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Vie des entreprises

Grandes manœuvres dans le petit monde du conseil RH

Vie des entreprises | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.10.2003 | Sandrine Foulon

Conjoncture morose, pression sur les prix, crise de confiance… Le conseil en management traverse une zone de turbulence. Les cabinets français cherchent à tirer leur épingle du jeu en nouant des alliances. Les uns misent sur l'intégration, les autres jouent le réseau. Mais, à la différence des anglo-saxons, ils restent à distance des SSII.

Rien de plus périssable qu'un annuaire des cabinets de conseil en management. Entre les disparitions des petits, absorbés par de plus gros, les changements de marques et les regroupements, ces deux dernières années auront été fertiles en tractations. Le paysage se recompose sous l'effet d'une crise structurelle et conjoncturelle. Terminées, les croissances de 15 %. L'année 2002 marque un coup d'arrêt avec un chiffre d'affaires du secteur estimé à 4,2 milliards d'euros, en baisse de 4 à 5 % par rapport à 2001, selon l'enquête annuelle du Syntec Conseil en management.

Mais le marché pâtit également d'une crise de confiance. Plus exigeants, les clients en veulent pour leur argent. « Renault a divisé par six ses dépenses de conseil », note Paul Schiettecatte, directeur général d'Entreprise & Personnel, qui entend davantage orienter cette association vivant surtout des cotisations de ses adhérents vers le conseil et la formation. « Aujourd'hui, ajoute-t-il, tout le monde regarde à la dépense et cette tendance sera durable. La concurrence est rude. Très souples, les petits cabinets parviennent à facturer 800 à 1 000 euros la journée. Les gros comme Accenture tournent autour de 1 800 euros. Avec 50 collaborateurs, nous ne pouvons pas facturer moins de 1 300 euros. »

Une pression sur les prix confirmée par Alain Donzeaud, président du syndicat professionnel Syntec Conseil en management. « Les services achat des entreprises sont entrés dans la danse. En moyenne, les prix des missions ont baissé de 10 à 15 %. Les plus gros parviennent toujours à s'en sortir et les plus petits tirent leur épingle du jeu parce qu'ils ont moins de charges. » Chez Aster, cabinet d'une douzaine de consultants, Marie-Claude Cougard, sa cofondatrice, prône l'artisanat. « Nous sommes sur des niches. Nous nous différencions en nous dédiant aux besoins complexes des clients. Et lorsque la demande se situe sur un plan européen, on fait appel aux cabinets étrangers avec lesquels on travaille en réseau. » Du cousu main pratiqué par la plupart des cabinets français, aux antipodes des méthodes anglo-saxonnes.

Les « moyens-grands » à la peine

Tiraillés entre les majors et les petits cabinets, les « moyens-grands », qui regroupent d'une cinquantaine de consultants à plus de 500 (soit moins de 200 cabinets pour un peu plus de 40 % du marché selon le Syntec), peinent à trouver leur place. D'où des repositionnements et des alliances en cascade. À commencer par Itéo, en passe de devenir l'un des poids lourds du secteur. À l'origine du projet, Didier Livio, fondateur de l'agence de communication Synergence, ex-président du CJD. À la recherche de moyens humains et financiers, il a croisé dans le Nord un responsable patronal, Jean-Pierre Guillon, détenteur de participations dans des entreprises de conseil sous la bannière Entreprises et Cités et actionnaire principal de la société de conseil Quaternaire d'Hervé Sérieyx. Les deux hommes ont tricoté leur projet et, il y a dix-neuf mois, est né, un peu en catimini, le groupe Itéo.

Autour de cinq métiers, cette holding regroupe pour les RH et l'ingénierie sociale et territoriale, Bernard Brunhes Consultants (BBC), qui absorbe deux sociétés de Quaternaire, Évoliance et Quat'alyse ; pour le marketing et les études, la société BVA ; pour l'organisation et le management de la performance, Mutas et Aïda ; pour la communication, Synergence Majeure, et enfin pour l'outplacement, le recrutement et l'accompagnement individuel, Raymond Poulain Consultants et Menway.

Itéo, dont le conseil de surveillance est présidé par Jean-Pierre Guillon, détient 100 % du capital des deux dernières, 50 % d'Aïda et de Mutas, et a pris 35 % de BBC et de BVA. « D'ici à trois ans, toutes seront détenues à 100 % par Itéo, précise Didier Livio, le président du directoire. L'objectif était de respecter les souhaits de chacun, de gérer les passages de témoin. Notre mode de management interne est celui de l'intégration et notre mode d'expression publique est celui du réseau. » Car les marques ne disparaîtront pas. « Avec nos marques et nos fortes individualités et personnalités, le pilotage d'Itéo ressemble à celui d'une équipe de foot de haut niveau, c'est un peu le Real Madrid. L'inconvénient dans le modèle intégré est d'avoir un ou deux métiers qui tuent les autres et, au final, un patron qui parle à la place des consultants. »

Pour Danielle Kaisergruber, numéro deux du cabinet BBC, Itéo apporte l'avantage de la crédibilité dans les appels d'offres. « Nous avons voulu répondre aux demandes de nos clients qui souhaitent la prise en charge totale d'un projet, à l'échelle européenne, des restructurations à la conduite de plans sociaux en passant par l'outplacement. Dès lors se posait la question de la taille. Nous étions trop petits pour être complets et trop gros pour rester une joyeuse bande de copains… » Avec un chiffre d'affaires cumulé de 70 millions d'euros pour 2002 et 450 salariés, les nouveaux partenaires misent sur la synergie, la transversalité et la coordination. « Pas de groupe intégré», résume Danielle Kaisergruber.

L'intégration version Altedia

Un choix à contre-courant. Car c'est plutôt l'intégration des marques et des équipes sous un seul drapeau, version Altedia, qui remporte les suffrages. Avec 84 millions d'euros de chiffre d'affaires et 500 consultants, le groupe de la rue de Milan s'est hissé au premier rang des cabinets de conseil en management français. Mais il présente une particularité notoire : sa cotation en Bourse. Une option jugée antinomique avec le caractère cyclique du conseil, de l'avis de nombre de ses concurrents. Seuls Solving et Altedia ont tenté ce pari. Avec quelques turbulences pour ce dernier. En août dernier, l'annonce de résultats en recul lui a valu une chute immédiate de 25,5 % de l'action. « Il ne faut pas devenir négatif sur la Bourse parce qu'elle est moins bonne, explique, serein, Raymond Soubie, son président. Notre entrée au Second Marché en 2000 nous a apporté notoriété, rayonnement international et nous a permis d'acquérir des cabinets par échanges de titres. Il est clair qu'aujourd'hui ces avantages sont moindres. La pression des marchés est forte et exige de la transparence et des prises de décision très rapides mais, en définitive, c'est très stimulant. Actuellement, il n'y a que 30 % de notre chiffre d'affaires qui pose un problème aux marchés, dans le recrutement et l'editing. » Et Raymond Soubie, qui estime avoir atteint la taille critique, ne s'interdit pas d'autres acquisitions, essentiellement à l'international.

Son éternel rival, le numéro deux BPI, est également partisan du modèle intégré. En mars 2003, le groupe détenu par Claude Paoli a racheté SoKratès et ses 30 consultants, l'une des sociétés de Gérard Longuet. Précédemment, le groupe a également rallié sous la bannière BPI Group son ex-réseau OI Partners lui assurant une présence à l'étranger. Et il vient tout juste d'acquérir un cabinet de chasse de têtes fort de 50 consultants. « Ce ne sont pas les cabinets à vendre qui manquent, souligne Éric Beaudoin, DG de BPI. Mais il fallait trouver un groupe de qualité, de dimension européenne, capable d'être opérationnel dès que le marché du recrutement redémarrera. » Car, pour l'heure, les chasseurs de têtes tirent la langue. Depuis trois ans, ce marché a plongé de 40 %. En attendant, avec 750 consultants, BPI (65 millions d'euros de chiffres d'affaires en 2002) dépasse, en effectif, son grand concurrent Altedia. Une course à l'embonpoint qui touche la plupart des cabinets. À l'image d'IDRH, la société de conseil en management présidée par Jean-Luc Placet, qui a absorbé Francis Vidal pour atteindre 100 consultants.

Secafi et Sodie à la noce

Autres noces qui ont suscité des remous, celles de Secafi Alpha et de Sodie, en décembre 2002, lesquels constituent désormais un pôle de 800 consultants réalisant un chiffre d'affaires cumulé de quelque 98 millions d'euros. Société détenue par Pierre Ferraci, la première conseille les comités d'entreprise et, depuis l'origine, a toujours été très sollicitée par la CGT. Créée à l'époque par Usinor pour accompagner les restructurations, la seconde est appelée par les directions. Rien n'aurait dû les rapprocher, saufla mise en vente de Sodie. Initialement associé dans ce projet à Bernard Brunhes, Pierre Ferraci a finalement pris seul 45 % du capital de Sodie. Un tel groupe peut-il à la fois conseiller CE et directions sur les mêmes dossiers de restructurations ? Peut-il être tenté d'être moins regardant sur les licenciements ? « Si on fait ça, on est mort, répond Pierre Ferraci. On va évidemment tenter de les limiter. Mais l'idée est d'intervenir sur toute la chaîne afin qu'à terme CE et directions se mettent d'accord sur l'outplacement. »

