logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

Sur le social, Onyx et Sita ont encore du nettoyage à faire

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.01.2004 | Stéphane Béchaux

Image

Sur le social, Onyx et Sita ont encore du nettoyage à faire

Crédit photo Stéphane Béchaux

Salaires, primes, intéressement… Onyx et son rival Sita ont un peu amélioré le quotidien des éboueurs. Mais, en matière de santé et de sécurité, beaucoup reste à faire. Les tâches de ramassage des ordures sont pénibles et l'organisation du travail favorise la prise de risques. Pour inverser la tendance, les deux mastodontes de la propreté misent sur la prévention et la formation.

5 h 30. En quelques minutes, une bonne centaine de camions aux couleurs de la société Esterra sortent des cinq dépôts de l'agglomération lilloise. Mission : collecter, avant la fin de la matinée, les centaines de tonnes de déchets qui s'entassent sur les trottoirs de la communauté urbaine. Au programme, cinq à sept heures d'efforts pour charger, à deux et au pas de course, une dizaine de tonnes de déchets. Responsable de l'enlèvement des ordures ménagères de Lille depuis… 1914, Esterra compte parmi ses propriétaires les frères ennemis du marché français, Onyx et Sita, tous deux actionnaires à hauteur de 47 %.

Avec respectivement 31 000 et 17 000 salariés dans l'Hexagone, les pôles « propreté » de Veolia Environnement (ex-Vivendi Environnement) et de Suez constituent les deux mastodontes du secteur. Outre l'enlèvement et le traitement des ordures ménagères (tri, incinération, stockage, recyclage, etc.), ils interviennent dans la gestion des déchets hospitaliers et industriels, dans le nettoiement urbain, dans l'assainissement, la maintenance industrielle…

Constituées par rachats successifs de petites sociétés locales, les deux multinationales ont conservé une organisation très décentralisée, fondée sur une myriade d'agences autonomes, regroupées dans des filiales régionales. « Sita France fonctionne comme un groupe fédératif, explique Danièle Rollier, sa DRH. Nos patrons d'agence sont de vrais responsables opérationnels. C'est ce qui fait notre force. » Discours similaire chez Onyx France, qui compte plus de 300 entreprises juridiquement indépendantes : « Nous sommes dans une logique de décentralisation des RH au plus bas de l'organisation. Dans des métiers de main-d'œuvre faiblement qualifiés, il est indispensable de discuter au plus près du terrain. C'est plus qu'une valeur, c'est une croyance », assène Pascal Decary, son DRH.

Une architecture illisible
SITA Filiale de Suez Environnement. Chiffre d'affaires 2002 : 1,7 milliard d'euros. 17 000 salariés en France.NICOLAS

Côté syndical, on pointe les limites de ce mode d'organisation. « Nous n'avons aucune vision d'ensemble. Et sans comité de groupe, impossible de porter la moindre revendication globale », explique un délégué de Sita Ile-de-France, qui se plaint du cloisonnement « savamment entretenu » entre entités. « Chacun négocie dans son coin. On ne sait pas ce que font nos voisins », abonde Jean-Baptiste Chatrie, délégué CFDT d'Onyx ARA à Saint-Chamond (Loire). Autre grief des représentants du personnel : les réorganisations incessantes rendent l'architecture des deux groupes illisible et leur fonctionnement peu compréhensible. Chez Onyx, un nouveau découpage territorial est d'ailleurs dans les cartons.

Conséquence de cet éclatement, les ramasseurs, ou ripeurs, chauffeurs, trieurs, agents de planning, mécaniciens et autres responsables d'exploitation d'Onyx et de Sita ne peuvent se réclamer d'aucun statut d'entreprise global. Seul socle commun, la convention collective nationale des activités du déchet, refondue en 2000 après de longues négociations menées, côté patronal, par Éric de Ficquelmont, alors DRH d'Onyx. Équilibre oblige, la présidente de la commission sociale est actuellement Danièle Rollier, de Sita. C'est elle qui, en fin d'année, a eu la lourde tâche de mener les négociations sur les minima conventionnels.

