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Le bloc-notes

Serpents de mer

Le bloc-notes | publié le : 01.01.2004 | Bernard Brunhes

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Serpents de mer

Crédit photo Bernard Brunhes

Nostalgie

Chef du service des affaires sociales au Commissariat général du Plan à la fin des années 70, j'en ai gardé des archives qu'un récent déménagement m'a fait redécouvrir. Ces rapports nombreux et qui attendaient dans la poussière un réveil nostalgique m'ont jeté dans un état de morosité et d'interrogation qu'il me faut partager. Sur tous les sujets sociaux, la pensée d'alors est celle d'aujourd'hui, les solutions proposées il y a un quart de siècle n'ont guère avancé. Les problèmes sont analysés dans les mêmes termes, les préconisations ne sont que répétées depuis lors, avec les mêmes mots et le même triste destin.

Le rapport de la commission Santé du VIIe Plan dénonçait le dérapage du système et proposait une réforme de l'assurance maladie que tout le monde attend encore vingt-cinq ans plus tard. Un rapport sur l'emploi analysait les causes du chômage, qui enflait alors, dans des termes identiques à ceux que l'on entend aujourd'hui. Il expliquait comment les 35 heures pourraient améliorer la situation sous un certain nombre de conditions (progressivité, flexibilité, diversité…) manifestement oubliées lorsque, après vingt ans, on est passé à l'acte. Le rapport « Habitat et Vie sociale » était déjà si complet sur ce qu'il conviendrait de faire dans les banlieues que l'on se demande si on a inventé quelque chose depuis. Quant à « Vieillir demain », rapport d'un groupe de travail rédigé par Yannick Moreau, actuelle présidente du Conseil d'orientation des retraites, il annonçait tous les problèmes que l'on dénonce un quart de siècle plus tard.

Le lecteur en tirera les leçons qu'il veut sur le rôle des experts, l'efficacité des commissions, le fonctionnement des pouvoirs, le conservatisme de notre pays ou l'inquiétant manque de réactivité d'une grande et vieille démocratie.

Service minimum

Parmi les grands thèmes de l'époque figure le droit de grève dans les services publics. Depuis beaucoup plus longtemps à vrai dire : depuis les grandes grèves des transports qui, en 1953, il y a tout juste un demi-siècle, ont bloqué le pays.

Revoici donc le serpent de mer du service minimum. À ses prosélytes – dont Christian Blanc qui, comme ancien président de la RATP, en connaît pourtant un rayon – je voudrais faire trois remarques.

Primo, le service minimum ne marchera jamais bien : pas assez de trains ou de bus aux heures de pointe, c'est le risque pris par une foule énervée à l'assaut de véhicules trop rares ; la grève autorisée seulement en dehors des heures de pointe, c'est injuste à l'égard des usagers des autres heures.

Secundo, la France n'est pas du tout championne de la grève : si l'on exclut le secteur des transports, nous avons moins de journées perdues pour fait de grève que la plupart des pays de l'Europe continentale. C'est dans les transports que le bât blesse. Et c'est évidemment le seul domaine où la grève fait souffrir le citoyen.

Tertio, la législation oblige les syndicats des services publics à déposer un préavis de cinq jours avant toute grève. C'est parce que la loi n'est pas respectée, ou est contournée, que les voyageurs sont pris de court par des grèves non annoncées et non préparées par les dirigeants des réseaux. Il suffirait d'appliquer la loi. Mais il est plus facile de faire voter une loi que de faire respecter son application.

Enfin, il suffirait d'exiger des grévistes qu'ils annoncent individuellement la veille leur intention d'arrêter le travail pour que les entreprises de transport réorganisent leurs services et préviennent les usagers. Il suffit d'une toute petite loi pour créer cette obligation qui ne serait en rien contraire au droit de grève.

Mais nos gouvernants et nos parlementaires, à une mesure trop simple et à l'application de la loi, peu spectaculaire, préfèrent peut-être le savoureux débat idéologique sur le droit de grève et les bons vieux conflits sur ce serpent de mer.

Regret

Dans mon bloc-notes de novembre, je me suis félicité du projet Fillon sur la démocratie sociale. Enfin, on allait poser la question de la représentativité syndicale et de l'accord majoritaire. Patatras ! Au dernier moment, on ajoute une disposition sur l'extension des possibilités de dérogation au niveau de l'entreprise. Là où on aurait pu avoir un texte presque consensuel, on a choisi de passer en force avec une disposition très largement contestée par tous. Dommage ! Le serpent de mer de la démocratie sociale continuera à se mordre la queue.

Auteur

  • Bernard Brunhes