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Ces firmes qui veulent être notées

Dossier | publié le : 01.02.2004 | S.D.

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Ces firmes qui veulent être notées

Crédit photo S.D.

Une quinzaine d'entreprises, de Ciments Calcia à Aéroports de Paris, ont sollicité CoreRatings ou Vigeo pour faire évaluer leurs performances en matière de développement durable. Objectif : communiquer auprès des parties prenantes et, surtout, attirer les investisseurs.

En décembre 2003, Ciments Calcia a fait beaucoup de publicité autour de l'appréciation que l'agence de notation sociale CoreRatings lui a attribuée en matière de développement durable. Pour l'occasion, le cimentier français avait invité une centaine de représentants d'entreprises, d'ONG et d'associations de protection de l'environnement à commenter l'événement, sous les lambris d'un célèbre restaurant parisien. Il faut dire que la filiale du groupe Italcementi s'est vu décerner un très satisfaisant A – saluant une démarche inhabituelle. En effet, alors que CoreRatings intervient le plus souvent à la demande d'investisseurs, Ciments Calcia a sollicité l'agence pour faire évaluer ses performances dans les domaines extrafinanciers. « Nous avons l'habitude d'être évalués et de rendre des comptes à diverses parties prenantes comme les collectivités ou les associations de protection de l'environnement, explique Jean-Marc Domange, directeur général de Ciments Calcia. Cette fois, nous voulions expérimenter une nouvelle méthode de reporting et être jugés sans complaisance par un regard extérieur. »

Prudent, le groupe a toutefois restreint l'investigation à un périmètre géographique franco-belge bien balisé. L'intérêt pour l'entreprise est d'obtenir une cartographie précise des risques environnementaux, sociaux, éthiques ou sociétaux associés à ses deux principaux métiers, le ciment et les granulats. L'agence dirigée par Geneviève Ferone, l'ex-numéro un d'Arese devenu Vigeo, a cherché à savoir comment ces facteurs pouvaient influencer durablement la croissance de Ciments Calcia. En quoi l'émission de gaz carbonique peut, par exemple, nuire à l'image du cimentier ? Dans quelle mesure les allées et venues de camions, incessantes autour d'une carrière, perturbent-elles les riverains ? CoreRatings s'est ensuite intéressé aux réponses que l'entreprise apporte pour diminuer ces risques potentiels.

Concrètement, quatre analystes ont dépouillé pendant quatre mois plus de 200 documents, rencontré une cinquantaine de personnes, au sein des syndicats, des collectivités et des associations de riverains. Résultat : l'industriel est bon élève dans l'utilisation des ressources naturelles et la diminution des émissions de gaz. En revanche, il peut mieux faire dans le recyclage des déchets et l'emploi de personnes défavorisées. « La note n'est un signe ni de moralité ni de vertu, commente Jean-Marc Domange. L'évaluation nous permet de mieux dégager nos axes d'amélioration. » Surtout, la note est un outil de communication interne et externe et rassure les diverses parties prenantes, investisseurs en tête. Les résultats de l'évaluation vont favoriser le dialogue entre le cimentier, les collectivités et les riverains.

Gestion du bruit et consommation d'énergie

Ce n'est pas un hasard si Aéroports de Paris, qui va ouvrir son capital en 2005, a choisi d'afficher sa note, après avoir été audité pendant deux mois par CoreRatings. Dès à présent, l'établissement public, qui a décroché un B +, attire l'attention d'investisseurs potentiels, en se ménageant du temps pour améliorer ses performances. Mais, comme Ciments Calcia, ADP a limité les risques, en restreignant l'analyse aux volets environnementaux et sociétaux et en excluant le champ social. « L'agence a évalué notre politique en matière de gestion du bruit, de consommation d'énergie et de recyclage des déchets, raconte Franck Le Gall, responsable du management environnemental chez ADP. Les quatre analystes ont également étudié notre implantation dans les bassins d'emploi et nos relations avec les associations de riverains et les collectivités. » Pour être tenu au courant des meilleures pratiques, ADP avait aussi demandé une comparaison sectorielle. « Nous avons été comparés à 25 entreprises, nos plus proches concurrents comme les aéroports de Londres ou d'Amsterdam, mais aussi à des entreprises aux problématiques territoriales analogues comme des ports autonomes », précise Franck Le Gall. ADP compte renouveler l'expérience en 2005, en l'élargissant aux critères sociaux.