Un moment fort pour les syndicats. « Dans les entreprises, on ne négocie pas les salaires. Les directions se contentent de répercuter les hausses décidées par le Syndicat national des activités du déchet », explique Daniel Waeles, négociateur CFDT de branche. Ce que dément Pascal Decary : « À Onyx, on a négocié et conclu partout, sans attendre le résultat des discussions de branche. » Dans les deux groupes, les grilles de rémunérations sont assez proches. Elles suivent, grosso modo, les minima conventionnels, avec, selon les agences, une majoration de 0 à 20 %. L'an dernier, le salaire minimal conventionnel des « équipiers de collecte » et des « agents de centre de tri » variait, selon les échelons, de 1 159 à 1 240 euros brut mensuels, sur treize mois. Celui des « conducteurs de matériel de collecte, d'enlèvement, de nettoiement » s'étalait de 1 272 à 1 368 euros. Les agents de maîtrise et les techniciens démarraient à 1 530 euros, et les cadres à 1 970 euros. « L'échelle des minima est extrêmement tassée, commente Bruno Denhez, négociateur CGT de branche. Le rapport entre l'échelon des ripeurs, le plus bas, et celui des cadres n'est que de 1,7. »

À ces rémunérations vient s'ajouter une mosaïque de primes. Certaines sont conventionnelles, comme l'indemnité horaire de salissure (0,18 euro), l'indemnité journalière de casse-croûte (3,5 euros), le panier de nuit (6,9 euros) ou l'indemnité mensuelle de transport (3,50 euros). Sans oublier la prime d'ancienneté, dont le montant a été revu à la baisse lors de la renégociation de la convention collective nationale : de 2 % au bout de deux années de présence, elle culmine désormais à 16 % après vingt ans de maison. D'autres primes, négociées entreprise par entreprise, viennent compléter la feuille de paie. Plutôt bien lotis, les ripeurs de Sita Reims bénéficient d'une prime d'intempéries de 30 euros par mois, de novembre à février, et d'une prime annuelle de vacances d'environ 430 euros. Leurs collègues de Sita Paris touchent une prime d'exploitation dont le montant (environ 650 euros l'an passé) dépend de la qualité du travail et de l'absentéisme. Ceux qui travaillent à Noël ou le jour de l'an empochent 100 euros supplémentaires.

Une participation mutualisée

Chez Onyx, l'ensemble des salariés bénéficie d'un intéressement. Assez proches d'une région à l'autre, les dispositifs mis en place reposent sur des indicateurs qualitatifs relativement standards : absentéisme, détérioration du matériel, bonne exécution des tâches, taux de fréquence et de gravité des accidents du travail. Les primes, selon les agences, peuvent atteindre quelques centaines d'euros par an. Pas négligeable, mais nettement moins généreux que les 6 000 euros forfaitaires octroyés l'an dernier aux 270 salariés du siège de Veolia Environnement. Un montant qui a fait grincer bien des dents… Chez Onyx, la réserve de participation est également mutualisée à l'échelle du groupe afin d'éviter les trop fortes disparités entre les régions et les métiers. L'an dernier, les 26 300 bénéficiaires ont touché, en moyenne, près de 200 euros. Chez Sita, en revanche, pas de cagnotte commune. La participation reste une affaire locale, synonyme de quatorzième mois de salaire pour les mieux lotis, et de mirage pour les plus malchanceux.

Rapportées au nombre d'heures travaillées, les rémunérations des éboueurs sont largement supérieures au smic. Rares sont, en effet, les dépôts où la durée du travail effectif dépasse 32 heures hebdomadaires. Un phénomène bien antérieur aux lois Aubry. Signée après l'entrée en vigueur des 35 heures, l'actuelle convention collective a d'ailleurs fait l'impasse totale sur la RTT. Pour négocier, les filiales de Sita et d'Onyx se sont débrouillées seules, sans le moindre accord-cadre à se mettre sous la dent. De manière générale, les ripeurs des deux groupes n'y ont pas gagné grand-chose, si ce n'est un déclenchement plus rapide des heures supplémentaires en cas de dépassement de l'horaire prévu de fin de tournée. Contrepartie chez Onyx, les trois quarts des salariés sont aujourd'hui sous un régime de 35 heures payées 35. Et ils ont vu leur rémunération de base bloquée pendant deux à trois ans.

La justification des horaires allégés tient à un mode historique d'organisation du travail : le « fini parti ». Une fois la tournée terminée, les éboueurs peuvent rentrer chez eux tout en étant payés jusqu'à la fin théorique de leur journée de travail. Un système toujours en place chez Sita et Onyx, à de rares exceptions près. Il y a quelques années, les éboueurs parvenaient à « gratter » très largement sur leurs horaires de travail. C'était le cas à Paris. « On partait du dépôt à 17 heures, on rentrait chez nous à 20 heures, et on était payés jusqu'à minuit », raconte Malik Bouftouh, délégué FO au dépôt Sita de Pantin. « Ce que les agents de la ville de Paris faisaient en six heures, on le faisait en trois », confirme Christian Collinet, délégué FO et conducteur au dépôt Onyx de Rungis, dans le Val-de-Marne.

Prétendument favorable aux éboueurs, le fini parti n'est pas dénué d'effets secondaires. Il incite les conducteurs de benne à écraser la pédale d'accélérateur, et les ripeurs à augmenter la cadence. Au détriment, parfois, des règles de sécurité et de leur santé. « J'ai vu des camions rouler à 70 kilomètres-heure avec les ripeurs sur les marchepieds, alors que, dans ces conditions, la vitesse maximale est limitée à 20 kilomètres-heure », témoigne Jean-Jacques Gosselin, délégué CFDT d'Onyx au Touquet (Pas-de-Calais). Résultat, des accidents de travail très fréquents. Et des ripeurs prématurément usés. « Le fini parti, c'est ce qui détruit les hommes. On l'a toujours dit à la CGT. Mais on n'a pas la solution pour le remplacer. Il faut que les patrons inventent un système alternatif dans lequel les salariés s'y retrouvent », affirme Bruno Denhez. Une question à laquelle les directions d'Onyx et de Sita n'ont pas encore apporté de réponse globale.

Pas de retour avant 22 heures

Reste que le fini parti n'est plus ce qu'il était. « Les directions ont tellement resserré les choses qu'il est beaucoup plus difficile de terminer sa tournée en avance. Malgré tout, les copains ont toujours du mal à comprendre que leur intérêt n'est plus d'accélérer », constate Daniel Gavart (CGT), de Sita Reims. « À chaque renégociation de contrat, la Ville de Paris nous rajoute de nouvelles tâches. Par exemple, vider les poubelles publiques. Après un temps d'adaptation, les gars trouvent toujours des techniques pour absorber une partie du surplus de travail. Mais aujourd'hui les premiers camions ne rentrent pas avant 22 heures », assure Patrice Rimbaux, délégué FO au dépôt Sita de Pantin, en banlieue parisienne.

Optimisées, les tournées sont aussi davantage contrôlées, notamment dans les grandes agglomérations. Les conducteurs doivent désormais respecter à la lettre des plans de cheminement précis, qui interdisent par exemple la collecte en « bilatéral » (les deux trottoirs simultanément) ou les marches arrière, et imposent des heures limites de passage dans certaines zones. C'est le cas à Lille. « Les contrôleurs de la communauté urbaine notent la qualité du travail, le respect des horaires ou du plan de cheminement, les manquements à la sécurité. En fonction des infractions constatées, on peut avoir des pénalités », explique Daniel Waeles, chauffeur depuis dix-huit ans chez Esterra. De nouvelles contraintes qui limitent les conduites à risques et ont mis un terme à certaines combines. Comme de changer l'ordre habituel de la tournée le jour de Noël. « Ça nous permettait de finir plus tôt, car, sur le début du parcours, les riverains n'avaient pas encore sorti leurs poubelles », témoigne un ripeur de Sita. Autre frein au fini parti, la montée en puissance de la collecte sélective, qui ralentit les cadences.

Délicates évolutions de carrière

Malgré l'amélioration des techniques de collecte (voir encadré, page 46), le métier reste pénible et peu valorisant. Horaires décalés, gestes répétitifs, port de charges lourdes, intempéries… « Les ripeurs ne font pas de vieux os », note Daniel Gavart, qui vient de prendre sa retraite. « Les gars développent des maladies après la cinquantaine. Des troubles musculo-squelettiques très invalidants à l'épaule, au poignet, au genou », abonde Bruno Denhez. Bon nombre de salariés préfèrent quitter le métier. Soccoim Onyx, dans le centre de la France, a vu partir 142 salariés sur 882 en 2002, dont 58 démissions et 43 licenciements. Sans oublier deux accidents du travail mortels. À l'échelle de la branche, les départs en retraite sont exceptionnels. En 2002, seuls 74 ripeurs et 60 conducteurs ont liquidé leur pension, sur une population totale de plus de 20 000.

À la décharge des entreprises, les évolutions de carrière sont délicates. « Le métier a beau être dur, les ripeurs et les conducteurs n'ont pas forcément envie d'en changer. Quand ils partent dans leur camion, ils ont un sentiment de liberté et d'autonomie », souligne Danièle Rollier. Ce qui n'empêche pas la DRH de Sita de juger nécessaire de « réfléchir à des mesures permettant d'améliorer les conditions de travail des salariés âgés, surtout dans la perspective de l'allongement de la durée de la vie active ». Mais beaucoup reste à faire, comme le prouvent les pyramides des âges d'Onyx et de Sita, qui laissent peu de place aux plus de 50 ans.

