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Salariés, encore un petit effort

Dossier | publié le : 01.11.2003 | C.L.

Allongement de la durée de cotisation, modification du calcul des pensions, incitations au maintien des seniors en activité… voici ce que prévoit la réforme. Sous réserve des décrets à paraître et des négociations à venir.

Après la bataille, voici venue l'heure des comptes. Même si la loi du 21 août 2003 ne garantit qu'une petite moitié (42 % selon le gouvernement) des besoins de financement des régimes par répartition à l'horizon 2020, et c'est bien là son principal défaut, il n'empêche qu'elle réforme en profondeur le système de retraite français. Et il n'était que temps ! Trois grands principes ont guidé la réforme Fillon : l'allongement de la durée de cotisation, la convergence entre les régimes de retraite des trois fonctions publiques et celui du secteur privé et, enfin, la liberté de choix pour les assurés de la date de fin d'activité. Globalement, les salariés du privé s'en tirent bien. Pour corriger le déséquilibre financier des régimes à l'horizon 2020 tout en maintenant le principe de la répartition et un « haut niveau de retraite », la loi privilégie un allongement progressif de la durée d'activité et une légère augmentation des cotisations. Au final, l'effort est modéré. D'autant qu'elle présente aussi des avancées : un coup de pouce pour les salariés les plus défavorisés, des dispositions protectrices de l'emploi des seniors, des possibilités élargies de retraite à la carte… Encore faudra-t-il attendre les décrets d'application de cette loi pour savoir si toutes les promesses seront tenues. Car leur coût est loin d'être négligeable.

Cependant, la réforme ne revient pas, bien au contraire, sur les effets pénalisants de la loi Balladur de 1993 concernant le niveau des retraites du secteur privé. Reste qu'on y verra plus clair après le résultat des négociations entre les partenaires sociaux sur les retraites complémentaires, lesquelles représentent 30 à 65 % du montant total des pensions en fonction des catégories de salariés. Les plus pessimistes annoncent déjà des baisses de 10 à 30 % des pensions à l'horizon 2020. Ce n'est sans doute pas un hasard si la loi prévoit des formules de surcote, d'épargne retraite et de cumul emploi-retraite.

Et le chapitre est encore loin d'être clos puisque les paramètres de la retraite seront remis à plat tous les cinq ans avec les partenaires sociaux pour décider, si nécessaire, de nouvelles mesures en fonction de l'évolution du taux d'activité des personnes de plus de 50 ans, de la situation des régimes de retraite et de l'emploi. L'objectif est d'instaurer un pilotage régulier et continu des retraites en fonction de la situation économique et sociale. En attendant le prochain rendez-vous fixé en 2008, voici les réponses qu'apporte la loi d'août 2003 aux questions que se posent les futurs retraités.

Qu'est-ce qui change pour la durée et le niveau de cotisation ?

1. Jusqu'en 2008, rien ne change pour les actifs qui continueront à cotiser 40 ans (160 trimestres) pour bénéficier d'une retraite complète. À compter de 2009, la durée d'assurance sera majorée d'un trimestre par an pour passer à 41 ans en 2012. Au-delà, la progression pourrait être d'un tiers du gain d'espérance de vie, ce qui, au rythme actuel, conduirait à une durée de cotisation de 41 ans 3/4 en 2020.

2. Autre effort, celui-là partagé entre les salariés et les employeurs du privé : l'augmentation de la cotisation vieillesse de 0,2 % au 1er janvier 2006, puis davantage si nécessaire pour assurer le bouclage financier de la réforme. Actuellement, dans la limite du plafond de la Sécurité sociale (2 432 euros), le taux de prélèvement est de 8,20 % pour la part patronale et de 6,55 % pour la part salariale. Une ponction faible sur les entreprises, donc, qui n'est pas du goût de FO et de la CGT, notamment, lesquelles trouvent qu'elles ne sont pas assez mises à contribution. Mais le gouvernement veut éviter de plomber leurs charges et de pénaliser l'emploi. En tout cas, après 2008, les cotisations pourraient encore augmenter si la situation économique se dégrade, car le bouclage financier de la réforme est gagé sur une baisse du chômage.

Le niveau des pensions sera-t-il maintenu ?

