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Débat

L'accord du 20 septembre favorisera-t-il la formation tout au long de la vie ?

Débat | publié le : 01.11.2003 |

Succès sur toute la ligne. Après des négociations longues et laborieuses, l'accord sur « l'accès des salariés à la formation tout au long de la vie professionnelle » a été signé par l'ensemble des organisations patronales et syndicales, y compris la CGT. La création d'un droit individuel à la formation, en complément de l'obligation financière de l'entreprise, répond-elle à l'objectif affiché ? L'analyse croisée de trois experts.

« En garantissant une sorte de droit de tirage au salarié, il constitue une avancée majeure. »

VINCENT MERLE Professeur au Cnam.

Le Livre blanc diffusé par le secrétariat d'État à la Formation professionnelle en mars 1999 avait défini quatre axes majeurs pour refonder notre système de formation professionnelle : le développement de la validation des acquis de l'expérience, la mise en place d'un droit individuel à la formation, la reconfiguration des dispositifs de professionnalisation des jeunes et la clarification du rôle des acteurs de la formation continue. Après l'adoption de la loi de janvier 2002 sur la VAE, l'accord interprofessionnel qui vient d'être signé est une étape décisive dans la concrétisation de ces axes de réforme. Le cadre institutionnel qui est ainsi redessiné aura sans doute un impact sur le paysage de la formation continue aussi important que l'accord de 1970 et les lois de 1971. Ces dernières avaient instauré une obligation de dépenses pour les entreprises et posé les bases d'un droit à la formation à l'initiative du salarié (le congé individuel de formation). Sans remettre en cause ces spécificités du système français, l'accord des partenaires sociaux ouvre un espace nouveau pour des actions visant le développement des compétences dont l'initiative revient au salarié, avec l'accord de son employeur. En même temps, il institue une sorte de « droit de tirage » qui garantit au salarié une capacité de négocier son projet et il prévoit de multiples modalités d'aide à la construction de ce projet : bilan de compétences, entretien professionnel, passeport de formation. La possibilité d'effectuer des actions de formation en dehors du temps de travail en est la contrepartie, mais dans des limites strictement définies. L'accord laisse, par ailleurs, un très large espace aux entreprises pour adapter les différents types d'actions de formation à leurs spécificités. Ces différents éléments devraient favoriser une plus grande égalité d'accès à la formation et un redéploiement des investissements – formation autour de parcours de progression professionnelle. De ce point de vue, il constitue bien une avancée majeure vers la « formation tout au long de la vie ».

Nous ne sommes pas pour autant au bout de nos peines ! La formation des demandeurs d'emploi demeure un vaste chantier en friche. Un des paradoxes de l'accord est qu'il pourrait conduire à renforcer le rôle supplétif des régions dans le pilotage des dispositifs de formation, au moment même où le gouvernement affiche une volonté de décentralisation. Le désengagement corrélatif de l'État pourrait, à terme, se traduire par une aggravation des difficultés d'accès à la formation pour les personnes les plus fragiles sur le marché du travail. On ne voit pas non plus se dessiner de politique à l'égard de l'offre publique de formation : quelle place pour les universités, pour les lycées, pour des établissements comme le Conservatoire national des arts et métiers ou l'Afpa dans une offre de formation qui devrait permettre à tous ceux qui le souhaitent de développer leurs connaissances ou d'acquérir les bases d'un nouveau métier en cours de vie professionnelle ? De ce point de vue, le gouvernement ne peut se retrancher derrière l'accord pour abandonner la réflexion de fond sur la recomposition des relations entre formation initiale et formation continue qui constitue une des dimensions majeures de l'idée même d'éducation et de formation tout au long de la vie.

« Il permet des accès plus conséquents à la formation en sollicitant l'engagement de l'individu. »

PHILIPPE MÉHAUT Directeur de recherche au CNRS (Lest).

Plus que sur la formation, l'accord porte en fait sur le développement professionnel, dont la formation est l'une des voies et moyens. Entretien professionnel, bilan de compétences, VAE ou redistribution des rôles entre le plan de formation, le droit individuel à la formation (DIF) et le CIF, c'est bien de l'évolution des salariés dans un univers en mutation dont il est question. Question d'autant plus cruciale que le dispositif antérieur a montré ses limites (inégalités d'accès, perte d'efficacité de la formation dans les évolutions salariales, promotionnelles). En prenant, pour partie seulement, un autre point de vue, l'accord ouvre une perspective dynamique sur la refondation des marchés du travail à la française et le rôle qu'y joue la formation. Pour bâtir une économie de la qualité et de la diversité fondée sur l'expertise professionnelle de tous les salariés, le problème n'est pas seulement celui des qualités instantanées de ceux-ci, trop souvent mesurées à l'aune de la formation initiale, mais celui de leurs qualités en dynamique. Or cette dynamique est liée aux opportunités professionnelles offertes. L'engagement actif des salariés dans la formation tout au long de la vie dépend des ouvertures positives que leur permettra cette formation.

