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Vie des entreprises

Hubert du Mesnil réorganise Aéroports de Paris de fond en comble

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.12.2003 | Sandrine Foulon

Dès son arrivée, en 2001, à la direction générale d'ADP, Hubert du Mesnil a entrepris une vaste réorganisation des trois plates-formes. Avec l'obsession de l'efficacité et du client. Cette révolution, contestée par les syndicats, est aujourd'hui percutée par l'annonce du changement de statut de l'entreprise.

Turbulences dans le ciel d'Aéroports de Paris. Depuis cet été, cet établissement public autonome contrôlé par l'État vit une petite révolution. C'est tout d'abord Hubert du Mesnil, le directeur général, qui s'est attelé à la réorganisation des trois aéroports parisiens et du siège. Et voilà que le gouvernement vient d'annoncer l'ouverture du capital en 2005, assortie d'un changement de statut de l'entreprise, appelée à devenir une société anonyme. Cette fois, c'est à Pierre Graff, nommé président d'ADP en remplacement de Pierre Chassigneux – un ancien du cabinet de François Mitterrand remercié avant terme  –, qu'échoit cette évolution statutaire.

Cet ex-directeur de cabinet de Gilles de Robien devra aussi réussir sa cohabitation avec Hubert du Mesnil. « Le président a bien dit qu'il présiderait et que le DG dirigera. Mais il ne va pas se contenter de couper les rubans. Il agit déjà comme un P-DG, ce qu'il pourrait bien devenir quand ADP passera en société anonyme », observe un cadre du siège. Un éventuel cumul des mandats qui, de toute manière, n'interviendrait pas avant 2005, le temps qu'une loi soit votée. En attendant, les deux polytechniciens, qui se connaissent bien, jouent l'entente cordiale. Une attitude nécessaire, à la fois pour espérer conserver un siège devenu éminemment éjectable et rassurer les 8 100 salariés qui ne savent plus trop à quel saint se vouer.

1 CHAMBOULER L'ORGANISATION

Comme un Rubik's Cube dont on mélange les couleurs, Aéroports de Paris vit depuis cet été un grand remue-ménage organisationnel. Aux manettes, Hubert du Mesnil, le premier directeur général à vivre la satisfaction client et l'efficacité de façon quasi obsessionnelle. Un état d'esprit un peu surprenant de la part d'un X-Ponts, terreau principal de la grande majorité des directeurs généraux et présidents d'ADP, qui ont toujours été plutôt tournés vers la technique. Certes, son prédécesseur, Emmanuel Duret, avait bien tenté une remise à plat de l'organisation avec l'opération « Changer ensemble », mais celle-ci a tourné court et le couple orageux qu'il formait avec le président Yves Cousquer, venu de La Poste, a prématurément rendu son tablier. Pour mettre un terme aux reproches de lourdeur bureaucratique des aéroports, aux médiocres résultats des enquêtes de satisfaction, aux récriminations des compagnies aériennes, Air France en tête… Hubert du Mesnil a choisi de bousculer l'organigramme en profondeur.

Pour beaucoup de salariés, la décision de cette réorganisation est née au lendemain du « week-end neige » des 4 et 5 janvier 2003, où les avions sont restés cloués au sol pendant quarante-huit heures. Peu importe de savoir si le plan neige a été déclenché trop tard par la DGAC ou si le dégivrage des avions au glycol est maintenant confié à des sous-traitants qui ont préféré d'abord servir les compagnies… « C'est toujours la faute du gestionnaire d'aéroport, explique Serge Gentili, de FO. On s'est fait massacrer par tout le monde. »

Mais si le fameux week-end est arrivé à point nommé pour justifier le changement, la réorganisation d'ADP était déjà dans les tuyaux. Depuis dix-huit mois, Hubert du Mesnil peaufinait un projet d'entreprise répondant au slogan « Action-Décision-Proximité », pour ADP. Il s'appuie en grande partie sur la création de trois directions d'aéroport, déchargeant le siège de missions dorénavant assumées sur le terrain. « Dans l'organisation précédente, par exemple, toutes les décisions de commercialisation de surface aux compagnies aériennes, même pour 10 mètres carrés, étaient prises par une direction centrale », explique Isabelle Wallard, chef d'une des six nouvelles unités opérationnelles de Roissy-Charles-de-Gaulle (CDG), l'unité CDG2 ABCD. Trois directeurs ont été nommés, René Brun à Roissy, Patrice Hardel à Orly et Michel de Ronne au Bourget.