3. Rien n'est moins sûr, malgré les mesures de sauvegarde. Certes, la réforme ne porte pas fondamentalement atteinte au niveau des pensions, mais elle n'adoucit guère la potion administrée en 1993 par Édouard Balladur. En 2003, le calcul de la pension s'effectue à partir des 20 meilleures années de salaire au lieu des 10 meilleures avant la réforme ; mais, en 2008, le montant de la pension sera calculé sur la base des 25 meilleures années. C'est pénalisant, particulièrement pour les salariés dont les carrières ne sont pas linéaires et ascendantes. Ajoutons que les pensions servies par les régimes complémentaires ont été revues à la baisse (en 1996, puis en 2001) et que des négociations sont actuellement en cours, avec un durcissement prévisible des conditions de départ en retraite.

4. Autre changement défavorable aux salariés : la modification du coefficient de proratisation dans la formule de calcul du montant de la retraite. On divisera désormais le nombre de trimestres effectivement cotisés par un coefficient de 160 (correspondant à 40 années de travail) et non plus de 150 (37,5 ans), à raison de deux trimestres par an à compter du 1er janvier 2004 jusqu'en 2008. Une question de cohérence, mais ce changement ne sera évidemment pas sans conséquence sur le niveau des retraites, en particulier pour les salariés qui n'auront pas cotisé 40 ans.

5. Dernier paramètre à prendre en compte, l'évolution des pensions. Depuis 1999, c'est la loi de financement pour la Sécurité sociale qui fixait le taux de revalorisation des pensions, calé sur les prix. Pour garantir le pouvoir d'achat des retraites, la loi Fillon, novatrice sur ce point, combine une indexation sur l'évolution des prix hors tabac avec une négociation possible l'année suivante en vue d'une revalorisation plus importante. « C'est un coup de pouce plus objectif que celui qui prévalait jusqu'à présent. En outre, les syndicats deviennent davantage garants de l'intérêt général », plaide Marie-Annick Garaud, secrétaire confédérale de la CFDT. Mais Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire de la CGT, juge que « cette mesure est une illusion ». Le spécialiste cégétiste de la protection sociale aurait préféré une indexation des pensions sur les salaires, « plus avantageuse ».

Au final, le gouvernement se targue de sauver les régimes par répartition. Il a néanmoins prévu un produit individuel d'épargne retraite accessible à tous avec une sortie en rente, ouvrant ainsi la voie à la capitalisation (voir encadré page 80). Les partenaires sociaux continuent de se diviser sur l'impact des mesures. « Elles sont d'une extrême gravité et les pensions vont considérablement baisser, d'autant que leur financement repose sur une baisse très aléatoire du chômage et un allongement hypothétique du maintien en activité, estime Jean-Christophe Le Duigou, de la CGT. Il y a des principes dans la loi mais pas d'engagement sur un minimum pour le régime de base. Le niveau de la pension devient la variable d'ajustement. » Prudente dans ses calculs, la CFDT, qui a approuvé la réforme, fait valoir que des garde-fous ont été mis en place au profit des salariés les plus défavorisés, même si elle aurait préféré qu'on s'en tienne aux 20 meilleures années pour le calcul des pensions.

Quelles avancées pour les moins favorisés ?

6. Jusqu'à présent, pour une carrière au smic, le taux de remplacement était de 81 %. Sans réforme, il serait tombé à 70 % en 2020. La loi d'août 2003 prévoit une pension minimale de 85 % du smic net en 2008. Pour réaliser cet objectif, le minimum contributif, actuellement fixé à 533,50 euros mensuels, sera majoré de 3 % en 2004, en 2006 et en 2008.

7. En outre, les salaires des années où les trimestres n'ont pas pu être validés (moins de 200 heures de smic horaire par trimestre) seront neutralisés, c'est-à-dire exclus du calcul du salaire moyen. Cette mesure atténue partiellement les aléas de carrière : début d'activité, transition entre chômage et emploi…

8. L'ensemble des salariés à temps partiel auront la possibilité de cotiser à l'assurance vieillesse à hauteur d'un salaire correspondant à un temps plein.

Existe-t-il d'autres mesures d'équité sociale ?

9. Pour les pluripensionnés (les salariés qui ont cotisé à divers régimes, sachant que chaque Français cotise, en moyenne, à 2,8 régimes), les meilleures années seront prises en compte au prorata de la durée de cotisation dans chaque régime. Pour la CFDT, cette mesure supprime une inégalité criante : les salariés concernés voyaient leur taux de remplacement baisser de 15 % en moyenne par le jeu des abattements successifs.

