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Politique sociale

La manie très française des comités Théodule

Politique sociale | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.01.2004 | David Garcia

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La manie très française des comités Théodule

Crédit photo David Garcia

Missions, comités, observatoires… chaque fois qu'un problème émerge, une structure ad hoc est créée. On en compte ainsi pas moins de 150 auprès du seul ministère des Affaires sociales ! Certaines n'existent que sur le papier, d'autres sont plus actives. Mais leur influence réelle dépend surtout de l'entregent de leurs membres.

Décidément, les Français adorent la gamberge ! Quelques semaines après le rassemblement estival des altermondialistes au Larzac, Jacques Chirac a annoncé la création d'un observatoire de la mondialisation, dont Serge Lepeltier, secrétaire général adjoint de l'UMP, a été chargé de dessiner les contours. Et le président a récidivé, en décembre, en sortant de sa manche un observatoire de la laïcité, en guise de réponse à l'affaire du voile. Nos gouvernants sont friands de ces instances consultatives, placées sous l'autorité du Premier ministre ou d'un membre du gouvernement. Au point de donner le sentiment que ces structures ad hoc servent surtout de leurre à leur inaction.

Du Comité d'orientation stratégique de la modernisation au Conseil pour la transparence des statistiques de l'assurance maladie en passant par la Commission nationale chargée de l'agrément de services formateurs pour l'internat en odontologie et de la répartition des postes dans les services, il faudrait un Prévert parlementaire pour faire l'inventaire de ces « zinzins », comme les appelle Bertrand Fragonard, nommé par le Premier ministre, président du tout nouveau Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie. Une instance utile puisqu'elle éclairera la future réforme de la Sécurité sociale.

« L'hyperinflation des commissions et autres observatoires tend à aggraver le syndrome typiquement français de la réunionnite et à épuiser les acteurs qui veulent travailler utilement au service du pays », ironise Jean-Paul Charrié, député UMP du Loiret, qui vient d'être nommé président du comité stratégique pour la diffusion des technologies de l'information dans les PME. En novembre, le ministre de l'Agriculture, Hervé Gaymard, a annoncé, lors du congrès des producteurs de légumes, la création d'un observatoire des prix des fruits et légumes, redondant avec les services chargés de la concurrence et des prix. Devait également voir le jour fin 2003, dans le giron du ministère délégué à la Famille, un observatoire de l'enfance maltraitée. À la demande, il est vrai, du mouvement associatif.

634 instances en 2002 !
FREDERIC REBENA

Même si le député UMP de l'Essonne, Georges Tron, a relevé « une multiplication d'organismes permanents, en particulier dans le champ économique et social », au cours des années 1997-2002 – années Jospin –, les gouvernements de gauche n'ont pas le monopole des « machins ». Toutefois, en 1997, on répertoriait 311 organismes de conseil et d'aide à la décision du gouvernement, et en 2002… 634. « N'en jetez plus ! » C'est avec cette volonté que le président de la Commission des finances de l'Assemblée nationale, Pierre Méhaignerie, a fait adopter un amendement (à la loi de finances rectificative pour 2003) obligeant le gouvernement à évaluer dans son rapport annuel au Parlement le coût de fonctionnement de ces structures. Ainsi qu'à mentionner le nombre de membres et de réunions tenues lors des trois années précédentes. Ce qui a été fait pour la première fois cet automne.

Pour le seul ministère des Affaires sociales, de loin le plus « conseillé », difficile d'apprécier l'activité réelle des 148 instances existantes. Le nombre de membres, en général une soixantaine, hormis pour le Conseil supérieur d'hygiène publique, fort de 120 participants, est mentionné dans moins de la moitié des cas. Idem pour les réunions. On apprend tout de même que le Groupe permanent de la vie associative ne s'est réuni qu'une fois depuis sa création, en 2001. Quant au Comité national de la coordination gérontologique, il n'a tenu qu'une réunion sur la période 2000-2002. Enfin, deux tiers seulement ont ouvert leurs livres de comptes. À la décharge des comités Théodule, vu la fréquence de leurs réunions et le bénévolat de leurs membres, ils ne coûtent pas grand-chose. Mais pas moyen d'avoir une idée précise du coût global des organismes rattachés à François Fillon. « Les administrations doivent faire de gros efforts de transparence », commente-t-on à la Commission des finances de l'Assemblée nationale.

Reste qu'il y a les zinzins haut de gamme et les autres. Le Comité stratégique pour la diffusion des technologies de l'information dans les PME, instauré en septembre à l'initiative de Jean-Pierre Raffarin, appartient à la première catégorie. Il bénéficiera cette année d'une dotation de 1,5 million d'euros destinée à financer 25 projets pilotes. Rien à voir avec le Conseil national consultatif des personnes handicapées, mis en place par la loi de 1975, qui a siégé pour la première fois… en 1984.

Une mission mais pas de moyens

« Contrairement à sa mission, il n'a pas émis d'avis, ni produit de rapport annuel », constate la Cour des comptes dans un rapport en juin 2003. La faute à un manque cruel de moyens, estime Jean-Marie Schleret, président du CNCPH, par ailleurs adjoint au maire de Nancy. « Certains viennent de loin pour siéger. Or ces bénévoles n'ont jamais eu le moindre remboursement de frais. Jusqu'à une date récente, je n'avais pas de bureau. Je ne dispose toujours pas de secrétariat, je suis même obligé de faire envoyer la centaine de courriers annuels du conseil par la mairie de Nancy. En conséquence, cette année encore, il n'y aura pas de rapport », affirme-t-il. L'intégration des handicapés est sans doute l'une des priorités du quinquennat. Mais apparemment pas au point de payer une secrétaire au CNCPH. À tout le moins, cette instance est régulièrement consultée sur la réforme en cours de la loi de 1975.

Tous les organismes à vocation consultative ne peuvent pas en dire autant. Exemple, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale a reçu le projet de loi de décentralisation du RMI un vendredi, avec obligation de rendre un avis avant le mardi suivant. En prime, le gouvernement n'a absolument pas tenu compte des recommandations du CNLE, présidé par le sénateur Bernard Sellier. « Nous avons rédigé un communiqué et adressé un courrier à François Fillon en regrettant vivement l'absence de concertation sur ce dossier », explique Pierre Saglio, président d'ATD Quart monde.

Moralité : pour être entendus, mieux vaut que les sages siégeant dans ces instances ne se contentent pas de participer aux réunions prévues par les textes. À l'image de Xavier Emmanuelli, président du Haut Comité pour le logement, qui a su tirer profit de sa relation personnelle avec le chef de l'État à l'occasion de la réforme de la loi de solidarité et de renouvellement urbains. À l'automne 2002, un groupe de sénateurs envisage d'assouplir l'article 55 de la loi qui oblige les communes à accueillir 20 % de logements sociaux. « Quand les menaces se sont précisées, nous avons écrit une lettre à Jacques Chirac, cosignée par l'abbé Pierre, le mettant en garde contre les conséquences désastreuses d'un article 55 vidé de sa substance. Enfin, nous avons rendu, bien que les textes ne le prévoient pas, un avis mitigé sur la proposition de loi », relate Bernard Lacharme, secrétaire général du Haut Comité. Résultat, le président de la République a pesé de tout son poids sur le gouvernement qui, à son tour, a fait pression sur les parlementaires. « Le cabinet du Premier ministre nous a dit que le texte ne serait pas modifié sans notre accord, ce qui nous a permis de le conserver en l'état », conclut Bernard Lacharme.

Victime de l'alternance

C'est dire si les majorités du moment peuvent doper ou, au contraire, brider la capacité d'influence des comités et autres observatoires. Au Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, il y a un avant et un après-mai 2002. « De 1997 à 2002, le CSEP a été associé de près à l'élaboration de la loi sur l'égalité professionnelle, mais le climat a changé depuis le retour de la droite : cela va faire un an que le conseil ne s'est pas réuni », regrette la cégétiste Marie-France Boutroue, qui soupçonne le ministère délégué à la Parité et à l'Égalité professionnelle de vouloir enterrer le conseil au profit d'un nouvel observatoire. Ce que dément l'entourage de la ministre Nicole Ameline, qui évoque la création d'un groupe de travail animé… par les partenaires sociaux.

Autre victime de l'alternance, la Commission française du développement durable, présidée par le biologiste Jacques Testart, a préféré s'autodissoudre plutôt que de végéter. Une décision motivée par la création du Conseil national du développement durable. « Le secrétariat d'État au Développement durable nous a expliqué hypocritement qu'il ne fallait pas voir dans la mise en place de ce conseil une remise en cause de notre commission », fulmine le héraut du combat anti-OGM. La Commission française du développement durable avait pour défaut majeur d'avoir été créée par la précédente majorité. « Dominique Voynet m'avait demandé d'être le poil à gratter du gouvernement en matière de développement durable », indique Jacques Testart. Ce qui n'est pas le cas du nouveau CNDD. « Les membres du conseil, auquel j'appartiens par ailleurs, ont le sentiment d'amuser la galerie. Les décisions se prennent au niveau du Comité interministériel pour le développement durable. Cette coupure entre l'administration publique et la société civile limite la portée de nos travaux », estime Michel Capron, professeur à Paris VIII et spécialiste du développement durable.