Les trois directions opérationnelles (l'équipement, l'exploitation et le commercial) ont été « cassées », chaque directeur de plate-forme en prenant désormais une partie en charge. D'autres fonctions du siège, comme les achats, la communication ou l'audit, ont également été redéfinies afin que les directeurs sachent de quelles marges de manœuvre ils disposent. Au siège, boulevard Raspail, en marge du DRH et du directeur de la comptabilité, trois directeurs généraux délégués sont rattachés au DG, chargés des finances, de l'aménagement et du développement, de la clientèle et des services.

Sur les plates-formes, libre aux directeurs de recomposer des équipes et de soumettre des projets d'organisation. Ce qui ne se fait pas sans heurt. « Réorganiser, pourquoi pas ? s'interroge un cadre de Roissy. Avoir un véritable interlocuteur sur une aérogare va plutôt dans le bon sens mais il reste à savoir si nous aurons les moyens de nos ambitions. Des directeurs sont nommés partout mais les budgets sont serrés. Aurons-nous les équipes correspondantes ? » Une question qui tracasse aussi Isabelle Wallard. « Sur le moyen terme le trafic croît de 4 % à 5 % par an. Mais nous vivons depuis 2001 une crise qui, pour la première fois, dure trois ans de suite. » Du coup, le volume des équipes doit s'ajuster. À l'automne, dans sa seule unité, sur 355 postes budgétés, il n'y avait que 311 personnes en activité. Sur le terrain, on redoute que seul le siège bénéficie des moyens nécessaires. « Lorsque les salariés voient les nominations de commerciaux se multiplier au siège et qu'ils en attendent sur place pour assumer de nouvelles missions, ils se demandent quelles vont être leurs marges de manœuvre », poursuit-elle.

2 CHANGER LES MENTALITÉS

Autre bouleversement : la montée en puissance de la culture gestionnaire et commerciale, au détriment de celle des techniciens et bâtisseurs. Dans cette entreprise hypertechnicienne, où coexistent plus de 200 métiers, assistants en escale, rondiers, mais aussi serruriers, électriciens, ingénieurs structure béton…, les deux cultures se sont toujours affrontées. Celle des bâtisseurs d'origine qui ont construit les grands ouvrages et continuent de vendre leur savoir-faire de Shanghai à Mexico contre celle des exploitants chargés de mettre les pistes et aérogares au service des compagnies aériennes et des passagers. Un duel DE, pour l'ex-direction de l'équipement, contre DX, pour l'exploitation. « On a vraiment le sentiment de se faire phagocyter, note Marc, ingénieur à CDG. Il faut rester vigilant. Nous devons assurer la pérennité des ouvrages et investir. Or la pression de l'excédent brut d'exploitation, leitmotiv des dirigeants, peut nous faire prendre des décisions à la va-vite. Ce qui compte, c'est de ne pas brader notre culture rigoureuse, qui finalement ne marchait pas si mal que ça, pour nous voir imposer celle plus folklo des exploitants d'où provient l'essentiel des dysfonctionnements. »

Ce n'est pas la récente organisation qui est de nature à le rassurer. Les trois nouveaux directeurs de plate-forme sont tous issus de l'exploitation. Autre symbole, le départ à la retraite cette année de l'architecte Paul Andreu, qui a réalisé l'essentiel des terminaux et incarnait la suprématie de l'architecture. « Il était difficile de changer une ampoule ou de déplacer un panneau dans l'aéroport sans son consentement », convient Serge Gentili, de FO.

Mais, au-delà de cette page tournée, le DG entend aussi faire évoluer les mentalités. « Nous vivions dans une culture très cartésienne. À chaque problème nous apportions une solution technique. Lorsqu'un accident de camion survenait sur le tarmac, au lieu d'essayer de sensibiliser les conducteurs à la sécurité routière, on cherchait à installer un maximum de caméras sur le véhicule », reconnaît René Naudot. Cet ingénieur, responsable notamment de la gestion du millier de cadres d'ADP, a été chargé de mettre sur pied un institut du management afin d'aider des cadres à travailler sur le comportemental.

3 ASSOCIER LES SYNDICATS

Comme le reconnaît lui-même Hubert du Mesnil, la réorganisation d'ADP a commencé sur le mode autoritaire. « Avant c'était changer ensemble, maintenant c'est je change tout seul », ironise un délégué CGT. Mais une fois le projet accepté par le conseil d'administration, le directeur général a prôné la concertation. Fait nouveau chez ADP, il a proposé aux partenaires sociaux de signer un accord deconcertation sur le mode opératoire. Une sorte d'accord de méthode, un lieu d'échanges où les organisations syndicales sont informées de ce qui se produit sur le terrain et où, en retour, elles peuvent faire passer des messages et signaler les difficultés de mise en œuvre.« L'idée est de travailler avec un maximum de transparence », souligne Jean-Paul Olivier, le DRH d'ADP. Elle n'a pourtant pas séduit l'ensemble des syndicats. En juillet 2003, seuls la CFE-CGC, le Sapap-Unsa (émanation de deux mouvements dissidents de la CGC et de la CGT) et la CFTC ont signé l'accord. « Pour nous, explique Jean-Daniel Dubuisson, secrétaire national du Sapap, mieux valait vivre les changements de l'intérieur », tout en reconnaissant que les syndicats sont rarement associés en amont aux projets, mais généralement appelés à réagir à des propositions toutes ficelées du DRH, qualifié de « superdélégué » pour sa propension à se substituer aux syndicalistes.

Les non-signataires – la CGT, premier syndicat chez ADP, FO et la CFDT, qui a paraphé le texte dans un premier temps avant de se rétracter – voient surtout dans la réorganisation le prélude au changement de statut. Si la lettre de cadrage du gouvernement garantit le maintien de l'intégrité des activités d'ADP, du statut du personnel et la participation majoritaire de l'État, syndicalistes et salariés sont en effet sur la défensive. « Le projet de réorganisation n'avait pas été accepté par le CE. Hubert du Mesnil est passé en force. Depuis des mois, on s'inquiétait sur le sort d'ADP. Et comme par hasard on nous bombarde l'ouverture du capital. Bien sûr, il fallait faire une remise à jour, mais cette réorganisation n'est qu'un maillon dans le processus de privatisation. Autonomes sur le plan budgétaire, 29 unités opérationnelles ont été créées avec, à leur tête, des responsables qui vont gérer les personnels suivant les principes du privé. C'est une amorce vers un système totalement privatisé », estiment de concert Floréal Marin et Richard Duval, secrétaires de la CGT, l'un pour l'exécution (SPE-CGT), l'autre pour la maîtrise et les cadres (Sictam).

Les syndicalistes redoutent une privatisation complète, à l'instar de ce qui s'est passé à Air France. « Dans un premier temps, on promet le maintien des statuts et la participation majoritaire de l'État et, au final, on fait passer une loi qui permet de tout changer, les salariés étant désormais sous le régime d'une convention collective. On n'a jamais vu une ouverture de capital ne pas se terminer par une privatisation complète », constate Serge Gentili, secrétaire national de FO, qui ne comprend pas la nécessité de cette évolution statutaire, si ce n'est l'occasion pour l'État d'obtenir de l'argent frais. Autant dire que les syndicats ne sont guère convaincus par les arguments des dirigeants d'ADP et qu'ils sont prêts à se mobiliser pour défendre leur statut. Reste à savoir si la CFDT, qui a majoritairement choisi de quitter la confédération après des débats internes à la Fédération des transports pour rallier, courant décembre, la CGT ou créer SUDADP, renforcera ou fragilisera le front du refus.

4 MISER SUR LA FILIALISATION ET L'EXTERNALISATION

Sur les plates-formes aéroportuaires, les conflits déclenchés par les sous-traitants sont la hantise des dirigeants. Quand ce ne sont pas les essenciers qui retardent les vols, comme à Roissy fin octobre, ce sont les bagagistes. Et quand ce ne sont pas les salariés du nettoyage, ce sont ceux de la sécurité qui débraient. Le 6 novembre, des salariés de la sécurité, banderoles de la CGT, de FO et de la CFDT en avant, ont envahi le siège d'ADP, interrompant un CE extraordinaire sur la réorganisation. En cause, la passation de marché de la société de sécurité israélienne Sifa au prestataire Securitas. Comme la convention collective l'y oblige, le nouveau sous-traitant doit reprendre 85 % du personnel. « Le problème est que, sur les 14 salariés protégés, comme par hasard, 10 ne sont pas repris », s'insurge Alain Izzet, l'actuel secrétaire général de la CFDT. Commentaire d'un cadre : « Lorsqu'un conflit éclate chez un sous-traitant, on fait toujours pression sur nous pour trouver une solution et reprendre les salariés sur le carreau. ADP est considéré comme la vache à lait de la zone aéroportuaire. »

Pour contrôler les deux « villes » que sont Roissy et Orly, où travaillent respectivement 80 000 et 30 000 personnes, il n'y a guère que deux inspecteurs du travail. Si ADP s'est montré exigeant dans les cahiers des charges quant au respect des conditions de travail et de salaire, notamment dans le nettoyage, les dérives existent néanmoins. « Sur le chantier du terminal 2E, il y avait jusqu'à quatre sous-traitants en cascade, constate Alain Izzet. Chez ICTS, société de sûreté, on a défendu des gars qui alignaient vingt-neuf jours de travail d'affilée sans repos… »

Les salariés d'ADP craignent de voir, à la propre initiative d'ADP ou sous la pression de Bruxelles, comme cela a été le cas pour les télécoms et comme cela pourrait le devenir pour l'assistance en escale, des pans entiers d'activité sous-traités ou filialisés. « Les syndicats nous poussent à tout garder en interne, arguant que nous assurons un meilleur service que les prestataires, et ces derniers nous reprochent de ne pas leur laisser assumer la totalité des tâches. Il n'existe pas de vérité catégorique. La pluralité des métiers fait la valeur d'ADP mais n'oublions pas non plus que nous sommes plus chers que les sous-traitants », souligne Hubert du Mesnil. Dans cette logique de rentabilité, des activités comme le renseignement téléphonique ou l'accueil, qui ne rapportent pas d'argent, pourraient être externalisées. Quant aux filiales – FHP pour le fret, Alizia pour la manutention, ADPT pour les télécoms – elles se sont déjà multipliées.

5 ÉVITER LES CONFLITS

Si l'on en croit le faible turnover, les salariés d'ADP sont fidèles à leur entreprise. Une « quasi » garantie de l'emploi et les avantages sociaux y sont pour beaucoup. « Le statut est proche de la fonction publique mais il existe aussi des accords innovants comme le Parda, la préretraite maison qui permet aux salariés de partir à 55 ans avec 65 % de leur salaire jusqu'en 2005 », souligne Raymond Exposito, chef du département du personnel. L'entreprise favorise l'accueil des travailleurs handicapés et a signé un accord sur la parité hommes-femmes. Elle a également mis au point une cellule antiharcèlement. « On a souhaité une formule très souple pour tenter de détecter les problèmes et de les résoudre par la médiation, et distinguer ce qui relevait de la souffrance et du harcèlement », explique Catherine Lemoine, responsable des six assistantes sociales d'ADP et chargée de cette mission.

Quant à la formation, ADP y consacre 6,43 % de sa masse salariale. Une grosse partie est dévolue à l'adaptation aux métiers, mais l'établissement s'est aussi engagé dans la VAE pour qualifier et diplômer certains de ses collaborateurs. Et un gros effort de formation longue va être entrepris pour accompagner les salariés qui souhaitent changer de poste. Une mobilité qui va s'accentuer avec le vieillissement des troupes et la fin des préretraites maison. « Cela va devenir notre préoccupation dans les deux ans à venir, assure Cendrine Sage-Brouillard, chef du service de la formation. À l'exploitation, beaucoup de salariés travaillent en horaires décalés. Roissy est ouvert 24 heures sur 24 et on ne peut nier la pénibilité. Il faut trouver des solutions. »

La situation n'est pas pour autant florissante. « Nous avons gelé les recrutements. Cette année, seuls 200 salariés en CDI ont été embauchés, contre 1 200 pour la période 2000-2001», souligne Raymond Du Chalard, chargé de la gestion de l'emploi. L'intensification du travail gagne du terrain et l'accord 35 heures fondé sur l'annualisation qui a dopé la flexibilité et réduit les heures sup n'a pas enthousiasmé les foules. Mais les salariés dont la rémunération mensuelle nette atteignait en moyenne 2 526 euros en 2002 (4 188 euros pour les cadres, 1 805 euros pour l'exécution) savent que l'herbe est moins verte ailleurs. Dans cette entreprise où la conflictualité est rare, le climat social va donc dépendre de la capacité à réformer du tandem Graff-Du Mesnil.

