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Enquête

LES DIX LEVIERS POUR DOPER L'EMPLOI

Enquête | publié le : 01.12.2003 | Stéphane Béchaux, Valérie Devillechabrolle

Préretraites, partage du travail, allégement des charges… Pour lutter contre le chômage, nos gouvernements ont tout essayé. Avec plus ou moins de vigueur et de succès. Passage en revue critique de ces politiques, à l'heure où François Fillon annonce une loi sur l'emploi pour 2004.

L'embellie aura été de courte durée, et le rêve du retour au plein-emploi fugace. La France, qui avait créé plus de 1,5 million d'emplois entre 1997 et 2001, a renoué avec ses vieux démons. « En 2000, nous pensions que la situation de l'emploi avait évolué dans le bon sens et que nous étions sortis de la période catastrophique du début des années 90. En réalité, il y a une étonnante similitude entre les années 1997-2003 et 1987-1993 », note Olivier Marchand, chef du département emploi de l'Insee. Reparti à la hausse depuis dix-huit mois, le taux de chômage pourrait bientôt repasser la barre des 10 %.

À l'origine de cette dégradation de l'emploi, la chute vertigineuse de la croissance qui a dégringolé de 3,8 % en 2000 à 0,1 ou 0,2 % cette année, la France ayant frôlé la récession. Une preuve de plus qu'« il ne peut pas y avoir d'emploi sans croissance car, seul, l'État ne peut pas en créer », estime Dominique Balmary, ancien délégué à l'Emploi. Sauf à « relever le taux de croissance potentielle par une relance des investissements dans la technologie et la recherche », ajoute Christian de Boissieu, directeur scientifique au Centre d'observation économique de la CCIP.

Autre facteur qui pèse sur les chiffres du chômage, la démographie. Même si les flux annuels d'arrivées sur le marché du travail sont moindres qu'à la fin des années 90, la population active française augmentera encore d'environ 100 000 personnes en 2004, selon l'Insee, avant de connaître ensuite une décélération rapide, puis une réduction à partir de 2008. Une perspective qui pourrait laisser penser, reconnaît la Dares, que « l'augmentation du chômage constitue un problème de court terme » que la démographie se chargera de régler. Mais un gouvernement peut-il rester l'arme au pied, en attendant des jours meilleurs ? « Le retournement de 2005 ne doit pas être une excuse ou un prétexte pour ne pas continuer de lutter contre le chômage », souligne à juste titre Dominique Balmary. D'autant que la France est loin de briller par ses performances en matière de taux d'activité. Si, avec un taux d'emploi de 78,3 % chez les 25-54 ans en 2002, la France fait quasiment jeu égal avec les États-Unis (79,3 %) et le Royaume-Uni (80,6 %), présentés comme des sociétés de plein-emploi, elle se classe toujours parmi les cancres de l'OCDE pour les jeunes (23,3 %) et les seniors (34,2 %).

Dans un tel contexte, difficile de tergiverser : « La France a besoin d'une politique active d'emploi », tranche Christian de Boissieu. Mais sur quels leviers peut-elle raisonnablement s'appuyer ? Force est de constater qu'en trente ans de chômage de masse, les équipes qui se sont succédé au pouvoir ont « tout essayé », consacrant des sommes croissantes à l'emploi. En 2001, la dépense globale (indemnisation du chômage et allégements de charges sociales inclus) a ainsi mobilisé 67 milliards d'euros (4,5 % du PIB), contre 1,6 milliard d'euros (0,9 % de PIB) en 1973.

Trois grandes étapes peuvent être distinguées. Estimant, à la fin des années 70, que le chômage résulte avant tout de difficultés individuelles d'accès à l'emploi, les gouvernements mettent en place des dispositifs ciblés, à commencer par les mesures de retrait d'activité, qui s'adressent aux ouvriers des secteurs sinistrés, ou les premiers plans destinés aux jeunes peu qualifiés. Au début des années 90, changement de cap. Sans renoncer aux mesures ciblées, les pouvoirs publics privilégient désormais les dispositifs visant à enrichir la croissance en emplois. Pour compenser le coût élevé du travail non qualifié, considéré comme le principal frein à l'embauche, ils multiplient les exonérations de charges sur les bas salaires, avant de les généraliser pour compenser les surcoûts liés à la réduction du temps de travail. À la faveur du retour de la croissance et de l'apparition de difficultés de recrutement, les équipes au pouvoir tentent enfin d'agir sur les comportements individuels des chômeurs. Ceux-ci sont incités financièrement à revenir sur le marché du travail, et bénéficient d'un accompagnement plus personnalisé.

Et maintenant, que faire ? « On est un peu dans une impasse, constate Olivier Dutheillet de Lamothe, ancien directeur des relations du travail. Les politiques structurelles qui avaient permis d'enrichir le contenu de la croissance en emplois ont été plombées par les 35 heures. Comment voulez-vous réduire davantage le temps de travail ou amplifier les allégements de charge ? » À la Dares, on s'interroge aussi. « En France, les derniers effets des politiques d'emploi ont été extrêmement faibles », observe Frédéric Lerais. Parmi les 10 mesures utilisées, tour à tour, par les gouvernements de droite et de gauche depuis trente ans, quelles sont les plus à même d'inverser la courbe du chômage ? Réponse avec l'analyse de deux experts, Gérard Cornilleau, économiste « keynésien », de l'OFCE, et Christian de Boissieu, économiste « néo-classique », du COE, et également président du Conseil d'analyse économique.

1 Recourir aux préretraites

Aucun pays européen n'a recouru autant que la France aux départs anticipés à la retraite pour lutter contre la montée du chômage de masse. Les premières mesures du genre ont été lancées voilà tout juste quarante ans, en décembre 1963, lors de la mise en place du Fonds national pour l'emploi (FNE). Les pouvoirs publics créent alors une allocation spéciale destinée aux salariés âgés de 60 à 65 ans pour gérer de manière indolore les grandes vagues de restructurations industrielles dans la sidérurgie, le textile ou les chantiers navals.

Très ciblées à l'origine, ces préretraites vont connaître un essor sans précédent au début des années 80, avec l'élargissement du dispositif aux travailleurs de plus de 56 ans. L'allocation compensatrice est alors fixée à 65 % du salaire antérieur, avec une très faible part (entre 12 et 18 %) prise en charge par l'employeur après négociation avec les pouvoirs publics. Un système très avantageux pour les entreprises, qui se ruent dessus. Fin 1984, la France compte près de 700 000 préretraités, soit près de quatre fois plus qu'en 1980. Coût pour les finances publiques ? Plus de 8 milliards d'euros ! À ces préretraites, d'autres dispositifs, de moindre ampleur et moins généreux, viennent par la suite s'ajouter. Les uns émanent de l'État – préretraites progressives en 1993, congés de fin d'activité pour les fonctionnaires en 1997, cessations d'activité Cats en 2000 –, d'autres des partenaires sociaux (Arpe, en 1995) ou des entreprises elles-mêmes (préretraites maison). Sans oublier l'Unedic qui, à partir de juillet 1985, dispense les chômeurs de plus de 57,5 ans de rechercher effectivement un emploi pour percevoir leurs allocations.

Largement ouvert depuis vingt ans pour limiter la hausse du chômage, le robinet du retrait d'activité des seniors est aujourd'hui pratiquement refermé. Hormis les préretraites pour pénibilité (amiante ou Cats), les dispositifs de cessation anticipée d'activité sont d'ailleurs tous en voie d'extinction. Et aucun expert des politiques d'emploi n'imagine qu'un gouvernement puisse rouvrir les robinets dans les prochaines années, compte tenu des perspectives démographiques. Avec un taux d'activité de 36,1 % des 55-64 ans, la France se classe parmi les plus mauvais élèves de l'OCDE, très loin derrière les pays scandinaves ou les États-Unis. « Au nom de quoi un salarié de plus de 50 ans serait-il plus inefficace en France que partout ailleurs dans le monde ?, s'interroge ainsi Michel Martinez, de Rexecode. Les préretraites, c'est un faux levier, socialement plus coûteux qu'il ne rapporte, même s'il a permis des ajustements dans certains secteurs. »

Reste que les habitudes risquent d'être difficiles à changer. « Les entreprises auront du mal à se désintoxiquer des préretraites, même quand elles tiennent des discours pleins d'allant sur le nécessaire allongement de la vie professionnelle. La tentation d'y recourir reste très forte dès qu'une difficulté économique apparaît », souligne Dominique Balmary, ancien délégué à l'Emploi. « Je doute qu'on puisse se passer complètement de préretraites ciblées, abonde Olivier Marchand, de l'Insee. Il va falloir une politique volontariste très forte pour valoriser le travail des seniors. » Le prix à payer s'annonce élevé.

2 Mettre le paquet sur la formation

Plus de 160 000 jeunes quittent chaque année le système éducatif français avec, au mieux, le brevet en poche. Un chiffre très élevé qui, bien qu'en baisse de 40 % par rapport à 1980, stagne depuis dix ans. Au cours des vingt dernières années, la France n'a rattrapé qu'une partie de son retard sur le Japon, les États-Unis, la Suède ou l'Allemagne. Près de 80 % des 25-34 ans atteignent désormais le deuxième cycle du secondaire, contre 46 % il y a trente ans. Une bonne nouvelle pour l'emploi ? Sans doute. Mais l'élévation du niveau de formation initiale ne peut produire des effets qu'à long terme, dans la perspective d'une augmentation des besoins en main-d'œuvre qualifiée.

À court terme, le principal levier d'action consiste à favoriser une meilleure adéquation entre études et travail. Avec 26,5 % des 15-24 ans en activité, la France pâtit du plus mauvais score de l'OCDE. « En vingt-cinq ans, l'âge d'entrée sur le marché du travail est passé de 18 à 22 ans. Il faut absolument développer les situations intermédiaires entre les études et l'emploi », juge Olivier Dutheillet de Lamothe. Par exemple pour les 90 000 jeunes qui, selon le Cereq, quittent chaque année l'enseignement supérieur sans diplôme. Au cours des vingt dernières années, la France a pourtant fait de gros efforts, en développant massivement l'alternance. Fin 2002, 590 000 jeunes de moins de 26 ans bénéficiaient de ces dispositifs, dont 370 000 au titre de l'apprentissage. Avec, depuis 1996, une montée en puissance des jeunes qualifiés : 60 % des jeunes en contrat de qualification sont aujourd'hui bacheliers. « L'éviction des publics les moins qualifiés est une vraie question pour la politique de l'emploi », juge Florence Lefresne, de l'Ires.

En France, le niveau de formation initiale est d'autant plus déterminant qu'il influe directement sur l'accès futur à la formation professionnelle. Selon l'OCDE, les travailleurs français hautement qualifiés ont cinq fois plus de chances d'être formés que les moins qualifiés. Des inégalités confirmées par le Cereq : en 1995, le taux d'accès à la formation continue concernait 43,2 % des cadres et 14 % des ouvriers non qualifiés. « La formation continue à la française, trop scolaire dans sa conception, ne peut convenir qu'aux salariés déjà formés, explique André Gauron, auteur d'un rapport sur le sujet. Mais il faut distinguer le passé du futur. Les jeunes ont aujourd'hui un niveau de connaissance et une appétence pour la formation beaucoup plus élevés que leurs aînés. »

Réduire les inégalités d'accès à la formation continue constitue donc le principal axe sur lequel gouvernement et partenaires sociaux doivent travailler. Les personnes les plus fragiles sur le marché de l'emploi, salariés âgés et peu qualifiés, sont en effet celles qui en bénéficient le moins. « Le taux d'accès à la formation professionnelle varie ainsi de 1 à 30 selon qu'il s'agit d'un ouvrier non qualifié d'une petite entreprise ou d'un ingénieur/technicien d'un grand groupe », observe Olivier Dutheillet de Lamothe. Un beau gâchis pour un pays qui dépense chaque année 22 milliards d'euros en formation continue et en apprentissage…

Reste à savoir si l'accord interprofessionnel du 20 septembre dernier - qui ouvre un droit individuel à la formation professionnelle de vingt heures par an, cumulables sur six ans - pourra infléchir la tendance. « L'accord va dans le bon sens car il organise pour la première fois un pont entre l'emploi et la formation et définit la responsabilité des entreprises dans le maintien de l'employabilité de leur personnel », juge Dominique Balmary, ancien délégué à l'Emploi. « Ce texte reste trop modeste car il ne s'attaque pas assez aux grandes inégalités en matière d'accès à la formation », tempère, pour sa part, Raymond Torres, chef de la division d'analyse des politiques d'emploi de l'OCDE.

3 Booster la création d'entreprise

« Si vous ne trouvez pas d'emploi, créez-le ! » Prononcée par Raymond Barre, alors Premier ministre, la fameuse petite phrase à l'adresse des chômeurs a longtemps figé la vision française de la création d'entreprise comme remède au chômage. Instituée en 1977 par son gouvernement, l'aide aux chômeurs créateurs ou repreneurs d'entreprise (Accre) est le plus ancien dispositif de la politique de l'emploi. Créée pour les cadres au chômage, elle a évolué à de très nombreuses reprises. Actuellement ouverte à tous les chômeurs et aux RMIstes, elle leur permet de bénéficier d'une exonération de charges sociales pendant les premiers mois de vie de leur entreprise et de retrouver leurs allocations en cas d'échec. L'an dernier, 33 000 personnes en ont bénéficié, contre 88 000 lors du pic de 1995. Autre dispositif, mis en place en 1999, cette fois-ci par la gauche : Eden, une aide financière de l'État qui vise à faciliter l'accès au crédit bancaire des chômeurs de longue durée, des RMIstes et des jeunes de moins de 30 ans.