Quel que soit le modèle choisi, les cabinets de conseil français continuent, en tout cas, de se démarquer volontairement des grosses structures anglo-saxonnes. « Nous ne faisons plus le même métier, affirme Francis Rousseau, président d'Eurogroup, 510 collaborateurs en Europe dont 420 en France et spécialiste en organisation, stratégie et RH. Les gros bataillons de consultants anglo-saxons, qui se sont tous séparés de l'audit et ont gagné les troupes des SSII, sont devenus des prestataires de services, des intégrateurs. Ils font du déploiement de gros systèmes d'information. Dans la crise que nous vivons, il est difficile de maintenir le cap mais si l'on veut vraiment rester sur le métier du conseil, il est nécessaire de ne pas dépasser le seuil critique de 30 % de son chiffre d'affaires dédié à la prestation de services. »

De la place pour tout le monde

Et Dominique Genelot, président d'Insep Consulting, à la tête d'une centaine de consultants, de renchérir : « Il y a cinq à six ans, nous cherchions, comme tous les cabinets, les moyens de nous diversifier. L'idée dominante étant de se rapprocher d'une SSII, à l'image de PricewaterhouseCoopers racheté par IBM Global Services, voire, plus à notre échelle, d'Orga Conseil et de Sopra. Nous ne l'avons pas fait et nous nous en félicitons, car nous n'existerions plus. L'entreprise a besoin à la fois des systèmes d'information et du conseil mais toute la difficulté est de marier l'eau et le feu. À terme, l'activité de conseil se fait phagocyter par l'informatique. »

Une orientation confirmée par Philippe Jeanneret, un ancien du cabinet Bossard racheté par Cap Gemini et qui a fini par rejoindre la société de conseil et de formation CAA, forte d'une quarantaine de consultants. « Les business models des SSII et du conseil sont radicalement différents. Le premier exige des prestations très chères et des gros volumes. Dans ce contexte, l'activité de conseil ne peut plus rester autonome et j'ai eu envie de reprendre ma liberté. Beaucoup de clients déçus par les sommes colossales qu'ils avaient placées dans les systèmes d'information se tournent vers de plus petites structures. » Pour autant, affirmer que les « big six » ne font plus de conseil et laisseraient un boulevard aux « vrais » consultants français et européens serait « exagéré », tempère Éric Beaudoin, de BPI.

Même si les activités exclusivement de conseil des ex-Ernst & Young ou ex-Andersen se réduisent comme peau de chagrin, elles concurrencent néanmoins les cabinets français, moins sur les restructurations et les RH que sur l'organisation. « Il y a de la place pour tout le monde, affirme le dirigeant de BPI. À la différence de ses voisins allemands et britanniques, la France est peu consommatrice de conseil. Il y a encore 70 % du marché à prendre. » À chacun de trouver son créneau.

Les « Big » et le bang

Que reste-t-il des « Big four, five ou six » ? Après le divorce d'Arthur Andersen et d'Andersen Consulting, avec l'affaire Enron et plus largement les conflits d'intérêts entre l'audit et le conseil, ces deux activités ont définitivement divorcé.

Les survivants du conseil se sont tous rapprochés des SSII, quand ils n'ont été purement et simplement rachetés par elles.

Ce qui leur vaut la nouvelle dénomination d'intégrateurs de systèmes, de prestataires de services qui accompagnent le déploiement de grands progiciels plutôt que des « purs » du conseil en organisation, en stratégie et en ressources humaines. Néanmoins, selon l'enquête annuelle du Syntec Conseil en management, les six majors qui réalisent plus de 100 millions d'euros de chiffre d'affaires se partagent en 2002 58 % du marché du conseil en management français. Revue des last « big six » :

• IBM Global Business Consulting Services :

En 2002, Big Blue a repris quelque 600 consultants de PricewaterhouseCoopers.

• Accenture :

Anciennement Andersen Consulting, cette activité de conseil de l'ex-Arthur Andersen qui s'était séparée de l'audit en 1997 s'est rebaptisée Accenture en 2000. Elle a été la première à parier sur le mariage du conseil et des systèmes d'information.

• Cap Gemini Ernst & Young :

En 2000, la SSII, qui avait déjà intégré les ex-Bossard, rachète l'activité de conseil (un millier de consultants) d'Ernst & Young.

• BearingPoint :

Le groupe est né du rachat par les ex-KPMG Consulting US des consultants français d'Andersen Business Consulting, la nouvelle entité de conseil qu'Arthur Andersen avait créée après sa séparation avec Andersen Consulting.

• Syntegra KPMG :

En 2002, la SSII britannique a acquis KPMG Consulting France.

• Deloitte & Touche :

Seule exception à la règle, cet ex-big five a conservé sous la même marque l'audit et le conseil. Toutefois, en France, ces activités sont juridiquement séparées.

Auteur

  • Sandrine Foulon