Pour pousser les demandeurs d'emploi à reprendre rapidement un job, le gouvernement Raffarin s'apprête à légiférer. De l'Allemagne au Royaume-Uni en passant par la Suède, nos voisins ne se privent pas de manier le bâton, en obligeant les chômeurs à accepter un emploi « approprié » ou « convenable », ou une formation, sous peine de voir réduire ou même supprimer leur allocation.
Une fois n'est pas coutume, la lecture d'un sondage a dû ravir l'équipe Raffarin. En l'occurrence, celui réalisé par l'institut CSA, où 67 % des Français interrogés estiment qu'il faut « réduire les indemnisations après une longue période de chômage pour contraindre les demandeurs d'emploi à retrouver un travail ». Inciter ces derniers à montrer un peu plus d'enthousiasme devant les offres qui leur sont faites est justement le credo du ministre du Travail, François Fillon, qui concocte un projet de loi sur le marché du travail.
Dans une récente interview au quotidien les Échos, le locataire de la Rue de Grenelle n'y allait pas par quatre chemins : « Il faut prendre un certain nombre de mesures pour convaincre les chômeurs d'accepter les postes qu'on leur propose. Il s'agira de mettre en place des mesures d'incitation plus fortes. Des dispositions, y compris législatives, peuvent être envisagées. » Et, citant l'exemple de la réforme intervenue outre-Rhin, François Fillon ajoutait : « Le service de l'emploi doit faire des offres, mais le chômeur ne peut pas éternellement les refuser si elles sont “proportionnées” en termes de qualification et de salaire. »
Actuellement, en vertu du Code du travail, les demandeurs d'emploi peuvent être radiés s'ils refusent, sans motif légitime, « un emploi compatible avec leur spécialité ou leur formation antérieures et rétribué à un taux de salaire normalement pratiqué dans la profession ou la région ».Ou encore, s'ils « ne peuvent justifier de l'accomplissement d'actes positifs de recherche d'emploi ». À charge pour le service public de l'emploi de statuer, au regard de la situation du demandeur d'emploi et de la situation locale de l'emploi. « Les critères retenus sont bons, mais ce qui pèche, c'est l'absence de règles précises pour définir la notion d'emploi convenable, comme cela existe dans certains pays européens plus pragmatiques que nous », commente Jean Marimbert, qui doit – dans l'optique d'une loi à venir – remettre ce mois-ci un rapport sur le service public de l'emploi à François Fillon.
Présenté comme une mesure favorisant la reprise d'activité, le plan d'aide au retour à l'emploi, obligatoire depuis 2001 pour tous les demandeurs d'emploi, n'a pas accru leurs obligations – sauf à respecter les engagements pris dans leur projet d'action personnalisé (PAP) –, bien que la dégressivité de leurs allocations ait été supprimée. Pour Carole Tuchszirer, chercheuse à l'Institut de recherches économiques et sociales, « la mise en place du Pare et son corollaire, la fin de la dégressivité des allocations, va relancer le débat sur l'emploi convenable qui émerge dans un certain nombre de pays européens, alors que le fait de jouer sur la dégressivité avait permis de l'éviter ». Comme le montre la dernière livraison « Zoom 2004 » de la délégation aux relations internationales de l'Unedic, partout en Europe les gouvernements serrent les boulons. Obligation de s'inscrire au programme New Deal pour les Britanniques de plus de 25 ans après six mois de chômage, sous peine de perdre leur allocation ; obligation d'accepter un emploi « approprié » ou « convenable » aux Pays-Bas et en Suède au risque de voir l'allocation réduite ; obligation d'occuper un emploi « acceptable » en Allemagne ; obligation d'accepter un emploi « adéquat » en Espagne dans un rayon de 30 kilomètres de son domicile… Le tour d'Europe des droits et devoirs des demandeurs d'emploi montre qu'à l'égard de ces derniers la France est plutôt moins exigeante que ses principaux voisins.
Qu'est-ce qu'un emploi « acceptable » pour un chômeur allemand ? Pour Wolfgang Clement, ministre fédéral de l'Économie et du Travail, « toute offre d'emploi est acceptable ». Une réponse qui a le mérite de la clarté. « Le système de sanctions et d'incitations destiné à pousser les demandeurs d'emploi à reprendre un travail n'a pas beaucoup changé depuis 1997, date à la quelle le gouvernement Kohl a adopté une loi révisant le dispositif de promotion de l'emploi, commente Axel Schütt, directeur de l'agence pour l'emploi de la ville d'Essen, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Ce qui est nouveau, c'est la stratégie globale à l'égard des chômeurs, qui adopte le principe de “soutenir et exiger”. La motivation et la responsabilisation des chômeurs sont devenues les éléments centraux du retour à l'emploi. »
La notion d'emploi acceptable ne dépend plus aujourd'hui de la nature du poste proposé, mais de l'écart entre le niveau de l'allocation chômage et celui de la rémunération offerte. Pendant les trois premiers mois de chômage, tout emploi rémunéré à un niveau inférieur de 20 % au dernier salaire est « acceptable ». Le seuil passe à 30 % jusqu'au sixième mois. Au-delà, toute rémunération équivalente à l'allocation perçue (60 % du dernier salaire net) est jugée « acceptable ». Enfin, depuis le 1er janvier 2003, l'éloignement géographique du lieu d'exercice de l'activité ne constitue plus, hormis de rares exceptions, un motif de refus.
