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Une autre gestion des âges

Dossier | publié le : 01.11.2003 | F. C.

Du cumul emploi-retraite au renchérissement du coût des préretraites, la réforme contient des dispositions visant à convaincre les employeurs de ne plus mettre les seniors au rebut, et les salariés de rester en activité. Et elle n'est pas sans effet sur la protection sociale.

Pendant de longs mois encore, les entreprises vont vivre dans l'incertitude en matière de retraite. Première raison, la loi du 21 août dernier réformant les retraites nécessite de très nombreux décrets d'application – 17 rien que pour le volet sur l'épargne retraite – dont la publication ne devrait pas intervenir avant le début 2004 ! Ensuite, les négociations en cours entre les partenaires sociaux pour fixer les modalités de fonctionnement des régimes complémentaires Agirc et Arrco ne s'achèveront qu'à la fin de cette année. Or ces nouvelles règles du jeu seront déterminantes pour les comportements des salariés sur le moment de leur départ en retraite. Enfin, la loi prévoit des négociations à intervalles réguliers sur les possibilités de départ à la retraite avant 60 ans.

Pour nombre de DRH, cette incertitude a commencé très exactement le 23 août dernier, c'est-à-dire dès la publication au Journal officielde la loi portant réforme des retraites. À compter de ce jour est entré en vigueur, sans qu'il y ait besoin de texte d'application, l'article 16 interdisant à un employeur de mettre à la retraite d'office à 60 ans un salarié qui aurait les trimestres requis pour bénéficier d'une pension à taux plein. Rue de Grenelle, on explique qu'il fallait bien en passer par là, dès lors que le principe d'une surcote avait été retenu. Il n'empêche que si un employeur veut se séparer d'un salarié, en particulier d'un cadre peu performant parce que démotivé, son seul recours est le licenciement.

La fin des préretraites ?

En tout état de cause, cette mesure a pour effet d'alourdir les charges de fin de carrière des entreprises, leur fameux « passif social ». De fait, soit l'entreprise opte pour un départ anticipé avant 65 ans et elle devra verser l'indemnité de licenciement souvent plus élevée que celle de mise à la retraite (dans la convention collective du pétrole, elle est ainsi quatre fois plus élevée.) Soit elle verse cette même indemnité de mise à la retraite, mais calculée sur une durée de carrière plus longue, donc plus onéreuse.

À la CFDT, Jean-Marie Toulisse reconnaît que ce système couperet n'est pas très heureux. Toutefois, il rappelle qu'une possibilité d'accord de branche étendu, comportant des contreparties en termes d'emploi ou de formation professionnelle, existe dans la loi et permet de déroger au principe posé. C'est d'ailleurs pour contraindre les employeurs à s'engager dans des négociations sur les conditions d'activité des seniors que, en accord avec le cabinet de François Fillon, la CFDT a obtenu que ces précisions figurent dans la loi du 21 août.

Car l'un des objectifs de la loi Fillon, et non des moindres – au-delà de l'entrée des fonctionnaires dans le mouvement de la réforme –, est bien de provoquer une rupture dans les comportements des employeurs et des salariés du privé. Il s'agit d'en finir avec les préretraites comme mode ordinaire de gestion des effectifs. Le législateur entend convaincre les employeurs de la nécessité absolue de maintenir les salariés âgés en activité faute de quoi, au tournant de 2010, des goulots d'étranglement apparaîtront dans les entreprises, les obligeant à recourir à une main-d'œuvre étrangère. Mais il s'agit également d'inciter les salariés âgés à demeurer en activité, soit en aménageant leur poste de travail, soit en les formant – l'affirmation d'un droit à la formation tout au long de la vie dans l'accord conclu le 20 septembre entre les syndicats et le patronat va dans ce sens –, soit en rendant plus attractif financièrement leur maintien en activité.

Fort logiquement, la loi du 21 août 2003 contient de nombreuses dispositions allant dans ce sens. C'est évidemment le cas avec la perspective d'allongement de la durée de cotisation à partir de 2009, le temps pour les fonctionnaires de rejoindre les salariés du privé sur la ligne de départ après quarante années de cotisation. Mais c'est aussi le cas avec les nouvelles règles visant à encourager la poursuite d'une activité en cumulant la perception d'une pension et d'un revenu du travail. Autre mesure incitative, le renchérissement significatif du coût des « préretraites maison », le prélèvement supporté par l'employeur sur l'allocation versée au salarié passant de 8,4 % à 23,85 %, l'abrogation du dispositif de préretraite progressive et le recentrage des dispositifs de cessation anticipée de certains travailleurs salariés (Cats) sur les salariés âgés ayant exercé une activité pénible.

Un véritable arsenal juridique

On peut également ranger parmi les mesures favorisant les départs en retraite après 60 ans l'exonération de l'employeur de la contribution Delalande en cas de licenciement d'un salarié âgé de 45 ans, mesure prise pour contribuer à l'accès et au maintien dans l'emploi ainsi qu'à la mobilité des salariés âgés, l'instauration d'une surcote (0,75 % de la pension par trimestre supplémentaire, soit 3 % par an) incitant les seniors ayant la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier d'une pension à taux plein à prolonger leur activité au-delà de 60 ans et l'impossibilité de procéder à une mise à la retraite d'office avant 65 ans.

Même la prise en compte de la pénibilité pour bénéficier d'une retraite anticipée doit paradoxalement s'analyser comme une mesure permettant le maintien en activité des seniors, dès lors que la négociation par branche professionnelle, qui aura lieu au moins tous les trois ans à compter de la fin de la négociation interprofessionnelle, doit s'étendre, précise la loi, « aux questions de l'accès et du maintien dans l'emploi des salariés âgés et de leur accès à la formation professionnelle ».

Bref, c'est un véritable arsenal juridique qui est mis en place, la question restant de savoir si cela suffira à convaincre les salariés qu'ils doivent prolonger leur activité. Actuellement, ce n'est pas le cas, un consensus fort persistant entre les entreprises et leur personnel pour des départs en retraite anticipés. Logique : il a fallu plus d'un quart de siècle pour imposer les préretraites dans le paysage social français. Il en faudra sans doute autant pour désintoxiquer les entreprises de pratiques devenues à bien des égards culturelles.

Épargne individuelle plutôt que collective ?

Mais c'est aussi sur le terrain de la protection sociale que la loi Fillon fera sentir ses effets au sein des entreprises. D'abord, parce qu'une première augmentation de 0,2 % de cotisation à l'assurance vieillesse est programmée pour le 1er janvier 2006. Un prochain décret déterminera si elle est partagée entre l'employeur et le salarié. Compte tenu, par ailleurs, des modalités de financement de la réforme, les entreprises peuvent légitimement craindre que leur contribution ne se limite pas à la hausse prévue. En tout état de cause, une charge qui serait exclusivement supportée par les salariés ne manquerait pas d'exposer les employeurs, à terme, à des revendications salariales. En chargeant la barque des retraites complémentaires Agirc et Arrco, cette réforme devrait aussi conduire les partenaires sociaux à revoir à la hausse les contributions des salariés et des entreprises. Et si cela ne ressort pas de la négociation en cours, la question sera de toute façon à l'ordre du jour en 2008, lors du prochain rendez-vous entre patronat et syndicats pour régler le sort des régimes complémentaires.

Cela dit, les mesures qui pourraient, à terme, être les plus lourdes de conséquences pour les entreprises restent la mise en place de retraites dites du « troisième pilier », c'est-à-dire des retraites collectives en capitalisation sur le modèle du PPESVR, voire du « quatrième pilier », avec les compléments de retraite individuels et facultatifs de type Perp. En effet, il faut rappeler que ces mécanismes ne peuvent se développer qu'avec des avantages fiscaux. Où les trouver en période de restrictions budgétaires ? C'est le débat de cet automne, alimenté par le fait que la loi du 21 août a profondément modifié les régimes de déductibilité fiscale et d'exonération sociale régissant les régimes supplémentaires de retraite.

Sans qu'on soit encore certain que les nouvelles règles seront plus intelligibles que les formules du genre « 19 % de 8 fois le plafond » figurant dans les textes antérieurs, il est évident que le nouveau système d'enveloppe annuelle de déductions fiscales est de nature à bouleverser le paysage. Et pas seulement celui de la retraite, s'il advenait, comme le préconisent les experts de Bercy, contre l'avis de leurs collègues du ministère des Affaires sociales, que soient réduits les avantages fiscaux dont bénéficient les régimes de prévoyance collective, dont les complémentaires santé, pour favoriser le développement d'un produit d'épargne individuelle comme le Perp. Dans ce cas, nul doute que les entreprises ajusteraient leur système de prévoyance au niveau de l'avantage fiscal qu'elles en retirent.

Revendications sur les salaires en perspective

C'est la raison du coup de colère de Jean-Louis Faure, délégué général du Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP), qui trouve étrange qu'on réduise ce type de couverture au moment où le coût de la santé augmente et où la Sécurité sociale se désengage. Dur, dur en tout cas pour les DRH qui expliquent depuis vingt ans à leurs troupes que, dans le cadre de la « rémunération globale », la tendance est à offrir moins de salaire et plus de prévoyance. Revenir sur la prévoyance, ce serait s'exposer à des revendications compensatrices sur les salaires. Sans compter qu'il faudrait renégocier tous les contrats de prévoyance en entreprise, mettre au point un nouveau logiciel de paie intégrant les nouvelles déductions, prévoir la remise d'un document annuel à chaque salarié avant l'établissement de sa déclaration fiscale. Bref, quantité de coûts supplémentaires pour l'entreprise, notamment pour les PME et TPE qui seraient alors contraintes de s'assurer des services de leur expert-comptable une journée supplémentaire par mois, estiment les observateurs les plus avertis.

EDF, SNCF : les derniers villages gaulois

Pour réformer les régimes de retraite, la stratégie du gouvernement Raffarin a été très claire : on commence par s'occuper des fonctionnaires qui constituent « le gros morceau » du secteur public et on traite ensuite, au cas par cas, les autres régimes spéciaux. Avantage de la méthode, on évite la coagulation d'intérêts catégoriels et une nouvelle vague de grèves dans les entreprises publiques.

La manœuvre a bien failli échouer, avec la mobilisation des agents de la SNCF et de la RATP. Mais si l'on excepte les cheminots, dont Bernard Boisson (Medef) rappelle avec humour qu'ils s'étaient mis en grève il y a plusieurs années « au seul motif qu'en indiquant qu'il ne toucherait pas à leur retraite le gouvernement avait montré qu'il avait songé à y toucher… », les autres agents publics se sont finalement assez peu mobilisés.

La démarche prudente du gouvernement répond à une autre logique. Ces régimes n'ont rien à voir entre eux, ni par leur taille, ni par leurs modalités de fonctionnement, ni par les avantages servis à leurs assurés. La question de leur évolution ne se pose pas non plus dans les mêmes termes. À EDF-GDF, on sait que Jean-Pierre Raffarin a décidé de ne pas tenir compte des résultats du référendum du 20 décembre 2002 par lequel une majorité des agents se sont opposés au projet de réforme de leur régime. Résultat, le relevé de conclusions du 9 décembre 2002 signé par trois syndicats minoritaires s'applique. Deux accords ont donc été conclus, l'un relevant les pensions de réversion, l'autre revalorisant les droits des agents d'origine algérienne. Une troisième négociation est en cours sur les rachats de droits. Parallèlement, un « groupe de préfiguration et d'application du relevé de décisions » s'est mis en place en février dernier. Il a procédé à une mise à niveau avec les régimes Agirc et Arrco qui s'est traduite par l'envoi d'une proposition de loi à Francis Mer permettant la construction de la caisse IEG (industries électriques et gazières) pensions et la définition de principes de négociation avec les régimes interprofessionnels. Le 25 juin, la commission paritaire Agirc-Arrco a donné son feu vert pour poursuivre les études techniques en vue d'une intégration des IEG dans la solidarité. Ses experts procèdent actuellement à la « pesée » du régime EDF.

À la SNCF, la situation est radicalement différente. « Il faudra bien ouvrir un jour le débat sur les retraites à la SNCF », lançait François Chérèque à la veille des vacances. Certes, mais c'est peu dire que Louis Gallois n'est pas pressé de déterrer la hache de guerre. « Cette question ne sera pas traitée avant plusieurs années et quand elle le sera ce sera au sein de la SNCF », martèle le P-DG, ajoutant que sur les orientations à prendre il se gardera d'« émettre le moindre avis en public ». Une prudence qui peut se comprendre compte tenu du climat social à la SNCF, véritable poudrière dans le secteur public. Mais elle ne saurait faire oublier que la surcotisation payée par l'entreprise se monte chaque année à 450 millions d'euros pour une population qui part en retraite avec 34,5 années de cotisation en moyenne… Et le P-DG de la SNCF d'admettre qu'avec l'application des normes IAS (international accounting standards)de présentation des comptes, l'entreprise nationale va devoir se poser le problème du provisionnement de son système de retraite. La construction européenne est décidément un puissant aiguillon pour la réforme. F.C.

Un PPESVR qui vient de très loin…

Un nouveau sigle fait donc son apparition dans la galaxie de l'épargne salariale d'entreprise : le plan partenarial d'épargne salariale volontaire pour la retraite (PPESVR). Et, contrairement à son homologue individuel, le Perp, ce nouveau produit semble promis à un bel avenir. Il faut dire que le terrain a été préparé très en amont avec le plan d'épargne d'entreprise (PEE), réceptacle privilégié des entreprises et des salariés, alimenté par quatre sources d'épargne : les primes d'intéressement et de participation, l'abondement obligatoire de l'employeur et les versements volontaires du salarié. Durée de blocage des sommes versées : cinq ans. Décliné en plan d'épargne d'entreprise à long terme et autres variantes, il a directement inspiré le législateur en février 2001 avec la mise en place du plan partenarial d'épargne d'entreprise volontaire (PPESV) modèle Fabius. Durée de blocage : dix ans. Les PME et TPE pouvant accéder à l'épargne salariale via le plan d'épargne interentreprises (PEI), le PPESVI promettait aussi de belles perspectives de développement.

Le PPESVR – durée de blocage « jusqu'à la retraite » – apparaît donc comme un aboutissement. Un pont, en quelque sorte, entre des mécanismes d'épargne salariale et les retraites supplémentaires d'entreprise, modèle article 83 du Code général des impôts. D'où cette appellation d'« épargne retraite » contestée aussi bien par le lobby de l'épargne salariale qui considère que l'intéressement, la participation et les produits d'épargne d'entreprise sont des outils de motivation des salariés qu'il conviendrait de ne pas mélanger avec la retraite, que par les partisans de la capitalisation qui regardent avec méfiance ces produits qui restent gérés au niveau de l'entreprise.

Des règles fiscales bouleversées

Il reste que le PPESVR se mettra en place par accord collectif ou par avenant à un PPESV avant le 31 décembre 2004, les sommes inscrites dans le second étant transférées, au choix du salarié, dans un PEE, un PEI ou le nouveau PPESVR dans un délai de six mois. L'abondement de l'employeur est facultatif et plafonné. Au-delà de 2 300 euros par salarié, il supporte une contribution de 8,2 %. Un PPESVR ne peut détenir plus de 5 % des titres de l'entreprise émettrice ou de sociétés qui lui sont liées. Les participants doivent avoir le choix entre trois organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) présentant au moins trois profils d'investissement. L'accord mettant en place un PPESVR peut prévoir des modalités de sortie en capital. Dans un pays où les épargnants se méfient de la rente, c'est un avantage décisif sur le Perp à sortie exclusive en rente.

Last but not least, la loi Fillon bouleverse les règles de déduction fiscales et d'exonérations sociales dont bénéficiaient les retraites de l'article 83. Au niveau fiscal, notamment, il crée un système d'enveloppe annuelle dont peuvent être déduits dans la limite d'un plafond les cotisations à différents régimes supplémentaires (article 83, contrats Madelin, Préfon…) et l'abondement à un PPESVR. F. C.

Auteur

  • F. C.