« La seule promo qu'un ripeur peut espérer, c'est de devenir chauffeur, dans le cadre de la formation professionnelle. Car des chefs d'équipe ou des agents de maîtrise qui viennent de la base, il y en a très peu », affirme un salarié de Sita. « En théorie, il y a quelques évolutions, comme devenir formateur sécurité ou responsable de terrain, ajoute Christian Collinet, d'Onyx Rungis. Mais comme on gagne à peine plus qu'un chauffeur, avec une charge de travail beaucoup plus importante »… Des propos qui tranchent avec ceux de Pascal Decary : « Nous sommes des militants de l'ascenseur social. De l'ouvrier au responsable d'exploitation, il est possible d'avoir accès, en interne, à toutes les formations initiales qualifiantes. »

En la matière, Onyx a pris une longueur d'avance. Il a créé et fait valider par l'Éducation nationale des diplômes, du CAP au master, tels les CAP Gestion des déchets et propreté urbaine et Agent d'assainissement et de collecte des déchets liquides spéciaux. Des formations en alternance dispensées en partie à l'Institut de l'environnement urbain, le centre de formation de Veolia Environnement, situé au château d'Écancourt, dans le Val-d'Oise. Autre chantier, lancé dès 1993, la validation des acquis professionnels, dont tous les collaborateurs peuvent théoriquement profiter. « Chaque année, nous avons entre 50 et 80 nouveaux diplômés parmi les ouvriers », se félicite Pascal Decary.

Chez Sita, la démarche est radicalement différente. Depuis 2003, la filiale de Suez a lancé une école des métiers chargée d'élaborer des programmes de formation par métier, à destination des filiales régionales. « Des formations très opérationnelles, que nous voulons dispenser au plus près du terrain », commente Danièle Rollier. Premiers visés, les chauffeurs, qui bénéficient désormais de modules portant sur la conduite, la sécurité, la maintenance ou le comportement. Un processus qui va concerner cette année les ripeurs et les agents des centres de tri. « L'objectif est que ces formations deviennent un cursus normal pour tous les agents qui soit géré par les DRH de chaque filiale régionale », précise Jean-Claude Salzmann, responsable du projet. Des petits pas qui devraient contribuer à la professionnalisation des métiers du déchet. Un processus engagé par les deux groupes, mais encore loin d'être achevé.

Objectif sécurité
Parallèlement au ramassage des ordures ménagères, les opérations de tri (ci-dessus chez Onyx) doivent leur développement à l'augmentation des activités de recyclage.DURAND/SIPA PRESS

Onyx et Sita communiquent volontiers leurs chiffres en matière d'accidents du travail, mais ils n'en sont pas encore fiers. Taux de fréquence ? 73,2 accidents du travail avec arrêt par million d'heures travaillées pour Onyx en 2002 (un chiffre trois fois supérieur à la moyenne nationale) contre 58,2 pour Sita. Des chiffres certes en baisse, mais encore très élevés, que les deux entreprises se sont engagées à améliorer. « Auparavant, on n'avait pas de culture de la prévention du risque. Mais nous avons radicalement changé », assure Pascal Decary, DRH d'Onyx. « Depuis deux ans, nous avons mis en place des politiques nationales de prévention très volontaristes », renchérit Danièle Rollier, son homologue chez Sita. Pour parvenir à réduire les risques, les deux filiales ont un allié : les améliorations techniques. Les nouvelles bennes sont désormais équipées de capteurs qui brident, par exemple, la vitesse des véhicules lorsque les ripeurs se tiennent sur les marchepieds, ou de caméras qui permettent aux conducteurs de surveiller le travail de leurs collègues au « cul du camion ».

Reste que la sécurité est d'abord une affaire de comportement. Pour agir au plus près du terrain, les deux entreprises ont élaboré des stratégies relativement similaires, impulsées depuis le sommet. Sensibilisation et implication des cadres opérationnels, instauration de reportings obligatoires, mise en place de systèmes d'audit et d'inspection des activités, plans d'action, formations, analyse des accidents… Les filiales régionales disposent désormais des outils nécessaires pour prendre le problème à bras-le-corps. Mais aussi des hommes : chez Sita et Onyx, des coordinateurs pour la sécurité ont été déployés sur l'ensemble du territoire. Des efforts qui laissent sceptiques certains représentants syndicaux, qui notent encore de gros décalages entre les discours volontaristes des directions et la réalité du terrain. Tels ces ripeurs débutants envoyés dans les rues de la capitale après vingt minutes de vidéo ou une heure de formation en salle.

Auteur

  • Stéphane Béchaux