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Politique sociale

Les demandeurs d'asile traités comme des parias

Politique sociale | REPORTAGE | publié le : 01.02.2004 | Anne Fairise

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Les demandeurs d'asile traités comme des parias

Crédit photo Anne Fairise

Attente à répétition, dans la nuit, le froid et la bousculade… c'est le lot des réfugiés qui se présentent au centre d'accueil de la rue d'Aubervilliers, à Paris, afin d'obtenir le sésame qui donne accès à la procédure de demande d'asile. En raison d'effectifs inadaptés, le nombre de dossiers délivrés chaque jour varie de zéro à cent. à croire que tout est fait pour décourager les candidats.

« Allez, c'est fini pour les demandes d'asile. Revenez demain ! Rentrez chez vous ! » Il est à peine 9 h 30, ce mercredi de janvier, qu'une trentaine d'Asiatiques et d'Africains sont déjà poussés vers la sortie par une policière peu amène, dans cette antenne de la préfecture de police de Paris, située dans le XIXe arrondissement. Au fond du couloir d'entrée barré de vitres et de barreaux métalliques, la porte d'accès aux guichets du Centre de réception des étrangers restera close. En quelques minutes, les requérants évincés se retrouvent sur le trottoir. Triturant sans rien comprendre leur attestation de domiciliation postale, unique sésame exigé pour faire enregistrer leur demande d'asile politique et obtenir une autorisation provisoire de séjour (APS) d'un mois. Et quelque peu hébétés par la fin expéditive donnée à leur si longue attente.

En dépit d'une température proche de 0 °C, beaucoup ont dormi sur place, comme l'attestent les couvertures qui dépassent des sacs et les cartons jonchant le sol. « Pourquoi ne donne-t-on pas de numéro aux gens qui ont attendu toute la nuit ? On leur dit de revenir demain. Mais ils n'ont pas plus d'assurance d'être reçus ! On ne ferait pas mieux pour les dissuader », s'énerve Jimmy, originaire du Kosovo, qui patiente depuis… une vingtaine d'heures. Il a pris son tour, la veille, à 10 heures du matin. Découragée aussi, Victoire, qui accompagne sa cousine haïtienne. C'est leur quatrième tentative depuis une semaine. À chaque fois, elles arrivent vers 2, 3 heures du matin. Mais, à 6 heures, ils sont déjà une centaine à se serrer entre les barrières, coincés entre la rue d'Aubervilliers et le pont qui enjambe les voies ferrées menant gare de l'Est. Une heure et demie plus tard, ils sont le double.

Des bousculades quotidiennes

Vers 8 h 30, quand la police fait son apparition, marquant le début des bousculades et de la course à la resquille où les Chinois sont passés maîtres, la file se tasse toujours un peu plus. La tension est telle que les gens sont littéralement écrasés contre les barrières qui manquent de s'écrouler. Menaçant de ne faire entrer personne, les agents tentent, pendant un bon moment, de desserrer l'étau humain, empoignant les uns par le bras, tirant les autres en arrière quand ils ne les aiguillonnent pas de leurs matraques. « Ah, vous voulez avoir mal. Eh bien, vous aurez mal ! » Ils remontent la file, la fractionnent pour finir par obliger les candidats à l'asile à courber le buste et à passer, à la queue leu leu, sous une matraque posée entre deux barrières !

Le parcours du combattant n'est pas terminé. Encore faut-il, une fois la grille passée, pour atteindre l'entrée, virer à droite, descendre un escalier, suivre un boyau en béton faisant un demi-arc de cercle, remonter un autre escalier et passer l'épreuve du tri final, fonction du nombre totalement aléatoire de « notices asile » délivrées chaque jour. Ce premier formulaire qui donne droit à un rendez-vous en bonne et due forme. Évidemment, les premiers des primo-arrivants, comme on dit dans le jargon préfectoral, sont les premiers servis. Les autres n'ont plus qu'à reprendre l'attente pour le lendemain, sous le regard de ceux de leurs compagnons d'infortune qui ont déjà franchi cette première étape de la longue, et complexe, procédure de demande d'asile. Pourvus d'une convocation, ces derniers pourront obtenir un dossier, qu'il leur faudra ensuite déposer auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).

« Indigne de la République »
Fin 2002, la CGT demandait en CHSCT la dératisation des abords du centre d'Auber... où la file d'attente est quotidienne.RAFAEL TRAPET/ALEPH

Pour être choquantes, ces scènes sont néanmoins quotidiennes près de la porte d'Aubervilliers. « Auber », comme on l'a rebaptisé en interne, est le seul des cinq centres de réception des étrangers du département à accueillir les demandeurs d'asile. C'est aussi le plus fréquenté de l'Hexagone, Paris représentant le quart des demandes faites sur le sol français. Et, pour toutes ces raisons, le plus décrié. Véritable indicateur de l'état du dispositif d'asile, dont il est le principal point d'entrée. À la veille de Noël, des élus communistes du Conseil de Paris, dont leur président, Jean Vuillermoz, président de groupe, ont manifesté « en cet endroit indigne de la République » pour dénoncer les conditions d'accueil et l'arbitraire gérant la politique d'asile, à commencer par le faible nombre de primo-demandeurs reçus – une vingtaine, à peine, ce jour-là – qui « bafoue le droit » et contrevient aux textes. Ne serait-ce que la loi du 25 juillet 1952, imposant que les demandeurs d'asile soient reçus « sans délai » lorsqu'ils sollicitent la protection garantie par les conventions de Genève. Une disposition confirmée par le Conseil d'État, saisi, à plusieurs reprises, sur ces pratiques « illégales » par les associations d'aide aux étrangers.

Auparavant, elles pointaient la longueur démesurée des délais d'instruction dans un dispositif en crise, complètement engorgé par le bond des demandes d'asile depuis 1999 (voir graphique, page 28). Pour obtenir un premier rendez-vous à Auber, les réfugiés devaient attendre un an, en moyenne, en 2002 ! Plutôt problématique quand on connaît l'enjeu de ce premier rendez-vous : l'obtention d'un dossier Ofpra et la précieuse autorisation de séjour d'un mois faisant office de premier papier officiel. Un sésame permettant en tout cas à ses bénéficiaires de prouver qu'ils ont engagé des démarches pour régulariser leur situation et éviter d'être éloignés du territoire en cas d'arrestation.

Force est de constater que les procédures ont été accélérées depuis que Jacques Chirac a fait, à l'été 2002, de la résorption de la crise de l'asile et de la réduction des délais d'attente une priorité affichée, jusqu'à faire adopter une nouvelle loi – décriée par le tissu associatif parce qu'elle durcit les conditions d'accès – en décembre dernier au Parlement. Fin 2003, les demandeurs d'asile se présentant à Auber obtenaient un rendez-vous dans un délai de dix jours, selon la préfecture de police de Paris. À condition, toutefois, d'avoir réussi à atteindre le guichet…

Les difficultés d'accès sont le nouveau cheval de bataille des associations. « Nous sommes de plus en plus souvent interpellés par des demandeurs d'asile qui se plaignent de ne pas pouvoir entrer dans le centre. La situation s'est dégradée depuis septembre », indiquent Antoine Decourcelle et Gérard Sadik, spécialistes de l'asile à la Cimade. Comme le Gisti, cette association multiplie les référés permettant de saisir en urgence le tribunal administratif. « À défaut d'une condamnation de la Préfecture, nous obtenons gain de cause pour le demandeur d'asile qui n'a pu accéder au centre puisqu'il reçoit une convocation dans les quinze jours », souligne Jean-Pierre Alaux, du Gisti. Le mois de décembre a été particulièrement tendu. À plusieurs reprises, les portes sont même restées closes pour les primo-demandeurs d'asile politique, alimentant files et bousculades les jours suivants… Sans compter toutes sortes de tensions et de trafics, des bagarres jusqu'au monnayage de premières places dans la queue. « Cent euros », affirme Jimmy, le Kosovar. « La réduction des délais se ferait-elle, à Paris, au prix de la mise en place de quotas d'entrée ? » s'interroge Antoine Decourcelle, de la Cimade, qui est convaincu qu'une telle politique ne peut pas être le fruit du hasard.