Fort de l'expérience de la manutention portuaire à Dunkerque, ce dernier considère qu'il n'y a pas de secteur qui ne puisse être réformé. « Mais il faut une volonté politique forte, comprendre les ressorts, trouver les bonnes personnes, sinon il est impossible de se coltiner les résistances. Chacun dans son contexte et à son rythme, la manière de faire doit être personnelle », explique le DG, un solitaire qui va devoir trouver des relais. « Il est très brillant, extrêmement précis, mais pas très accessible, explique un cadre. Il n'est pas du style à vous taper dans le dos. Il manque de rondeur. » Sur ce terrain-là, Pierre Graff, au sourire et à la conversation faciles, est plus convivial. Reste à savoir si ce tandem réussira à faire avaler aux 8 100 salariés d'ADP les deux pilules de la réorganisation et du changement de statut.

Entretien avec Hubert du Mesnil
« Ce qui nous permettra de maintenir telle activité ou tel métier dans ADP, c'est la performance et la compétence »

Difficile de savoir si Hubert du Mesnil aime faire la cuisine, ou encore s'il est plutôt mer que montagne. Cet X-Ponts de 52 ans, marié et père de cinq enfants, cultive la discrétion qui sied aux grands commis de l'État. Avant d'être nommé par le communiste Jean-Claude Gayssot à la direction générale d'Aéroports de Paris en 2001, il avait été appelé par Bernard Bosson pour occuper la direction des transports terrestres au ministère de l'Équipement, de 1995 à 2001. De 1988 à 1993, il a dirigé le Port autonome de Dunkerque où, très proche de Michel Delebarre, il a appliqué la réforme des dockers. Ce qui en fait un spécialiste multimodal des transports. Et un habitué des frondes syndicales et des grandes grèves. Une expérience qui va lui être utile alors qu'ADP s'apprête à traverser une période de fortes turbulences liées à son changement de statut.

Pourquoi avoir réorganisé Aéroports de Paris, qui venait juste de l'être avant votre arrivée ?

ADP n'était pas suffisamment efficace. À l'intérieur comme à l'extérieur, on lui reprochait sa lourdeur, son manque de productivité, de qualité. Le projet « Changer ensemble » mis en place en 1997 avait laissé un mauvais souvenir aux salariés. On a changé, certes, mais pas ensemble. Entre-temps, le secteur aérien s'est modifié avec les low costs, les attentats du 11 septembre, les alliances… Nous avons donc commencé par reformuler le projet d'entreprise, avec l'objectif de devenir une entreprise publique aéroportuaire de référence dans le monde et de rendre plus efficaces nos modes de fonctionnement pour mieux servir nos clients et nos partenaires.

Comment cette réorganisation se concrétise-t-elle sur le terrain ?

L'essentiel porte sur la création de directions d'aéroport décentralisées. Nous avons cassé les trois directions fonctionnelles (technique, exploitation et commercial) et les avons remplacées par trois directions à Orly, Roissy et au Bourget. C'est un changement radical. On sait enfin à qui s'adresser en cas de problème. Nous avons confié aux trois directeurs des parties de l'ancienne organisation. À eux à présent de recomposer, remanier, constituer des équipes. L'inconvénient, c'est la transition. Il faut assurer la continuité, faire atterrir les avions alors que les personnels ne sont pas tous au bon endroit. Une phase douloureuse et difficile.

Regrettez-vous que l'annonce de l'ouverture du capital se soit greffée sur cette réorganisation?

Cela complique les choses. Alors que cette réorganisation a été, de mon point de vue, bien comprise par l'ensemble du personnel, elle a subi une déperdition de sens. Cela étant, ce changement statutaire a des aspects positifs. Il nous conforte dans notre rôle d'entreprise. Aujourd'hui, notre marge de manœuvre est réduite. Nous ne décidons ni des salaires, ni des investissements, ni des tarifs. C'est frustrant. Il est nécessaire de clarifier les choses. D'autre part, un établissement public comme le nôtre en situation de monopole exerçant sur un champ concurrentiel est toujours contesté. Face à Bruxelles, une entreprise de droit commun peut mieux se défendre. Cela dit, l'État doit jouer son rôle et garder la main. La gestion aéroportuaire n'est pas un business comme un autre.

Comment rassurer les salariés qui font le parallèle avec Air France, dont le statut a éclaté… en dépit des promesses ?

La lettre du gouvernement prévoit le maintien du statut du personnel, l'intégrité de l'activité et l'assurance que l'État restera majoritaire. Pour combien de temps, personne ne le sait. Il faut donc trouver des arguments pour rassurer le personnel. Notre métier de gestionnaire d'infrastructure est-il menacé ? Je ne crois pas. Nous ne sommes pas un transporteur. On ne peut pas comparer le risque d'Air Lib avec celui d'ADP. Ensuite, nous sommes en croissance, ce que nous reprochent d'ailleurs les riverains. Peut-on imaginer que Roissy soit confié à une société aéroportuaire et Orly à une autre ? Même la Grande-Bretagne qui a privatisé ses transports s'est gardée de morceler ses aéroports. Pour les valoriser, il faut conserver toutes leurs composantes. Il est peu probable que Bruxelles ou un tiers introduise sur ce marché une pluralité d'opérateurs. C'est ce confort que nous reprochent d'ailleurs les compagnies aériennes qui, elles, sont dans la tourmente.

ADP exerce 200 métiers. Certains d'entre eux pourraient-ils être filialisés ou externalisés ?

L'assurance de l'intégrité des activités répond à cette inquiétude. Mais ce qui permettra de maintenir telle activité ou tel métier dans ADP, ce n'est pas la lettre d'un ministre, même si elle nous est précieuse, mais bien la performance et la compétence. Certes, nous craignons qu'un jour une directive de Bruxelles nous oblige, comme dans les télécommunications, à filialiser des activités, notamment l'assistance en escale, et nous nous battons contre ça. Je ne peux pas promettre que cela n'arrivera pas. Pour autant, si à l'avenir nous constatons qu'une activité est sous-performante et inadaptée par rapport à son champ de compétences, il est clair qu'elle serait menacée. Car nous avons une exigence de rentabilité et de productivité.

Comment éviter les conflits chez les sous-traitants, comme dans l'avitaillement ou la sécurité ?

C'est difficile, parce que beaucoup de professions de la sous-traitance ne sont pas encore à maturité. Ce qui est synonyme d'instabilité sociale et de conflits. Mais nous ne pouvons nous contenter d'être des donneurs d'ordres. La sûreté aéroportuaire n'a rien à voir avec du gardiennage de parking. On ne peut pas laisser se développer sur nos plates-formes des sources de dysfonctionnement et couvrir des pratiques parfois condamnables. Il faut faire comprendre qu'il existe des règles sur lesquelles on ne transigera pas. Mais ce n'est pas à nous d'interférer dans le dialogue social. Cet été, nous avons créé dans chaque direction d'aéroport une nouvelle fonction de veille qui étudie l'état de santé de l'ensemble des prestataires.

Comment allez-vous gérer la fin des préretraites ?

Nous avons toujours recruté et notre pyramide des âges est équilibrée. En revanche, nous allons avoir des salariés âgés. Et il va falloir préparer le personnel au fait que les préretraites ne vont pas durer éternellement, même si la possibilité de partir à 55 ans fait partie de la culture d'ADP. Nous devons engager un chantier de modernisation sociale s'appuyant sur les valeurs fortes de l'entreprise. Et profiter de l'attachement à ADP, qui est réel, pour inciter les salariés à aller au terme de leur carrière.

Songez-vous à développer la rémunération au mérite ?

Une première étape a été franchie avec l'intéressement. Il ne serait pas dans la culture d'ADP de bousculer brutalement le système de rémunération. En raison de la nature de notre activité, nous avons besoin d'une gestion sociale stable. Pour autant, le système actuel, où l'ancienneté a un poids très fort, ainsi que les grilles de classification ne doivent pas rester en l'état. Nous allons commencer par les cadres qui possèdent déjà une part variable et des objectifs.

François Fillon a-t-il raison de prôner l'accord majoritaire ?

Lorsqu'on est confronté à des syndicats contestataires, certaines évolutions ne peuvent se réaliser qu'avec des accords minoritaires. Soyons francs, dans beaucoup d'entreprises, cela arrange tout le monde, en permettant à des organisations de sortir la tête haute et à la direction d'avancer. Même si je préfère, en ce qui me concerne, signer avec des syndicats qui sont représentatifs.

Propos recueillis par Jean-Paul Coulange et Sandrine Foulon

Auteur

  • Sandrine Foulon