10. À compter du 1er janvier 2004, les conditions d'âge (55 ans), de durée de mariage et de non-remariage sont supprimées pour l'octroi d'une pension de réversion. Seules les ressources du conjoint sur vivant ou de son couple seront prises en compte. Elles ne devront pas dépasser un plafond fixé par décret.

Les seniors resteront-ils dans la course ?

Indispensable à l'équilibre du dispositif, la loi fait le forcing pour augmenter le taux d'activité des personnes de plus de 55 ans, qui est, en France, l'un des plus bas d'Europe.

11. Depuis le 24 août, personne ne peut plus être mis à la retraite d'office à 60 ans, même en bénéficiant de droits à taux plein. L'âge butoir est reporté à 65 ans, sous réserve qu'il n'y ait pas d'accord collectif de branche prévoyant des contreparties en termes d'emploi ou de formation ou si le salarié bénéficie d'une préretraite antérieure à la nouvelle loi.

12. La « carotte » : une surcote de 3 % par année travaillée au-delà de la durée légale de 40 ans. De même, pour « arrondir » leur pécule, les retraités pourront cumuler leur pension avec des revenus dans la limite du dernier salaire, comme à l'Agirc et à l'Arrco. Toutefois, une reprise d'activité chez le dernier employeur ne pourra intervenir avant un délai de six mois.

13. Enfin, le dispositif de retraite progressive, peu attractif et limité, est refondu pour permettre aux assurés ne justifiant pas à 60 ans de 160 trimestres d'améliorer leurs droits à pension en poursuivant une activité à temps partiel. Ils pourront ainsi continuer à engranger des trimestres tout en liquidant une partie de leur retraite.

14. Parallèlement, la loi met la pression sur les entreprises qui devront payer une cotisation sur les préretraites maison, et, à partir de 2005, les préretraites progressives non liées à la pénibilité du travail seront supprimées. Par ailleurs, la contribution Delalande (pénalité versée aux Assedic pour le licenciement d'un salarié de plus de 50 ans) est assouplie pour ne plus pénaliser l'embauche des seniors. Ainsi les entreprises en sont exonérées lorsque la rupture du contrat de travail concerne un salarié recruté à plus de 45 ans à partir du 28 mai 2003 ou un salarié, demandeur d'emploi depuis au moins trois mois, embauché à plus de 50 ans entre le 10 juin 1992 et le 27 mai 2003.

Pourra-t-on partir avant 60 ans ?

15. Inversement, les salariés souhaitant partir avant l'âge légal pourront le faire dans de meilleures conditions. Jusqu'à présent, ils subissaient une pénalité de 10 % par année manquante. Celle-ci sera progressivement ramenée à 5 % en 2013 et disparaîtra automatiquement à 65 ans, quelle que soit la durée de cotisation.

16. En outre, si l'âge de la retraite reste fixé à 60 ans, les salariés ayant commencé à travailler tôt pourront partir avant cet âge butoir : 59 ans pour ceux ayant débuté à 16 ans et justifiant de 40 ans de cotisation, 58 ans pour ceux ayant débuté à 14 ou 15 ans et ayant cotisé 41 ans, et 56 et 57 ans s'ils justifient de 42 ans de cotisation. Cette mesure sera maintenue jusqu'en 2008 puis réexaminée. Elle concernera quelque 193 000 personnes l'an prochain. Une bonne nouvelle qui doit toutefois être nuancée. En effet, en vertu du texte de loi, les périodes de chômage et de maladie sont exclues du décompte, tout comme la bonification pour enfant élevé, car il s'agit de périodes validées mais non cotisées. Le gouvernement justifie ce choix au nom du coût élevé de la mesure. Seul le service militaire sera validé, dans la limite de quatre trimestres. Ce dispositif sera applicable au 1er janvier prochain, sous réserve que les partenaires sociaux aient abouti d'ici là sur les retraites complémentaires. À noter également que cette possibilité de départ en retraite avant 60 ans sera étendue aux personnes lourdement handicapées.

17. Les salariés ayant exercé des activités pénibles auront des possibilités de départ avant 60 ans, au terme de négociations interprofessionnelle et de branche qui se dérouleront dans un délai de trois ans à compter du 21 août 2003. À charge pour le gouvernement d'en tirer les conséquences législatives et réglementaires.