Car les associations n'ont pas manqué de constater que la saturation, des années durant, du dispositif d'accueil parisien et la longueur des délais d'attente (ou leur non-résorption) ont eu pour effet d'éclater la demande sur les préfectures de province. Paris, qui concentrait 44, 3 % des demandes d'asile politique en 1997, n'en traitait plus que 23,6 % en 2002, alors que le nombre de demandes avait plus que doublé, passant de 21 400 à 51 000 ! De fait, à Rouen, il n'a fallu qu'un jour à Mohamed, un Kurde iranien, pour obtenir son APS à l'automne. Mais, pour en bénéficier, encore faut-il que les réfugiés aient l'information et les moyens de se déplacer vers les préfectures de province…

Des effectifs inadaptés

De quotas ou d'instructions pour limiter les entrées, « il n'y a jamais eu », martèle Pascal Baudouin, chef du 10e bureau de la Préfecture, dont dépend le centre du 218, rue d'Aubervilliers. La raison du nombre « fluctuant » de primo-demandeurs d'asile politique reçus est bien plus triviale. « La quantité de guichets ouverts et de documents délivrés dépend des effectifs. Que faire quand une note administrative vous enjoint de solder tous les congés avant la fin de l'année ? Comme nous n'avions pas assez de personnel, nous avons accueilli en priorité les demandeurs d'asile ayant déjà des rendez-vous », déplore ce fonctionnaire. Aux usagers étrangers de s'adapter aux problèmes de l'administration, et non le contraire…

Mais dans d'autres CRE parisiens, comme celui de la rue Miollis, dans le XVe arrondissement, spécialisé dans l'accueil des étudiants étrangers, le problème des files d'attente a été résolu en dédoublant les effectifs en période de pointe, grâce à des redéploiements de personnel depuis d'autres services. « Cela est possible à Miollis car la demande est saisonnière, liée aux inscriptions dans les écoles et universités. Cela nous permet d'anticiper. Ce n'est pas le cas à Auber, où la demande est constante. Et il n'y a pas de redéploiement rapide d'effectifs à la Préfecture », reprend Pascal Baudouin.

Et pourtant, le centre de la rue d'Aubervilliers est celui qui a reçu, à Paris, le plus gros renfort d'effectifs en 2003. Conformément aux souhaits du gouvernement, qui a dégagé des fonds sur les crédits du ministère de l'Intérieur pour aider les préfectures à réduire les délais d'attente. Ce sont 18 contractuels vacataires, choisis parmi les lauréats des concours d'écoles de police en attente d'incorporation, qui ont ainsi épaulé les 41 titulaires d'Auber. Un effort insuffisant selon les syndicats FO et la CGT de la préfecture de police de Paris, interpellés en décembre par les salariés sur la dégradation des conditions de travail.

Parent pauvre des affectations

« Tous les services gèrent la pénurie de personnel. Le recours à des vacataires n'est pas une solution », souligne Didier Bigonville, secrétaire FO, qui déplore l'absence de GRH à la Préfecture, déjà épinglée sur ce sujet en 1998 par la Cour des comptes et actuellement en pleine phase de « modernisation », comprendre réorganisation. Pour Alain Chambinaud, secrétaire général de la CGT à la PP, le faible nombre de recrutements statutaires effectués pour compenser le passage aux 35 heures intervenu en 2002, comme leur répartition, rajoute aux difficultés actuelles. « Sur les 360 créations d'emplois à réaliser d'ici à 2005 pour compenser la RTT, 90 seulement sont effectives. Et les trois quarts des embauches ont été affectées aux antennes de la Préfecture dans les mairies d'arrondissement, dont les horaires d'ouverture au public français ont été élargis. Cette affectation est conforme au souhait du Conseil de Paris, qui finance ces postes. Les autres services préfectoraux sont les parents pauvres de cette politique. » Comme le service des étrangers.

À croire qu'Auber, malgré la hausse de la demande, n'est pas prioritaire. Des cinq centres parisiens de réception des étrangers, il est celui qui a toujours attiré le moins de candidatures. Parce qu'il est le plus excentré par rapport au siège de la Préfecture, sise dans l'île de la Cité, et qu'il traîne la réputation de conditions de travail particulièrement difficiles et d'une ambiance tendue. Ce que dément Pascal Baudouin : « Le travail d'un guichetier n'y est pas plus pénible que dans un autre service d'accueil d'étrangers. Pour l'encadrement, par contre, ce poste est plus éprouvant qu'ailleurs. Il encaisse toute la pression. » Mais le turnover est révélateur. Ces trois dernières années, trois responsables se sont succédé à Auber. Et l'ancienneté moyenne des fonctionnaires en poste est de deux à trois ans ! « Les titulaires fuient ce centre, en passant des concours pour d'autres administrations », note Franck Guillo, de la CGT.

