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Politique sociale

Les salariés des Länder de l'Est gagnés par l'ostalgie

Politique sociale | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.02.2004 | Isabelle Moreau

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Les salariés des Länder de l'Est gagnés par l'ostalgie

Crédit photo Isabelle Moreau

Treize ans après la réunification, le rattrapage économique des Länder de l'Est n'est pas au rendez-vous. L'harmonisation sociale non plus. Salaires moindres, durées du travail supérieures, chômage deux fois supérieur… les Ossies sont à la peine et partent en masse vers l'Ouest. Et l'élargissement européen n'est pas fait pour les rassurer.

L'ex-Allemagne de l'Est a du vague à l'âme. Le film drôle mais grinçant Good Bye Lenin !, les Ost-shows, ces émissions télévisées nostalgiques sur la vie avant la chute du Mur, ou les rééditions de produits de l'ex-RDA font un tabac. Treize ans après la réunification, les Ossies sont gagnés par une mélancolie douce-amère, l'« ostalgie ». Il est vrai que le rattrapage économique attendu n'est pas au rendez-vous : malgré une économie sous perfusion de l'État fédéral et de Bruxelles, le PIB par tête des nouveaux Länder atteint péniblement 62,7 % de celui de l'Ouest. Réclamée par les syndicats qui craignaient la création d'une zone de dumping social et une hémorragie vers l'Ouest, l'harmonisation sociale à marche forcée a fait de sérieux dégâts.

Un écart de productivité de 1 à 3

« Après la chute du Mur, le gouvernement Kohl a aligné le mark de l'Est sur celui de l'Ouest, alors que l'écart de productivité était de un à trois, voire de un à quatre. Résultat, cette surévaluation de 300 à 400 % a rendu les entreprises de l'Est non compétitives », reconnaît aujourd'hui Andreas Botsch, membre du comité exécutif de la Confédération des syndicats allemands (DGB). Pour ce syndicaliste, « cette erreur a été répétée avec les prestations sociales. Les pensionnés de l'Est ont perçu une retraite alors qu'ils n'avaient jamais cotisé. Une pension elle aussi réévaluée de 300 à 400 %. C'est pourquoi nous sommes aujourd'hui dans une situation intenable ». Un diagnostic que confirme Isabelle Bourgeois, du Centre d'information et de recherche sur l'Allemagne contemporaine (Cirac) : « On a importé à l'Est, du jour au lendemain, le système ouest-allemand de marché du travail avec ses rigidités importantes. » « Les législations sociales allemandes sont le résultat de cinquante ans de prospérité », insiste Stéphane Schneider, patron de Warnowquerung GmbH & Co KG, une filiale de Bouygues Travaux publics qui vient de construire le tunnel flambant neuf reliant les deux rives de la Warnow, à Rostock, une ville de la Baltique. Leur introduction à l'Est s'est révélée un luxe pour l'économie de l'ex-RDA.

Pas question dans ces conditions pour les entreprises d'adopter les standards de salaires et de durée du travail en vigueur à l'Ouest. Installé depuis 1996 dans le Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, l'un des six nouveaux Länder, Warnowquerung GmbH déroge ainsi à la convention collective du bâtiment et des travaux publics : les conditions de travail sont régies par accord d'entreprise.

Fi des accords de branche
L'appel à la grève lancé en juin dernier par IG Metall pour les 35 heures dans l'ex-RDA n'a eu aucun succès chez les Ossies.PLAMBECK/LAIF-REA

Idem chez Midewa, qui assure l'approvisionnement en eau de 280 communes de Saxe-Anhalt. Les salaires sont négociés directement avec le représentant du syndicat de la chimie IGBCE. Du coup, les 405 salariés de cette filiale de Veolia Water Allemagne ne bénéficieront que de 2,8 % d'augmentation en dix-huit mois, au lieu de 3,8 % sur seize mois prévus par les accords de la chimie. Dans les nouveaux Länder, les accords salariaux d'entreprise tendent à devenir la norme. Plus de 80 % des firmes industrielles d'Allemagne orientale – employant un tiers des salariés de l'industrie – ont jeté aux oubliettes les généreuses conventions collectives de branche.