En guise de sanction, le refus d'un emploi acceptable, la non-présentation à une formation ou à un entretien de suivi (tous les trois mois) ou encore une recherche d'emploi insuffisante aboutissent généralement à une suspension du versement de l'allocation (de respectivement trois, six ou douze semaines). Et vingt et une semaines cumulées de suspension entraînent la perte du statut de demandeur d'emploi : « Je n'ai jamais eu de problèmes, souligne Sabine, une graphiste berlinoise. Mon conseiller n'a jamais exigé de voir mes lettres de candidature. Et, en onze mois de chômage, je n'ai rien refusé puisque l'on ne m'a rien proposé. »
« L'application des sanctions varie selon les régions et les agences, précise cependant Martin Künkler, porte-parole du Bureau de coordination des groupements de chômeurs syndiqués. Mais les chiffres de l'Agence fédérale pour l'emploi montrent bien que la pression sur les chômeurs ne cesse de s'accentuer. » De janvier à fin octobre 2003, 1,3 million de chômeurs ont ainsi été rayés des listes. Soit 215 000 de plus qu'au cours de la même période de 2002. Selon Martin Künkler, les motifs sont multiples : « Il y a le cas de chômeurs qui en ont assez de se plier aux règles sans jamais recevoir d'offre, mais aussi des convocations reçues pendant les vacances ou au dernier moment. Il arrive ainsi que des mères seules n'ayant pas eu le temps de faire garder leurs enfants soient sanctionnées. »
Pour les demandeurs d'emploi, le plus dur reste néanmoins à venir. Plutôt que de renforcer encore un dispositif déjà sévère, le gouvernement Schröder a décidé d'agir sur le niveau général de l'assurance chômage en « rendant les revenus du chômage moins intéressants que ceux du travail ». La fusion de l'allocation pour chômage de longue durée (plus d'un an) et de l'aide sociale, programmée pour cette année, donnera naissance à l'« allocation chômage II », d'un montant inférieur à l 'ancienne allocation pour chômage de longue durée. Ses conditions d'obtention seront plus restrictives, car elles tiendront compte de l'ensemble des revenus et des finances du ménage. Outre les économies réalisées, les experts estiment que l'Arbeitslosengeld II privera près de 1 million de personnes de toute allocation. De quoi en inciter plus d'un à accepter n'importe quel emploi.
Thomas Schnee, à Berlin
« Notre ambition est de remettre au travail le plus de gens possible. Nous sommes là pour les aider, leur proposer des formations et des stages qui leur permettront de réintégrer le monde du travail, mais ils doivent faire preuve de volonté et de détermination : notre aide n'est pas acquise d'office. » En quelques mots, Janet Southwell a résumé l'essence du système britannique d'aide au retour à l'emploi où la participation des chômeurs aux programmes fixés par le gouvernement est obligatoire, contrôlée et limitée dans le temps. Dans l'agence pour l'emploi de Barking, dans la banlieue est de Londres, qu'elle dirige, 200 personnes adhèrent au fameux New Deal (« nouvelle donne »), mis en place par Tony Blair en 1998. Parmi eux, Joseph, un Britannique d'origine chypriote âgé de 24 ans, sans emploi depuis huit mois. « La première fois que je suis venu au job centre, j'ai dû prendre rendez-vous avec un conseiller pour faire un bilan de compétences et indiquer aussi quelles étaient mes attentes », explique Joseph, qui a signé, dès son inscription, un Jobseeker's agreement fixant ses droits et ses devoirs. Mécanicien de formation, le jeune demandeur d'emploi a reçu pendant six mois une indemnité de 55 livres (78 euros) par semaine. « Tous les quinze jours, je devais me présenter, justifier des recherches entreprises et expliquer pourquoi j'avais refusé telle offre. Après six mois, j'ai dû rejoindre le programme New Deal », explique-t-il.
Au terme de six mois de recherches, en effet, tous les demandeurs d'emploi de plus de 25 ans doivent prendre part au New Deal, sous peine de perdre leur allocation. En 2002, plus de 30 000 demandeurs d'emploi ont été ainsi radiés des registres parce qu'ils ont refusé de se plier aux exigences du programme. « Durant seize semaines, on essaie d'identifier et de supprimer les obstacles qui les empêchent de trouver un emploi, explique James Millcent, responsable du programme New Deal au job centre de Barking. Cela peut être des questions d'argent, de moyens de transport, un problème de présentation lors des entretiens, voire des antécédents judiciaires. Une fois cette période achevée, nos clients doivent être aptes à la recherche d'emploi. Ils disposent ensuite de vingt-six semaines pour améliorer leur formation, leurs connaissances, ou participer à des stages proposés par le job centre », détaille James Millcent. Enfin, la dernière phase du programme s'étale sur seize semaines. « Mais cela concerne peu de demandeurs, car ils ont souvent trouvé du travail avant », ajoute James Millcent. Dans son agence, cinq chômeurs trouvent chaque semaine un emploi durable grâce au New Deal.
Joseph veut créer une entreprise d'import-export de fruits du bassin méditerranéen. Il peut prétendre à diverses aides financières pouvant atteindre 750 livres au maximum, sans compter une aide de 430 euros pour frais divers. Mais les bénéfices de son entreprise vont être placés sur un compte bloqué pendant une certaine période et ne pourront être utilisés que pour améliorer l'activité. « Le principe est toujours le même : permettre le retour à l'emploi, mais pas dans n'importe quelles conditions, ni pour faire n'importe quoi », résume James Millcent.
Jérôme Rasetti, à Londres
Pas de quartier ! Les chômeurs néerlandais inscrits à l'agence pour l'emploi doivent faire la preuve de leur recherche active d'emploi ou accepter un emploi « approprié ». Faute de quoi ils risquent de voir leur allocation réduite, même carrément suspendue. Le ter me d'emploi approprié peut s'appliquer à un travail moins qualifié, et donc moins bien rémunéré. « On m'a envoyé m'occuper d'enfants dans un quartier difficile alors que je n'avais aucune expérience dans le social, raconte Remco, musicien à Amsterdam. Comme je ne suis pas allé au rendez-vous, mon allocation a été réduite de 70 %. Heureusement, j'ai fini par trouver un contrat d'animateur dans un musée. »
Avec la remontée du chômage, qui avoisine aujourd'hui le taux de 8 %, l'actuel gouvernement de centre droit poursuit la politique engagée par ses prédécesseurs en 1987, et renforcée en 1995, en se montrant de plus en plus strict à l'égard des chômeurs. Depuis le 1er janvier 2004, les plus de 57,5 ans sont eux aussi contraints de chercher du travail. Reste que les chômeurs essaient parfois par tous les moyens de rester dans le système d'indemnisation. Car il arrive que le salaire proposé soit moins intéressant que le montant de l'allocation perçue (70 % du salaire de référence), d'autant que cette dernière peut être cumulée avec d'autres aides, comme l'allocation logement.
« Les employeurs nous signalent une recrudescence de faux candidats à l'embauche, raconte Alfred Van Delft, coordinateur des affaires sociales au sein de l'organisation des PME néerlandaises. C'est-à-dire des gens qui disparaissent après l'entretien de recrutement ou se comportent bizarrement devant l'employeur. » L'un exigera par exemple de pouvoir venir au bureau avec son chien, tandis qu'un autre dénigrera ses compétences pour ne pas être embauché. « Les services de l'emploi ne vérifient pas ce genre de situation, ils se contentent souvent des lettres de candidature fournies par le chômeur, regrette Alfred Van Delft. C'est pourquoi nous souhaitons que les employeurs puissent disposer d'une ligne téléphonique qui leur permettrait de signaler ces candidats fantômes aux services sociaux ou aux agences pour l'emploi. Si tout va bien, elle pourrait être opérationnelle cette année. »
Du côté de UWV, l'équivalent néerlandais de l'Unedic, on estime cependant que la moitié des 180 000 chômeurs indemnisés seraient prêts à accepter un emploi, même s'ils y perdent financièrement. Actuellement, il existe tout de même des mesures plus positives afin d'inciter les chômeurs à retravailler, comme la prime pour l'emploi, un crédit d'impôt destiné aux revenus les plus faibles. Ou bien encore la possibilité offerte aux personnes qui acceptent, au cours de leur première année de chômage, un travail moins bien rémunéré que le précédent, de toucher une allocation basée sur leur ancien salaire, s'ils perdent de nouveau leur emploi dans les trois ans.
Emmanuelle Tardif, à Amsterdam
Nils, un jeune maçon suédois sans emploi du sud de la Suède, n'a pas réussi à convaincre sa caisse de chômage. Il en paye aujourd'hui le prix. Lorsque, faute de proposition dans le bâtiment, AMV, l'ANPE suédoise, lui a proposé un emploi de chauffeur routier, celui-ci a refusé. Selon lui, cet emploi, temps de trajet compris, le mobilisait quatorze heures par jour. Stig Jonsson, responsable des litiges auprès de la caisse de chômage de Byggnad, le syndicat du bâtiment, n'a pas fait le même calcul. Pour lui, Nils n'aurait été absent de chez lui que onze à douze heures par jour, ce qui était acceptable pour un célibataire. « De plus, il avait toutes les qualifications requises, puisqu'il possède le permis poids lourd. Devant son refus insuffisamment justifié, j'ai décidé de réduire son indemnisation de 25 %. »
En Suède, si un demandeur d'emploi refuse une offre d'emploi « convenable », un programme de formation, ou si sa conduite a fait échouer l'embauche, il risque une réduction de son allocation. La première fois, l'amputation est de 25 % pendant quarante jours. En cas de second refus ou de comportement suspect, la soustraction passes à 50 % durant les quarante jours suivants. Au troisième refus, l'indemnisation est supprimée. Le demandeur d'emploi pourra à nouveau percevoir une allocation à condition de prouver qu'il est en passe de trouver un stage ou un emploi.
La dégressivité actuellement pratiquée en Suède tranche avec le système mis en place en 1971 par les sociaux-démocrates, qui prévoyait la radiation pure et simple d'un chômeur refusant un emploi. Un système qui n'a cependant jamais été appliqué. « Dans les années 90, la Suède a traversé une grave crise économique et connu un chômage très élevé, explique Per Lindberg, responsable de la gestion du système d'indemnisation auprès d'AMV. Comme il n'y avait pas d'emplois à proposer, les règles étaient devenues très difficiles à respecter et il y a eu beaucoup de tolérance. » Et Stig Jonsson, de Byggnad, de compléter : « Auparavant, les employés des agences locales de l'emploi hésitaient à signaler les cas litigieux de refus d'emploi. Le fait que le système soit devenu dégressif les a libérés d'un poids et ils hésitent beaucoup moins à le faire. » Depuis la mise en place de la dégressivité, en février 2001, par le gouvernement social-démocrate de Göran Persson, on assiste à une augmentation du nombre de cas litigieux. En 2002, sur 4 035 cas contestés (sur plus de 200 000 chômeurs), seuls 315 chômeurs ont pu présenter des raisons acceptables aux yeux des syndicats. Les autres ont été sanctionnés. Non seulement la confédération syndicale, LO, accepte ce système de contrôle et de sanctions, mais elle l'encourage pour développer la mobilité géographique et professionnelle des chômeurs.
Olivier Truc, à Stockholm
En s'inscrivant au chômage, Miguel a signé un « engagement d'activité » par lequel il s'engage à collaborer à sa réinsertion sur le marché du travail, sous peine de sanctions pouvant aller de la réduction à la suppression de ses allocations. « Ce n'est pas le bout du monde. Il faut se rendre à quelques réunions, à des entretiens… Rien de plus normal », estime ce dessinateur technique habitué aux périodes de chômage après chaque job. Ce fameux contrat passé entre le demandeur d'emploi et l'administration a pourtant suscité un tollé lorsqu'il a été instauré par la réforme du marché du travail, en juin 2002. Modifié quelques mois plus tard, le texte est appliqué depuis un an. Sur le modèle anglo-saxon, il fixe les devoirs du demandeur d'emploi : au bout de cent jours de prestations, ce dernier est tenu de participer à des réunions d'orientation, de se rendre aux entretiens et d'accepter des offres d'emploi jugées « adéquates » par son agence, dans un rayon de 30 kilomètres de son domicile. « Beaucoup de ces mesures existaient déjà dans les faits. Ce qui change, c'est que tout est écrit noir sur blanc », résume la directrice d'une agence de la banlieue madrilène. C'est là que le bât blesse, selon les syndicats. « Le contrat est à sens unique : l'agence ne s'engage à rien, aucune nouvelle politique n'a été déployée », dénonce Carlos Martin, au syndicat Commissions ouvrières, rappelant que l'Institut national de l'emploi (Inem) n'occupe que 17 % du marché du placement. À l'UGT, Jesus Perez renchérit : « Malgré toute la publicité qu'on lui a faite, ce texte est peu efficace, affirme-t-il. Il prétend combattre l'apathie ou la “paresse” des chômeurs. Mais ce qu'il met au jour, c'est l'inefficacité des services publics de l'emploi, noyés sous les tâches administratives et incapables de faire face aux demandes des chômeurs. » Les partenaires sociaux espèrent, avec la nouvelle loi sur l'emploi mise en œuvre ce mois-ci, améliorer l'efficacité de l'administration en répartissant mieux les compétences entre les services centraux et les régions dans l'application de politiques actives de lutte contre le chômage.