18. À partir de 2004, les personnes ayant travaillé à temps partiel ou en CDD pourront également racheter à un coût actuariellement neutre les périodes où leurs cotisations n'ont pas permis de valider quatre trimestres (temps partiel, CDD). Et cela dans la limite de trois années. Un principe qui s'applique aux années d'études supérieures ayant débouché sur un diplôme. Le montant à acquitter dépendra du moment choisi : en début, en milieu de carrière ou à la retraite. Reste que ce rachat pourrait se révéler coûteux, même déduit du revenu imposable. Pour la CGT, cette « mesure est particulièrement pénalisante, voire prohibitive pour les plus défavorisés ». Les cadres, qui ont fait des études longues, pourraient davantage tirer leur épingle du jeu. Un cadre ayant commencé sa vie professionnelle à 28 ans, par exemple, pourrait ainsi partir à 65 ans. Mais qui paiera les cotisations patronales afférentes ? Le sujet n'est pas tranché.

Finalement, la réforme Fillon doit permettre à chacun de mieux construire sa retraite et de choisir son âge de départ. La CFDT et la CFE-CGC approuvent ces orientations dans la mesure où les décrets n'en atténueront pas la portée. « Le salarié reprend la main. Le principe de la retraite à la carte est posé », fait valoir Alain Petitjean, secrétaire confédéral à la CFDT.

Quel avenir pour le Perp ?

Tous les Français sont encouragés à souscrire un produit d'épargne longue, le plan d'épargne retraite individuel (Peir), rebaptisé à l'ultime minute plan d'épargne retraite populaire (Perp). Le terme « populaire » visant manifestement à faire oublier la suppression des plans d'épargne populaire (PEP) qui fleuraient si bon « la France d'en bas » chère à Jean-Pierre Raffarin… En tout cas, la création de ce nouveau produit d'épargne individuelle satisfait une vieille revendication : faire profiter les salariés du privé d'un avantage consenti aux fonctionnaires avec la Préfon (gérée par la Caisse des dépôts), le Cref (distribué par la Mutualité) et le CGOS (contrat vendu par le Comité de gestion des œuvres sociales des agents hospitaliers). Autant de mécanismes de retraite par capitalisation dont les cotisations sont déductibles du revenu imposable.

Le Perp fera-t-il un tabac auprès des salariés ? Les avis sont partagés. Les assureurs, qui voient dans ce nouvel outil d'épargne « une avancée majeure », n'ont cessé de faire pression auprès de Bercy pour obtenir une fiscalité avantageuse (les cotisations seront déductibles dans la limite de 10 % des revenus professionnels ou de 10 % du plafond annuel de la Sécurité sociale, dans une limite maximale de 23 500 euros). Pour assurer le décollage du nouveau produit, Francis Mer a, de surcroît, réduit les déductions sur les contrats collectifs de santé et de prévoyance… À ce prix, Paul Maillard, directeur de Gestion BTP, prédit au Perp « un avenir triomphant ». Il reste que, entre les libéraux de Bercy et le « séguiniste » François Fillon, il y a un fossé. D'ailleurs, Rue de Grenelle, on ne croit pas à un décollage fulgurant du Perp pour plusieurs raisons :

– Sa complexité. C'est un contrat d'assurance souscrit auprès d'une institution de prévoyance, d'une mutuelle ou d'une société d'assurance. Mais ce contrat individuel devra être passé via un « groupement d'épargne individuelle retraite ». Autrement dit, sur le modèle des contrats Madelin pour les professions indépendantes, il faut constituer une association loi de 1901 comptant vraisemblablement un millier d'adhérents, doter le plan d'un comité de surveillance qui veillera à la bonne exécution du contrat par l'assureur, lequel devra « cantonner » les actifs de l'épargne retraite pour des raisons de sécurité. Bref, la machinerie est lourde.

– L'avantage fiscal relatif. Dans un pays où le taux d'épargne atteint un record (17 %), le problème est moins de dégager une épargne supplémentaire que d'orienter les dépôts vers des produits à placement plus long. Mais si, pour des raisons budgétaires – la baisse de 3 % de l'impôt décidée par l'Élysée –, les cadeaux faits aux entreprises sont limités, il ne se passera rien ou pas grand-chose. C'est l'avis de l'entourage de François Fillon qui n'attend la création que de « six ou sept Perp ». Pas de quoi affoler les tenants de la répartition.

– Un taux de remplacement déjà élevé. Le gouvernement ayant choisi de consolider un étage complémentaire obligatoire en répartition, y compris chez les fonctionnaires, on voit bien que, excepté pour une clientèle très aisée de cadres supérieurs, les possibilités de développement d'un troisième étage demeurent limitées.

F. C.

Auteur

  • C.L.