l'employeur si ce dernier a commis une faute grave, comme l'a rappelé l'arrêt du 17 décembre 2003.

Revirement salutaire le 18 novembre 2003 pour l'employeur dont le salarié en CDD est déclaré physiquement inapte à son emploi par le médecin du travail : en cas d'inaptitude non professionnelle, autre hypothèse qui n'entre dans aucun des cas de rupture anticipée visés par la loi, faut-il lui verser en l'absence de tout travail tous les salaires à courir alors que l'employeur n'y est pour rien, si du moins il a tout tenté en matière de reclassement ? « Non, mais », a répondu la chambre sociale, sans absoudre tout à fait l'entreprise ayant rompu avant terme : « Si l'inaptitude physique du salarié ne constitue pas un cas de force majeure autorisant la rupture anticipée du contrat, une telle inaptitude et l'impossibilité du reclassement du salarié n'ouvrent pas droit au paiement des salaires restant à courir jusqu'au terme du contrat, ni à l'attribution de dommages-intérêts compensant la perte de ceux-ci. Il en résulte que si c'est à tort que l'employeur a rompu le contrat de travail, le salarié, n'ayant pas droit à une rémunération dès lors qu'il ne pouvait exercer effectivement ses fonctions, ne peut prétendre qu'à l'attribution de dommages-intérêts résultant du préjudice subi. »

4° Sanction d'une rupture patronale fautive

Si l'on en croit François Fillon qui évoquait le 6 janvier 2004 « un contrat de trois à cinq ans qui correspondent à un projet précis », et la proposition n° 19 du rapport de Virville, notre serpent de mer « contrat de mission » semble réapparaître sous le vocable de « contrat de projet », dont il existe un ersatz dans le Code du travail depuis 1986 : les « contrats de chantier » (C. trav., art. L. 321-12), CDI non soumis au droit du licenciement pour motif économique.

À la double condition de l'existence d'une convention de branche autorisant ce type de recours et leur limitation à des postes de cadres ou d'experts, ce « mode contractuel permettant dans un cadre précis et prédéterminé conventionnellement (type de projet, durée maximum) de recruter des salariés pour une mission donnée », pour reprendre les souhaits du Syntec, peut effectivement constituer une opportunité, en particulier pour des seniors. Mais s'il s'agit d'un CDD et non d'un CDI à échéance prévue comme le contrat de chantier, quid d'un salarié titulaire de ce type de contrat faisant la preuve de son incompétence quelques jours après la fin de l'essai ? Ou d'un projet avorté à cause de la faillite du client au bout de six mois ? Versement des quarante mois de salaire restants, plus quatre mois au titre de l'indemnité de fin de contrat ? Le CDI étant à durée de plus en plus indéterminée, voire carrément incertaine sinon précaire, une telle garantie d'emploi de plusieurs années mérite examen.

FLASH
• Entrée des NTIC dans le Code du travail

« Un accord d'entreprise peut autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale, soit sur un site syndical mis en place sur l'intranet de l'entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise. Dans ce dernier cas, cette diffusion doit être compatible avec les exigences de bon fonctionnement du réseau informatique de l'entreprise et ne pas entraver l'accomplissement du travail ; l'accord d'entreprise définit les modalités de cette mise à disposition ou de ce mode de diffusion en précisant notamment les conditions d'accès des organisations syndicales et les règles techniques visant à préserver la liberté de choix des salariés d'accepter ou de refuser un message. »

L'article 49 du projet de loi sur la formation et le dialogue social adopté le 6 janvier dernier à l'Assemblée nationale en première lecture fait passer l'article L. 412-8 du Ier millénaire (dazibao chinois : tract et affiche papier) au IIIe millénaire.

Le 8 janvier 2004, les mêmes députés avaient adopté en deuxième lecture le projet de loi sur la confiance dans l'économie numérique, avec un article additif (37 quinquies) suggéré par le Forum des droits sur Internet permettant aux partenaires sociaux de retenir le vote électronique pour les élections professionnelles, pratique jusqu'à présent interdite par la Cour de cassation au nom du droit commun électoral.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray