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Repères

Une politique d'inspiration libérale

Repères | publié le : 01.11.2003 | Denis Boissard

Pas de rencontre au sommet à Matignon, pas d'affichage d'une politique volontariste autour de quelques mesures phares, pas de discours fort du Premier ministre appelant à la mobilisation et prenant des engagements chiffrés… l'attitude du gouvernement face à la montée du chômage tranche avec celle de ses prédécesseurs socialistes, à leur arrivée au pouvoir en 1997. Absorbé par le laborieux accouchement de sa réforme des retraites, François Fillon a pu donner la fâcheuse impression de délaisser la question de l'emploi, là où Martine Aubry avait, à l'époque, fait feu de tout bois. Et d'attendre passivement le retour de la croissance économique, ainsi que les premiers effets du retournement démographique, pour enrayer la remontée du chômage.

L'erreur serait d'en déduire que le gouvernement n'a pas de politique de l'emploi

Pas à pas, par petites touches, et surtout sans le dire, le séguiniste François Fillon pose en réalité les jalons d'une politique d'inspiration libérale, mâtinée de régulation par les partenaires sociaux, aux antipodes de celle poursuivie par la socialiste Martine Aubry. Là où la gauche – sans doute influencée par une vision malthusienne du marché du travail – avait choisi de partager le volume de travail existant par le biais d'une réduction forte du temps de travail et de créer par voie de subventions des emplois dans la sphère publique et parapublique, la droite met en œuvre une politique de dynamisation de l'offre d'emploi des entreprises très fidèle aux préceptes de l'OCDE. L'une privilégiait une approche étatiste et jacobine, l'autre entend s'appuyer sur le dialogue social et la décentralisation.

Par-delà des mesures en apparence disparates, quelques grands axes

se dégagent. D'abord, un allégement massif et généralisé du coût du travail peu qualifié : la politique engagée il y a dix ans par Édouard Balladur est poursuivie, déconnectée du passage aux 35 heures, et amplifiée. L'enveloppe atteindra le niveau record de 17 milliards d'euros dans le budget 2004. Au final, le coût total du travail d'un smicard sera réduit d'un quart pour toutes les entreprises.

Ensuite, une réorientation des aides vers les entreprises, au détriment du traitement social, c'est-à-dire des subventions aux emplois du secteur non marchand. Non seulement l'enveloppe globale consacrée aux aides à l'emploi est restée au même étiage bas qu'il y a trois ans (la période était alors faste sur le front du chômage), mais la part relative consacrée aux entreprises s'accroît : de la moitié en 2002, elle passera aux deux tiers l'an prochain.

Autre axe majeur de cette politique de l'offre : l'assouplissement des contraintes

juridiques qui pèsent sur les entreprises. L'antienne est connue : il faut, dixit les économistes néoclassiques, « libérer l'entreprise du carcan législatif et réglementaire qui freine la création d'emploi ». Se démarquant un peu du dogme libéral, François Fillon entend surtout rééquilibrer les parts respectives du droit du travail d'origine étatique ou jurisprudentielle et de celui d'origine conventionnelle, au profit des normes issues de la négociation collective, jugées plus proches des réalités du terrain. Un premier pas a été franchi avec la remise en cause de certaines dispositions de la loi de modernisation sociale et le renvoi aux partenaires sociaux du dossier des restructurations. Et le chantier a été confié à la commission de Virville qui doit remettre ses conclusions en décembre. Mais une montée en puissance de l'accord collectif suppose de lui conférer, ainsi qu'à ses acteurs, une plus grande légitimité qu'aujourd'hui, d'où la réforme controversée lancée par François Fillon qui vise à imposer une validation majoritaire.

Dernier axe, cette fois-ci du côté de la demande, mais d'inspiration également libérale, voire blairiste : renforcer le suivi des chômeurs. C'est l'objet de la mission Marimbert sur le rapprochement entre Unedic et ANPE. L'idée est d'aller au bout de la logique d'accompagnement du Pare, quitte à sanctionner comme en Grande-Bretagne les demandeurs qui refuseraient plusieurs offres d'emploi. Outre les économies attendues, la limitation du versement dans le temps de l'allocation spécifique de solidarité participe de cette volonté de ne pas laisser les chômeurs s'installer durablement dans des mécanismes d'assistance.

Cette politique, qui a sa cohérence, souffre de deux gros défauts :

d'une part, elle fait l'impasse sur les chômeurs les plus éloignés de l'emploi, sur les jeunes en situation d'échec scolaire, pour lesquels le traitement social reste un sas nécessaire pour pouvoir accéder à l'entreprise. D'autre part, elle ne portera ses fruits qu'à moyen terme et nécessitera le retour de la croissance pour produire ses pleins effets. Paradoxalement, la gauche a lancé une politique de partage du travail et d'emplois subventionnés dans une période de croissance booming, alors que la droite mise sur l'embauche en entreprise en plein marasme économique.

Auteur

  • Denis Boissard