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Repères

Une condamnation bien trop sommaire

Repères | publié le : 01.02.2004 | Denis Boissard

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Une condamnation bien trop sommaire

Crédit photo Denis Boissard

Peut-on avoir en France un débat serein, constructif, dénué de psychorigidité idéologique, sur les questions sociales ? La déferlante d'anathèmes qui a accueilli les travaux de la commission Virville n'incite pas à l'optimisme. Ses conclusions étaient à peine rendues publiques que le rapport était déjà condamné urbi et orbi par une série de responsables syndicaux et politiques, dont on jurerait que la plupart ne l'ont pas lu. Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage. L'opération de diabolisation a été rondement menée. En l'espèce, elle a consisté à isoler une des propositions du rapport (sur les cinquante que celui-ci contient) – celle la plus à même de prêter à contestation –, à en donner une version tronquée, à conclure de cette présentation biaisée que la mesure est « dictée par le Medef », et à jeter ainsi l'opprobre sur l'ensemble des conclusions de la commission sans même les avoir étudiées.

Plusieurs observations sur ce « contrat de projet » qui a mis le feu aux poudres. S'il est vrai que c'est une vieille revendication des employeurs – est-ce que cela la condamne d'entrée de jeu, avant tout examen de sa pertinence éventuelle ? –, le moins que l'on puisse dire c'est que le rapport Virville en a sérieusement verrouillé l'utilisation, au grand désappointement (soulignons-le) du Medef. D'abord, ce que les détracteurs du rapport omettent de préciser, sa mise en œuvre serait conditionnée à la conclusion d'un accord de branche étendu, lequel nécessitera à l'avenir – en vertu de la future loi sur le dialogue social – une signature ou une non-opposition majoritaire. Autrement dit, les syndicats pourront parfaitement s'opposer à son entrée en vigueur dans tel ou tel secteur d'activité. Et à tout le moins pourront-ils efficacement en limiter les possibilités de recours. Ensuite, ce nouveau contrat serait réservé à des cadres et personnels qualifiés, donc aux salariés qui auront le moins de difficultés à se reclasser à l'issue de leur mission.

Par ailleurs, si la mise en place d'un tel contrat était évidemment un facteur de souplesse pour les entreprises, elle ne serait pas sans intérêt pour les personnes concernées. D'une part, pendant les années que durera leur mission, les titulaires d'un tel contrat bénéficieraient d'une garantie d'emploi nettement plus solide que celle des salariés en contrat à durée indéterminée (CDI), lesquels sont – on l'oublie parfois – à tout moment à la merci d'une rupture unilatérale de leur employeur (alors que les motifs de rupture d'un CDD sont restreints par le législateur à la seule faute grave et à la force majeure, à défaut de quoi l'entreprise doit verser à l'intéressé une indemnité équivalente aux salaires restant à courir jusqu'au terme du contrat). D'autre part, ce contrat permettrait d'offrir de meilleures garanties et un statut de salarié aux nombreux vrais-faux travailleurs indépendants, dont beaucoup d'anciens managers seniors, auxquels les entreprises font aujourd'hui appel dans le cadre juridique d'une pseudo-sous-traitance pour mener à bien tel projet ou telle mission temporaire.

Remarque annexe : les pourfendeurs du rapport Virville dénoncent une « banalisation de la précarité », en étayant leur démonstration sur le constat qu'en gros 70 % des recrutements sont aujourd'hui réalisés en CDD ou en mission d'intérim. Un chiffre exact, dans la mesure où ces contrats, de courte durée, sont par définition renouvelés beaucoup plus souvent qu'un CDI. Mais si l'on raisonne en stock et non en flux, la réalité est beaucoup moins alarmante : CDD et intérim représentent moins de 9 % de l'emploi salarié… Autrement dit plus de 90 % des emplois sont à durée indéterminée. Bref, le CDI reste une norme bien établie.

En se focalisant sur le contrat de projet, la plupart des commentateurs passent enfin sous silence nombre de propositions qui traduisent un rapport beaucoup plus équilibré que ne le laisse penser la présentation qui en est faite. Certaines portent sur le droit tel qu'il existe aujourd'hui. Exemple : l'obligation de formaliser le contrat de travail par écrit (actuellement la loi ne l'impose pas pour les CDI), ce qui aurait le mérite de mieux protéger le salarié contre toute modification unilatérale des éléments contractuels de la relation de travail. D'autres propositions – les plus intéressantes – visent à améliorer les modalités d'élaboration du droit du travail. Elles consistent, entre autres, à asseoir la représentativité des syndicats sur une mesure de leur audience, en consultant, tous les cinq ans, les salariés dans les branches et les entreprises (une vieille revendication de la CGT et de la CFDT) ; à organiser une collaboration et des règles du jeu claires entre le législateur et les partenaires sociaux, par le biais d'un « pacte de négociation », avant toute réforme sociale ; ou encore à favoriser une plus grande réactivité de la jurisprudence. Autant de suggestions qu'il serait regrettable de passer par pertes et profits au nom du caractère prétendument « patronal » du rapport.

Auteur

  • Denis Boissard