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UN FOISONNEMENT D'INITIATIVES ET D'ACTIONS

Enquête | publié le : 01.02.2004 | Sandrine Foulon

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UN FOISONNEMENT D'INITIATIVES ET D'ACTIONS

Crédit photo Sandrine Foulon

Les altermondialistes raffolent des actions spectaculaires et festives. Sauf lorsqu'il s'agit de s'attaquer à l'entreprise, où ils ne font guère preuve d'originalité. Seules les ONG excellent dans l'art de faire pression sur les groupes internationaux, quitte à jouer le jeu de la coopération.

Les passants ont été surpris, et Fram n'a franchement pas apprécié. En juillet dernier, sur les vitrines de quatre agences parisiennes du voyagiste, des affiches « déportation airlines » ont été collées en lieu et place des vols à prix cassés et des posters de lagons turquoise. Une action du collectif Aarrg (Apprentis agitateurs, réseau, résistance globale) pour dénoncer les renvois de clandestins par charter. Slogan utilisé pour ces promotions atypiques : « Enrayons la machine à expulser, des papiers pour tous ou plus de papiers du tout. » Oubliés, la négociation, les manifs de papa et les grands discours. Les collectifs altermondialistes laissent cela à leurs aînés, aux partis et aux syndicats confédérés et privilégient l'action. Que ce soit, en vrac, pour lutter contre le travail des enfants, le sexisme des jouets, les marques, les OGM, pour aider les sans-papiers ou faire tomber un sommet du G8… Bref, pour changer le monde par petites touches dans une « convergence de luttes » et selon le principe de l'« agir local, penser global ». En quête de nouvelles formes de contestation, la génération des alters multiplie les actions spectaculaires et festives, prône la désobéissance civile et manie l'art du symbole et de l'image comme des publicitaires aguerris. « Se rebeller est juste, désobéir est un devoir, agir est nécessaire », résume Bellaciao, l'un de ces collectifs.

Bon nombre de ces jeunes militants qui prisent volontiers le bonnet péruvien, les tee-shirts à l'effigie du Che, les drapeaux rouges et la rhétorique « en lutte » affectionnent le ludique. Sur un petit air des années 70 et de campagne contre la guerre du Vietnam, certains utilisent leur corps comme contre-pouvoir. Die-in, sit-in, marches au son des batucadas (les fanfares brésiliennes)… Comme à Annemasse cet automne, où 5 000 marcheurs ont bloqué une route que devaient emprunter des délégués du G8 d'Évian, précédés de percussionnistes et de danseuses en rose armées de masques de plongée, intraitables malgré les gaz lacrymogènes.

Autre exemple d'opération commando, celle des antipub. Le 19 décembre dernier, ils réalisaient leur quatrième descente dans le métro parisien en deux mois, barbouillant sans pitié les pubs, le « carburant de l'offensive capitaliste », de slogans anticonsuméristes. Cette nouvelle radicalité initiée par de jeunes collectifs est toutefois mâtinée de civilité. « Soyons propres, courtois, humains, joyeux […]. Attention aux passants et risques de dégoulinade en utilisant la peinture », expliquait de façon très détaillée l'invitation diffusée sur Internet à rallier les 16 points de rendez-vous. Mais tous les collectifs ne sont pas de fervents adeptes de la non-violence. Le « mouvement des mouvements », qui par principe n'en exclut aucun, prend le risque de coexister avec des collectifs plus durs comme les Black Blocs, qui s'attaquent aux biens matériels.

Un autodafé en place publique

Dans un tout autre registre, des populations soucieuses de défendre leurs droits ont choisi elles aussi de monter d'un cran dans la radicalité. Ralliés sous la bannière de l'anti-marchandisation de la culture et de l'école, les intermittents et les profs en colère ont durci le ton. De jeunes enseignants, parfois isolés mais déterminés, pas nécessairement syndiqués, ont empêché la tenue d'examens, occupé des dépôts de la RATP, des mairies, jeté et piétiné l'ouvrage de Luc Ferry sur la place publique… Certains ont beau ironiser qu'il ne s'agissait pas vraiment d'un livre, ce simulacre d'autodafé provoqué par des profs a frappé les esprits. Quant aux intermittents, ils ont pour la première fois entraîné des annulations de festivals, dont celui d'Avignon, fait irruption sur des plateaux télé et empêché des émissions. Suscitant à la fois sympathie et déchaînement de haine. Malgré l'entrée en vigueur de la réforme de leur régime d'assurance chômage, au 1er janvier, ils promettent de nouvelles formes d'action.