Dans les deux cas, en dépit de fortes réticences, l'évaluation a été l'occasion de mobiliser les équipes en interne autour du développement durable. « La notation sollicitée est un bon outil de management qui nous aide à fixer nos objectifs », confie Franck Le Gall. Les agences de notation, pour l'instant conciliantes, respectent la confidentialité. Mais, à terme, sous la pression des investisseurs et des autres parties prenantes, les entreprises seront contraintes de lever le voile, ce qui implique d'avoir une vision claire des objectifs à atteindre en matière de responsabilité sociale. Les premières à franchir le pas sont souvent celles qui sont mobilisées depuis longtemps sur ce thème. Pourtant, à l'instar du groupe de construction Eiffage qui a sollicité CoreRatings, elles préfèrent garder le silence.

Actuellement, CoreRatings et Vigeo, fondée en juillet 2002 par Nicole Notat, tiennent la corde : la première a mené neuf missions de ce type (dont deux en cours), la seconde sept (dont quatre en cours), mais les deux rivales ont bien l'intention de monter en puissance. Et pour cause. La notation sollicitée, facturée entre 50 000 et 90 000 euros par CoreRatings et entre 65 000 et 120 000 euros par Vigeo, assure une rentabilité plus importante que la notation traditionnelle, facturée aux alentours de 20 000 euros. « Alors que la notation intéresse potentiellement un nombre réduit d'investisseurs, la notation sollicitée s'adresse à toutes les entreprises, cotées ou non, publiques ou privées », ajoute François Fatoux, délégué général de l'Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises (Orse). CoreRatings et Vigeo, en pariant sur cette méthode, fonctionnent comme des agences financières. Standard & Poor's, Moody's ou Fitch Ratings se font en effet payer par les entreprises qu'ils notent, lesquelles sont obligées d'en passer par cette étape pour accéder aux marchés d'emprunts internationaux.

Mais, en se lançant sur le marché étroit de la notation sollicitée, les deux agences concurrencent des cabinets d'audit et de conseil. Ainsi, chez PricewaterhouseCoopers, une équipe est spécialisée depuis plusieurs années dans le développement durable. De taille plus modeste, BMJ, codirigé par Pascal Bello, ex-numéro deux d'Arese et inventeur de la notation sollicitée, a d'ailleurs damé le pion à CoreRatings et Vigeo en remportant une mission d'évaluation à la RATP. Au final, cette multiplication des acteurs contribue à rendre les frontières encore plus floues entre l'audit, la notation et la certification.

Trois agences en pôle

La notation sociale en France est un concept relativement nouveau, qui s'est fortement développé depuis 1997 à l'initiative d'Arese, absorbé par Vigeo, l'agence dirigée par Nicole Notat, fondée en juillet 2002. Depuis, trois agences ont pignon sur rue : Vigeo, CoreRatings et Innovest, agence anglo-saxonne installée à Paris depuis octobre 2002. Intervenant à la demande des sociétés de gestion de portefeuille, chacune d'entre elles note les entreprises en fonction de critères spécifiques. Ainsi, chez Vigeo, six domaines (ressources humaines, droits de l'homme, environnement, etc.) sont passés au crible à partir de 38 critères de responsabilité. Concrètement, elles s'appuient sur des rapports publics (bilan social, développement durable, etc.), traquent la moindre information dans la presse et sur Internet. Pour parfaire leurs connaissances, elles envoient par ailleurs des questionnaires détaillés aux entreprises, lesquelles, sous la pression des investisseurs et des autres parties prenantes, ont tout intérêt à répondre. Un travail minutieux, qui mobilise en interne souvent plusieurs personnes. Du coup, des entreprises choisissent de répondre exclusivement à une seule. Souvent aussi, les agences rencontrent le responsable du développement durable ou un membre de la direction pour compléter les réponses. Aujourd'hui encore, de nombreuses entreprises leur reprochent de ne pas être assez transparentes sur leurs méthodes.

Auteur

  • S.D.