Le DIF est l'un des points les plus originaux de l'accord. Il permet des accès plus conséquents à la formation tout en sollicitant l'engagement actif de l'individu. Il ne peut y avoir de formation tout au long de la vie sans dispositions favorisant l'appétence et l'initiative personnelle. Il reste à veiller que, tant au niveau de la discussion employeur-salarié qu'à celui des différentes formes de régulation collective, chacun puisse se saisir de cette opportunité.

On peut mettre à l'acquit du système issu de la loi de 1971 une réappropriation des enjeux de formation par le monde productif. Le temps n'est plus où patronat et syndicats s'accordaient sur des motifs différents pour botter en touche et renvoyer à l'État et à l'école la formation de la main-d'œuvre. La responsabilité partagée, entre l'école et l'entreprise, entre l'individu et l'employeur, entre les partenaires sociaux et l'État, est en filigrane de l'accord.

Certes, ce partage est encore flou et donnera lieu à débats. Mais il dégage des espaces de confrontation et peut relancer une dynamique qui s'était essoufflée. L'image des « poupées russes » s'imposait. Les précédents accords empruntaient à ce modèle qui veut que l'État reproduise en plus grand ce que les partenaires sociaux ont signé. Dans l'accord et dans ce que l'on sait des intentions gouvernementales, il y a, hélas, toujours un peu de ce modèle. Mais il y a aussi l'appel à des responsabilités complémentaires, dans le domaine de la certification, du droit à une bonification du DIF pour ceux qui ont quitté l'école prématurément. Ce modèle de la complémentarité, qui n'est plus celui de la poupée russe et qui englobe aussi les acteurs au niveau régional ou territorial, est nécessaire pour diversifier l'offre et les pratiques de formation tout au long de la vie.

« Il est refondateur par la volonté de traduire le concept de formation tout au long de la vie. »

JEAN-MARIE LUTTRINGER Directeur de Circé Consultants.

Cet accord est historique par la signature des cinq organisations syndicales, refondateur par la volonté de traduire le concept de formation tout au long de la vie et par sa vision anticipatrice : rupture démographique, parcours combinant flexibilité et sécurité, pilotage du dispositif par la demande de qualification des entreprises et des personnes. Il s'inscrit dans la continuité du droit élaboré en 1970-1971, notamment par les principes du financement à la charge des entreprises, la place de la négociation collective et la gestion paritaire, la reconnaissance du caractère systémique de notre dispositif de formation continue qui rend nécessaire le partenariat entre les acteurs clés.

Il apporte de nombreuses innovations, par la réorganisation des dispositifs juridiques autour de la personne, actrice de sa propre formation. L'innovation devient rupture par l'importance accordée au temps de formation considéré comme du coïnvestissement. Si la qualité du texte et celle de ses signataires lui confère une valeur symbolique et politique forte, l'accord n'a pas, à ce jour, de valeur juridique. Celle-ci résultera pour l'essentiel de sa transcription législative et des négociations de branche et d'entreprise. L'appel des partenaires sociaux signataires aux pouvoirs publics souligne que sa « validité est subordonnée à l'adaptation de l'ensemble des dispositions réglementaires nécessaires à son application ». Cette formulation ouvre un chantier considérable de restructuration du Livre IX du Code du travail. Ce qui est demandé, c'est la fidélité aux équilibres et aux dispositions de l'accord, pas une transcription quasi littérale du texte.

Par ailleurs, les ajouts successifs que le Livre IX a connus depuis 1971 l'ont rendu illisible par défaut de principes directeurs et excès de dispositions instrumentales. La réforme de la formation par l'accord interprofessionnel, les lois de décentralisation et les dispositions législatives nouvelles proposées par le gouvernement appellent une réécriture en profondeur du Livre IX qui suppose une nouvelle architecture et la mise en évidence de principes et de catégories juridiques spécifiques à ce champ à l'interface entre le travail subordonné et la sphère de la connaissance. La seconde ne peut être réduite au premier, ni par sa finalité ni par sa qualification et son régime juridique.

Outre une plus grande lisibilité du Livre IX, l'adaptation législative devra clarifier les rapports entre le contrat de travail et l'accès de chaque personne à la formation (formation-mission professionnelle, suspension du contrat, coïnvestissement, temps personnel, DIF…), ancrer le droit collectif de la formation dans le droit des salariés à négocier leurs garanties sociales au sens de l'article L. 131-1 du Code du travail, repositionner l'État et construire le nouveau couple conseils régionaux-partenaires sociaux dans le cadre de la décentralisation. En outre, la synthèse entre les exigences contradictoires de la flexibilité du travail et de la sécurité des statuts professionnels reste à faire, à travers l'émergence dans la sphère juridique du concept de parcours d'insertion ou de formation. Au total, un accord interprofessionnel anticipateur, riche de potentialités, mais dont l'inscription dans le droit et dans les pratiques de gestion de compétences reste à réaliser.