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Repères

Prévenir plutôt que guérir

Repères | publié le : 01.01.2004 | Denis Boissard

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Prévenir plutôt que guérir

Crédit photo Denis Boissard

Comment en finir avec le jeu de dupes, largement contre-productif, qu'est devenu notre droit du licenciement économique ? Plutôt qu'un énième rafistolage du dispositif en vigueur, patronat et syndicats – engagés dans une négociation laborieuse sur l'accompagnement social des restructurations – seraient bien inspirés de chercher comment en sortir. Conçues (pendant les Trente Glorieuses) pour traiter à chaud des situations de crise, des accidents dans la vie de l'entreprise, les règles actuelles sont inadaptées pour traiter d'un processus de réorganisation aujourd'hui quasi permanent dans beaucoup d'entreprises. Elles conduisent en effet tout à la fois à dramatiser, à conflictualiser et à judiciariser un problème qu'il serait bien plus efficace de traiter le plus en amont possible, à froid, grâce à un dialogue transparent et constructif, et à la mobilisation des acteurs.

Le système actuel pousse à un jeu de rôle sclérosant. Tout d'abord, si les restructurations sont planifiées très en amont dans les entreprises (entre un et trois ans de gestation, sauf accident imprévisible), elles sont soigneusement tenues secrètes jusqu'à l'annonce – une fois le projet complètement ficelé – des suppressions d'emplois au CE. Sachant qu'une restructuration se prépare, les syndicats et élus du personnel évitent en général prudemment d'anticiper le problème en proposant par exemple à la direction une négociation sur une gestion prévisionnelle des reconversions nécessaires. Bien sûr, le nombre des licenciements est délibérément gonflé par la direction pour pouvoir opportunément lâcher du lest dans la partie de bras de fer qui s'engage avec les représentants du personnel. Et l'élaboration du plan social s'attache moins à l'efficience des mesures proposées qu'à leur conformité aux exigences de la jurisprudence.

Une fois mis devant le fait accompli et bien que sans illusions sur leur capacité à faire revenir l'entreprise sur sa décision, les représentants des salariés vont le plus souvent utiliser toutes les armes à leur disposition pour retarder l'échéance, alors que l'intérêt bien compris des salariés concernés serait que le dispositif de reclassement se mette en place le plus rapidement possible. Au lieu d'entrer dans une négociation sur le fond, ils vont donc engager une bataille judiciaire : le maquis des procédures à respecter et la multiplicité des instances à consulter (notamment dans les groupes à structure complexe) offrent suffisamment de chausse-trapes pour faire trébucher l'entreprise. Il s'ensuit un rôle prépondérant laissé au juge, lequel exerce à partir de considérations purement juridiques un contrôle a posteriori (donc parfois plusieurs années après, devant la Cour de cassation) et de plus en plus étendu, à tel point que certains DRH ne sont pas loin de regretter le contrôle a priori de l'Inspection du travail, fondé sur des éléments économiques et sociaux, qui laissait place à la discussion et débouchait neuf fois sur dix sur une autorisation de licenciement.

D'autant que dans un souci légitime de faire bénéficier les salariés de la protection du plan social, la Cour de cassation privilégie une conception « attrape-tout » du licenciement économique, non sans effets pervers. Illustration avec cet exemple édifiant : un groupe industriel choisit d'implanter sa plate-forme européenne de pièces détachées en région parisienne ; les locaux français étant trop petits pour accueillir les 120 personnes qu'il va falloir embaucher en sus des 65 salariés déjà en place, décision est prise de transférer le site à 25 kilomètres de là. Jurisprudence Framatome et Majorette oblige, le groupe se voit contraint de mettre en œuvre un plan social pour les intéressés, alors qu'il s'apprête à créer 120 emplois. Face à cette perspective ubuesque, la firme préfère établir sa plate-forme en Allemagne : un plan social est donc engagé… pour licencier – et non plus pour muter – ses 65 collaborateurs. Kafkaïen !

Pour sortir de cet imbroglio, il faut remettre les acteurs et leur capacité à élaborer en commun au cœur du dispositif. La logique préventive du Livre IV du Code du travail – le traitement des problèmes en amont – devrait être privilégiée sur la logique curative du Livre III (le licenciement proprement dit et son plan social) et donc renforcée. De ce point de vue, la proposition de la CGC, reprise par le Medef, de discuter chaque année, voire de négocier un plan permanent d'adaptation à l'emploi dans les entreprises d'une certaine taille, va dans le bon sens… à condition que les entreprises jouent le jeu. De la même façon, d'une obligation formelle de reclassement, la responsabilité sociale de l'employeur devrait être étendue à une obligation d'employabilité de ses salariés. La procédure du Livre III devrait n'intervenir qu'en bout de course, pour gérer les sureffectifs que cette gestion anticipatrice et concertée de l'emploi ne serait pas parvenue à résoudre. L'incitation à des accords de méthode, voire de contenu du plan social, pourrait enfin aller de pair avec une limitation du contrôle du juge.

Auteur

  • Denis Boissard