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Politique sociale

La « green card », sésame très convoité pour un job aux USA

Politique sociale | REPORTAGE | publié le : 01.12.2003 | Isabelle Lesniak

Il y a les chanceux qui gagnent leur titre de séjour à la loterie, ceux qui ont des conjoints américains… et les autres. Pour ces derniers, mieux vaut trouver un employeur qui accepte de parrainer sa demande afin d'obtenir une carte verte. Un parcours du combattant où l'aide d'un bon avocat s'avère souvent précieuse.

Lorsque Cécile Picard, une gemmologiste lyonnaise, a ouvert sa boîte aux lettres, elle n'en a pas cru ses yeux. Les services américains de l'immigration lui annonçaient qu'elle avait gagné l'un des 50 000 « visas de diversification » – autrement dit la fameuse green card – attribués chaque année par le bon vieux système de la loterie. Les candidats à cette roue de la chance doivent justifier de deux ans d'expérience professionnelle durant les cinq dernières années ou posséder le bac ou un diplôme équivalent. Pas besoin de parler anglais, d'avoir de la famille ou un travail en Amérique pour participer. Et pratiquement tout le monde est éligible, à l'exception des citoyens des pays comme le Canada, le Mexique, l'Inde, la Chine, la Grande-Bretagne ou la Russie qui ont envoyé plus de 50 000 immigrants aux États-Unis au cours des cinq dernières années.

Rentrée en France depuis quelques mois, après avoir achevé ses études dans une école de Santa Monica, en Californie, réputée pour sa formation à l'étude des pierres précieuses, Cécile a alors – c'était il y a huit ans – renvoyé dare-dare aux autorités américaines des attestations bancaires prouvant comme il se doit que, même sans travail, « elle ne sera pas une charge pour l'État fédéral », vu expédier « en cinq minutes, derrière une vitre » son rendez-vous au consulat des États-Unis à Paris, et la voilà installée dans la « Grande Pomme ».

Après cinq années passées sous la protection de sa carte verte, qui est d'ailleurs devenue rose depuis, Cécile a ensuite demandé la citoyenneté américaine. Afin de pouvoir voter mais, surtout, de ne pas risquer de perdre son permis de séjour. Car tout détenteur d'une green card doit être présent sur le sol américain au moins une fois dans l'année pour ne pas être privé de ses droits. « Quelques mois plus tard, j'ai été convoquée avec 200 autres personnes dans les locaux de l'immigration pour prêter serment », sourit cette petite brune qui vit dans West Village, le quartier bohème du sud de Manhattan.

La loterie reste le moyen le plus simple et le moins cher de décrocher un titre de séjour outre-Atlantique. L'inscription est ouverte, cette année, depuis le 1er novembre et jusqu'au 30 décembre prochain. Mais c'est désormais sur Internet qu'on remplit gratuitement sa demande, en joignant une photographie numérique. On ne peut dorénavant remplir qu'un formulaire par an mais un couple a la possibilité de jouer deux fois pour doubler ses chances. Celui qui est retenu obtient automatiquement le droit de faire venir son conjoint et ses enfants de moins de 21 ans.

0,6 % de chance à la loterie !

Cependant, les candidats ne doivent pas se faire d'illusions quant à leur chance de décrocher le gros lot. En 2002, la loterie a attiré 7,3 millions de candidats pour… 50 000 reçus. Et, au cours des dernières années, les Français n'ont eu droit qu'à 300 places à chaque tirage. Un quota équivalent à celui des Irlandais, longtemps privilégiés par le système. Les Polonais (entre 3 900 et 5 500 gagnants par an), les Ukrainiens (plus de 4 000), les Bulgares (autour de 3 000), les Lituaniens et les Turcs (autour de 2 000) sont mieux lotis. Il est donc plus courant de rencontrer aux États-Unis des Français malchanceux que des heureux gagnants. Après plusieurs tentatives sans succès, les candidats préfèrent donc se tourner vers des moyens plus sûrs pour obtenir leur précieux sésame, comme la demande de carte verte pour raison de travail. Une procédure qui profite à près de 140 000 étrangers par an.

Jean-Michel Rousseau, un ingénieur télécom de 34 ans installé en Californie depuis dix ans, en fait partie. Ce spécialiste du GPS a, en vain, joué à la loterie pendant trois ou quatre ans, dans le but de prolonger son séjour. À l'issue d'un service civil de seize mois dans une PME de San Francisco, il s'était vu proposer une embauche assortie d'un visa de travail de trois ans, renouvelable une seule fois. Quelques mois avant l'échéance, Jean-Michel a dû trouver un employeur qui accepte de le parrainer pour l'obtention de sa green card. Après avoir répondu à des petites annonces, il a fini par se faire recruter par Nokia, à San Diego. Dans ce centre de recherche et développement, 90 % des 1 000 salariés sont étrangers, finlandais, asiatiques ou latino-américains en majorité, sans compter quelques Allemands, Italiens et Français. Autant dire que la DRH connaît parfaitement les arcanes de l'administration américaine. « Nokia m'a offert les services d'un super avocat qui, durant huit mois, m'a aidé à préparer mon dossier, explique Jean-Michel. Le plus dur a sans doute été de lui expliquer clairement ma formation et mon parcours de manière qu'il me mette en valeur. Nous avions au moins une conférence téléphonique par semaine pour peaufiner le dossier. »

Un titre accordé avec parcimonie

Sur le conseil de ce juriste, Jean-Michel décide, pour accélérer la procédure, de postuler au rang de « professeur ou chercheur exceptionnel ». Un titre accordé avec parcimonie à 2 000 à 3 000 personnes par an, qui ne nécessite pas d'obtenir un certificat de travail. Cette étape demande déjà plus d'un an de démarches. Mais toute la difficulté est de prouver des capacités hors du commun par des lettres de recommandation de spécialistes ou des photocopies de travaux publiés dans des revues scientifiques ou des interventions dans des conférences internationales. Autant dire que Jean-Michel a été le premier étonné quand le statut tant convoité lui a été accordé, en 2000. « Je ne présente pourtant pas de dons extraordinaires, plaisante-t-il. Mais l'avocat était bon. Une fois mon dossier complet déposé, ma candidature a été acceptée en huit jours. »

Trouver un « sponsor » efficace n'est pas toujours aussi simple. Surtout quand on occupe une fonction subalterne dans une entreprise. André, un électricien d'une quarantaine d'années, garde ainsi un souvenir nettement moins agréable de la procédure qu'il a entamée en 1994 et qui a mis plus de deux ans pour aboutir. Arrivé à New York en simple touriste, il y a travaillé pendant trois ans au noir dans l'électronique. Lorsqu'il a décidé d'entrer dans la légalité, lassé de ne pas pouvoir voyager librement, il a passé des mois à chercher un employeur qui accepte de le parrainer. « Le sponsor doit prouver qu'il est en règle au niveau des impôts et des cotisations sociales. La masse de documents à fournir a de quoi lui donner des sueurs froides. Et il n'a pas grand intérêt à vous rendre ce service car, une fois que vous obtenez votre green card, vous pouvez facilement trouver un autre employeur », souligne-t-il.

Un parcours du combattant

C'est d'ailleurs ce qu'il a fait, quittant l'entreprise qui l'avait parrainé pour occuper un emploi plus stable d'homme à tout faire dans un immeuble de luxe de la prestigieuse Park Avenue, au nord-est de Manhattan. « Peu d'employeurs ont envie de sponsoriser un étranger dont ils ne sont pas sûrs, confirme une avocate du Connecticut spécialisée dans l'immigration. Un salarié a donc tout intérêt à se contenter d'un visa temporaire de non-immigrant, à se rendre indispensable dans l'entreprise et à ne demander la carte verte que lorsque son visa arrive à expiration et que le patron ne veut pas le voir quitter le territoire. » Un parcours du combattant qu'a évité ce Sri Lankais employé dans une grande banque londonienne qui a réussi à faire inscrire dans sa lettre de mutation une clause de parrainage pour l'obtention de la carte verte après deux ans passés aux États-Unis. Ce qui ne l'a pas empêché de quitter la banque au bout de sept ans pour devenir consultant financier !

Pour ceux qui n'ont pas de parrain, il reste une possibilité : prouver un lien de famille avec un Américain. Selon le cabinet Siskind Susser, à Memphis, la référence en matière d'immigration, 138 000 personnes se voient ainsi décerner une green card chaque année, parrainées par un conjoint, un parent ou un enfant, résident ou citoyen américain. Et 65 000 l'obtiennent grâce à un frère ou une sœur. C'est le cas de Laurent Delon, qui travaille aujourd'hui pour Nokia à Singapour. Il a décroché une carte immédiatement, en 1993, après avoir été muté par Saft à San Diego. Son épouse était américaine et il avait une petite fille d'un an et demi, ce qui constituait une preuve satisfaisante, à l'égard des services de l'immigration, qu'il ne s'agissait pas d'un mariage arrangé. Car il ne suffit pas d'une union de convenance pour convaincre ces fonctionnaires très suspicieux. Certains candidats à la carte verte produisent des lettres d'amour, d'autres apportent un album de photos, car un compte en banque ou une adresse communs ne suffisent pas à prouver aux autorités l'authenticité d'un mariage. Faute de preuves suffisantes, Philippe Prélati, un menuisier de 43 ans travaillant à Brooklyn, a mis cinq ans pour obtenir sa carte. Marié à une Américaine rencontrée à Monaco, il l'a suivie à New York en 1988 avant de s'en séparer deux ans plus tard, alors que sa demande de carte verte était en cours. « Le temps que je sois convoqué à l'Immigration, mon épouse avait disparu quelque part entre la France et la Jamaïque. Difficile, alors, de prouver la réalité de mon mariage. »

Au moins trois ans de démarches

Escroqué par un avocat peu scrupuleux, menacé d'expulsion sous un délai de quinze jours, il a fini par se faire recommander, dans l'urgence, un avocat digne de confiance. « Il a fait jouer ses connaissances à l'Immigration et a repris tout le dossier. Grâce à son intervention, ma demande de carte verte a été acceptée en trois semaines, la veille d'Halloween, en 1994. » Comme il n'avait pas un sou en poche, Philippe a réglé les 4 000 dollars de frais en nature : en meubles. Aujourd'hui, il est installé à son compte et emploie trois salariés.

La majorité des Français candidats à la green card connaissent des situations intermédiaires, entre le conte de fées vécu par Cécile et le cauchemar subi par Philippe. « Je ne sais jamais quoi dire quand un client me demande combien de temps prendra sa procédure tant cela dépend de chaque cas, admet une avocat echargée des questions d'immigration. Depuis le renforcement de la sécurité consécutif aux attentats du 11 septembre, je leur réponds qu'il ne faut pas s'attendre à moins de trois ans de démarches. »

Jadis dithyrambique sur l'efficacité des autorités américaines, Cécile, à présent âgée de 32 ans, a conscience que les temps ont changé. Il y a deux ans et demi, elle a parrainé son époux français a fin qu'il obtienne lui aussi sa carte verte. Mais ils ne décrocheront pas de rendez-vous à l'Immigration avant mars 2004 !

Des visas et des quotas

Les démarches pour obtenir une « green card » sont devenues si longues que beaucoup d'étrangers désireux de travailler aux États-Unis se sont, ces dernières années, contentés d'un visa H1B (valable six ans maximum) ou L1 (sept ans maximum pour un cadre dirigeant, cinq pour les autres). Les services de l'immigration estiment que le pays abrite quelque 700 000 détenteurs de ces deux types de visas. Institué en 1970, le L1 est réservé aux cadres « invités » à travailler sur le sol américain par une entreprise prédéterminée, qui prend la procédure en charge, parfois pour plusieurs salariés. 58 000 visas de ce type ont été délivrés en 2002 ; n'étant soumis à aucun plafond, leur nombre a augmenté de 58 % ces cinq dernières années. Les H1B sont, pour leur part, destinés à des travailleurs qualifiés qui s'occupent des démarches eux-mêmes. Le Congrès vient d'en réduire le nombre, de 195 000 en 2003 à 65 000 pour l'année fiscale 2004 (commencée le 1er octobre) alors qu'en 2000, lors du boom d'Internet, les élus avaient augmenté le quota. Car, dans un contexte de reprise économique sans véritables créations d'emplois, nombreux sont ceux qui veulent limiter les deux visas.

« Le chômage reste à un niveau élevé et des dizaines de milliers de travailleurs américains spécialisés dans la high-tech n'arrivent pas à trouver de poste », expliquait en juin la représentante démocrate du Connecticut, Rosa DeLauro, en défendant son projet de loi destiné à durcir le régime des visas. L'élue veut imposer un plafond de 35 000 L1 par an, interdire à toute entreprise qui a licencié un Américain durant les six derniers mois d'entreprendre des démarches en faveur d'étrangers, et réserver les demandes de visas aux personnes employées à plein-temps dans la société depuis plus de trois ans. À un an du scrutin présidentiel, c'est la pression de l'électorat contre celle de l'industrie high-tech.

Bill Gates et Andy Grove ont toujours défendu les H1B. Ils soulignent que c'est sous ce régime que Linus Torvalds, venu de Finlande à l'âge de 31 ans, a pu immigrer. Il a, depuis, inventé le système Linux et a fini par obtenir sa green card.

Auteur

  • Isabelle Lesniak