Quelle leçon peut-on tirer de l'affaire des retraites ? L'enseignement majeur est qu'il demeure possible dans ce pays de mener à bien une réforme difficile et contestée. Ne sous-estimons pas l'ampleur de ce qui a été fait. L'harmonisation fonction publique-secteur privé est allée beaucoup plus loin qu'on ne l'aurait imaginé. L'allongement, annoncé et programmé, de la durée de cotisation à 42 ans a été une mesure forte. Même si tout n'est pas réglé (à taux de chômage constant, il manquerait encore 3 points de cotisation en 2010), un grand pas a été fait.
Trois raisons expliquent que le bateau, après avoir essuyé quelques tempêtes, soit finalement parvenu à bon port. D'abord, le sujet avait été préparé et médiatisé depuis longtemps, plus de dix ans. Le travail mené au sein du Conseil d'orientation des retraites avec les organisations syndicales a permis d'obtenir sinon un consensus sur une solution unique, du moins un diagnostic partagé. Ce processus n'a pas suffi à éviter une contestation mais a permis qu'elle ne l'emporte pas. Elle est d'ailleurs restée limitée, pour l'essentiel, au secteur public qui avait été moins préparé que le secteur privé.
Ensuite, le gouvernement, en annonçant par avance qu'il mettrait sa responsabilité en jeu sur l'adoption de la réforme, s'est interdit par avance tout recul majeur. Cette détermination lui a finalement facilité la vie. Les syndicats et les salariés les plus hostiles se sont dit qu'ils ne le feraient pas reculer. Ils sont restés mesurés dans leur opposition.
Enfin, deux organisations syndicales, la CFDT et la CGC, ont accepté un compromis. Contrairement à toute attente, il y a donc bien eu non seulement une simple concertation mais aussi une négociation. L'affaire se serait sans doute moins bien passée pour le gouvernement si tous les syndicats s'étaient retrouvés dans un front uni.
Réforme réussie, donc ? Pas totalement, car la situation syndicale qui en résulte et l'avenir de la négociation collective nationale sont bien incertains. Si la CFDT et la CGC sont restées fidèles à leur ligne d'acceptation de compromis négociés, la CGT, en revanche, s'est éloignée de la CFDT pour ne pas courir le risque d'être doublée sur sa gauche. Arriveront-elles à se réconcilier sur le thème de la défense des accords majoritaires ? D'ailleurs, la CFDT elle-même et le gouvernement, tirant les leçons des derniers mois, en ont-ils encore envie ?
Il n'est pas du tout sûr que la rentrée soit chaude. On ne voit point à l'horizon de revendications ou de réformes qui fédèrent les oppositions. Le secteur privé, dans un contexte économique et d'emploi difficile, connaît peu d'agitation. Les vrais risques, comme toujours, sont dans le secteur public : négociations salariales dans la fonction publique, évolution du statut de quelques entreprises publiques ou tout autre sujet susceptible d'émerger de la base. On peut comprendre que le gouvernement fasse très attention à ne pas allumer de nouvelles mèches après la succession de difficultés qu'il a eues à affronter au cours des dernières semaines.
Encore faudrait-il que, pour préserver à tout prix la paix sociale, il ne décide pas une pause dans les réformes. Celles-ci sont plus que jamais nécessaires si la France ne souhaite pas décrocher du concert des principales nations et décide de s'attaquer aux dysfonctionnements de la société. Le risque pour le politique n'est peut-être pas si grand qu'il le croit. Au fond, la majorité des Français lui sont reconnaissants d'avoir mené à bien la réforme des retraites. Son rôle n'est-il pas, après tout, de dépasser les intérêts catégoriels ? Les Français, tout « grappilleurs d'élite » qu'ils soient, comme Raymond Barre le disait autrefois, le savent bien.
Son déficit est abyssal pour deux raisons : le manque de recettes lié à la faible croissance, pour l'essentiel, et l'augmentation toujours rapide des dépenses de santé. Les réformes possibles seront, comme toujours, de deux types : des mesures classiques portant en même temps sur les recettes et les dépenses, une nouvelle gouvernance et de nouvelles régulations pour le système de soins. Sur le premier sujet, il serait fâcheux que le gouvernement s'en tienne à des recettes de poche classiques (tabac, alcool) sans rechercher de réelles économies. Le second sujet, renvoyé à l'automne 2004, est le plus important. Il s'agit de rendre les responsabilités de chacun plus claires et de donner plus d'efficience au système de soins. Ce sujet, qui intéresse tous les Français, mérite bien un large débat.