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Vie des entreprises

Pour lever des fonds, HEC, X et consorts font feu de tout bois

Vie des entreprises | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.11.2003 | Anne-Cécile Geoffroy

Importé d'outre-Atlantique, le « fundraising », ou l'art de lever des fonds, fait des émules dans les grandes écoles. Via leurs fondations, elles sollicitent les entreprises pour créer des chaires, financer des bourses, accueillir des étudiants étrangers ou agrandir les campus. Celles qui s'engagent en attendent un vrai retour sur investissement.

Jolie moisson : fin septembre, six mois après avoir lancé une campagne de souscription, l'Essec se targuait d'avoir engrangé plus de 9 millions d'euros. Cette campagne, baptisée « Ensemble, investissons dans la création de valeurs », a pour objectif de récolter 25 millions d'euros d'ici à 2006. Cible visée : les entreprises en premier lieu, mais aussi les particuliers, dont les dons permettront de créer des chaires d'enseignement et de recherche, de financer des bourses pour les étudiants étrangers et d'agrandir les locaux de la business school de Cergy-Pontoise. Toute nouvelle en France, cette technique du fundraising (levée de fonds) arrive tout droit d'outre-Atlantique, où la majorité des universités sont privées. Pour assurer leur fonctionnement, ces dernières sont passées maîtres dans l'art de recueillir de l'argent auprès des anciens et des entreprises. Harvard Business School, qui cherche 500 millions de dollars (423 millions d'euros) d'ici à 2005, a déjà encaissé 360 millions de dollars (305 millions d'euros) de dons !

Des sommes qui font tourner la tête des grandes écoles françaises dont les ambitions sont plus modestes. Hormis l'Insead qui a réussi à lever la bagatelle de 120 millions d'euros en 2000. Le MBA de Fontainebleau entend réitérer l'opération l'an prochain. À Lille, la campagne « Ensemble, bâtissons demain » de l'Institut catholique, achevée en juin 2002, a permis de lever plus de 5,5 millions d'euros auprès de 42 entreprises et donateurs dans la seule région Nord-Pas-de-Calais. Quant à l'Edhec, l'école de commerce lilloise, elle a récolté 1,8 million d'euros auprès de ses anciens pour rénover son campus.

De plus en plus, les grandes écoles de commerce et d'ingénieurs explorent cette voie afin de trouver de nouvelles sources de financement. Car leurs budgets, alimentés par les subventions publiques, les frais de scolarité, la taxe d'apprentissage et la formation continue, ne suffisent plus à assouvir leur soif d'expansion. Principal objectif de ces levées de fonds : accélérer l'internationalisation des campus afin de s'armer face à la concurrence américaine. Ce qui suppose de recruter des étudiants et des professeurs étrangers, de créer des chaires de renommée internationale, de multiplier les bourses d'études et d'agrandir les locaux. « Si nous voulons exister sur le plan international, nous devons faire venir sur le campus des professeurs visitants et des enseignants-chercheurs de renom, explique Anne Zuccarelli, présidente de la fondation Edhec. Mais leur rémunération est devenue un véritable casse-tête. » En quelques années, le marché des profs haut de gamme s'est fortement mondialisé. Aux États-Unis, le salaire d'un enseignant-chercheur titulaire d'un doctorat ou d'un PHD (professional high degree) tourne autour de 100 000 à 150 000 euros par an. En France, les business schools françaises ne peuvent pas encore s'aligner sur ces tarifs et proposent des salaires allant de 50 000 à 80 000 euros par an.

À chaque école, sa fondation

Pour récolter les dons, les grandes écoles utilisent leurs fondations, reconnues d'utilité publique. HEC, Polytechnique, les Ponts-et-Chaussées s'en sont dotées depuis plusieurs années, l'Edhec il y a deux ans. Supélec vient tout juste de créer la sienne, placée sous l'égide de la Fondation de France. L'ESCP-EAP étudie la question pour 2004. Adossées aux établissements mais juridiquement indépendantes, ces structures permettent de recueillir des fonds auprès des entreprises.

Le ticket d'entrée pour la fondation HEC est de 55 000 euros par an. Polytechnique est moins gourmande. La contribution annuelle s'échelonne entre 10 000 et 30 000 euros. En revanche, pour faire partie des membres fondateurs, la note s'élève à 100 000 euros. Une manne qui profite directement à l'école. Avec un budget de 1,2 million d'euros, la fondation de l'X prend en charge chaque année la totalité des frais de vie de 30 étudiants étrangers. « Nous aidons également l'école à rémunérer les professeurs étrangers et nous attribuons une enveloppe pour le fonctionnement du programme international de Polytechnique », précise Paul Combeau, délégué général de la fondation. En 2002, le budget de la fondation HEC (qui représente 3 % du budget total de l'école hors taxe d'apprentissage) a permis à l'établissement d'accueillir 30 professeurs visitants, de recruter trois professeurs étrangers et de financer neuf bourses de doctorat.

Gros avantage, les entreprises bénéficient de déductions fiscales calculées sur le montant du don au titre du mécénat. En juillet 2003, l'État a dépoussiéré la loi pour la rendre plus attractive. Sitôt publiés les décrets d'application, les entreprises mécènes bénéficieront d'une réduction d'impôts de 60 % du montant du don (contre 33 % auparavant) dans la limite de cinq pour mille de leur chiffre d'affaires.

Cadeau fiscal et verrou culturel

Un cadeau fiscal qui est loin, cependant, d'être suffisant pour inciter les entreprises à faire preuve de générosité. Car si le verrou fiscal saute, le cadenas culturel reste bien fermé. « Dans un pays latin comme la France, l'État est seul responsable de l'éducation aux yeux de ses citoyens. A contrario, les Anglo-Saxons traînent une mauvaise conscience du capitalisme et cherchent à se dédouaner vis-à-vis de la société en redistribuant leurs richesses, notamment dans le domaine éducatif. C'est dans cette logique que Rockefeller a fondé l'université de Chicago », rappelle Jean-François Picard, chercheur au CNRS et spécialiste des fondations. Une analyse que partage Bernard Ramanantsoa, directeur général de Hec. « L'obstacle majeur reste d'ordre culturel. Le fundraising est un labeur de tous les jours que je partage avec le président de la fondation, Jean-Luc Allavena [DG du groupe Lagardère Media]. »

Déjà assujetties à la taxe d'apprentissage, les entreprises font souvent la sourde oreille. Aussi, les grandes écoles professionnalisent leur collecte de fonds en faisant appel à des cabinets spécialisés. L'Essec s'est attaché les services de la société canadienne Ketchum et d'une directrice de campagne aguerrie, Sylvia Desazars, ancienne directrice adjointe du campus de l'Insead à Singapour, qui a développé une batterie d'outils : lettre d'information, site Internet, vidéo… « Nous avons fixé précisément les montants des investissements que nous souhaitons réaliser, précise Sylvia Desazars : 16 millions d'euros seront consacrés à la création de chaires, 6 millions aux infrastructures et 3 millions aux bourses. Si les entreprises comprennent l'intérêt des chaires et des bourses, nous n'avons pas encore réussi à les mobiliser sur l'extension du campus. »

Bataille entre écoles

La relative timidité des entreprises conduit les grandes écoles françaises à se livrer une belle bataille. En 2002, Reims Management School a ouvert une chaire de management et marketing de la distribution avec Auchan, qui finance en totalité la structure, à hauteur de 500 000 euros pour trois ans renouvelables. HEC s'est associée avec Carrefour et annonce la création, cette année, d'une chaire avec Atis Real (anciennement groupe Thouard). De son côté, l'Essec a signé avec Entenial, une banque spécialisée dans l'immobilier, et prépare le lancement de deux autres chaires d'ici à la fin de l'année. « Pour créer une chaire, une ou plusieurs entreprises doivent s'engager sur quatre ans à nous verser 300 000 euros par an », précise Sylvia Desazars. À HEC, le tarif a été fixé à 230 000 euros par an sur cinq ans renouvelables. Une somme qui permet de rémunérer un professeur, son équipe, et de distribuer des bourses pour les travaux de recherche.

En matière de bourses d'études, l'Essec a signé deux accords cette année avec Renault Samsung Motors et Lafarge Chine qui vont, chacun, financer la formation à Cergy-Pontoise de cinq étudiants coréens et chinois qu'ils auront eux-mêmes sélectionnés. À HEC, c'est la Caisse nationale des Caisses d'épargne (CNCE) qui a versé cette année 225 000 euros pour alimenter un fonds de bourses destiné à favoriser les échanges d'étudiants européens. « Nous avons financé 8 bourses de MBA et 120 bourses pour des étudiants du programme grande école », indique Christelle Kilani, responsable de la gestion des carrières à la direction de la gestion des dirigeants de la CNCE.

De cet engagement financier élevé, les entreprises attendent un retour sur investissement. En termes d'image, d'abord. « Le premier objectif est de devenir une entreprise visible et référente auprès des étudiants dans le domaine du marketing appliqué à la grande distribution, explique Christine Guilleminot, chargée des carrières à Auchan France. Nous voulons également nous appuyer sur cette chaire pour actualiser les connaissances de l'entreprise et les diffuser en interne. Enfin, nous espérons faciliter nos recrutements et trouver sur le marché des cadres dont la formation est à jour. »

Pour la Caisse nationale des Caisses d'épargne, qui renforce sa présence sur les marchés européens, il s'agit clairement de se rapprocher des hauts potentiels qui fréquentent le campus de HEC. « Nous voulons faire connaître nos métiers et attirer ces jeunes pour doter l'entreprise de compétences issues d'une filière d'excellence », explique Christelle Kilani. Les membres de la fondation HEC sont prioritaires pour présenter aux étudiants leurs activités et leur politique de recrutement. « La première attente des entreprises qui rejoignent la fondation est d'obtenir un contact privilégié avec les étudiants, confirme Bernard Ramanantsoa, directeur général de HEC. Ensuite, elles ont des préoccupations à moyen terme, notamment pour développer des enseignements qui n'existeraient pas à HEC. »

C'est le cas du cabinet d'avocats d'affaires britannique Allen & Overy. Soucieux de se faire connaître des étudiants de la business school de Jouy-en-Josas, il est devenu membre de la fondation. « Participer aux instances de la fondation, c'est aussi l'occasion de contribuer à approfondir des domaines du droit qui ne seraient pas encore enseignés sur le campus », souligne Isabelle Epp, directrice marketing et communication d'Allen & Overy.

Petites faveurs aux mécènes

Pour faire de ces nouveaux partenariats des contrats gagnants-gagnants, les grandes écoles ont largement ouvert les portes des comités directeurs des fondations et accordent même un certain droit de regard sur la stratégie de l'établissement. Une influence que les entreprises peuvent également exercer dans les chaires qu'elles financent puisqu'elles siègent généralement au comité de pilotage et au comité scientifique. « Nous faisons très attention à garder notre indépendance académique, prévient cependant Adilson Borges, professeur titulaire de la chaire Auchan. Les travaux de recherche ne peuvent pas être soumis à une simple validation de notre partenaire, qui en est d'ailleurs bien conscient. L'école et l'entreprise siègent à parité dans le comité de pilotage. Quant au comité scientifique, il est essentiellement composé d'académiciens qui garantissent la qualité des travaux. »

Pour parer à l'ardeur éventuelle de leurs mécènes, les grandes écoles leur accordent de petits privilèges. L'Essec compte ainsi attribuer aux amphithéâtres et salles de cours le nom des partenaires qui le souhaiteraient. Reste à savoir si ces petites faveurs suffiront aux établissements d'enseignement supérieur pour garder les mains totalement libres.

Les universités sur le bord de la route

En envisageant d'augmenter les droits d'inscription à l'IEP de Paris (actuellement de 0 à 4 000 euros par an en fonction des revenus des parents et du nombre d'enfants à charge), Richard Descoings, le directeur de Sciences po, poursuit un objectif précis : accroître les ressources financières de l'établissement pour rester dans la compétition internationale et proposer plus de bourses d'études, de logements et de ressources bibliothécaires aux étudiants. Comme les grandes écoles, l'établissement de la rue Saint-Guillaume doit faire face à la concurrence mondiale, principalement américaine, et donc trouver de nouvelles sources de financement.

Une concurrence qui touche également de plein fouet les universités françaises qui, si elles veulent exister sur le plan international, doivent également attirer plus d'étudiants étrangers, plus de professeurs. Reste que ces dernières sont loin de bénéficier de l'autonomie de Sciences po. Elles n'ont pas non plus toute la latitude nécessaire pour accroître leurs budgets en développant, par exemple, le mécénat d'entreprise. Le report du projet de loi sur l'autonomie des universités en juin dernier a déçu les partisans d'un renforcement de la responsabilisation des établissements, notamment sur le plan financier. Un retard qui gâche les chances des universités françaises de se jeter rapidement dans la compétition internationale.

En septembre dernier, Viviane Reding, la commissaire européenne à l'Éducation et à la Culture, a pourtant lancé un appel dans ce sens lors de la dernière réunion des ministres européens de l'Éducation. Elle a notamment demandé aux États qu'ils mettent en place des mesures d'incitation fiscale à l'investissement des individus et des entreprises dans l'enseignement supérieur et la recherche.

Reste aux universités, comme au ministre de l'Éducation nationale, à désarmer la crainte d'une marchandisation de l'enseignement supérieur, présente chez de nombreux enseignants, chercheurs et étudiants.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy