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Les agents publics mis à contribution

Dossier | publié le : 01.11.2003 | C.L.

Vrai bouleversement, la convergence des régimes de retraite du public avec celui du privé entrera dans les faits progressivement. À commencer par la durée de cotisation requise. Mais les fonctionnaires ont obtenu des concessions sur le niveau des pensions.

Morceau de bravoure de la réforme, l'aggiornamento des régimes de retraite des agents de la fonction publique constitue le cœur du dispositif voté par le Parlement. À l'origine de bien des turbulences sociales du printemps dernier, la réforme Fillon prévoit en effet que les régimes des fonctionnaires se rapprochent progressivement du régime général des salariés du privé en termes de durée de cotisation, de décote en cas d'annuités manquantes, de mode de revalorisation des pensions, de régime complémentaire, etc. L'iniquité qui était auparavant de mise, à juste titre critiquée par les salariés du secteur privé, sera ainsi corrigée. Mais les syndicats de fonctionnaires ont obtenu des concessions. La retraite des fonctionnaires restera calculée sur les six derniers mois, alors que le gouvernement souhaitait une prise en compte, moins favorable, des trois dernières années. Et le niveau de pension des plus modestes sera revalorisé.

Le niveau de pension des fonctionnaires sera-t-il maintenu ?

En contrepartie d'un allongement progressif de leur durée de cotisation, alignée sur celle des salariés du privé, la loi du 21 août 2003 prévoit un maintien du niveau de pension actuel des fonctionnaires pour une carrière complète.

1. La durée de cotisation passe de 150 trimestres (37,5 années) à 160 trimestres (40 ans) entre 2004 et 2008, à raison de deux trimestres supplémentaires par an, puis à 164 trimestres (41 années) en 2012, voire 41 ans 3/4 en 2020.

2. En contrepartie de cet allongement de la durée de cotisation, les fonctionnaires continueront à bénéficier, pour une carrière complète, d'une retraite à un taux maximal (75 %). Ce qui signifie, compte tenu de la nouvelle durée de cotisation, que le droit à pension annuel de 2 % par année sera ramené en 2008 à 1,875 %.

3. Les âges d'ouverture des droits (50, 55 ou 60 ans selon que les fonctionnaires sont sédentaires ou actifs) et les âges limites de départ à la retraite (55, 60 ou 65 ans) demeurent les mêmes. Ainsi, l'âge de la retraite restera de 60 ans pour les fonctionnaires civils, 55 ans s'ils ont accompli 15 ans de service dans la catégorie active, à l'instar des policiers, 50 ans dans les cas particuliers, pour les officiers de carrière, par exemple.

4. Le niveau des pensions sera calculé sur les six derniers mois de salaire, hors primes, hormis pour des catégories spécifiques comme les policiers. Cet avantage accordé au secteur public est-il exorbitant ? Pour Gérard Noguès, de la Fédération générale des fonctionnaires Force ouvrière, « il ne faut pas oublier que les perspectives de carrière sont moindres que dans le privé et, donc, que les progressions salariales sont faibles entre le début et la fin de carrière ».

5. De même, le taux de cotisation de 7,85 %, à la charge des salariés, ne change pas. Le gouvernement en avait fait un préalable : il ne voulait pas modifier ce paramètre.

Que vont perdre les salariés du public ?

Le dispositif Fillon ne sera toutefois pas totalement indolore puisqu'il prévoit divers ajustements et revient sur des avantages acquis.

6. Les pensions seront indexées, comme dans le secteur privé, sur l'évolution des prix hors tabac. De ce fait, à partir de 2004, les agents retraités ne bénéficieront plus des revalorisations indiciaires et statutaires accordées aux agents en activité. Une conférence réunira, en principe tous les trois ans, l'état et les partenaires sociaux pour décider d'un éventuel « coup de pouce ».

7. En outre, une décote sera instituée à partir de 2006 pour les agents qui ne justifieront pas de 160 trimestres de cotisation tous régimes confondus à l'âge légal d'ouverture des droits, alors qu'aucun abattement n'existait jusqu'à présent. Celle-ci sera progressivement portée à 5 % en 2015 par année manquante dans la limite de cinq ans, mais elle ne s'appliquera pas si le fonctionnaire part à la retraite en ayant atteint la limite d'âge dans sa catégorie. Un principe clé pour Jean-François Leven, consultant chez Altedia Communication : « Les fonctionnaires vont devoir travailler davantage. Beaucoup, jusqu'à présent, n'attendaient pas 37,5 ans pour partir. »

8. Autre tour de vis : pour lutter contre la pratique traditionnelle des promotions intervenant dans les mois précédant le départ à la retraite, les avancements des fonctionnaires décidés dans les trois années précédant la cessation d'activité devront être justifiés par les employeurs publics.

Quels sont les garde-fous instaurés par la loi ?

Pour que l'augmentation de la durée de cotisation ne soit pas un fardeau et pour favoriser l'allongement de la durée d'activité, la loi ouvre des possibilités inédites et prend mieux en compte certaines situations spécifiques.

9. Comme dans le privé, la durée de cotisation sera calculée tous régimes confondus et donc pas seulement sur les années passées dans la fonction publique, ce qui donnera notamment un coup de pouce aux agents qui ont travaillé dans le privé avant de rejoindre la fonction publique. « Contrairement à une idée reçue, tout le monde ne va donc pas travailler plus longtemps ou être pénalisé par la décote », précise Marie-Claude Kervella, secrétaire générale de la CCFDT Fonctions publiques.

10. Autre possibilité offerte pour partir plus tôt sans pénalité : le rachat des années d'études dans l'enseignement supérieur sanctionnées par un diplôme pour se présenter à un concours de la fonction publique. Jusqu'à présent, seul le congé de formation/mobilité était pris en compte pour le calcul des droits à la retraite. Mais Gérard Noguès, de Force ouvrière, insiste sur « les difficultés de mise en œuvre d'une telle disposition et son coût potentiel ».

11. Enfin, les agents à temps partiel pourront cotiser sur un équivalent temps plein. Cette possibilité sera limitée à une année, compte tenu du coût pour le contribuable. Elle s'étend aux personnes justifiant d'un handicap d'au moins 80 %.

Comment les fonctionnaires pourront-ils améliorer leur pension ?

Comme les salariés du privé, les fonctionnaires bénéficieront d'un régime complémentaire et pourront travailler plus longtemps pour améliorer leur niveau de retraite.

12. Grande première, à partir de 2005, les fonctionnaires devront souscrire à un régime complémentaire additionnel obligatoire, par points, en répartition, assis sur une partie des primes non prises en compte jusqu'à présent dans le calcul de leurs pensions. Il sera alimenté à parité par l'agent et son employeur public dans la limite d'une fraction du traitement indiciaire. « Cette limite évitera que les injustices de traitement se transposent à la retraite, car les fonctionnaires ne touchent pas tous les mêmes primes et certains n'en touchent même pas du tout », fait valoir Marie-Claude Kervella.

La sortie se fera en rente, sauf si le nombre de points acquis est inférieur à un certain seuil. Le régime sera géré de manière paritaire sur le modèle de l'Agirc et de l'Arrco par un établissement public à caractère administratif – vraisemblablement la Caisse des dépôts et consignations – placé sous la tutelle de l'État.

13. Pour ne pas pénaliser les fonctionnaires détachés de leur corps d'origine et qui relèvent de l'un des deux autres régimes de la fonction publique, la retenue pour pension prendra en compte le niveau le plus favorable. Il s'agit clairement d'une incitation à la mobilité.

14. Les limites d'âge actuelles seront assouplies pour permettre de rester plus longtemps en activité si la durée de service n'est pas suffisante pour obtenir une pension complète, et cela dans la limite de deux ans et demi. Un refus peut néanmoins être opposé pour des questions d'intérêt du service ou d'inaptitude physique.

15. Autre mesure en faveur de l'amélioration des pensions : la création d'une surcote de 3 % par année pour les fonctionnaires qui, ayant les annuités de cotisation nécessaires, décideront de travailler au-delà de 60 ans. Toutefois, la surcote ne pourra être perçue que pendant 20 trimestres. Entreront dans le calcul, comme pour la décote, les trimestres effectués avant l'entrée dans la fonction publique. Jusqu'à présent, les périodes effectuées au-delà de 37,5 années ne rapportaient rien.

16. Amélioration également de la situation des bénéficiaires du dispositif de cessation progressive d'activité (CPA) applicable aux trois fonctions publiques : le projet de réforme vise, en substance, à augmenter leur droit à pension en proposant différentes formules de temps partiel, la possibilité de continuer à cotiser sur un temps plein et le recul de l'âge de sortie du dispositif dans la limite de 65 ans. Jusqu'alors, l'agent était mis à la retraite dès qu'il pouvait obtenir une pension à jouissance immédiate, même si elle n'était pas complète. Des dispositions transitoires sont proposées aux agents entrés dans le dispositif avant le 1er janvier 2004.

17. Enfin, les fonctionnaires pourront cumuler un emploi public avec leur retraite, à condition que leur salaire ne dépasse pas un tiers de leur pension. Le cumul de la pension avec une activité exercée dans le secteur privé est également autorisé.

Quelles mesures d'équité sociale ?

La réforme Fillon prévoit également un certain nombre de mesures d'équité sociale pour les fonctionnaires au smic, certaines professions pénibles, les pluripensionnés, les veufs.

18. Le minimum garanti, qui était de 945 euros, sera porté à 993 euros (indice majoré 227) en 2004 pour 40 ans de carrière. Entre 15 et 40 ans, il est proratisé. Au-dessous de 15 ans de service, la pension est fixée à 1/15 du montant défini pour une durée de quinze ans.

19. Des bonus sont accordés pour les agents de la fonction publique hospitalière qui ont exercé des métiers pénibles, comme les infirmières et les aides-soignantes : 10 années travaillées vaudront 11 ans d'assurance.

20. Les pluripensionnés, c'est-à-dire ceux qui ont cotisé à des régimes différents au cours de leur carrière, sont dorénavant beaucoup mieux lotis. Les meilleures années seront prises en compte au prorata de la durée d'assurance dans chaque régime, alors qu'aujourd'hui la retraite est calculée sur la moyenne de tous les salaires, y compris les périodes où ceux-ci étaient les plus bas. Par exemple, un agent qui a passé vingt ans dans un régime et vingt ans dans un autre verra sa retraite calculée sur les 12,5 meilleures années de l'un et de l'autre. Pour la CFDT, il s'agit d'une mesure importante qui supprime une inégalité criante, puisqu'un salarié dans cette situation voyait sa retraite baisser de 15 % en moyenne.

21. Une bonification sera accordée au fonctionnaire élevant un enfant très handicapé de moins de 20 ans : un trimestre pour trente mois d'éducation dans la limite de quatre trimestres.

22. Les pensions de réversion qui ne profitaient qu'aux veuves sont étendues aux veufs, pour respecter la parité hommes-femmes. Les uns comme les autres toucheront donc une réversion de la moitié de la pension du conjoint décédé, sans conditions d'âge ni de ressources (ce qui est plus avantageux que dans le privé). La décote ne s'appliquera pas si le fonctionnaire n'a pas obtenu les trimestres nécessaires à l'obtention du taux maximal lors de son décès.

Reste qu'il faudra attendre les décrets d'application de la loi du 21 août 2003 pour vérifier si la mise en musique d'un dispositif aussi complexe que la réforme Fillon se révèle, au bout du compte, parfaitement conforme à l'esprit du législateur. Car le texte comporte aujourd'hui un certain nombre d'incertitudes que l'administration va devoir lever.

Les femmes fonctionnaires, perdantes de la réforme ?

Dans la fonction publique, les avantages familiaux sont maintenus, tout en étant ajustés, pour tenir compte de la législation européenne. De quoi s'agit-il ? Jusqu'à présent, seules les femmes bénéficiaient d'une année de bonification par enfant élevé, qu'elles continuent ou non à travailler. Sommée par la Cour de justice des Communautés européennes de donner les mêmes avantages aux hommes au nom de l'égalité entre les sexes, la France rectifie le tir à partir du 1er janvier en s'appuyant sur la réforme Fillon. La majoration de durée d'assurance reste d'un an pour tout enfant né avant le premier janvier 2004 pour les femmes et… pour les hommes à condition qu'ils aient arrêté de travailler au moment de la naissance. En outre, cette bonification est acquise aux femmes ayant accouché au cours de leurs études avant leur entrée dans la fonction publique, dans un délai de deux ans après l'obtention du diplôme nécessaire pour se présenter au concours. Mais, pour éviter, au-delà de cette date, l'extension pure et simple d'un privilège aux hommes, coûteuse pour les deniers publics, la réforme propose une solution intermédiaire.

Pour les enfants nés après le 1er janvier 2004, les périodes d'interruption totale ou partielle d'activité consacrées à l'éducation et aux soins d'un enfant dans la limite de trois ans par enfant seront intégralement validées pour les femmes comme pour les hommes. Cependant, à partir de cette date, le nouveau système ne sera pas aussi avantageux pour les femmes qui décideront de continuer à travailler après leur accouchement postérieurement à leur recrutement, puisqu'elles bénéficieront seulement d'une majoration de durée d'assurance de six mois pour tout enfant, au même titre que celles et ceux qui s'arrêtent. Les hommes, eux, n'auront pas cette chance. Une prime à l'accouchement en quelque sorte ! La loi améliore le temps partiel de droit prévu pour élever un enfant puisque les fonctionnaires peuvent travailler à temps partiel à 50, mais également à 60, 70 ou 80 % à l'occasion de chaque naissance, et jusqu'au troisième anniversaire.

Les avantages familiaux pour les familles nombreuses, eux, demeurent inchangés. Les femmes ayant élevé trois enfants pendant au moins neuf ans ou qui ont un enfant handicapé âgé d'au moins 1 an et atteint d'une invalidité à 80 % peuvent toujours partir à la retraite après quinze années de service et bénéficier d'une majoration de 10 % de leur retraite. Ont accès aux mêmes avantages les femmes et, désormais, les hommes dont le conjoint est atteint d'une maladie incurable le rendant inapte au travail.

Les femmes fonctionnaires sont-elles les grandes perdantes de la réforme Fillon ? Plusieurs syndicats, dont la CGT, la FSU ou encore l'Unsa, ainsi que des associations, sont montés au créneau sur ce thème. Dans le public, la perte automatique de six mois pour toute femme qui décide de continuer à travailler après la naissance d'un enfant est une perte sèche, avec l'instauration de la décote pour les carrières incomplètes. Celles qui s'arrêtent sont certes moins pénalisées sur ce plan. Encore faut-il qu'elles puissent faire face à une absence de revenus plus ou moins longue. En termes de progression de carrière, il n'est pas sûr qu'elles s'y retrouvent. C.L.

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  • C.L.