Faut-il aller plus loin ? « Avec ce type de mesures, on est toujours sur le fil du rasoir, note Olivier Marchand. Il est difficile de savoir jusqu'où aider les gens à se lancer sans encourager par ailleurs des projets qui ne tiennent pas la route. » L'an dernier, sur les 178 000 entreprises créées ex nihilo, 35 % avaient pour fondateur un demandeur d'emploi et 14 % un inactif. Si les tendances passées se confirment, ces nouvelles sociétés devraient permettre de générer 340 000 emplois en trois ans. Avec un taux de survie de 51 % pour les entreprises montées par des bénéficiaires de l'Accre et de 43 % pour celles lancées par des chômeurs non aidés.

Des résultats non négligeables qui ne masquent cependant pas la faible propension hexagonale à l'entrepreneuriat. Les Français créent aujourd'hui aussi peu d'entreprises qu'il y a dix ans, malgré les avancées de la loi Madelin de 1994 sur l'initiative individuelle. « Cette loi a tout inventé. Elle a donné des droits sociaux aux créateurs, conceptualisé la notion d'entreprise individuelle et institué l'épargne de proximité », plaide pourtant François Hurel, délégué général de l'Agence pour la création d'entreprises (APCE). Reste qu'avec une moyenne annuelle de 44 créations pour 10 000 habitants, la France se situe très loin de l'Espagne (88) ou de la Grande-Bretagne (66). Un retard que la récente loi d'initiative économique de Renaud Dutreil, qui vise à simplifier les démarches, faciliter les financements et sécuriser les entrepreneurs, va tenter de combler. Du côté du secrétariat d'État aux PME, on voudrait bien mettre les bons chiffres du début de l'année 2003 – les créations d'entreprises ont bondi de 8 % – au crédit de son action. Mais les premiers éléments à disposition de l'Insee ne vont pas dans ce sens. « Une large partie du surcroît des trois premiers trimestres 2003 serait constituée d'entreprises sans salarié, montées par des chômeurs », analyse Olivier Marchand. « L'effet est dû à la généralisation des dispositifs du Pare qui sécurisent les parcours des chômeurs créateurs d'entreprise », abonde François Hurel. La vision sociale de l'entrepreneuriat a visiblement la vie dure…

4 Subventionner les emplois non marchands

Les emplois créés dans le secteur non marchand et qui ont occupé 502 600 personnes en 2002 sont un pis-aller. Et pourtant, comme ses prédécesseurs, François Fillon n'a pu s'empêcher d'y recourir, comme l'a constaté Dominique Balmary, ancien délégué général à l'Emploi : « Alors que le gouvernement avait démarré début 2003 à la portion congrue en matière de création de contrats emploi solidarité (CES), il a dû en augmenter le flux par deux fois en cours d'année sous la pression de la conjoncture. » La raison ? « L'analyse montre que ces emplois constituent la principale mesure contracyclique capable de contenir le chômage dans les périodes de conjoncture dégradée », souligne Olivier Marchand, le patron de la division emploi de l'Insee. En y consacrant 53 % de ses subventions à l'emploi, la France se situait en 2001 dans la moyenne des pays de l'OCDE (52,2 %), loin derrière le Danemark ou l'Allemagne, qui réservent à ces créations d'emplois non marchands plus de 80 % de leurs subventions, ou même des États-Unis qui y consacrent près des deux tiers de leurs financements d'emploi, selon l'édition 2003 des « Perspectives pour l'emploi de l'OCDE ».

Lancés en 1984 avec les travaux d'utilité collective (TUC), poursuivis en 1989 avec les CES et prolongés en 1992 par les contrats emploi consolidés (CEC), ces dispositifs sont, à l'origine, réservés aux plus vulnérables. Les jeunes, tout d'abord, puis l'ensemble des chômeurs de longue durée. Subventionnés à hauteur de 90 % de leur coût par l'État, ces emplois à mi-temps réservés aux employeurs des secteurs public et associatif ont un impact significatif sur le chômage : sur dix contrats emploi solidarité créés, neuf correspondent à des créations nettes (hors effet d'aubaine) et sept sont occupés par d'anciens chômeurs, selon la Dares. Sur le long terme, toutefois, seul un tiers des personnes employées en CES parviennent à retrouver un emploi dans le secteur marchand. Un quart occupent encore un emploi aidé et près de 30 % sont de nouveau au chômage.

Pour contrecarrer cette piètre performance, les pouvoirs publics ont, de tout temps, tenté de profiter de ces dispositifs pour impulser la création de nouvelles activités répondant à des besoins collectifs non satisfaits. Avec toutefois le handicap que « les publics en difficulté n'étaient pas les mieux placés pour asseoir la crédibilité de ces nouveaux services », rappelle Florence Lefresne, chercheuse à l'Ireset auteur de l'ouvrage les Jeunes et l'Emploi (aux éditions de La Découverte). Pour faire cesser la stigmatisation de « petits boulots », Martine Aubry, ministre du Travail, crée en 1997 les emplois jeunes, d'une durée de cinq ans, à temps plein, rémunérés au smic et ouverts aux plus qualifiés. Avec l'espoir de réitérer le succès des emplois familiaux, ce dispositif de solvabilisation de la demande des ménages qu'elle avait initié en 1991 et qui, boosté en 1993 par la création du chèque emploi service, s'est soldé par la création de plus de 1,2 million d'emplois. Si les emplois jeunes ont généré 260 000 créations nettes d'emplois et permis à 360 000 jeunes (dont deux tiers de chômeurs) de s'installer dans la vie active, les effets de ce dispositif demeurent ambivalents, comme l'explique Olivier Dutheillet de Lamothe, ancien directeur des relations du travail : « Autant, sur le plan économique, cette mesure s'est révélée assez géniale en contribuant à rétablir la confiance des ménages, autant elle est aberrante du point de vue budgétaire : jamais l'État n'a initié de politique aussi massive, coûteuse et peu ciblée », sachant que huit bénéficiaires sur dix ont un niveau de qualification au moins égal au bac.

Surtout, les emplois jeunes n'ont pas concrétisé les espoirs mis en eux : la majorité des employeurs publics et associatifs ont avant tout profité de cette main-d'œuvre bon marché pour consolider leurs activités sans parvenir à trouver d'autres relais de financement. Combiné aux critiques sur le faible taux de retour à l'emploi marchand de ce dispositif (un sur trois en moyenne), cet échec a amené le gouvernement Raffarin à ne pas reconduire les emplois jeunes en 2003… avant toutefois d'être contraint de lâcher du lest vis-à-vis des associations et de l'Éducation nationale en acceptant de financer 30 000 Civis, le nouveau contrat d'insertion dans la vie sociale.

5 Assouplir la réglementation du travail

Dans les cercles libéraux, la cause est entendue : le droit du travail pénalise l'emploi en France en décourageant l'embauche par une législation trop contraignante sur les licenciements. Et pourtant ! Depuis l'extension, en 1986, des possibilités de recours à l'intérim et au CDD et la suppression, la même année, de l'autorisation administrative de licenciement, la France n'a pas grand-chose à envier à ses partenaires de l'OCDE : elle fait partie des quatre pays (avec l'Autriche, l'Italie et le Portugal) où les emplois temporaires ont représenté plus de la moitié de la croissance de l'emploi total au cours de la période 1991-2001.

Avec 1,4 million de salariés en mission d'intérim (513 000 en équivalent temps plein) et 900 000 en CDD en 2002, ces contrats temporaires représentent en effet près d'un emploi sur dix, et même un sur trois, s'agissant des jeunes salariés de 15 à 29 ans, selon la Dares. Et désormais 70 % des recrutements sont réalisés en France sous cette forme.

Si ces nouvelles formes d'emploi ont, selon la Dares, « permis un ajustement plus rapide de la main-d'œuvre », elles ont aussi favorisé « l'émergence d'un marché du travail de plus en plus dual et donc très inégalitaire », notent Olivier Blanchard et Jean Tirole dans leur rapport au CAE intitulé Protection de l'emploi et Procédures de licenciement. Car, « pendant que les permanents ont conservé leurs acquis, toute la flexibilité a reposé sur les seuls précaires », précise Olivier Blanchard. D'une certaine façon, la lourdeur, la longueur et la complexité des procédures applicables en cas de licenciement collectif pour motif économique ont incité les entreprises à privilégier prudemment les embauches à durée limitée. Peut-on aller plus loin dans la dérégulation en instaurant, comme le réclame le Medef, des « contrats de mission » calqués sur les « contrats de chantier » du bâtiment et équivalant à des CDD de cinq ans ? Au risque de voir les entreprises ne plus embaucher que sous cette forme, « cela ne changerait pas foncièrement la donne en matière d'emploi », estime Dominique Balmary.

A contrario, « l'arsenal réglementaire, conventionnel et contractuel en matière de licenciement économique a sans doute un peu vieilli », poursuit l'ancien délégué à l'Emploi. De fait, si l'administration du Travail a moins de prise sur les licenciements, la protection des salariés permanents s'est, dès 1991, déplacée vers le juge, appelé à se prononcer tant sur la justification « économique » du licenciement que sur l'efficacité des mesures de reclassement des licenciés, au terme d'une procédure souvent longue et hasardeuse. « Les partenaires sociaux ont été bien imprudents de ne pas renégocier le dispositif de sécurité de l'emploi depuis 1986 car le juge n'a, en réalité, fait que s'engouffrer dans la brèche ouverte par leur silence conventionnel », ajoute Dominique Balmary.

Un jugement que l'économiste Gilbert Cette étend à l'ensemble du droit réglementaire, dont l'homogénéité est, selon lui, facteur de chômage, en rendant difficile la rencontre entre l'offre et la demande de travail. Cet artisan des 35 heures auprès de Martine Aubry estime qu'« il faudrait favoriser l'ouverture d'un droit contractuel par la négociation ». Un chantier auquel François Fillon s'est attaqué en confiant à la commission Virville le soin de lui faire des propositions.

6 Partager le travail

Favoriser la création d'emplois en réduisant collectivement le temps de travail est, en France, une idée lancée par… la droite. C'est Édouard Balladur qui a pris la première mesure du genre en acceptant l'amendement Chamard. Moyennant une diminution de 15 % de l'horaire de travail, une réduction de salaire et l'embauche de 10 % d'effectifs supplémentaires, les entreprises peuvent alors bénéficier d'une baisse de charges sociales pendant trois ans. À l'exception de Brioche Pasquier, aucune société ou presque n'utilisera la mesure. Mais le 11 juin 1996, la loi Robien offre de nouveaux allégements de charges contre une baisse de 10 % du temps de travail et 10 % d'embauches supplémentaires. Et le 13 juin 1998, la loi Aubry I propose un mécanisme presque semblable. Fondés sur le volontariat, ces deux dispositifs aboutissent, pour le premier, à la signature de 2 300 conventions offensives prévoyant 20 000 embauches et, pour le second, à la conclusion de 13 000 accords et 63 600 recrutements.

En généralisant le processus, la loi Aubry II a changé la donne. « La RTT est une politique d'emploi efficace tant qu'elle est volontaire. En imposant les 35 heures à toutes les entreprises, on a épuisé ses effets tout en compromettant son efficacité », se désole Olivier Dutheillet de Lamothe. « Pour avoir un effet emploi significatif, il était presque obligatoire de faire un pas forcé », rétorque Olivier Marchand. Selon la Dares, la RTT aurait permis de créer ou de sauvegarder 350 000 emplois entre fin 1996 et 2002. Mais ceci au prix d'une politique d'allégement de charges coûteuse pour les deniers publics. Le levier ne peut plus resservir, sauf à imaginer un passage hasardeux aux 32 heures… La démographie plaide plutôt pour un assouplissement du dispositif. « On va entrer dans une nouvelle phase qui nécessitera sans doute une remontée de la durée du travail, peut-être par la baisse du nombre de salariés à temps partiel », estime Frédéric Lerais, de la Dares.

Seule forme de partage du travail envisageable à court terme : le développement du temps partiel. « La réduction individuelle de la durée du travail permet d'enrichir la croissance en emplois. Elle est, en plus, contracyclique car c'est un mode d'ajustement au ralentissement de l'activité », explique Olivier Marchand. « La RTT ne crée des emplois que dans sa dimension individuelle, car on peut jouer franchement sur l'offre de travail », abonde Gilbert Cette, ancien conseiller de Martine Aubry, auteur d'un rapport au CAE sur le temps partiel. « Il y a une demande des salariés pour une durée comprise entre 24 et 32 heures. À condition de ne pas stigmatiser cette forme d'emploi en la ciblant sur une catégorie particulière », juge Dominique Balmary.

Entre 1982 et 1999, la proportion de salariés à temps partiel a doublé, passant de 8,7 % à 17,2 %, avant de fléchir légèrement, après les 35 heures. La hausse, particulièrement forte dans les années 90, coïncide avec la mise en place, sous l'ère Bérégovoy, d'un abattement de cotisations patronales pour création ou transformation d'emploi à temps partiel. En dix ans, près de 1 million de salariés en ont bénéficié. S'y ajoutait un mode de calcul des allégements généraux de cotisations sociales, aujourd'hui abrogé, qui avantageait les temps partiels. La relance de ce mode d'emploi passe-t-elle, obligatoirement, par de nouvelles incitations pécuniaires ? Pas sûr. Les Pays-Bas sont les champions du monde du temps partiel, sans la moindre incitation. « Pour réamorcer la pompe, il faudrait sans doute que les pouvoirs publics donnent des signaux financiers. Mais en les limitant aux entreprises qui définissent, par accord, un code de procédures pour développer le temps partiel choisi, et non subi », estime Gilbert Cette.

7 Alléger le coût du travail

Les politiques d'allégement du coût du travail dans le secteur marchand ont d'abord visé des publics ciblés. En premier lieu les moins de 26 ans. « Pactes pour l'emploi des jeunes » (1977), « exos jeunes » (1991), « aide au premier emploi des jeunes » (1994) se sont succédé pour favoriser leur embauche à coups d'exonérations ou de primes. Abandonnés, sauf pour l'alternance, ces dispositifs ont été relancés en 2002 avec les « contrats jeunes en entreprise », dont François Fillon attend 250 000 signatures. Un dispositif accueilli avec scepticisme par les experts, à l'instar de Florence Lefresne, de l'Ires : « Tous les contrats en faveur des jeunes sont procycliques, avec un effet d'aubaine massif. » Ce que confirme la Dares, qui évalue à 0,15 % l'effet emploi de la mesure. Autre cible des allégements du coût du travail : les chômeurs de longue durée. Contrat de réinsertion en alternance (1987-1989), contrat de retour à l'emploi (1989-1995) et contrat initiative emploi (depuis 1995) leur ont donné des coups de pouce. Avec des effets aussi limités. « Les politiques ciblées ont des effets très faibles sur le volume d'emplois, explique Frédéric Lerais, de la Dares. En revanche, elles permettent de gérer la file d'attente des chômeurs. »

Depuis le début des années 90, on s'accorde pour considérer que l'enrichissement de la croissance en emplois doit passer par l'allégement du coût du travail non qualifié. « En France, le seul problème de coût salarial est celui du travail non qualifié », explique Olivier Dutheillet de Lamothe. Initiés par Édouard Balladur à l'été 1993, les allégements de charges vont se succéder, sans être remis en cause. D'abord limités à des exonérations de charges, au titre de la branche famille, pour les salaires compris entre 1 et 1,2 smic, ils vont être étendus à l'ensemble des cotisations sociales pour les rémunérations jusqu'à 1,8 smic.

La plupart des économistes estiment que ces allégements structurels ont fortement contribué à la création d'emplois. Mais impossible de les chiffrer. L'étude la plus optimiste, et la plus controversée, émane de deux chercheurs de l'Insee, qui évaluent à 460 000 les emplois créés entre fin 1994 et fin 1997. En 1998, le rapport Malinvaud estimait que la « ristourne Juppé » permettrait la création de 300 000 à 400 000 emplois en dix ans. Des bilans suffisamment élogieux pour justifier la poursuite de ces mesures. Sauf qu'en 2002 les exonérations de charges s'élevaient à 19,4 milliards d'euros ! Difficile de faire plus, sauf à compromettre durablement l'équilibre des comptes sociaux. « Depuis la loi Aubry II, ces montants colossaux n'ont aucun effet sur le coût horaire du travail car ils sont intégralement compensés par les hausses du smic », dénonce Michel Martinez, de Rexecode. Une analyse approuvée par Olivier Dutheillet de Lamothe : « La baisse du coût du travail, de loin la mesure la plus efficace, est plombée par les 35 heures. Car les baisses de charges ne servent plus qu'à compenser les hausses des garanties mensuelles de rémunération. »

8 Mieux encadrer les chômeurs

L'idée d'un accompagnement individualisé des demandeurs d'emploi s'est pour la première fois concrétisée en 1986 avec la création par les partenaires sociaux des conventions de conversion. Un dispositif ouvert aux salariés victimes d'un licenciement économique et destiné à accélérer leur reclassement. Douze ans plus tard, l'ANPE met en œuvre un « service personnalisé pour un nouveau départ vers l'emploi », tandis que les missions locales sont chargées de coordonner l'accompagnement réservé aux jeunes en difficulté dans le cadre du programme Trace. C'est à la faveur de la négociation en 2000 du Pare (plan d'aide au retour à l'emploi) par les partenaires sociaux, gestionnaires de l'Unedic, que cet accompagnement prend son essor, en étant étendu à tous les chômeurs, indemnisés ou non. En échange de l'obligation pour le demandeur d'emploi de suivre les préconisations d'un « projet d'action personnalisé » élaboré avec l'ANPE, l'Unedic consacre 1 milliard d'euros par an pour financer des postes supplémentaires à l'ANPE et diverses prestations d'accompagnement et de formation des demandeurs d'emploi. Fin 2002, près de 5 millions de PAP avaient été conclus.

Une stratégie qui, selon la Dares, a « un effet bénéfique à long terme, en accroissant le stock de chômeurs employables ». Autre atout relevé par Denis Fougère, chercheur au CNRS Crest-Insee, sur la base des études faites aux États-Unis et reprises dans le rapport Pisani-Ferry sur le plein-emploi, « ces aides personnalisées s'accompagnent d'une réduction de la durée moyenne du chômage supérieure à celle atteinte par l'incitation par les primes ». L'Unedic constate que si la durée moyenne d'indemnisation progressait de vingt-trois jours par an en moyenne dans les années 1991-1994, celle-ci s'est réduite de vingt et un jours en 2001, puis de neuf jours en 2002, à croissance économique comparable.

Si la France fait partie des pays de l'OCDE qui dépensent le plus en matière d'aide des chômeurs à l'embauche, derrière les Pays-Bas, le Danemark et la Suède, en y consacrant 1,32 % de son PIB, l'accompagnement individualisé tarde à se concrétiser. À raison d'un agent de l'ANPE pour 189 demandeurs d'emploi, « la modulation de l'accompagnement en fonction de l'ancienneté dans le chômage a du mal à se mettre en place », observe Carole Tuchszirer, de l'Ires, qui a participé à l'évaluation du Pare. Surtout en matière de formation. « Tout se passe comme si l'accès à la formation des demandeurs d'emploi reproduisait les inégalités d'accès pour les salariés », souligne ainsi la fondation Copernic. En dépit des moyens supplémentaires mobilisés, seuls 10 à 12 % des chômeurs en bénéficient.

Corollaire des moyens déployés dans l'accompagnement individualisé des chômeurs, le contrôle de la recherche d'emploi s'intensifie. Même si les études américaines montrent, selon Denis Fougère, que ces contrôles « n'ont pas d'effet sur la durée effective des droits et le montant des indemnités versées ». Pour autant, « les contrôles fonctionnent tant bien que mal depuis des années », indique Jean-Pierre Revoil, directeur général de l'Unedic. Et ils se sont accrus avec le Pare qui impose un rendez-vous au moins semestriel avec les demandeurs d'emploi : résultat, plus de la moitié des sorties des fichiers de l'ANPE sont, en 2002, liées à une absence au contrôle (40,8 % des sorties) ou à une radiation administrative (10,4 %).

9 Inciter à reprendre un emploi

En phase avec les préconisations de l'OCDE, la France s'est progressivement dotée d'une panoplie d'outils d'intéressement financier pour stimuler l'offre de travail. À commencer par la possibilité ou verte dès 1983 par l'Unedic aux chômeurs de cumuler, dans certaines conditions et pour une durée limitée, une indemnisation avec un revenu d'activité. Un mécanisme étendu en 1998 par Martine Aubry aux RMIstes et aux bénéficiaires de l'allocation spécifique de solidarité. Dans un contexte d'explosion des contrats précaires, ce dispositif dit « d'activité réduite » concerne en 2002 près de 30 % des demandeurs d'emploi. Enfin, la création en 2001 de la prime pour l'emploi marque une étape supplémentaire dans ce processus de lutte contre les « trappes à inactivité » par l'institution d'un mécanisme d'allégement de la fiscalité sur les bas revenus, voire d'amélioration de la rémunération du travail pour les non-assujettis. Plus de 8 millions de foyers fiscaux en ont bénéficié dès la première année.

Alors que certains préconisent d'amplifier ces incitations, comme Michel Martinez, de Rexecode, qui estime que « le différentiel entre allocation et smic est encore trop faible », d'autres sont plus sceptiques. « En présence d'un salaire minimum légal élevé par rapport au salaire médian, les mesures comme le crédit d'impôt sont mal adaptées car la priorité est davantage de soutenir l'embauche des entreprises », relève l'OCDE. Surtout, « le déclenchement du retour à l'emploi ne correspond pas qu'à un choix monétaire, mais aussi à des éléments tels que la situation du conjoint, les problèmes de transport, de garde d'enfants ou encore le type d'emploi souhaité », note Olivier Marchand, patron de la division emploi de l'Insee. « Aucune étude n'a permis de démontrer que le chômeur avait intérêt à transiter par un dispositif d'activité réduite pour renouer durablement avec le marché du travail. Certains pays comme le Danemark ou la Belgique les ont d'ailleurs abandonnés au motif que cela rallongeait le processus de reclassement », renchérit Carole Tuchszirer, de l'Ires, auteur d'une étude sur les activités réduites en Europe.

En contrepoint de ces systèmes d'intéressement, la tentation de montrer plus de fermeté à l'égard des demandeurs d'emploi est aussi récurrente… dans les périodes de ralentissement conjoncturel. Cette fermeté se traduit d'abord par un durcissement des conditions d'indemnisation. Une décision justifiée « moins par le désir de sanction que par la contrainte budgétaire pesant sur ces régimes », explique Raymond Torres, responsable de la division emploi de l'OCDE. De fait, c'est moins pour son efficacité en termes de retour à l'emploi que pour les 2 milliards d'euros d'économies attendus que l'Unedic va mettre en œuvre, au 1er janvier, un nouveau raccourcissement des droits. C'est avec ce même souci que François Fillon souhaite, pour la première fois, diminuer l'ASS.

Ultime étape de cette activation, le conditionnement du versement d'une prestation à la reprise d'un emploi, à l'image de ce que pratiquent de longue date le Royaume-Uni ou les États-Unis. C'est le sens de la réforme proposée par François Fillon visant à faire dépendre de la reprise d'une activité subventionnée par l'État, le versement du RMI transformé en revenu minimum d'activité. Une idée qui n'a jamais démontré son efficacité pour le retour à l'emploi… dans les périodes de fort chômage.

10 Renforcer les coopérations locales

Le souci d'organiser la concertation sur le terrain entre service public de l'emploi, élus locaux, responsables patronaux et syndicaux ne date pas d'hier. Tel était l'objectif fixé aux comités de bassin d'emploi créés en 1981. Seul problème, « entre une administration centrée sur les publics en difficulté et sans lien avec le développement d'activité et des partenaires sociaux qui ne disposent pas de relais suffisants sur le territoire, ces comités tournaient rapidement à vide faute d'interlocuteurs », se souvient Paulette Pommier, chargée de mission à la Datar. Vingt ans plus tard, le besoin de coordination est devenu d'autant plus crucial que l'accompagnement des chômeurs s'est compliqué avec l'apparition de nouveaux acteurs. À commencer par les départements qui, en 1988, héritent des politiques d'insertion des RMIstes, en complément des dispositifs d'emploi aidés gérés par l'État. Tandis que les conseils généraux devraient bientôt endosser la responsabilité du financement du RMI. « Une façon de les intéresser davantage à l'efficacité de leur politique d'accompagnement des demandeurs d'emploi », commente Raymond Torres, responsable de la division emploi de l'OCDE.

De leur côté, les régions se sont vu confier en 1993 la conduite de la formation professionnelle, celle des jeunes notamment. Une responsabilité que le gouvernement Raffarin envisage encore de conforter en décentralisant les budgets des formations commandées à l'Afpa et l'animation des missions locales chargées du suivi des jeunes en difficulté. Enfin, l'Unedic s'est à son tour inscrite en 2001 dans le paysage avec la mise en œuvre du Pare. Outre le financement de 3 650 postes d'encadrement des demandeurs d'emploi à l'ANPE, le régime d'assurance chômage est devenu le plus gros financeur de prestations d'accompagnement de l'agence et un acteur important en matière de formation.

L'objectif de ces opérateurs du marché de l'emploi n'est certes pas identique. Surtout, observe Florence Lefresne, de l'Ires, « la décentralisation ne résout pas en elle-même la question de la coordination des acteurs, comme l'a montré la complexité de la mise en œuvre du dispositif Trace ». Toutefois, des passerelles existent sur le territoire, en particulier depuis que le service public de l'emploi s'est déconcentré dans les années 90. « Les préfets de région, comme les directeurs régionaux de l'ANPE ou les Assedic, ont désormais la possibilité de doser les différentes mesures publiques en fonction du contexte local », se félicite Jean-Marie Marx, directeur général adjoint de l'agence. Parallèlement, « le rapprochement entre l'ANPE et l'Unedic est devenu une réalité », renchérit Jean-Pierre Revoil, directeur général de l'Unedic. Enfin, des accords-cadres ont été conclus entre l'État, les régions et l'Unedic pour le financement commun de formations homologuées. Reste à mettre en place un système d'échange d'informations informatisé afin de permettre aux agents de l'ANPE, qui prescrivent 1,2 million de formations par an, d'avoir une vue complète de l'offre territoriale.

Il n'en reste pas moins qu'aux yeux de Raymond Torres « il existe encore une marge importante pour améliorer l'efficacité des bureaux d'emploi, en particulier en complémentarité avec le secteur privé ». Pour l'heure, celui-ci n'est pas totalement absent du paysage. Depuis 2001, l'ANPE a confié au privé la réalisation de ses prestations d'accompagnement. De son côté, l'Unedic envisage, à titre expérimental, d'aller plus loin en déléguant le placement des chômeurs. Enfin, d'autres acteurs se tiennent en embuscade, à l'instar des entreprises de travail temporaire qui espèrent bien tirer leur épingle du jeu de la fin du monopole de placement de l'ANPE annoncée par François Fillon. Pour Dominique Balmary, ancien délégué à l'Emploi, « la prolifération de tous ces acteurs sur le marché de l'emploi est préoccupante dans la mesure où elle génère de forts risques d'écrémage et de segmentation des demandeurs d'emploi, ces acteurs ne s'intéressant qu'aux plus facilement employables d'entre eux ». Un danger que l'État devrait prendre davantage au sérieux avant de se désengager plus avant de la régulation du marché de l'emploi.

L'avis de nos experts

Gérard Cornilleau (OFCE)

La réforme du financement des retraites exige que l'on revienne au plein-emploi. Elle contraint en même temps à l'abandon des politiques de retrait d'activité. Promouvoir des mesures qui, comme les préretraites, raccourcissent la durée d'activité serait, en effet, totalement contradictoire avec l'objectif recherché. Il en est de même pour les incitations au retrait d'activité féminin, qui iraient non seulement à l'encontre des évolutions sociales, mais seraient en porte-à-faux avec la nécessaire augmentation des taux d'activité. En période de contraction de l'emploi, la seule politique de retrait d'activité positive, c'est la formation. À condition d'éviter le stage parking !

Christian de Boissieu (COE)

Il existe aujourd'hui un consensus sur la nécessité de remonter les taux d'activité, en particulier des seniors. La France doit donc se préparer à une sortie en sifflet des préretraites, qui représentent un gâchis collectif considérable. Reste qu'on ne pourra s'en tenir au discours. Sans incitation financière, je crains qu'on ait du mal à convaincre les entreprises de garder leurs salariés âgés. Il va donc falloir songer, pour amorcer la transition, à mettre en place des exonérations de charges pour les seniors afin d'améliorer leur rapport salaire/productivité.

Gérard Cornilleau

À très long terme, le progrès technique accroît les besoins de main-d'œuvre qualifiée. En ce sens, le développement de la formation initiale est un objectif à poursuivre. Mais sinon, il reste très difficile d'évaluer les effets sur l'emploi des politiques d'amélioration des qualifications. Peut-on, ainsi, imputer le chômage à des questions de niveau de formation ? Pas sûr. Car on observe aussi un processus de déqualification des embauches lors des périodes de crise. D'autre part, il me semble qu'on sous-estime les capacités d'adaptation autonomes des individus. Au début des années 80, les secrétaires n'ont pas eu de difficultés particulières à se former à la bureautique, contrairement à certaines prévisions alarmantes.

Christian de Boissieu

La bonne réponse à la multiplication des plans sociaux consiste à faciliter la mobilité sectorielle des salariés via de gros efforts en matière de formation professionnelle. C'est particulièrement vrai pour les nouvelles technologies, si on veut éviter que ne se creuse le fossé entre les générations. Plus généralement, la formation est un bon levier pour réduire le chômage structurel, dont le niveau se situe aux alentours de 8,5 % de la population active. Le nouvel accord interprofessionnel, qui institue un droit de tirage, va donc dans le bon sens.

Gérard Cornilleau

La création d'entreprise constitue un refuge pour certains chômeurs. Dans une certaine mesure, l'incitation à la création d'entreprise peut donc contribuer à limiter le chômage. À long terme, il ne semble toutefois pas que l'on puisse en attendre une contribution importante dans la lutte contre le chômage. Il s'agit plus d'une mesure de partage du travail que d'un véritable moyen de création nette d'emplois.

Christian de Boissieu

Les grandes entreprises françaises ont tendance à détruire plus d'emplois qu'elles n'en créent. La France doit donc privilégier son tissu de PME, en particulier au travers de la création d'entreprise. La toute récente loi Dutreil, qui instaure des fonds d'investissement de proximité, est un pas supplémentaire, mais les questions de financement, fondamentales, ne sont pas encore réglées. Au-delà des textes réglementaires, il manque encore en France un profond changement d'attitude sociétale. Ça commence à l'école, où les étudiants n'apprennent pas vraiment à se comporter comme des entre- preneurs schumpetériens. Et ça continue dans la vie professionnelle, où une éventuelle faillite est considérée comme une tare qui vous poursuit quasiment toute votre vie.

Gérard Cornilleau

Créer de l'emploi dans le secteur non marchand est la façon la plus rapide de réduire le chômage. C'est aussi la moins coûteuse puisque, du point de vue des finances publiques, seul le coût du salaire net de ces emplois est pris en compte. Ces créations d'emplois non marchands ne peuvent être toutefois que transitoires : elles ont vocation à diminuer quand la croissance rebondit. Ce dispositif doit aussi être réservé aux demandeurs d'emploi en grande difficulté, dont le retour vers un emploi marchand est impossible. On pourrait aussi s'interroger sur l'opportunité de créer des « emplois vieux », sachant que, à la différence de ceux réservés aux jeunes, leurs bénéficiaires ne les occuperaient pas longtemps. En revanche, ces dispositifs ne peuvent pas servir à créer de nouveaux services collectifs. Car si les services proposés répondent à un besoin collectif non satisfait, leurs titulaires doivent être régis non pas dans le cadre d'une catégorie d'emploi particulière, mais dans celui de l'emploi public traditionnel.

Christian de Boissieu

Les contours du secteur non marchand ne sont pas clairs : il désigne tout à la fois la fonction publique, le secteur associatif et les services aux personnes. Il ne faut pas compter sur la fonction publique pour générer des créations nettes d'emplois dans la mesure où ce secteur est appelé à dégager des gains de productivité du fait des contraintes budgétaires et de la réforme de l'État. En revanche, il y a sans doute encore des réserves d'emploi dans les services à la personne, notamment lorsqu'on se compare à des pays qui, comme les États-Unis, sont plus en avance dans ce domaine et avec la perspective que ces services génèrent des gains de productivité plus faibles que le secteur marchand.

Gérard Cornilleau

Cela fait vingt-cinq ans que l'on oppose les prétendues rigidités du marché du travail aux créations d'emplois. En réalité, depuis la suppression de l'autorisation administrative de licenciement, les assouplissements ont été très importants. Les CDD, qui constituent la principale modalité d'embauche, sont avant tout utilisés pour allonger la durée de la période d'essai. Reste-t-il quelque chose à assouplir ? Cela paraît un peu contradictoire avec le petit virage amorcé par la politique européenne de l'emploi qui met l'accent sur la qualité de l'emploi depuis le sommet de Lisbonne. Je note par ailleurs l'attitude contradictoire des entreprises qui, tout en affirmant n'avoir une visibilité de leur activité qu'à six mois, veulent pouvoir embaucher pour cinq ans avec des contrats de mission. Si ce dernier était créé, sa principale différence par rapport à un CDI porterait sur le niveau des indemnités de licenciement, ce qui équivaudrait à une baisse du niveau de salaire. À moins qu'une indemnité compensatrice soit mise en place, ce qui ôterait dès lors tout intérêt à ce type de contrat.

Christian de Boissieu

Il faut introduire un peu plus de souplesse dans les conditions d'application de certains textes, mais sans pour autant remettre en cause la protection des plus faibles par le Code du travail. Car le marché du travail n'est pas et ne sera pas un marché comme les autres. Heureusement que les tribunaux interviennent pour corriger certains déséquilibres ! Les gouvernements précédents ont déjà introduit sans le dire une certaine flexibilité en laissant se développer le temps partiel, le travail temporaire et les CDD. Au regard des abus auxquels ces derniers ont pu donner lieu, je serais prudent sur les contrats de mission. Reste que tout cela équivaut davantage à contourner les rigidités qu'à s'y attaquer. C'est pourquoi l'innovation passe davantage par un assouplissement des coûts de transaction sur le marché du travail encore relativement élevés.

Gérard Cornilleau

Les 35 heures, avec leur mélange de gains de productivité et d'allégements de charges, ont eu des effets positifs sur l'emploi, sans dégrader la compétitivité. Mais c'est une opération qui s'arrête un peu au milieu du gué. Ce qui va poser un problème : peut-on vivre durablement avec des entreprises à 35 heures et d'autres à 39 ? À court terme, la RTT n'est plus vraiment un levier. Avec les perspectives de ralentissement de la population active, on s'oriente même plutôt vers un rallongement de la durée du travail. Dans le futur, on peut aussi imaginer des scénarios d'enchaînement d'allongement et de réduction du temps de travail au gré de la conjoncture. À plus long terme, rien ne permet d'exclure qu'on franchisse une marche de plus en passant à 32 heures. Tout dépendra du redémarrage ou non de la croissance de la productivité.

Christian de Boissieu

La seule année où les 35 heures ont sans doute eu un effet emploi significatif, c'est en 2000, avec la création de 100 000 à 120 000 emplois supplémentaires. Dès 2001, les créations imputables à la loi Aubry II retombent aux alentours de 30 000. Sur le moyen terme, cette RTT rigide, uniforme et contraignante, a donc eu des effets plutôt négligeables. Il est absurde de penser qu'on peut se partager un gâteau d'emplois. Car quand on réduit la part de chacun, c'est le gâteau lui-même qui se réduit. Cela dit, je ne crois pas qu'on puisse revenir sur l'idée même des 35 heures. Ce serait une provocation sociale. Il faut simplement donner les moyens aux entreprises de passer du prêt-à-porter au sur-mesure en introduisant de la souplesse. En particulier sur les heures supplémentaires. En cas d'accord mutuel entre salariés et employeurs, pourquoi faudrait-il en limiter le nombre ?

Gérard Cornilleau

L'emploi est beaucoup plus sensible aux cours de l'euro et du dollar qu'au niveau des charges sociales. Cela dit, il existe un quasi-consensus pour considérer que les allégements du coût du travail non qualifié ont eu des effets positifs sur l'emploi, dans des délais qui restent à préciser. Mais on ne voit pas ce qu'on pourrait faire de plus, si ce n'est clarifier l'ensemble du système de prélèvement social et fiscal. À coût du travail inchangé, il faudrait faire en sorte que seules les cotisations Unedic et AT/MP soient financées par des cotisations employeur. Le reste devrait être à la charge des salariés (retraites) ou totalement transféré sur les impôts (assurance maladie).

Christian de Boissieu

En matière d'allégements, on peut encore gratter un peu, même si l'essentiel des mesures est derrière nous. Il faut notamment aller au bout de la baisse des charges au voisinage du smic. Car, sur les bas salaires, toutes les études montrent la très grande sensibilité des entreprises aux coûts du travail dans leurs décisions d'embauche. Au-delà d'un certain seuil, des exonérations supplémentaires se justifient moins. Car vous touchez assez vite des postes pour lesquels la demande des entreprises devient moins sensible au coût du travail.

Gérard Cornilleau

Dès que le chômage augmente, le débat autour du contrôle de la recherche d'emploi resurgit. Les dispositifs de contrôle existent. Sont-ils efficaces ? Les études n'ont pas permis de démontrer que le chômage était massivement lié au refus des demandeurs d'emploi de prendre les emplois proposés, ni même à leur inadaptation aux postes. Le chômage reste d'abord un problème de demande de travail. Le contrôle de la recherche fait en réalité partie des leviers mobilisables dans les périodes de plein-emploi, pour améliorer l'ajustement de l'offre à la demande de travail. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faille pas améliorer l'accompagnement de la reprise d'emploi. Le service rendu par le service public de l'emploi n'est peut-être pas très optimal. Mais si un bon service de placement constitue un avantage, il est aussi extrêmement coûteux.

Christian de Boissieu

Si l'ANPE a amélioré son efficacité globale dans l'accompagnement des demandeurs d'emploi, elle peut encore faire des progrès pour maintenir leur employabilité car cette dernière tend à s'éroder au fur et à mesure que la durée du chômage s'allonge. Dans un contexte de chômage structurel important où 200 000 à 300 000 offres d'emploi ne trouvent pas preneur, cet accompagnement passe autant par la distribution d'informations aux demandeurs d'emploi que par l'amélioration de la fluidité du marché du travail ou encore l'augmentation de la qualification de la main-d'œuvre. En matière d'accompagnement, mieux vaut aussi jouer sur la carotte que sur le bâton, car non seulement les contrôles existent déjà, mais ce n'est pas en instaurant des couperets supplémentaires que l'on réconciliera les Français avec le travail.

Gérard Cornilleau

Les incitations financières à la reprise d'emploi n'ont de sens qu'en période de plein-emploi. Si le marché du travail reste déprimé, leur effet s'épuise vite. L'objectif de la prime pour l'emploi visait moins à aider à la reprise d'emploi qu'à corriger une injustice fiscale pour les non imposables, exclus des baisses d'impôts sur le revenu. C'est d'ailleurs à la suite de l'annonce d'une nouvelle baisse d'impôts que le gouvernement actuel a augmenté la prime pour l'emploi. Sur le fond, je doute que cette prime ait un impact important sur le chômage. Les études sont contradictoires. Quoi qu'on en dise, l'appétence pour l'emploi reste forte et la démotivation à l'égard du travail est exagérée. Enfin, les demandeurs d'emploi n'ont pas conscience à court terme de l'effet de cette prime sur l'évolution de leurs revenus. Dernière caractéristique de cet impôt négatif, il incite les femmes à accepter des emplois à temps partiel en les rendant financièrement plus supportables, ce qui n'est pas très positif.

Christian de Boissieu

Non seulement la prime pour l'emploi est une bonne idée, mais le gouvernement Raffarin a raison de créer des dispositifs tels que le RMA car il faut arriver à creuser l'écart entre les revenus d'activité et ceux de substitution pour que les personnes aient intérêt à retrouver du travail. Tout en sachant que le chômage involontaire constitue la plus grande part des 9,7 % de chômeurs. Autre avantage de ces incitations financières à la reprise d'emploi, elles constituent un levier conjoncturel intéressant dans la mesure où, à la différence d'autres baisses d'impôts, elles contribuent à augmenter la consommation des ménages.

Gérard Cornilleau

Le taux de chômage n'est pas uniforme sur le territoire. Si bien que s'il apparaît possible de mettre en place des dispositifs d'activation de la recherche d'emploi dans certains bassins d'emploi, cette politique semble grotesque dans d'autres. Mettre en place une sorte de décentralisation de la politique de l'emploi ne semble donc pas absurde.

Christian de Boissieu

Tout ce qui favorise les partenariats et les économies d'échelle va dans le bon sens, à condition de ne pas exclure d'éventuels partenaires privés.

Auteur

  • Stéphane Béchaux, Valérie Devillechabrolle