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Procès-dures de licenciements économiques

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.01.2004 | Jean-Emmanuel Ray

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Procès-dures de licenciements économiques

Crédit photo Jean-Emmanuel Ray

Le droit du licenciement économique doit en principe être réformé cette année. Ce ne sera pas du luxe. Car le mille-feuille actuel des procédures ouvre la porte à toutes les manœuvres dilatoires. Et le volontarisme de la Cour de cassation en matière de reclassement se heurte au peu d'appétence des salariés pour la mobilité géographique.

L'existence d'un dialogue social de qualité dans un climat de confiance, une attitude positive face au changement sont des facteurs importants pour éviter les conséquences sociales négatives des restructurations ; la difficulté est d'organiser une information et une consultation de qualité sans créer d'incertitudes ou de retards excessifs. »

Que le lecteur français se rassure : il ne s'agit (hélas !) pas du préambule de l'accord national interprofessionnel que la loi du 3 janvier 2003 appelait de ses vœux, mais des « orientations de référence pour gérer les changements » élaborées par les partenaires sociaux européens, publiées en octobre 2003.

En matière de licenciement économique, les grandes manœuvres ont commencé : entre la révision de la directive de 1994 sur le comité d'entreprise européen et un projet de la Commission de Bruxelles sur les restructurations, en France le rapport de la Commission de Virville et la négociation interprofessionnelle souhaitée par la loi du 3 janvier 2003 et qui doit servir de base à une loi de synthèse à l'été 2004, les projets de réforme ne manquent pas. Mais, en attendant Godot, il faut composer avec cette redoutable complexité source de contentieux (1°), et une jurisprudence exigeante en matière de reclassement (2°).

1° Complexité des procédures, rapport de force et rapport de droit

La complexité peut-elle être utile ? Le redoutable mille-feuille que constituent aujourd'hui les procédures de licenciement pour motif économique visant plus de dix salariés, empilement improbable de six lois successives et parfois contradictoires, crée une insécurité juridique en forme de jeu de l'oie. Il n'est donc pas surprenant que des syndicats affaiblis sur le terrain du rapport de force en interne se placent sur celui des rapports de droit.

Dans un premier temps pour démontrer leur capacité à retarder l'échéance d'une rupture annoncée en utilisant des méthodes littéralement dilatoires (Littré : « délais : qui diffère, fait gagner du temps ») : du plus simple (le secrétaire refusant de cosigner la convocation du comité d'établissement) au plus complexe (la demande d'annulation de l'ensemble des 56 réunions en l'absence de consultation préalable et première du comité européen). Puis, une fois cette cuisante expérience faite par la direction, dans un second temps pour négocier une amélioration au fond du « plan de sauvegarde de l'emploi » (antiphrase ayant remplacé en janvier 2002 le plus réaliste « plan social ») contre l'engagement de ne pas assigner l'entreprise après chaque réunion de consultation. C'est d'ailleurs le deal proposé par la loi Fillon II du 3 janvier 2003, avec son accord expérimental et positivement majoritaire, dont le succès statistique reste modeste malgré les accords Alcatel, Philips, EADS ou Canal+. Car, sur un thème aussi sensible et avec plus de 2,5 millions de chômeurs, obtenir la signature de syndicats ayant réuni plus de la moitié des votants aux dernières élections est un véritable défi. Défi qui pourrait néanmoins devenir la norme si la loi Fillon IV sur le dialogue social est votée et que la branche en cause retient le principe de l'accord d'entreprise positivement majoritaire. Mais cette seconde condition restant bien improbable, c'est le droit d'opposition, dont le seuil serait abaissé à 50 % des suffrages exprimés et non plus des inscrits, qui, bien à la française, pourrait rassembler le front du refus de tout licenciement.

Mais si le rapport de droit est aujourd'hui déterminant dans le rapport de force, il n'est pas sans effet pervers, au-delà d'un climat de plus en plus délétère en interne. Pour de petites et moyennes unités, utilisation du droit des faillites afin d'éviter ce steeple-chase. Pour de grands groupes médiatiques, utilisation de L. 122-12 à l'envers, c'est-à-dire cession d'un établissement sensible non pas pour transférer une activité, mais pour se séparer d'un personnel bientôt sur le départ. Ou encore utilisation croissante des licenciements pour motif personnel : ainsi, en septembre 2003, 18 606 licenciements économiques contre 52 318 pour autres motifs, et 180 218 fins de CDD. Massif mais prévisible recours aux contrats précaires (de 10 à 15 % des effectifs dans l'automobile), échéance prévue signifiant par définition absence de tout licenciement économique.

L'empilement des diverses instances de consultation dans les groupes, a fortiori internationaux, permet de plaider avec plus ou moins de bonne foi l'effet utile de chaque niveau de concertation. Trois exemples récents qui soulignent l'urgence de fixer des règles claires afin de permettre aux partenaires sociaux de se concentrer sur les mesures alternatives et de ne plus réciproquement s'épuiser en procédures contentieuses où chacun cherche à bénéficier du privilège du préalable.

C'est le TGI de Nanterre qui, le 1er août 2003, a constaté l'existence d'une contestation sérieuse interdisant au juge des référés de se prononcer sur la fixation de l'ordre du jour de la réunion du CCE d'Alstom Power : « Si la consultation de l'instance européenne ne se traduit, contrairement à ce que prévoit le droit interne, par aucune obligation légalement exprimée, il convient cependant de rechercher dans chaque cas si l'information soumise à la consultation nationale projetée donne un effet utile à cette consultation. […] En l'espèce, une véritable consultation transnationale est justifiée pour que puisse utilement s'instaurer une consultation du CCE au titre de l'article L. 432-1. »

C'est le juge des référés du TGI de Paris qui, le 10 octobre 2003, a également refusé de voir un trouble manifestement illicite dans le refus du secrétaire du CCE d'Altadis de signer l'ordre du jour, estimant que « l'expertise demandée par le comité de groupe européen devait aller à son terme avant de commencer la procédure de restructuration ». Mais, dans le feuilleton Danone, la cour de Paris a, le 14 novembre 2003, confirmé l'ordonnance du TGI d'Évry : le secrétaire du CE de LU ne pouvait ainsi bloquer la procédure de consultation sur l'arrêt du site fermé en mars 2003. Soulignant que 68 % des salariés visés avaient été reclassés (en interne, externe ou projet personnel), la direction de Danone dénonçait « cette stratégie d'opposition et de guérilla judiciaire », ajoutant que « Danone et LU France demanderont systématiquement des dommages et intérêts pour procédures abusives ».

Et la Cour de cassation, moins proche du terrain et ne statuant pas à chaud ? Si elle a précisé dans l'arrêt Alstom du 25 juin 2003 que la signature conjointe était obligatoire pour chaque réunion (même si officiellement cette réunion se limitait à terminer la précédente), elle a montré dans son arrêt Aldi du 1er octobre 2003 qu'elle n'entendait pas accepter une paralysie généralisée. Constatant que « le CE possédait des éléments suffisants pour émettre un avis sur la consultation relative au plan social », la chambre sociale en concluait que « le refus du secrétaire de cosigner l'ordre du jour ne pouvait à lui seul paralyser la procédure et qu'il convenait d'y suppléer » : le TGI pouvait donc fixer en référé l'ordre du jour de la prochaine réunion.

2° Obligation de reclassement : mythes et réalité

La proposition de l'ancien président de Poitou-Charentes, Jean-Pierre Raffarin, sur le « droit au reclassement régional : les salariés ont droit à un reclassement dans leur région d'origine », a été présentée par la grande presse comme une avancée sociale. Mais, pour les spécialistes, il s'agit plutôt d'une limitation de la jurisprudence Vidéocolor étendant cette obligation à l'ensemble des sociétés du groupe, y compris situées au-delà du territoire national. Mais « qui trop embrasse mal étreint » : qu'il s'agisse des salariés de Moulinex ou de Matra, l'expérience prouve que la mobilité géographique de salariés français reste, dans les faits, limitée au « secteur géographique » évoqué en matière de modification du contrat. Et le volontarisme de la chambre sociale en ce domaine fait davantage penser à un souci de mieux indemniser les salariés licenciés pour motif économique qu'à un examen réel des possibilités de reclassement.

Alors, bien sûr, convient-il de sanctionner la société qui « envoie simplement à un cabinet de recrutement le CV du salarié dont le licenciement est envisagé » (Cass. soc., 18 juin 2003) et celle « incapable de fournir au juge aucune indication quant aux recherches menées pour tenter de reclasser le salarié » (Cass. soc., 16 septembre 2003, 1er arrêt). Mais la chambre sociale sait aussi faire preuve de réalisme : ainsi, le 16 septembre 2003, cassait-elle un arrêt d'appel ayant conclu au défaut de cause réelle et sérieuse pour des salariés ayant refusé un reclassement à des postes de catégorie inférieure car, disaient les juges du fond, « tous les moyens pour les éviter n'avaient pas été utilisés, des promotions internes étant intervenues juste avant leur licenciement sur des postes non proposés ». Ils auraient dû « vérifier si les emplois en cause étaient susceptibles de permettre, par leur nature et par leur nombre, le reclassement des salariés licenciés ».