Pour la plupart de ces mouvements, il s'agit de privilégier la logique du résultat immédiat. Les actions illégales, comme enfoncer une porte pour occuper des bâtiments vides, leur semblent légitimées par la justesse de la cause : reloger des familles. « S'il faut parler de radicalité, c'est dans la détermination, explique Annie Pourre, l'une des fondatrices du DAL (Droit au logement) et membre du collectif No Vox. On peut utiliser les moyens de pression classiques. Il y a un moment où le rapport de force est nécessaire. Nous ne sommes pas nombreux. Le DAL sait mobiliser mais le noyau dur se limite à une quinzaine de personnes. Nous sommes des teigneux. Quand il faut niaquer, on niaque. » Comme au bon vieux temps de la rue du Dragon, la militante prédit de plus en plus d'occupations de locaux. Pendant le Forum social européen de Saint-Denis, elle faisait d'ailleurs partie des No Vox, le réseau des « Sans » – sans-papiers, sans-logement, sans-travail… – qui a investi les bâtiments industriels vacants de la société Point P, dans le Xe arrondissement parisien. Ce 20 novembre, massés sur la terrasse, les manifestants haranguaient deux cameramen plantés sur le trottoir d'en face. « Salut la télé bourgeoise !, salut télé Sarko ! » Des médias – dont l'ensemble des collectifs ont besoin pour se faire entendre – qui ont relayé le bras de fer qui s'est engagé entre la mairie de Bertrand Delanoë et ces collectifs occupant des lieux déjà dévolus aux artistes de l'Usine éphémère et à une caserne de pompiers. Et qui s'est soldé par l'expulsion des No Vox.

Faire la révolution dans les têtes
D'irruptions sur les plateaux de télé en blocages de festivals, les intermittents du spectacle n'ont cessé de mettre en scène leur opposition à la réforme de leur régime d'assurance chômage (ci-dessus, à Paris, au début du mois de juillet dernier).SEBASTIEN CALVET

Certes, l'événementiel et l'action coup de poing ne sont pas l'apanage des mouvements altermondialistes. « Les techniques ne sont pas forcément nouvelles mais ce sont les porteurs de ces idées et les recompositions qu'ils mettent en œuvre qui le sont. Le visage d'un nouveau militant est en train d'émerger », souligne Nathalie Tenenbaum, doctorante au Centre de sociologie européenne (CSE-Ehess), dont la thèse porte sur les nouvelles formes de militantisme et qui a enquêté sur Vamos ! (Vive l'action pour une mondialisation des solidarités !), un collectif d'une trentaine de membres actifs créé à Gênes. À ceux qui reprochent à ces mouvements de ne pas dépasser le stade de la contestation pure et de la mise en scène, elle oppose qu'ils contribuent déjà à faire « la révolution dans les têtes ». De bien curieux révolutionnaires qui veulent changer le monde sans prendre le pouvoir. « De toute façon, il ne subsiste que la guerre symbolique. Les collectifs recherchent la théâtralisation, favorisent les stratégies de captation des médias pour créer l'opportunité d'un combat rhétorique a posteriori qui, justement, a lieu dans la presse. Il ne s'agit plus de se battre mais de convaincre. »

Le réalisme des protagonistes tranche également avec les combats des années 1960 à 1980. Plus aucun ne croit au Grand Soir. « Mais nous n'avons pas de temps à perdre, souligne Annie Pourre. Partout où on oppose une forme de résistance, les résultats sont là. » Donnée nouvelle : le profil de ces militants. Jeunes pour la plupart, ils opèrent une vraie rupture avec les anciens. « De manière inconsciente ou non, ils dévaluent l'héritage ouvrier, l'anonymat, le parti, le syndicat, l'organisation pyramidale. Ils n'auraient pas l'idée de descendre dans la rue pour des revendications quantitatives comme une augmentation de salaire. Ils veulent du qualitatif. Autre variable, ils sont souvent très diplômés mais possèdent un capital économique faible. Ce qui produit une sorte de décalage. Ils sont le prototype même de la minorité agissante », explique Nathalie Tenenbaum. « Des sous-bobos, poursuit le sociologue Erwan Lecœur. Des citoyens en marge qui vivotent. »

Les réquisitions d'emplois font chou blanc
Échaudé par le boycott de ses produits, largement relayé par les altermondialistes, Danone a mis sur pied une cellule de veille qui décrypte informations et tendances.MOSCHETTI/REA

Dernier point commun, ces nouvelles formes de radicalité font preuve d'un manque total d'originalité lorsqu'il s'agit de s'attaquer à l'entreprise privée. Les boycotts de produits n'ont que peu d'impact sur les consommateurs français, contrairement aux anglo-saxons. Et les opérations commandos pour améliorer le social en France sont très peu nombreuses. Par nature, les ONG, mais aussi les militants de collectifs, dont l'essentiel des troupes ne sont pas salariés d'entreprises mais universitaires, fonctionnaires, indépendants ou précaires, se sont d'abord attelés à améliorer les conditions de travail des producteurs du tiers-monde ou à bannir le travail des enfants, laissant au combat syndical, pourtant en panne, le soin d'agir dans l'Hexagone.

Quant aux actions spectaculaires pour doper l'emploi, « elles se sont pour l'instant montrées inefficaces », reconnaît Claire Villiers, cofondatrice de l'association de chômeurs AC ! Les réquisitions d'emplois à la Fnac ou à la Société générale ont fait chou blanc. Le principe, débarquer dans des sociétés avec des listes de CV et exiger des embauches, est contraire à la logique individuelle de l'entreprise. « Nous avons gagné trois CDD », concède la militante, également déléguée syndicale du SNU ANPE.

Pour autant, les entreprises, sensibles à leur image, savent qu'il faut désormais compter avec ces mouvances. « Aujourd'hui, nous considérons les ONG comme des partenaires potentiels. Elles font partie de notre environnement », observe ainsi Jean-René Buisson, secrétaire général du groupe Danone. « Les entreprises ont tout intérêt à développer une réflexion stratégique pour rendre leur ambition sociale visible. Si elles ne le font pas, elles laissent la porte ouverte aux discours incantatoires des altermondialistes, renchérit le consultant Jean Kaspar. L'une des raisons de leur émergence provient du déplacement de la question sociale. La société fait irruption dans l'entreprise à travers, par exemple, la pauvreté. »

Pas question de vendre son âme au diable

De fait, profitant de l'élan créé par le « phénomène alter », les ONG comme Oxfam ou Éthique contre l'étiquette, voire Max Havelaar, qui forment le canal historique du mouvement et n'ont pas attendu d'être labellisés altermondialistes pour en embrasser les causes, se sont engouffrées dans la brèche. Pour faire pression sur les entreprises afin qu'elles protègent l'environnement et améliorent les pratiques sociales. Selon un sondage de Man Com cité par Novethic Études, la banque de données sur la responsabilité sociale des entreprises mise en place par la Caisse des dépôts, 71 % des ONG interrogées sont en contact avec des entreprises et 86 % de celles qui ne sont pas en relation avec des sociétés voudraient l'être.

Pas question, toutefois, de vendre son âme au diable. Greenpeace, l'enfant terrible des ONG, veut bien coopérer avec les groupes internationaux, mais sur la pointe des pieds. « Nous ne sommes pas spécialement partisans de signer des partenariats, explique Aurèle Clémencin, chargé de mission « responsabilité des entreprises », dont le poste vient d'être créé. En revanche, et c'est sans doute cela qui est nouveau, nous ne sommes pas contre le fait de mettre en avant les bons élèves. » Pour le reste, le partenariat relève davantage de la main forcée, à l'image de ses relations avec le détaillant en bois Lapeyre, sommé de ne se fournir que chez des producteurs de bois labellisés Forest Stewardship Council (FSC), gage de préservation des forêts anciennes. L'entreprise a d'abord feint de ne rien entendre. Greenpeace a alors fait irruption dans des magasins, posant des autocollants sur les produits informant les consommateurs que leur achat contribuerait à tuer la forêt amazonienne… Depuis, Lapeyre n'accepte que les fournisseurs estampillés FSC.

