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Les gardiens des bonnes pratiques

Dossier | publié le : 01.02.2004 | Anne-Cécile Geoffroy

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Les gardiens des bonnes pratiques

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Les postes de directeur du développement durable fleurissent dans les grands groupes. Leur mission : diffuser la bonne parole et faire rimer efficacité économique et bonne morale.

« Je suis en quelque sorte un déontologue interne », explique Jacques Kheliff pour définir sa fonction. Longtemps secrétaire général de la Fédération CFDT chimie-énergie, cet ancien syndicaliste est depuis un an chargé du développement durable chez Rhodia. D'abord conseiller du président Jean-Pierre Tirouflet, il a été confirmé dans ses fonctions par la nouvelle direction avec le titre de directeur du développement durable. « À l'époque, le président de Rhodia souhaitait quelqu'un qui ne soit pas du sérail, qui garde une liberté de ton pour pointer les écarts entre les engagements et les réalités », rappelle-t-il. Sommés d'adopter un comportement responsable, de produire sans détruire, poussés dans leurs retranchements par des organisations non gouvernementales ou des associations de riverains de plus en plus exigeantes, les grands groupes comme Rhodia ont créé de toutes pièces des postes de « Monsieur Développement durable ». Plus rares sont ceux qui, comme Renault, ont choisi de ne pas personnaliser la fonction.

Véritable conscience des entreprises, ces nouveaux intervenants sont chargés de remettre dans le droit chemin des firmes tiraillées entre des contraintes et des logiques économiques, environnementales, sociales et sociétales a priori incompatibles. « Souvent, ce sont des hommes, quinquagénaires, recrutés en interne, observe Alain Chauveau, spécialiste du développement durable, auteur de l'Entreprise responsable (Éditions d'Organisation, février 2003). Pour tenir ce poste difficile et s'imposer auprès des différentes directions, ils doivent avoir roulé leur bosse dans l'entreprise. » à La Poste, c'est l'ancien directeur de la communication du groupe qui pilote le développement durable. De son côté, Carrefour a choisi un opérationnel, Roland Waxelaire, qui dirigeait jusqu'en 2002 les hypers de Belgique, pour occuper la fonction de directeur de la qualité et du développement durable.

Équipes légères et réseaux de correspondants

Communicants ou opérationnels, la première mission de ces pionniers est de prendre leur bâton de pèlerin pour convaincre et rallier à leur cause salariés et managers. Pour la mener à bien, ils disposent généralement d'équipes réduites (deux personnes chez Rhodia, quatre à La Poste, une petite dizaine chez Carrefour) et animent un réseau de correspondants chargés d'impulser les actions concrètes sur le terrain. « Pour impliquer et responsabiliser l'ensemble des postiers, chaque direction (courrier, colis, services financiers, ressources humaines et réseau des bureaux de poste) a nommé un responsable du développement durable. Par ailleurs, un contributeur au développement durable est présent dans chacune des dix grandes régions postales, des filiales et des directions nationales. Ces personnes forment le comité de développement durable », explique Patrick Widloecher. De son côté, Carrefour a fusionné développement durable et qualité. « Nous avons élargi le champ de compétences et d'actions de tous nos directeurs qualité aux domaines de l'environnement et du social, explique Roland Waxelaire. Ce réseau est chargé d'identifier les grands projets en matière de développement durable. »

« Quelle que soit l'entreprise et l'organisation, sans l'appui du président du groupe, nous ne pouvons rien, prévient Jacques Kheliff. Chez Rhodia, mon poste était directement rattaché au président et en reste aujourd'hui très proche. C'est important pour que les arbitrages ne sacrifient pas le développement durable. » En effet, si le concept n'est pas contestable sur le plan politique, il s'avère extrêmement contraignant pour les équipes en place. Mettre un pied dans le développement durable, c'est accepter, pour le management, de revoir son mode de fonctionnement afin de gagner en efficacité économique. « Notre fonction est transversale et l'on peut facilement être incompris et se créer de fortes inimitiés, souligne Jacques Kheliff. Le développement durable percute des logiques qui ont une légitimité établie dans l'entreprise telles que celles de l'économique, du financier, de la recherche ou des ressources humaines. Il les met en tension pour trouver des compromis. »

« Une démarche humaniste ne suffit pas »
Pour Patrick Widloecher, chargé du développement durable à La Poste, la condition sine qua non d'une démarche de développement durable est que « l'entreprise y voit un moyen de gagner en efficacité économique »MICHEL LABELLE

« Avant d'être un changement technique, le développement durable implique un changement de comportement, ajoute Patrick Widloecher, à La Poste. Et si on le présente simplement comme une démarche humaniste, la mayonnaise ne prendra pas. Il faut que l'entreprise y voit un moyen de gagner en efficacité économique. » La Poste a listé plus d'une centaine d'actions qu'elle a fait passer au tamis de ses priorités économiques. « Pour réduire les émissions polluantes de nos 60 000 véhicules et faire baisser notre consommation de carburant, nous avons par exemple mis en place des formations à la conduite écologique et économique », explique Patrick Widloecher. Chez Rhodia, ce sont toutes les procédures de gestion générale de crise qui ont été modifiées. Objectif : donner aux directions des usines chimiques du groupe des réflexes de communication et de transparence envers les riverains. Carrefour a également revu une partie du transport de ses marchandises pour privilégier, chaque fois que cela a été possible et rentable, le transport fluvial.

Pour asseoir leur légitimité, les directions du développement durable jouent également le rôle de sentinelles. Les contraintes réglementaires très fortes dans les domaines de la sécurité, de l'environnement, de la santé, etc., obligent les entreprises à pratiquer une veille constante. Ce n'est pas un hasard si Roland Waxelaire, qui pilote le développement durable pour Carrefour, est également délégué permanent auprès des instances européennes. « Nous devons apprendre à anticiper les réglementations et ne pas courir derrière les nouvelles directives, confirme Patrick Widloecher. Par exemple, dès cette année, la Commission européenne demande aux fabricants de matériel électronique de récupérer leur matériel devenu obsolète. Des entreprises comme Nokia vont devoir faire appel à des réseaux existants pour le récolter. Nous devons réfléchir dès maintenant à comment répondre à cette réglementation et créer ainsi un nouveau business pour La Poste. C'est ça le développement durable ! »

Un enseignement à part entière

Le développement durable entre dans le supérieur ! Cette année, elles sont trois à avoir misé sur cette nouvelle approche. Le Ceram de Sophia-Antipolis, HEC et l'université de Dauphine viennent de lancer leur diplôme de troisième cycle dédié au développement durable.

« On ne pouvait plus autant parler du sujet sans mettre enfin en route un cursus de formation initiale qui professionnalise les pratiques, justifie Pascal Bello, directeur scientifique du mastère spécialisé en management stratégique du développement durable du Ceram et dirigeant du cabinet de conseil BMJ Développement durable. L'objectif est de donner des outils et des réflexes à ces jeunes qui demain occuperont des postes à responsabilité dans le domaine. »

Jusqu'à présent, les formations abordaient le champ du développement durable par le grand bout de la lorgnette environnementale, sociale ou éthique. La nouveauté de ces formations est d'appréhender le sujet dans sa globalité. Les cursus du Ceram, de HEC et de Dauphine balayent ainsi tous les domaines du développement durable : de l'environnement au social en passant par les questions d'éthique et d'entreprise citoyenne. « À Dauphine nous avons voulu intégrer des enseignements transdisciplinaires comme la gestion, la philosophie, la sociologie », précise Sylvaine Trinh, responsable du diplôme. Si les deux écoles de commerce ont choisi de cibler les étudiants en formation initiale, Dauphine a préféré ouvrir son diplôme d'université à la formation continue.

Dernier point commun de ces formations, leur coût élevé : 9 000 euros pour le mastère spécialisé du Ceram, 13 000 euros pour celui de HEC et 13 300 euros à Dauphine (8 100 euros pour les individuels sans financement). Le prix du développement durable ! A.-C.G.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy