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Des réseaux plus mûrs et plus intégrés

Dossier | publié le : 01.01.2004 | S.D.

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Des réseaux plus mûrs et plus intégrés

Crédit photo S.D.

Apparus dans les années 70, les entreprises, associations et autres chantiers ou groupements d'insertion par l'activité économique commencent à se structurer. Pour remettre en selle des personnes en grande difficulté, ils construisent des parcours professionnels, tissent des liens, nouent des partenariats. Signe que les réseaux font de la professionnalisation une priorité : tous ont développé un programme de labellisation.

Dans un secteur réputé n'avoir pas toujours la gestion des ressources humaines pour priorité, ADC Propreté fait figure de modèle. Lorsqu'elle procède à un recrutement, cette entreprise de nettoyage nantaise qui emploie 145 personnes remet un livret d'accueil et un exemplaire du règlement intérieur aux agents d'entretien. Pour rassurer les plus angoissés, elle leur propose de visiter les chantiers et de rencontrer leurs futurs collègues de travail. Régulièrement, les nouvelles recrues peuvent s'entretenir avec la responsable des ressources humaines de leurs attentes professionnelles et lui poser des questions d'ordre plus personnel. Ont-ils besoin de passer leur permis de conduire, recherchent-ils un logement ? Sur le terrain, 28 encadrants, chargés de faciliter leur intégration professionnelle et sociale, font face au moindre problème. Il faut dire qu'ADC Propreté est une entreprise d'insertion. En 2002, elle a donné du travail à 148 RMIstes, chômeurs de longue durée, femmes immigrées, tous embauchés en contrat d'insertion à durée déterminée.

À l'instar d'ADC Propreté, plus de 4 900 structures d'insertion par l'activité économique (SIAE), dont 2 128 étaient, fin 2001, bénéficiaires d'une convention avec l'État, tentent de relever la « France d'en bas ». Entreprises d'insertion (EI), associations intermédiaires (AI), entreprises de travail temporaire d'insertion (Etti), chantiers d'insertion, régies de quartier ou groupements d'employeurs pour l'insertion et la qualification (Geiq), toutes répondent à une double finalité économique et sociale. Chacune à leur manière, elles ont pour objectif de réinsérer durablement par le travail des personnes en rupture de ban : RMIstes, chômeurs de longue durée, jeunes en échec scolaire, anciens taulards, toxicomanes… Les chantiers d'insertion accueillent traditionnellement les personnes les plus éloignées de l'emploi, les EI offrent un encadrement soutenu, les Etti permettent de multiplier les expériences et sont souvent l'ultime sas vers le milieu ordinaire. Au total, les SIAE voient défiler près de 300 000 personnes par an, soit 83 000 postes en équivalent temps plein.

Un véritable statut dans le Code du travail

Apparues dans les années 70 sous l'impulsion de travailleurs sociaux rêvant d'une meilleure intégration professionnelle des exclus, ces structures se sont multipliées, essentiellement dans les domaines ayant recours à une main-d'œuvre faiblement qualifiée, comme le bâtiment, l'environnement, le nettoyage ou la restauration. Après une première phase d'expérimentation, le secteur a commencé, vers le milieu des années 90, à mieux se structurer. Fragiles économiquement, dépendantes des subventions publiques, ces entreprises sociales n'ont d'autre choix que de se professionnaliser pour assurer leur survie. En précisant le champ d'action et le fonctionnement du secteur, la loi de 1998 contre les exclusions a contribué à accélérer ce processus. L'insertion par l'activité économique bénéficie enfin d'un véritable statut dans le Code du travail, lequel met en exergue les modalités spécifiques d'accueil et d'accompagnement. Les encadrants et les bénévoles sont, quant à eux, amenés à se former régulièrement pour accompagner des personnes cumulant les difficultés professionnelles et sociales.

Une enquête réalisée par la Dares en avril 2002 révèle que sept personnes sur dix occupent un emploi trois ans après leur entrée dans une structure d'insertion par l'activité économique. Pour autant, l'accès à un emploi « classique » s'avère toujours difficile pour ces publics. Une réalité qui contraint le monde de l'insertion à repenser les procédures d'accueil, d'accompagnement et à construire des parcours professionnels conjuguant mise en situation de travail et formation. « Le personnel en insertion bénéficie de seize heures de formation à l'hygiène, à la sécurité et à l'entretien de bureaux », expose Michel Plassart, gérant d'ADC Propreté.

Toujours dans le souci de mieux baliser les parcours d'insertion et de favoriser les sorties vers le milieu ordinaire, des structures d'insertion s'enracinent durablement dans leur territoire et nouent des partenariats avec les employeurs traditionnels. « En 1995, nous avons signé une convention avec une fédération professionnelle régionale, relate Michel Plassart. Au moment où nos salariés en insertion s'apprêtent à nous quitter, nous envoyons leur CV à toutes les entreprises adhérentes. Nous procédons de même avec l'ANPE. » Dans la même logique, Intermed', une association intermédiaire implantée à Besançon, s'est rapproché depuis trois ans des secteurs en pénurie de main-d'œuvre comme les services à la personne, le bâtiment, le nettoyage, les espaces verts, et élabore avec eux des stages de formation. « Il y a des entreprises qui recherchent incessamment du personnel. Pour notre part, nous essayons d'orienter nos publics vers l'emploi classique, observe Françoise Leroy, sa directrice. Nous avons donc développé ensemble des modules d'apprentissage courts, sur deux ou trois jours, pratiques et rémunérés. » Mais, en 2002, seules 23 personnes en avaient bénéficié sur les 780 accueillies par l'association. « Avec les artisans du bâtiment, nous avons aussi organisé un chantier de découverte pour permettre à six salariés de se familiariser avec les différents corps de métiers. Cinq ont trouvé un emploi. Par ailleurs, dans le secteur de l'aide à domicile, nous nous efforçons de mettre en place un système de validation des acquis qui permettrait à nos salariés de décrocher en partie le certificat de qualification professionnelle d'assistante de vie », poursuit Françoise Leroy.

Au niveau national, le Conseil national des entreprises d'insertion (CNEI), qui réunit plus de 500 EI et Etti, développe les partenariats avec les milieux professionnels. Il a signé deux conventions, l'une en 1997 avec la Fédération française de la récupération, du recyclage et de la valorisation (Federec), la seconde en 1999 avec la Fédération nationale des producteurs de légumes (FNPL). Depuis deux ans, il siège aussi au Medef, une décision qui a fait grincer des dents bon nombre de militants.

Pour diversifier les offres d'emploi et mutualiser leurs moyens, des structures finissent par se regrouper. C'est le cas d'Orvault Relais Emploi (ORE) et du Cens, deux associations intermédiaires de la banlieue nantaise qui ont fusionné en novembre 2003. D'autres poussent encore plus loin cette logique, en constituant un « ensemblier ». L'idée étant de multiplier les parcours en s'appuyant sur la complémentarité des diverses composantes. Ainsi, depuis deux ans, Emplois et Innovations, dans le Rhône, réunit notamment un chantier d'insertion, une association intermédiaire et une association de services aux particuliers. « Ce nouvel ensemble nous permet de proposer une palette de parcours et de formations en jouant des différentes structures, explique Vincent Fuchs, son directeur. En élargissant notre réseau, nous pouvons mutualiser nos savoir-faire et faire des économies d'échelle, avantage non négligeable pour nous, qui sommes toujours sur le fil du rasoir. »

S'intégrer dans le champ concurrentiel

Cette nouvelle forme d'articulation est largement approuvée par la fédération des Comités et organismes d'aide aux chômeurs par l'emploi (Coorace), qui réunit parmi ses 450 adhérents une majorité d'associations intermédiaires. Né dans les années 80, le Coorace cherche à mieux fédérer son réseau, constitué de nombreux bénévoles. En 1992, il a créé Proxim' Services, un réseau d'associations de services aux particuliers qui ont pour objectif de travailler avec les associations intermédiaires afin d'amener les salariés en insertion vers des emplois pérennes. En revanche, la majorité des adhérents du CNEI n'approuvent guère la notion d'ensemblier, préférant s'intégrer dans le champ concurrentiel. « Une telle organisation ghettoïse le public dans un cadre relativement protégé, alors que notre rôle est de servir de passerelle vers le milieu ordinaire », critique Michel Plassart. « Si ses composantes sont trop dépendantes, il suffit que l'une d'elles traverse une mauvaise passe pour fragiliser l'ensemble de l'édifice », ajoute Jérôme Pasquereau, de l'Union régionale des entreprises d'insertion des Pays de la Loire.

Signe que le secteur a fait de la professionnalisation une priorité, les formations destinées aux encadrants et aux directeurs se multiplient comme des petits pains. « Depuis 2001, nous avons mis sur pied une vingtaine de formations sur le commercial, le juridique, le suivi d'insertion », énumère Brigitte Ogée, secrétaire générale du CNEI. Même chose au Coorace, qui a développé une batterie de stages destinés à renforcer les compétences de ses bénévoles et permanents. En outre, à l'extérieur se multiplient des troisièmes cycles spécialisés. À l'instar de la chaire Entrepreneuriat social, lancée par l'Essec en 2003, destinée à la fois aux étudiants et aux professionnels, du DESS Développement local et économie solidaire de Valenciennes, ou de celui de l'Institut régional universitaire polytechnique de Saint-Étienne sur la gestion des entreprises d'insertion, créé en partenariat avec l'université de Marne-la-Vallée. « Même si des écoles de commerce commencent à investir le créneau, il y a un déficit criant d'entrepreneurs sociaux qui risque de s'accroître avec les départs en retraite d'ici à 2005 », note Pierre Naves, responsable pédagogique du DESS de Marne-la-Vallée.

Des labels et chartes pour unifier les pratiques

Revers de la médaille, cette professionnalisation des encadrants se traduit pour les structures d'insertion par une hausse de leur masse salariale. Chez ADC Propreté, par exemple, les charges de personnel ont progressé de 13 % en 2002. « À budget quasiment constant, il nous est très difficile de proposer une progression de carrière et des salaires équivalents à ceux de secteurs proches », regrette Françoise Leroy, d'Intermed'.

Point d'orgue de cette professionnalisation à marche forcée, les fédérations nationales ont pour la plupart créé un label et rédigé une charte visant à unifier les pratiques en matière d'accueil, d'accompagnement ou de suivi. Le Comité national de coordination et d'évaluation (CNCE) des Geiq a lancé le mouvement en 1997 en proposant un label spécifique qui passe au crible le contrat de travail, la durée des mises à disposition, les qualifications visées et la qualité de l'accompagnement social. Le CNEI s'est doté en 2000 de son propre programme, baptisé Qualirei. « Actuellement, plus d'une trentaine d'entreprises sont labellisées et une centaine de dossiers sont dans les tuyaux. Certaines profitent de cette remise à plat pour aller plus loin et se font certifier ISO », indique Brigitte Ogée. ADC Propreté, qui a embauché un responsable de la qualité, a ainsi non seulement obtenu le label de la profession du nettoyage Qualipropre en 1999, mais aussi Qualirei en 2001, gages de ses compétences techniques et de sa vocation sociale. « Nos clients se demandent toujours quel genre de recrues nous allons leur fournir, souligne Michel Plassart. Toutes les marques de professionnalisme sont bonnes à prendre. » De la même façon, le Coorace s'est lancé en 2000 dans un lourd programme de formation-action baptisé Cedre.

Reste que ces initiatives croisées illustrent la difficulté pour les structures d'insertion de se coordonner. Malgré des rapprochements de plus en plus fréquents, des réseaux fonctionnent encore en parallèle, continuant de s'ignorer dans certaines régions. Et la multiplication des acteurs, ou la création de nouvelles instances comme les conseils départementaux de l'insertion par l'activité économique, disperse encore plus les énergies.

Les acteurs de l'insertion en cinq familles

Toutes les structures d'insertion emploient des personnes en grande difficulté : RMIstes, chômeurs, personnes sortant de prison, jeunes en rupture, parents isolés, réfugiés politiques, etc. La majorité évolue dans des activités n'exigeant pas de grandes qualifications : bâtiment, nettoyage, agriculture, restauration, manutention industrielle…

Les entreprises d'insertion embauchent des salariés avec des contrats à durée déterminée d'une durée maximale de vingt-quatre mois, payés au smic. Pour compenser la faible productivité de leurs employés et le surcoût d'encadrement, elles reçoivent une subvention publique de 8 385 à 9 681 euros par poste et par an. Fin 2001, la Dares en recensait 869. Les entreprises de travail temporaire d'insertion (Etti) ont été créées en 1994. Fin 2001, on en dénombrait 280. Si leur activité exclusive est de contribuer à l'insertion de personnes connaissant de réelles difficultés économiques, leur fonctionnement n'est pas différent de celui d'une entreprise de travail temporaire classique. Les intérimaires doivent bénéficier d'un agrément de l'ANPE pour pouvoir travailler. Au titre de la loi de 1998 de lutte contre les exclusions, les Etti bénéficient d'une exonération de charges patronales et d'un financement spécifique pour l'accompagnement social et professionnel des intérimaires.

Les associations intermédiaires (AI), créées en 1987, mettent leurs salariés à la disposition de particuliers, de collectivités ou d'entreprises. Lorsque les missions s'effectuent dans le secteur privé, elles sont limitées à 240 heures maximum par an et par personne. Au-delà, le législateur considère que le salarié capable de travailler en entreprise peut être orienté vers une Etti. Souvent, l'AI permet de proposer une première solution à des personnes très éloignées de l'emploi. En sus des aides publiques, elles sont exonérées de cotisations patronales, dans la limite de 750 heures par an. Fin 2001, la Dares en recensait 980.

Les chantiers d'insertion recouvrent souvent des initiatives locales émanant de conseils généraux ou de communes. En 2002, on en dénombrait 2 294. Les bénéficiaires sont embauchés principalement en CES (contrat emploi solidarité) et parfois en CEC (contrat emploi consolidé). Un accompagnement social et professionnel est mis en œuvre pour resocialiser les personnes accueillies sur le chantier et favoriser leur insertion professionnelle.

Les groupements d'employeurs pour l'insertion et la qualification (Geiq) ne sont pas reconnus par la loi de 1998.

Un décret de février 2003 légitime néanmoins leur travail d'accompagnement des jeunes en contrat de qualification et leur alloue une aide de 686 euros par jeune accompagné. On dénombre actuellement 120 Geiq qui représentent environ 3 300 entreprises accueillant 3 200 salariés. Les groupements réunissent principalement des entreprises d'une branche (BTP, environnement, nettoyage-propreté…). Ils répondent à une charte nationale qui définit leur cadre d'intervention. C'est aussi un label délivré chaque année par un comité national de coordination et d'évaluation.

Les régies de quartier, au nombre de 130 environ, sont des associations regroupant des habitants, des collectivités locales et des bailleurs sociaux. Leur objectif est de recréer des liens sociaux dans un quartier difficile. À travers des activités de nettoyage, d'entretien, de second œuvre, elles permettent aux habitants les plus démunis de retomber sur leurs pieds. Depuis 1988, elles sont représentées au niveau national par le Comité national de liaison des régies de quartier, qui a édicté une charte et un label. S.D.

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  • S.D.