Parmi les salariés, le cahier de doléances est particulièrement fourni : formation sur le tas qu'il a fallu assurer en 2003 aux contractuels – un tiers des effectifs – dans un secteur à la réglementation complexe ; équipement insuffisant (« cela ne fait qu'un an que chaque guichetier dispose de son propre ordinateur ») ; état des locaux (« deux toilettes mixtes pour près de 60 personnes ») jusqu'aux abords du centre jugés pratiquement insalubres. Fin 2002, la CGT a même demandé en CHSCT leur dératisation… Autant dire que les ingrédients ne sont pas réunis pour favoriser des conditions d'accueil correctes du public étranger.

Les matins glauques perdurent

« Le personnel a le moral dans les chaussettes. Il n'a pas l'impression d'être entendu ni géré. L'ambiance s'en ressent, comme parfois l'accueil qui est assuré », expliquait, en décembre, une fonctionnaire. Et 2004 ne s'annonce pas sous de meilleurs auspices : les deux tiers des contractuels, arrivés en renfort en 2003, n'ont pas vu leur contrat reconduit. Pour assumer les « éventuelles tensions », Pascal Baudouin a demandé le recrutement de 16 contractuels jusqu'à fin mars. Il y aura matière. Conséquence de la nouvelle réglementation, Auber devrait recevoir, chaque jour, une centaine de candidats supplémentaires : ceux demandant jusqu'alors l'« asile territorial », supprimé par la loi de décembre 2003 sur le droit d'asile, y seront en effet pris en charge.

Davantage de demandes, moins de personnel : les files d'attente ne semblent pas devoir se réduire. Tablant sur la diminution des délais d'instruction, Pascal Baudouin reste optimiste. « À moins que des titulaires obtiennent leur mutation sans être remplacés, le délai de dix jours pour la délivrance de l'autorisation provisoire de séjour sera tenu. Et nous devrions, de nouveau, accueillir 60 à 100 primo-demandeurs d'asile par jour. » Un chiffre qu'il estime correct. Mais dont on était loin en décembre, où le flux oscillait entre… zéro et une vingtaine de primo-demandeurs d'asile reçus quotidiennement. En attendant, les matins glauques de la rue d'Aubervilliers perdurent. France, terre d'asile ? Difficile de ne pas voir, dans l'accueil inhumain réservé aux intéressés, une volonté de décourager.

Ofpra : un personnel sous pression

L'Office français de protection des réfugiés et apatrides a beau avoir investi des locaux flambant neufs, en septembre, à Val-de-Fontenay (Val-de-Marne), les conditions d'accueil sont loin d'y être idéales selon le CHSCT de l'établissement. Rien de comparable, il est vrai, avec le scandale du centre de la rue d'Aubervilliers. Reste qu'ici aussi les files d'attente extérieures font partie du paysage. Au point que le CHSCT a demandé, fin 2003, la construction d'un abri pour protéger les réfugiés de la pluie ! Un aménagement certainement difficile à prévoir par l'administration… Pourtant, comme tout le dispositif d'asile, l'Ofpra a été percuté par le boom des demandes depuis 1999. Le délai moyen d'instruction des dossiers est passé de 4,2 mois en 1999 à près de 10 mois, fin 2002, pour redescendre à 4 mois fin 2003. Des progrès que le ministre des Affaires étrangères (ministre de tutelle de l'Ofpra), Dominique de Villepin, a soulignés lors de l'inauguration, enjoignant au personnel de faire mieux encore. L'objectif 2004 ? Un délai de deux mois entre le dépôt de la demande et la décision finale ! Si les fonctionnaires de l'Ofpra ne peuvent qu'être favorables à cette politique de réduction des délais, leurs représentants déplorent néanmoins les moyens mis en œuvre. L'augmentation du personnel depuis 2000 ? Elle s'est faite au prix du développement de la précarité, selon la CGT, majoritaire. « 70 % des officiers de protection, c'est-à-dire des personnes accordant ou non le statut de réfugié, sont en situation précaire, sous contrat d'un an, voire de six mois. » De quoi, pour le syndicat, accroître la pression reposant sur leurs épaules et les fragiliser face aux nouvelles injonctions de « productivité ». 2,7 décisions par officier étaient exigées quotidiennement en 2003. Dans ce contexte, la CGT voit d'un mauvais œil le projet de modulation de la partie indemnitaire du traitement sur la base du mérite : une autre « source potentielle de dérives », à l'heure où la nouvelle loi sur le droit d'asile, lancée au nom de l'engorgement du système par les candidats à l'immigration, durcit déjà les conditions d'accès.

Auteur

  • Anne Fairise