« Les licenciements avaient été prononcés avant l'expiration du délai imparti par l'employeur pour que les salariés fassent connaître leur acceptation ou leur refus de ses propositions de reclassement, en sorte qu'il n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement. » L'arrêt du 24 avril 2003 devrait enfin faire réfléchir les grandes entreprises donnant aux personnes en cause de très longs délais de recherche, sinon de réflexion, pour examiner les propositions de reclassement. Ainsi, Total, qui s'était engagé sur une période d'un an et qui, devant le refus systématique de deux salariés, les avait licenciés pour faute grave, s'était attiré, en termes de RH, la redoutable réponse du 29 janvier 2003 : « Le salarié menacé de licenciement économique est en droit de refuser les mesures de reclassement qui lui sont proposées par l'employeur ; M. X et Mme Y n'avaient fait qu'exercer leur droit ». De la même façon, certains salariés de LU ont bénéficié d'un délai de dix-huit mois. D'après l'enquête menée par le CHSCT de l'établissement d'Évry : « Certains ont pu penser que cette période permettrait aux salariés de faire leur deuil. Non seulement la souffrance ne s'est pas diluée dans le temps, mais elle s'est installée et renforcée de manière sourde et latente. » Or, comme le rappelle l'arrêt du 24 avril 2003, tout licenciement avant la fin du délai retenu sera irréfragablement dénué de cause réelle et sérieuse. Ceci qu'il s'agisse d'engagement unilatéral et, a fortiori, d'accords collectifs pacta sunt servanda (« les pactes sont la loi des parties », NDLR), même si la conjoncture économique se dégrade gravement. Mais les licenciements prononcés sont-ils alors annulés ou indemnisés ?

Dans son arrêt du 25 novembre 2003, la Cour de cassation, respectueuse de la décision du Conseil constitutionnel de janvier 2002 (pas de nullité sans texte), a refusé d'étendre les cas de nullité : « Lorsque l'employeur ne tient pas l'engagement unilatéral qu'il a pris de limiter le nombre des licenciements pendant une période déterminée, la procédure et le plan de sauvegarde de l'emploi qu'il met alors en œuvre en envisageant des licenciements ne sont pas pour autant frappés de nullité si le plan comporte des mesures d'accompagnement suffisantes. Les salariés licenciés ont seulement la possibilité de demander la réparation du préjudice que l'inobservation de l'engagement de l'employeur peut leur causer. » Si l'absence de réintégration est de nature à rassurer le DRH, l'étendue de l'indemnisation a de quoi inquiéter le directeur financier, si l'on part du principe que chaque salarié pouvait légitimement penser qu'il était à l'abri de tout licenciement pendant cette période.

FLASH

• Faits de vie personnelle et principe de précaution

L'arrêt rendu le 2 décembre 2003 par la Cour de cassation donne un son nouveau. S'agissant d'un chauffeur de poids lourd licencié pour faute grave à la suite du retrait immédiat de son permis pour conduite en état d'ivresse hors travail, la cour d'appel de Colmar avait cru être dans la ligne jurisprudentielle en énonçant que « la conduite en état alcoolique commise à titre privé et non dans l'exécution du contrat de travail ne peut caractériser une faute disciplinaire et fonder un licenciement disciplinaire ». Réponse cassante de la chambre sociale : « Le fait pour un salarié affecté à la conduite de véhicules de se voir retirer son permis de conduire pour conduite en état d'ivresse, même commis en dehors de son temps de travail, se rattache à la vie professionnelle. » Et de confirmer le jugement prud'homal ayant retenu la simple cause réelle et sérieuse.

Pourtant, aucun « trouble objectif caractérisé » n'avait été créé dans l'entreprise par le comportement extra-professionnel du salarié : mais l'état éthylique (qui plus est en récidive) d'un conducteur de poids lourd justifie à l'évidence cette rupture, l'employeur civilement responsable de son préposé ne pouvant évidemment pas attendre un accident mettant gravement en cause d'autres usagers de la route pour la mettre en œuvre : la finalité de l'entreprise comme les fonctions du salarié appelaient cette application du principe de précaution.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray