Avec le papy-boom et l'allongement de la durée de la vie, l'aide à domicile est promise à un bel avenir. À condition de trouver des candidats pour des emplois souvent précaires et mal payés. Mais le récent accord de branche améliorant les rémunérations et les nouvelles modalités de l'APA devraient donner de l'air aux associations.
Gare à la surchauffe ! Avec 750 000 bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), et environ 500 000 de prestations d'aide ménagère, le secteur de l'aide à domicile peine à satisfaire la demande. Des besoins boostés par le vieillissement de la population (on compte 4,5 millions de personnes de plus de 74 ans) et par le souhait de chacun de rester le plus longtemps possible chez soi. Pour ne rien arranger, le travail à domicile n'est pas à la portée du premier venu. « Il exige un personnel ayant des compétences techniques et relationnelles, des capacités d'adaptation, de prise de décisions, d'autonomie et une aptitude à opérer une distanciation à l'égard de la personne aidée », estime Maryvonne Nicolle, secrétaire nationale de la fédération CFDT Santé-Sociaux.
Face à ces besoins quantitatifs et qualitatifs, les associations et leurs 240 000 salariés, soit 70 à 80 % des emplois d'aide à domicile, ont bien du mal à sortir la tête de l'eau. Tout comme les quelque 300 entreprises arrivées sur ce marché depuis 1996 et les nombreux particuliers employeurs. Car le métier ne suscite guère de vocations et souffre d'un turnover élevé. Les emplois sont occupés à 90 % par du personnel féminin non qualifié, souvent des jeunes en difficulté ou des femmes qui reprennent une activité. « Elles ne sont pas toujours aptes à exercer ce métier, plus complexe qu'il n'y paraît », observe Anne-Marie Nicot, chargée de mission à l'Anact, qui a participé à une enquête réalisée pour la Direction générale de l'action sociale en novembre 2002. D'autant qu'avec l'APA les besoins de qualification s'élèvent sensiblement. « On devient plus rigoureux sur les embauches. Les exigences sont plus fortes et la clientèle, plus sélective », note Brigitte Kuntz, responsable du poste soutien à domicile de l'Association d'aide 68, à Mulhouse.
Si l'aide à domicile ne suscite guère d'engouement, c'est qu'elle pâtit d'une mauvaise image, comme beaucoup de métiers de services. « Il faut sortir de l'idée du secteur déversoir », plaide André Flageul, président de l'Unassad, principale fédération du secteur associatif, avec 1 104 structures et 80 000 salariés. « On a beaucoup souffert de l'image du petit boulot », renchérit Laurence Jacquon, DRH à l'Union nationale ADMR, qui regroupe 3 200 associations, pour l'essentiel en milieu rural, et 60 000 salariés (voir encadré, page 30).
La difficulté est que le métier de l'aide à domicile mêle deux activités, le soutien à la personne et l'activité ménagère proprement dite. « Nous cherchons des moutons à cinq pattes, des compétences antinomiques. C'est pourquoi nous avons tant de mal à trouver », reconnaît Jean-Noël Lesellier, délégué général adjoint du Syndicat des entreprises de services à la personne. Mais le manque d'attractivité du secteur tient avant tout aux caractéristiques propres à un métier difficile, précaire et mal rémunéré.
Les salariés concernés sont seuls face à des situations délicates à gérer : la maladie, les handicaps, les changements de comportement dus au vieillissement, à la mort. « Le seul moment où le salarié rencontre un interlocuteur, c'est en moyenne une fois par mois, quand il remet ses bordereaux de présence afin que l'association se fasse rembourser les heures effectuées », regrette Maryvonne Nicolle. Toutes les activités périphériques, comme les réunions avec l'employeur, pourtant indispensables pour assurer le suivi, sont réduites à la plus simple expression. Et pour cause : les temps de présence hors intervention à domicile sont payés au lance-pierre.
En outre, 80 % de l'activité à domicile est du temps partiel non choisi, avec des fractionnements importants, comme le montre le rapport de l'Anact. Réglementées par les organismes financeurs, les interventions sont plafonnées en nombre d'heures, ce qui oblige les aides à domicile à tout minuter, au grand dam des personnes âgées. « Les plans d'aide des conseils généraux sont très directifs et descendent dans le détail. Le nombre d'heures est très fractionné. Nous sommes donc contraints de recruter sur des temps très partiels », regrette Élisabeth Merle, directrice générale de l'Adessa, une fédération qui regroupe 200 associations et quelque 25 000 salariés.
Non seulement les aides à domicile se rendent souvent plusieurs fois par jour auprès d'une même personne âgée, mais elles doivent multiplier les interventions, en s'occupant parfois d'une dizaine de personnes dans un même mois, pour bénéficier d'une rémunération correcte. « Cet enchaînement est souvent une source de pression et de tension », note Anne-Marie Nicot. En outre, les trajets ne sont pas toujours comptabilisés dans le temps de travail et les frais kilométriques sont remboursés à la portion congrue. Ces conditions de travail ne sont pas compensées par des salaires attractifs. Jusqu'à une période récente, il fallait seize ans d'ancienneté en moyenne aux salariés sans qualification pour sortir du smic, et huit ans pour les plus qualifiés.
Mis au pied du mur par le manque de main-d'œuvre, le secteur de l'aide à domicile amorce aujourd'hui un virage à 180 degrés, facilité par la loi du 2 janvier 2002 sur l'action sociale et médico-sociale. Cherchant à prendre en charge la personne de façon globale, à mettre en place des outils d'évaluation des prestations fournies, à développer la qualification et à garantir une utilisation transparente des fonds publics, elle entérine la reconnaissance de ces métiers et jette les bases d'une véritable professionnalisation. Dès le 29 mars 2002, huit fédérations d'associations, regroupant quelque 160 000 salariés, ont d'ailleurs signé un accord de branche concernant l'emploi, les rémunérations et les classifications du secteur de l'aide à domicile.
Premier effet direct, une revalorisation salariale de 24 % en moyenne sur trois ans, ce qui permet aux personnes les plus qualifiées d'atteindre des niveaux de rémunération comparables à ceux des aides-soignantes. L'essentiel de cette revalorisation est intervenu au 1er juillet 2003 et s'est traduit, dans certains cas, par des augmentations supérieures à 30 %. Il n'y a désormais plus un seul niveau au-dessous du smic. L'accord prévoit parallèlement une meilleure identification des qualifications en distinguant trois catégories auxquelles correspondent un niveau de rémunération : A pour le personnel non diplômé ; B pour un échelon intermédiaire nouvellement créé afin de tenir compte de l'introduction de la validation des acquis de l'expérience (VAE), reconnaissant le parcours professionnel ; C pour les titulaires du DEAVS, le tout nouveau diplôme d'État d'auxiliaire de vie sociale, né de la rénovation du Cafad (certificat d'aptitude aux fonctions d'aide à domicile), qui peut être obtenu par la VAE. L'Unassad s'est fixé un objectif de 80 % de salariés qualifiés dans les dix ans à venir.
Grâce à cet accord de branche, une personne de catégorie C à temps plein débute à 1 450 euros mensuels, contre 1 127 euros précédemment. Avec la prise en compte de l'ancienneté, elle peut prétendre à une revalorisation de 18,5 % de son salaire au bout de quinze ans. Un salarié à l'échelon A commence, pour sa part, à 1 180 euros. Et, dès l'obtention d'un diplôme, il est automatiquement basculé dans la grille correspondant à sa qualification. Mais cet accord ne règle pas tout. D'abord, il ne s'applique pas à toutes les associations. François Fillon, le ministre des Affaires sociales, a en effet bloqué son extension pour non-respect de procédure et chevauchement de conventions collectives. Les 80 000 salariés du secteur associatif non fédéré, par exemple, ne sont pas concernés, leurs salaires restant bloqués au smic. Et l'accord ne s'applique ni aux salariés des entreprises de services ni aux aides à domicile en gré à gré dont les acquis sociaux sont moindres, même si les organisations dont elles dépendent ne sont pas restées inertes. La Fédération nationale des particuliers employeurs a ainsi signé des accords sur les métiers, la qualification et la formation. En outre, elle a revalorisé les salaires de 5 % le 1er novembre 2003.
S'il apporte une bouffée d'oxygène aux salariés des associations signataires, cet accord ne met pas un terme à la précarité des emplois liée à la généralisation du temps partiel et à la multiplicité des interventions. Le double statut de nombreux salariés des associations est également un facteur de précarité. Une personne âgée peut en effet s'adresser à une association, qui agit en tant que mandataire, l'usager restant l'employeur de l'aide à domicile qui dépend alors de la convention collective des particuliers employeurs. « Les associations ont développé une importante activité mandataire pour faire face à la concurrence du gré à gré dopée par les exonérations diverses visant à favoriser la création d'emplois dans les services à domicile », explique Anne-Marie Nicot.