Si les accords d'entreprise se multiplient dans les sociétés est-allemandes privatisées et dans les PME, « ils restent cependant encore rares dans les grandes entreprises », indique Ilka Houben, spécialiste du marché du travail au BDA, l'interlocuteur patronal des syndicats. Total Deutschland GmbH fait partie des ténors qui restent fidèles aux accords de branche. « Le principe de la convention collective est bon lorsque l'entreprise est en bonne santé, estime Harald Schlossmacher, DRH de la filiale allemande du groupe pétrolier. À défaut, il existe un grand nombre de clauses d'ouverture. » Ces Öffnungsklauseln permettent notamment aux entreprises en difficulté de déroger aux conventions de branche sur le temps de travail ou les salaires.

Résultat : dans la majorité des entreprises d'Allemagne orientale, les salaires sont moindres que ceux pratiqués à l'Ouest, parfois jusqu'à 20 % au-dessous. Il est vrai que « la productivité est encore inférieure d'un quart à un tiers à celle de l'Ouest », souligne Isabelle Bourgeois. Dans la chimie, par exemple, les salariés de l'Est gagnent 10 % de moins que leurs collègues de l'Ouest. « Le rattrapage salarial n'est en effet prévu qu'en 2009 », explique Harald Schlossmacher. Dans le BTP, les partenaires sociaux viennent de réduire en octobre dernier, pour une durée d'un an, le salaire minimum dans l'ex-RDA pour faire face à la crise ininterrompue du secteur depuis quelques années et à la concurrence des pays d'Europe de l'Est, accentuant encore l'écart de rémunérations dans la branche entre Est (9,65 euros l'heure) et Ouest (12,47 euros).

Les métallos privilégiés

Dans la métallurgie, en revanche, les salaires sont presque comparables. Et, dans ce secteur, les salariés d'Allemagne orientale ont bien conscience d'être des privilégiés. C'est le cas chez MTU, filiale de DaimlerChrysler, installé à Ludwigsfelde, une petite ville située à 40 kilomètres au sud de Berlin, dans le Brandebourg. « Des mécaniciens aux ingénieurs, les 550 salariés bénéficient des dispositions de l'accord de branche de la métallurgie pour Berlin et le Brandebourg », explique Michael Winchelmann, d'IG Metall, qui préside le Betriebsrat, l'équivalent d'un supercomité d'entreprise, puisqu'il a voix au chapitre sur les embauches et les grilles salariales. Chez MTU, un ouvrier gagne ainsi entre 2 000 et 2 400 euros brut par mois, un employé entre 2 000 et 3 700 euros. Sans compter les primes de vacances et de Noël qui représentent plus d'un mois de salaire supplémentaire.

Mais, pour ce prix-là, les métallos de Ludwigsfelde travaillent plus que leurs collègues métallos de l'Ouest : 38 heures par semaine, contre 35 heures à l'Ouest. Idem dans la chimie, où les salariés de l'Est sont à 40 heures, soit une heure et demie de plus que leurs collègues de l'Ouest, ou encore dans le textile où les 40 heures sont toujours de rigueur à l'Est, contre 37 heures à l'Ouest. Dans la plupart des branches, hormis le bâtiment, les banques ou les assurances, la durée du travail est plus élevée à l'Est qu'à l'Ouest : 41,1 heures, en moyenne, contre 36,6 heures.

