logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Débat

Le revenu minimum d'activité facilitera-t-il l'insertion des RMIstes ?

Débat | publié le : 01.01.2004 |

Image

CHRISTINE BOUTIN

Crédit photo

Créé par une loi votée en décembre dernier, le revenu minimum d'activité entend contribuer au retour à l'emploi des gens au RMI depuis au moins un an. Ce nouveau contrat, fortement subventionné, peut-il aider à l'insertion des RMIstes, point noir du dispositif mis en place il y a quinze ans ? Les avis, très partagés, de la rapporteur du projet de loi, d'une spécialiste et militante de l'insertion et d'un ancien responsable du RMI.

« Ce texte constitue, malgré tout, une réelle opportunité de retour à l'emploi pour les RMIstes. »

CHRISTINE BOUTIN Députée des Yvelines, rapporteur du projet de loi portant sur la décentralisation du RMI et créant le RMA.

En tant que rapporteur de la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, j'ai souhaité favoriser une véritable réflexion parlementaire autour d'un projet de loi dont l'objectif est avant tout d'encourager le retour à l'emploi des bénéficiaires du RMI. Convaincue du bien-fondé de l'incitation financière des entreprises à l'embauche de personnes souvent éloignées des réalités du travail et de la dignité et de l'estime de soi que ce dernier procure, j'ai souhaité que les bénéficiaires du RMA puissent se prévaloir du statut de salariés à part entière, notamment en ayant droit à l'ensemble des prestations salariales : cotisations sociales, retraite…

J'ai donc présenté une quarantaine d'amendements allant dans ce sens afin d'équilibrer le volet social du projet de loi. Plusieurs amendements essentiels, tel celui de la compensation financière de l'État aux conseils généraux dorénavant gestionnaires du RMI et du RMA, ont été adoptés. Le taux de 17 % des sommes versées par l'État aux conseils généraux sera maintenu, à titre transitoire, pour un an.

Assurer la conservation des droits connexes au RMI aux bénéficiaires du revenu minimum d'activité de retour au RMI en cas de rupture du contrat, et l'accès prioritaire aux CES et CEC pour les personnes en fin de droit au titre de l'allocation spécifique de solidarité ne pouvant bénéficier du RMA sont autant de mesures que j'avais défendues en Commission, qui avaient été votées par elle et qui ont également été adoptées par l'Assemblée.

Il est très important que le ministre des Affaires sociales se soit engagé à ramener à un an le délai minimal de deux ans au RMI, initialement prévu, pour pouvoir prétendre au revenu minimum d'activité. Par contre, les mesures faisant du RMA un véritable contrat de travail au même titre que les autres types de contrats de travail n'ont malheureusement pas été retenues. Je n'ai pas caché ma déception de voir le gouvernement ne pas traduire de façon aussi forte que je le souhaitais ses préoccupations sociales. Malgré ses insuffisances en matière de statut salarié, ce texte constitue une réelle opportunité de retour à l'emploi et à la reconnaissance sociale pour les bénéficiaires du RMI. Il est regrettable que la dimension sociale n'ait pas été davantage entendue, au profit d'une conception libérale.

À ce sujet, je constate que les représentants de la pensée libérale dans les rangs des députés de l'UMP se font plus entendre que ceux qui entretiennent, comme moi, une sensibilité plus sociale. Je souhaite que ces derniers puissent avoir, à l'avenir, davantage la possibilité de l'exprimer, comme j'ai pu le faire à l'occasion de l'examen de ce texte qui a l'ambition de favoriser le retour à l'emploi de ceux qui en sont les plus éloignés. Malgré ses imperfections, je constate que la décentralisation du RMI et la création du RMA s'inscrivent en droite ligne des propositions du rapport parlementaire « Pour sortir de l'isolement, un nouveau projet de société », remis au Premier ministre au mois de septembre 2003 : rapprochement entre les centres de décision – les conseils généraux – et les bénéficiaires d'une prestation – le RMA – et principe d'un revenu minimum, préfigurant le concept de dividende universel.

« Ni prestation ni salaire, le RMA est un contrat aidé dont la nature juridique est ambiguë. »

MARIE-THÉRÈSE JOIN-LAMBERT Ancienne présidente de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale.

Quelles que soient les critiques qui lui ont été adressées, la création, en 1988, du revenu minimum d'insertion a été vécue comme une réforme importante, qui a donné lieu à un débat constructif et n'a pas pris à revers les acteurs de terrain. On ne peut en dire autant de la création du revenu minimum d'activité. Les amendements bienvenus proposés par la rapporteur ont été pour la plupart rejetés par le gouvernement. Les associations de solidarité estiment ne pas avoir été entendues, alors que les conseils généraux qui vont être désormais responsables à la fois du RMI et du RMA ne paraissaient pas particulièrement demandeurs d'une telle précipitation.

Il est peut-être abusif de comparer 2003 à 1988. Les objectifs de la présente réforme sont très différents. Constat étant fait que la proportion de contrats d'insertion ne dépasse pas la moitié des bénéficiaires du RMI, le texte cherche à « dynamiser » l'insertion, par la création du revenu minimum d'activité.

Le RMA est de fait un nouveau contrat aidé. Un de plus, alors qu'une mission était en cours sur la création d'un contrat unique d'insertion. Sa nature juridique est ambiguë. L'employeur percevra en effet l'équivalent du RMI de la part du conseil général, après avoir passé convention avec lui, et complétera à hauteur du smic la rémunération de l'intéressé en fonction du nombre d'heures travaillées. Les cotisations sociales ne seront assises que sur le seul complément de rémunération à la charge de l'employeur. Cette « innovation » ne paraît pas très opportune. On aurait pu verser le même montant d'aide par les mécanismes classiques employés pour les autres contrats : subvention à l'employeur ou abattement de charges. Ni prestation sociale ni salaire, le RMA remplira-t-il tout de même son objectif d'insertion ? Les employeurs du secteur privé y recourront-ils et pour quels emplois ? Les bénéficiaires du RMI pourront-ils bénéficier, après le RMA, d'une insertion réelle et durable ? Reste que le RMA est étroitement lié à la décentralisation de l'ensemble du RMI, car il a été créé pour les conseils généraux, désormais uniques pilotes de la prestation et de l'insertion. Cette réforme suffira-t-elle à dynamiser l'insertion ? Sûrement pas. Comme c'est souvent le cas, le projet fait l'erreur de considérer les bénéficiaires du RMI et leur insertion comme un secteur à part. Or on ne peut séparer l'insertion de la politique de formation, qui sera du domaine des conseils régionaux, de la politique de l'emploi, qui restera du domaine de l'État. Il y aura toujours un partage des responsabilités et la nécessité d'une coordination des actions. Le moins que l'on puisse dire est que la partie n'est pas gagnée d'avance, s'agissant des objectifs du nouveau texte de loi. Plus grave encore est de procéder à une décentralisation du RMI avant d'avoir débattu des questions qui se posent quant à son avenir : filet provisoire de protection ou premier étage d'une protection sociale redéfinie, revenu minimum universel ou prestation soumise à des obligations de contrepartie ?

« Le RMA n'est qu'un sous-CES dont la sortie est le retour à la case départ, au RMI. »

MICHEL RAYMOND Ancien délégué interministériel adjoint au RMI.

Le point de départ de ce projet, c'est l'« échec » affiché de l'insertion, même si des centaines de milliers de personnes sont sorties, plus ou moins bien, certes, du RMI en quinze ans. Affirmer cela, c'est injurier les dizaines de milliers de salariés et de bénévoles qui œuvrent en permanence pour les plus fragiles, pour les exclus. L'échec de l'insertion, c'est d'abord l'échec de la volonté politique dans une société où règne le chômage de masse. À la fin des années 90, près de 200 000 RMIstes accédaient chaque année à un emploi aidé ou à une formation. Aujourd'hui, guère plus de la moitié, faute de crédits. Le RMA est-il une solution ? Il n'apporte aucun crédit pour remédier à la pénurie. Et la décentralisation du RMI ? Piège financier pour les conseils généraux, source d'inégalités croissantes face à la pauvreté et à l'exclusion, c'est un coup sévère porté à la solidarité nationale et à la cohésion sociale. N'aurait-il pas mieux valu, par exemple, déléguer simplement l'insertion aux agglomérations, réellement proches du terrain ? Le RMA, en apparence semblable à un CES, comporte deux différences de taille : il est ouvert aux entreprises privées, et le salaire réel est de l'ordre de 40 % du smic, complété par l'allocation RMI, forfaitisée et reversée par l'employeur. Le principe majeur « à travail égal, salaire égal » et le smic sont, pour la première fois, gravement bafoués. Là où avait échoué le CIP, le « smic jeune » du gouvernement Balladur.

Pour les employeurs du secteur privé, le RMA est subventionné à 53 %.C'est un CDD, avec des « salariés » menacés d'éviction du RMI. Les entreprises ne vont, certes pas, se précipiter, mais l'effet d'aubaine, en « écrémant » les RMIstes, est garanti dans certains secteurs friands de temps partiels à bas prix, comme le nettoyage, la restauration, la grande distribution, etc. Et sans création nette d'emplois.

Pour les associations du secteur de l'insertion, le RMA n'est qu'un sous-CES. Subventionné à 63 % contre 85 à 90 % pour les CES, il mettra par exemple les chantiers d'insertion en grave péril financier. Pour les RMIstes, ce contrat hybride, avec un très faible salaire versé (40 % du smic), est stigmatisant. C'est aussi une perte de droits sociaux : pas de droit au chômage, validation d'un trimestre par an pour la retraite ; c'est une atteinte à la dignité de ces personnes, dites « salariées ».

Contrairement à l'objectif affiché, le RMA est un enfermement dans un cycle d'assistance RMI-RMA-RMI, hors du marché de l'emploi. Le « RMAste » reste d'ailleurs RMIste. À l'issue du RMA, il a bien peu de chances d'être embauché, car le coût fait plus que doubler pour l'employeur. Dans ce cas, le salarié perdrait 49 euros de revenu global, ce qui est bien peu incitatif. Et la sortie, ce n'est même pas le chômage ordinaire, l'ANPE et l'Assedic, c'est le retour à la case départ, au RMI. Difficile d'être optimiste, même si, bien sûr, certains conseils généraux, certaines entreprises, beaucoup d'associations et de communes feront de leur mieux. Les CES, CEC ou CIE, contrats de travail réels, sont de meilleurs outils d'insertion, certes améliorables. Pourquoi ne pas doper le CIE pour les entreprises ? et décentraliser ces contrats ? Il est vrai que le coût en aurait été bien plus élevé pour l'État…