Un moyen pour elles d'accroître leurs ressources. Mais une vraie cause de complications pour les salariés. « Si une aide à domicile tombe malade alors qu'elle réalise douze heures hebdomadaires dans le cadre d'une prestation et deux fois deux heures mandatée par son association chez deux employeurs, il lui faut trois arrêts de travail, relate Maryvonne Nicolle. Elle sera en outre indemnisée pour les douze heures “prestataires” à partir du troisième jour d'arrêt et du douzième jour dans les autres cas. »
Dans ce secteur très morcelé, pas question pour les associations de faire cause commune avec les entreprises de services aux personnes : les activités lucratives ne doivent pas être mises sur le même plan que l'économie sociale, estiment-elles. La Fédération des particuliers employeurs défend, elle, sa logique propre. « L'accompagnement ne doit pas signifier uniformisation, plaide Marie-Béatrice Levaux, sa présidente. Nous voulons lutter contre l'idée qu'indépendance est synonyme de précarité et défendre le concept de multi-employeur. C'est l'opportunité de créer une activité autonome, de plus en plus souhaitée par les salariés. » Cet éclatement ne contribue pas, en tout cas, à la lisibilité du secteur. D'autant que les pouvoirs publics, confrontés à l'explosion des dépenses pour les personnes âgées, entretiennent cet état de fait, ce qui ne pousse pas à la professionnalisation du secteur, qu'ils appellent pourtant de leurs vœux.
Autre obstacle, le financement de l'aide aux personnes âgées par les conseils généraux ou par la Caisse nationale d'assurance vieillesse est uniquement fondé sur un volume d'heures effectuées. Sans prise en compte du coût global des frais de gestion et des heures travaillées, hors intervention. Soucieux de leurs deniers, les conseils généraux remboursent, en moyenne, les associations sur une base voisine de 15,41 euros l'heure, près d'un tiers appliquant même, selon l'Unassad, un tarif inférieur. Pour un salarié titulaire du DEAVS, la CFDT Santé-Sociaux a évalué que les associations non signataires de l'accord de branche réalisent une marge de 4,14 euros, contre 0,19 euro pour celles qui l'ont signé. Ces dernières réclament donc un financement par poste de travail qui prenne en compte leurs investissements.
Mais le financement départemental distingue aussi les « circuits ». Le taux horaire varie de 8,80 euros pour l'emploi direct à 10,17 euros pour l'association mandataire et 13,79 euros pour le prestataire. Le particulier étant libre de choisir sa formule, la concurrence risque de ne pas se jouer sur le terrain de la qualité. « Avec cette tarification différenciée, les conseils généraux peuvent même inciter à choisir le circuit le moins onéreux pour réaliser des économies », observent plusieurs responsables d'association.
Résultat, en 2003, de nombreuses associations se sont retrouvées en déficit, surtout celles qui emploient du personnel qualifié. Cette année, le problème va se poser à nouveau. Mais, dès l'an prochain, l'APA va entrer dans une logique budgétaire annuelle en fonction du type de prestation réalisée, et chaque association défendra son budget. « Nous pourrons ainsi espérer sortir de la logique actuelle », respire André Flageul, président de l'Unassad. Dans la perspective du papy-boom de 2006, le temps presse !
L'ADMR – aide à domicile en milieu rural, selon l'ancienne déclinaison de son sigle, abandonnée en 1998 – occupe une place particulière au sein des fédérations d'associations d'aide à domicile puisqu'elle regroupe 60 000 salariés et 100 000 bénévoles. Ces derniers sont chargés de monter les dossiers, de gérer les plannings et d'assister les aides à domicile salariées. Un véritable rôle d'employeur qui ne se limite pas à une participation au conseil d'administration. La fédération dispose ainsi d'une force d'appoint considérable dans un univers où les ressources humaines sont limitées par la faiblesse des moyens financiers.
Consciente de la nécessaire professionnalisation du secteur, l'ADMR veut y associer ses bénévoles. « L'accompagnement de proximité des salariés exige de vraies compétences, en particulier des qualités relationnelles, que nous devons les aider à mettre en valeur, fait valoir Michèle Landreau, vice-présidente de l'ADMR. L'amateurisme n'est plus de mise pour répondre aux demandes des prescripteurs et des financeurs. »
La priorité de la fédération est d'alléger les tâches administratives et répétitives, alourdies par la mise en place de l'APA, pour que les bénévoles puissent se recentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée : développement des compétences des salariés et appui dans leur démarche de validation des acquis, recrutement, gestion des contrats, meilleur suivi du service.
Pour y parvenir, elle a commencé à mettre en place des logiciels de gestion des plannings. Le temps libéré pourra aussi être consacré à l'accueil des nouveaux bénévoles, à la réflexion et à la dynamisation du projet associatif. L'ADMR mise également sur la formation pour aider les bénévoles à mieux comprendre les informations juridiques souvent complexes, à améliorer leurs pratiques de recrutement et à passer à la vitesse supérieure en matière d'encadrement des salariés.