De gré ou de force, jamais les entreprises ne se sont autant engagées. Cette année, le groupe Caisse d'épargne et le WWF France ont signé une convention pluriannuelle sur l'environnement. Ikea s'est associé à l'Unicef pour soutenir la lutte contre le travail des enfants. Action contre la faim a aussi choisi de s'associer à des entreprises, « mais pas aveuglément », précise Benoît Miribel, son directeur général. ACF travaille avec les magasins U, qui permettent à leurs clients de transformer des points gagnés en dons, ou encore avec le Club Med, qui organise des courses contre la faim. Amnesty International vient aussi pour la première fois de signer une convention avec une entreprise, en l'occurrence Casino. « Ce protocole présente, entre autres, l'avantage d'accéder aux audits sociaux et d'approfondir les processus visant à garantir les engagements pris : pas de travail d'enfants, pas de travail forcé, des rémunérations décentes, la liberté d'association, la sécurité physique des personnes… », explique Jacques-Noël Leclercq, responsable de la commission Entreprises d'Amnesty. Depuis quinze ans celle-ci travaille à faire avancer les droits humains. « Nous appelons les entreprises à adopter des codes de conduite et nous nous appuyons beaucoup sur le respect de ces codes, lesquels ne s'usent que si l'on ne s'en sert pas. En termes d'image, une dénonciation publique de la part d'Amnesty aurait des répercussions catastrophiques pour l'entreprise qui contreviendrait à ses propres engagements. »

Ne plus être pris au dépourvu, ni pour cible

« Les réseaux d'information de la société civile via les ONG et les groupes alters sont performants. Je suis persuadé que si des dérives étaient repérées chez nous à l'autre bout du monde nous serions une cible nous aussi », renchérit Gilles Vermot-Desroches, directeur du développement durable et de la fondation Schneider Electric. Depuis cinq ans, celle-ci opte pour des actions très proches de la philosophie alter de l'agir local tout en ayant une responsabilité globale. « Parce que nous voulons bâtir des relations humaines locales, nous soutenons des associations qui développent des projets liés aux jeunes en difficulté à deux pas de nos 450 sites dans le monde quand d'autres financent de grands réseaux », poursuit-il.

Chez Max Havelaar France, dont l'équipe comprend 15 personnes et qui attribue la certification « commerce équitable », le changement est perceptible. « Il y a encore trois ans, on passait pour de gentils utopistes, note Emmanuelle Cheilan, responsable de la communication. Aujourd'hui, 43 entreprises sont concessionnaires du label. » Signe des temps, l'Élysée et Matignon se fournissent en café Max Havelaar. Plus sérieusement, le commerce équitable entend peser dans les décisions internationales. D'ailleurs, la fédération (Fine) qui réunit quatre fédérations du commerce équitable doit ouvrir le mois prochain un bureau à Bruxelles auprès de la Commission.

Des actions de lobbying qui ne sont plus le seul fait des alters. À la suite de la campagne de boycott, Danone, profondément marqué par l'événement, s'efforce d'entretenir des liens avec les politiques et a créé une direction de l'intelligence économique. Sa mission ? Surveiller la Toile et travailler avec des consultants extérieurs qui vont humer l'air du temps et les tendances dans les universités d'été des associations comme Attac. « Lors du sommet du G8 qui se tenait au Royal Park Évian – qui nous appartient –, nous étions particulièrement vigilants sur ce qui se tramait dans les rangs altermondialistes », explique Jean-René Buisson. Pour ne plus être pris au dépourvu. Ni pour cible.

Auteur

  • Sandrine Foulon