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Repères

Le modèle Toyota, ça marche…

Repères | publié le : 01.10.2003 | Denis Boissard

Entre la déconfiture de Tati, les déboires d'Alstom, les restructurations chez STMicroelectronics, Eramet ou Altadis, et les quelque 30 000 emplois détruits au premier semestre 2003, les mauvaises nouvelles tombent à la pelle en ce début d'automne. De quoi alimenter l'appétence bien française pour le catastrophisme et la sinistrose. Et cependant, dans un bassin d'emploi pourtant considéré comme sinistré, le Valenciennois, une entreprise industrielle fait des prouesses. Sans tambour ni trompette, l'établissement Toyota d'Onnaing s'apprête à mettre en place une troisième équipe de nuit au printemps 2004 et à créer ainsi 500 emplois qui viendront s'ajouter aux 2 600 salariés déjà en place.

La performance est à la fois économique – grâce à un bon rapport qualité-prix, la Yaris construite à Onnaing taille des croupières à ses concurrentes françaises ou italiennes – et sociale. Ce qui frappe en visitant l'usine et en discutant avec ses principaux acteurs, c'est en effet un management des RH pragmatique, modeste (pas de charte, de projet d'entreprise, ni d'envolées lyriques sur le thème : « les hommes, la seule richesse de l'entreprise ») et, à l'inverse de celui de beaucoup d'entreprises françaises, résolument tourné vers les opérateurs. Ses ingrédients ?

D'abord, la priorité donnée à l'esprit d'équipe D'ailleurs, dans les ateliers, on ne parle pas d'ouvriers et d'agents de maîtrise mais de team members et de team leaders. Les signes distinctifs de la hiérarchie, péchés mignons de l'encadrement français, sont soigneusement gommés : la même tenue vestimentaire – une veste grise à bord bleu marine – est de rigueur, du P-DG à l'opérateur de production ; les cadres dirigeants n'ont ni place de parking ni salle de restauration réservées ; les bureaux, celui des administratifs et celui des ingénieurs, sont deux immenses open spaces, sans porte ni cloison, au milieu desquels travaillent le P-DG et le directeur de l'usine.

Autre caractéristique : la prédominance accordée aux qualités personnelles du candidat à l'embauche sur ses diplômes, qui va de pair avec un investissement considérable en formation. Depuis le début, quelque 32 000 candidats ont été reçus en entretien et testés en situation lors d'assessment centers. Aptitudes recherchées ? Le sens de l'initiative, le goût du travail en équipe et l'envie d'apprendre, plutôt que les compétences techniques ou l'expérience professionnelle. Résultat : les deux tiers des team members sont d'anciens chômeurs ou salariés en situation précaire, et 90 % n'avaient jamais mis les pieds dans une usine. Derrière, l'effort de formation est colossal : de 400 à 1 000 heures, validées par un CQP de la métallurgie.

Élément clé du fameux « toyotisme » : l'implication et la responsabilisation des opérateurs sur le fonctionnement de l'usine, l'innovation et la qualité. Les informations essentielles au suivi de la production sont disponibles sur de grands panneaux lumineux disséminés un peu partout dans les ateliers. Chaque opérateur est invité à faire des suggestions pour améliorer le processus de production, dont les meilleures sont primées tous les mois et entrent en ligne de compte dans la politique de promotion. Dès lors qu'il constate un dysfonctionnement, il peut également stopper à tout moment la chaîne sur laquelle il travaille en actionnant une corde à portée de main pour obtenir l'intervention de son chef d'équipe, et si nécessaire arrêter la production. De leur côté, le P-DG, le directeur d'usine et l'encadrement technique ne rechignent pas à se rendre dans les ateliers pour y constater de visu les difficultés rencontrées et contribuer à les résoudre. Objectif ? Remédier aux problèmes le plus en amont possible, sur le terrain, pour éviter les retouches, les rebuts ou, pis, les réclamations des clients.

Dernier atout : un intéressement à la performance de l'usine extrêmement motivant pour les hommes de production. Fondée sur des indicateurs industriels (et non financiers) très concrets – respect du plan de production, qualité des véhicules et sécurité du travail –, la prime, dont le montant est strictement identique pour tous les salariés, représente une somme de près de deux mois de salaire pour les opérateurs. De surcroît, elle est abondée à 100 % par l'employeur lorsqu'elle est investie sur le plan d'épargne d'entreprise.

Rien de révolutionnaire en apparence. Toyota Onnaing n'a résolu ni la question du taylorisme (l'expérience Volvo des équipes autonomes et de l'enrichissement du travail a fait long feu) ni celle de la pénibilité des tâches. Mais force est de constater que l'équipe franco-japonaise qui dirige l'usine a mis en place un package managérial terriblement efficace dont feraient bien de s'inspirer nombre de firmes industrielles hexagonales au fonctionnement pyramidal, à l'organisation cloisonnée, à la communication peu transparente et à la politique RH focalisée sur le recrutement des jeunes diplômés et la gestion des cadres à haut potentiel.

Auteur

  • Denis Boissard