Un comble quand on sait que les parrains d'un nouveau bidule n'ont de cesse de vanter les vertus du dialogue entre politiques, administrations et société civile. « Il manque un pilotage interministériel. Nous aurions besoin d'échanger avec des représentants du ministère de l'Économie mais, en pratique, il n'y a guère que les fonctionnaires de l'Emploi qui assistent aux réunions », déplore Jacques Dughera, secrétaire général du Conseil national de l'insertion par l'activité économique. Pierre Saglio, président d'ATD Quart monde, qui siège au Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, ne dit pas autre chose : « Cela fait cinq ans que la loi contre l'exclusion a été adoptée et le Conseil interministériel de lutte contre l'exclusion ne s'est jamais réuni. Or on ne peut espérer vaincre la grande pauvreté qu'en créant des passerelles entre les administrations, en lien avec les associations. »

Les machins et les zinzins

Mus par une volonté de synergie, le Haut Comité pour le logement, le Conseil national de lutte contre l'exclusion et le Conseil national de l'insertion par l'activité économique envisagent la création d'une maison commune, de façon à regrouper leurs moyens et à mieux répondre à leurs missions respectives. Mais leur demande se heurte à une fin de non-recevoir de la part des services du Premier ministre, auquel ils sont rattachés. Un refus d'autant plus étrange que le gouvernement se fait le chantre de la simplification administrative.

Matignon a voulu montrer l'exemple. Sur les 38 organismes publics qui dépendaient du Premier ministre au 1er janvier 2003, 7 ont été supprimés et 21 transférés à d'autres ministères. Un effort de rationalisation reposant sur deux principes : « le rattachement au Premier ministre doit rester exceptionnel ; la circonstance qu'une mission doive être exercée au nom du Premier ministre ne justifie pas à elle seule la création d'une structure autonome ». Matignon assure s'inspirer de la Sunset law américaine. Un organisme serait reconduit périodiquement, à condition d'être encore en mesure d'apporter une valeur ajoutée. L'idée est séduisante. Mais il suffit de feuilleter la liste des organismes consultatifs du gouvernement pour s'apercevoir, par exemple, que le Conseil national pour l'intégration des populations immigrées fait toujours doublon avec le Haut Conseil à l'intégration. Les machins et les zinzins ont encore de beaux jours devant eux !

Ministres et sportifs
FREDERIC REBENA

Qui siège dans les comités Théodule ? Des fonctionnaires, des élus locaux, des parlementaires, des personnalités qualifiées et les représentants de la société civile. C'est-à-dire soit des personnalités reconnues pour leur expertise ou leurs qualités intellectuelles, soit des célébrités du monde des arts ou du sport. Mais certains ne sont là qu'en guise de lot de consolation. Tel Claude Goasguen, député UMP de Paris, qui siégeait depuis novembre 2003 à l'Observatoire de la parité jusqu'à sa démission cet été. « Il n'y a jamais mis les pieds, pas plus que la plupart de ses autres collègues masculins d'ailleurs », persifle l'une de ses membres. On pourrait également citer le cas de Gérard Longuet, aujourd'hui président du conseil régional de Lorraine et membre du Conseil national du développement durable. Il y a aussi les cumulards. Le sénateur de l'Aveyron, Bernard Sellier, mérite une mention spéciale en tant que président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE), membre du Conseil national d'insertion par l'activité économique, ancien membre de la Commission consultative de l'action humanitaire et du Conseil supérieur des prestations sociales agricoles. Jean-Marie Schleret préside à la fois le Conseil national consultatif des personnes handicapées et l'Observatoire de la sécurité des établissements scolaires et d'enseignement supérieur.

Reste le cas particulier des sportifs. Pourquoi nommer la championne cycliste Jeannie Longo à l'Observatoire de la parité ou encore le footballeur Lilian Thuram au Haut Conseil à l'intégration ? Réponse convenue en ce qui concerne ce dernier : parce que, même s'il est d'origine antillaise, il représente un bel exemple pour la population immigrée, dixit le secrétaire général du Haut Conseil à l'intégration. Le genre d'argument qui exaspère Mouloud Aounit, le président du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP).

« Qu'on arrête de mettre des sportifs en face de philosophes dans les débats télévisés sur l'intégration. On trouve aussi des intellectuels chez les fils d'immigrés ! »

Auteur

  • David Garcia