Cet écart considérable, IG Metall a cherché à le combler en appelant, en juin dernier, les métallos des nouveaux Länder à faire grève pour obtenir les 35 heures. L'échec a été cuisant. « Nous avons interrogé les salariés de l'entreprise, dont la moitié sont syndiqués, pour savoir s'il fallait ou non faire grève, raconte Michael Winchelmann, président du Betriebsrat de MTU. Et une majorité s'est prononcée contre. » Traditionnellement moins syndiqués, mais aussi moins revendicatifs, en raison du contexte économique, que les Wessies, les Ossies ne se reconnaissent guère dans les organisations syndicales. Selon Andreas Botsch, membre du comité exécutif du DGB, ils seraient victimes de pressions de la part de leur direction et hésiteraient du coup à rejoindre un syndicat. En tout cas, pour la première fois de son histoire, IG Metall a dû stopper une grève, sans rien avoir obtenu.

Pour Paul-Michael Rath, président de la branche patronale de la métallurgie de Berlin-Brandebourg, les salariés est-allemands « sont d'autant plus motivés dans leur travail qu'ils craignent de perdre leur emploi ». MTU en est un parfait exemple. « Nous sommes satisfaits de notre sort. Nous gagnons 50 % de plus que dans les autres entreprises de la région, qui ne respectent pas les conventions collectives », indique Jürgen Jauer, membre du Betriebsrat, heureux d'avoir conservé son job après le rachat en 1991 de son entreprise, privatisée par la Treuhandanstalt, chargée de vendre les entreprises d'État de l'ex-RDA. « Avant, tout le monde avait un boulot. Aujourd'hui, on est content d'en avoir un », ajoute-t-il.

Le chèque-valise a la cote

Certains des ex-employés d'État ont eu la chance de bénéficier d'une clause de sauvegarde de l'emploi, la Beschäftigungsgarantie, négociée avec le repreneur. C'est notamment le cas chez Midewa, où la clause signée pour six ans court jusqu'en 2005. Mais, dans d'autres entreprises, les clauses sont déjà tombées. « Cela s'est produit en 2002 pour les studios de Babelsberg, temple du cinéma allemand racheté par la Générale des eaux en 1992. Un grand nombre de salariés sont restés sur le carreau », raconte Rüdiger Schäfer, président de BPI Allemagne. L'extinction à terme de ces clauses aura à coup sûr un impact négatif sur l'emploi. D'autant que de plus en plus de salariés est-allemands victimes d'un plan social refusent les mesures de reclassement. « Ils préfèrent empocher l'indemnité de licenciement et bénéficier des dispositifs des services publics de l'emploi. Dans leur esprit, il y a toujours la garantie de l'État », commente Rüdiger Schäfer.

Un choix paradoxal dans la mesure où le marché du travail n'est guère brillant. Le chômage frôle les 18 % de la population active à l'Est, contre 8 % à l'Ouest. Lanterne rouge des nouveaux Länder, la Saxe-Anhalt accusait un taux de chômage de 19,3 % en octobre 2003. Berceaux de la première révolution industrielle allemande, la Thuringe (15,6 %) et la Saxe (16,5 %) s'en sortent à peine un peu mieux. La première accueille pourtant des pôles d'excellence dans l'optique, les technologies de l'information ou la pharmacie. Tandis que la seconde s'est spécialisée dans la micro-électronique, la mécanique et l'automobile avec Porsche ou BMW. Et elle abrite la raffinerie de Leuna, filiale de Total Deutschland, installée à une trentaine de kilomètres à l'ouest de Leipzig. « C'est l'usine la plus moderne d'Europe », se félicite Harald Schlossmacher, DRH de Total Deutschland GmbH. La majorité des 600 personnes travaille 40 heures par semaine. « Davantage que les salariés de l'Ouest, qui perçoivent pourtant un salaire supérieur de 10 % à ceux de l'Est », complète Andreas Marti, le DRH de l'usine. Installations modernes, temps de travail supérieur, salaires moindres, le cocktail est payant : la productivité de la raffinerie est comparable à celle de l'Ouest. Mais, au total, il manquerait, selon une récente étude de l'Institut économique de Halle, environ 100 000 entreprises dans les nouveaux Länder pour assurer un développement similaire à celui des anciens.

La menace de l'élargissement

D'où un exode massif. Près de 2 millions sur les 17 millions d'habitants que comptaient à l'origine les Länder de l'Est ont déserté un territoire touché de plein fouet par la désindustrialisation : depuis la réunification, le nombre d'emplois industriels a été divisé par dix, de 7 millions à 700 000. Et, selon certains experts, l'Allemagne orientale ne comptera plus que 8,6 millions d'habitants en 2050. Sans surprise, ce sont majoritairement les jeunes et les plus qualifiés qui vont chercher fortune à l'Ouest, où les salaires sont plus attractifs. Professionnels de santé en tête. En Saxe, la pénurie de médecins est telle que la région va leur offrir une prime de 100 000 euros, versée sur dix ans, afin de les convaincre de s'y installer.

Pour ne rien arranger, la partie orientale de l'Allemagne vit l'élargissement de l'Europe comme une menace. « Les nouveaux Länder sont encore une zone de transit pour les entreprises », s'inquiète Gabriella Meyer, membre du syndicat des services, Verdi, qui redoute l'échéance du 1er mai 2004. Déjà, les effets négatifs de l'élargissement sont perceptibles. Les nouveaux Länder ont enregistré en 2002 un recul sensible des investissements étrangers alors que la République tchèque, la Hongrie ou la Pologne affichaient un afflux record de capitaux. Voilà qui n'est pas de nature à sortir les Allemands de l'Est de leur ostalgie.

Des incitations aux effets limités

La formule séduit les Allemands. Relancée par les lois Hartz, du nom du DRH de Volkswagen, la Ich-AG (entreprise unipersonnelle), entrée en vigueur le 1er janvier 2003, connaît un franc succès. Fin octobre, « plus de 100 000 chômeurs étaient devenus entrepreneurs », souligne Klaus Pohl, porte-parole de l'Office fédéral pour l'emploi. Ce dispositif, qui permet aux fondateurs des Ich-AG de recevoir des subventions durant trois ans à condition de ne pas percevoir un revenu annuel supérieur à 25 000 euros, séduit davantage les chômeurs des nouveaux Länder que ceux des anciens. Les données du Bundesanstalt für Arbeit indiquent en effet que, dix mois après sa mise en route, la formule a attiré 63 056 chômeurs de l'Est, contre 47 073 chômeurs de l'Ouest. « En Thuringe, on dénombrait quelque 2 700 Ich-AG fin octobre et près de 9 000 en Saxe-Anhalt dans les secteurs de l'artisanat et des services », reconnaît Gabriella Meyer, membre du syndicat des services Verdi. Elle estime toutefois que « cela ne suffira pas à faire baisser le fort taux de chômage qui frappe les nouveaux Länder. Et ce ne sont pas les réformes du marché du travail mises en place par le gouvernement Schröder dans le cadre de l'Agenda 2010 qui vont faciliter la vie des chômeurs des nouveaux Länder ». Depuis le 1er janvier 2004, l'aide aux chômeurs et l'aide sociale ont en effet été fusionnées et la durée de l'allocation chômage réduite de 32 à 12 mois (18 pour les seniors).

Autre souci de l'Allemagne orientale : le système d'apprentissage dual – « moins développé à l'Est qu'à l'Ouest », note Isabelle Bourgeois, chercheuse au Cirac – bat aujourd'hui de l'aile. 70 % des entreprises sont fâchées avec le système et, à la rentrée 2003, 35 000 jeunes n'avaient pas trouvé de place tandis que 14 800 restaient vacantes. Malgré la mobilisation de grandes firmes, il reste difficile de rendre les jeunes de l'Est « employables comme ceux de l'Ouest, car ils sont peu mobiles et boudent les métiers qui recrutent, comme ceux de bouche », souligne Isabelle Bourgeois.

Auteur

  • Isabelle Moreau