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Enquête

LE BLUES DES RESCAPÉS

Enquête | publié le : 01.10.2003 | Sandrine Foulon, Anne Fairise

Gestion hasardeuse du P-DG, endettement excessif ou marchés en chute libre : d'Alcatel à Vivendi, quelques-unes de nos « success stories » ont connu des dégringolades aussi soudaines que vertigineuses. Obnubilées par le redressement financier de leur entreprise, les directions ne se soucient guère de remotiver les salariés qui survivent à la crise. À tort !

Elles se nomment Alcatel, Alstom, Club Med, Gemplus ou Vivendi Universal. Longtemps, elles ont fait la une des magazines économiques dans la rubrique success stories, bluffant les analystes financiers et suscitant l'envie des jeunes diplômés. Et puis, du jour au lendemain, elles ont dégringolé de leur piédestal. Laissant estomaquées des troupes élevées dans le culte de l'invincibilité. « Plus l'entreprise s'est montrée protectrice et maternelle, à l'instar de France Télécom, plus le choc est rude. Difficile de passer de la logique du toujours plus au régime sec », souligne la psychanalyste Maryse Dubouloy, professeur à l'Essec.

Certes, toutes les crises ne se valent pas. Et toutes ses victimes ne sont pas logées à la même enseigne. Rien de commun entre le fonctionnaire de France Télécom protégé par son statut, même au plus fort de la tempête, l'ingénieur réseaux d'Alcatel qui voit partir des dizaines de milliers d'ouvriers au rythme des fermetures de sites, mais conserve son emploi, et le manutentionnaire d'Alstom, balayé par un plan social. Ni entre le salarié de Gemplus, dont les économies sont parties enfumée en raison de la chute de l'action, et celui de Rhodia, assuré de récupérer au moins sa mise grâce au système de garantie mis au point par le chimiste.

Sur l'échelle de Richter du risque entrepreneurial, les salariés ne sont pas affectés de la même façon par l'effondrement de la bulle Internet ou du tourisme après le 11 septembre 2001, par l'endettement excessif de leur entreprise, un temps considéré comme un critère de bonne gestion par les financiers, ou par des erreurs de gestion – voire des comportements frauduleux – de leurs dirigeants.

Rien de comparable, non plus, entre le comportement d'un Jean-Pierre Tirouflet, P-DG de Rhodia, resté droit dans ses bottes malgré la fronde de quelques actionnaires minoritaires du groupe chimiste, et celui d'un Jean-Marie Messier, patron déchu de l'ex-empire Vivendi, qui réclame toujours, dix-huit mois après son départ, son golden parachute de 20,55 millions d'euros en dépit d'une gestion calamiteuse. « Si la crise découle de surcroît d'une trahison des valeurs, l'entreprise aura les plus grandes difficultés à remonter la pente », commente Jean-Pierre Baudoin, directeur général d'I & E, agence spécialisée dans la communication institutionnelle.

De ces sorties de route spectaculaires, toutes les entreprises ne meurent heureusement pas. L'attention se porte alors, logiquement, sur les victimes des charrettes et restructurations, rarement sur les salariés qui en réchappent. Or ceux-ci n'en sortent pas indemnes. Difficile de se réveiller, un beau jour, avec la gueule de bois et le sentiment de culpabilité que ressentent les survivants d'une catastrophe. Fût-elle économique. Et inutile d'attendre un réconfort de l'entreprise. Tant ses dirigeants sont occupés à restructurer ses activités, à réduire sa dette – l'obsession de Thierry Breton, P-DG de France Télécom, ou de Patrick Kron, le successeur de Pierre Bilger chez Alstom –, à accompagner les plans sociaux ou à se lancer à corps perdu dans des opérations de reengineering, à l'instar d'Henri Giscard d'Estaing, affairé à redresser la barre du Club Med.

Les rescapés de la crise ne sont pas prioritaires. C'est le constat que l'on peut dresser, à l'issue d'une enquête de terrain menée dans huit grands groupes victimes d'un accident. Le problème c'est que les salariés le deviennent rarement par la suite, à moins que l'entreprise, à l'image de Gemplus ou de Noos, n'y soit vraiment contrainte, question de vie ou de mort. Et pourtant. « On sous-estime le coût humain et psychologique. Comme certains dirigeants ne sont pas crédibles, et les pouvoirs publics souvent inaudibles, les salariés se retrouvent seuls et résignés », notent Joël Amar et Robert Tixier-Guichard, de Co-Managing, spécialistes de la communication de crise.

Mais encore faut-il reconnaître qu'il y a eu naufrage. Le réflexe général est de tirer rapidement un trait sur les années noires. Or les salariés revendiquent le droit de comprendre. Plus ils disposent d'éléments pour analyser et dépasser la crise, plus ils se consolent des erreurs de management. Et deviennent des partenaires actifs de la reconstruction. Quand les entreprises échappent au déni et décident de remotiver leurs troupes, elles doivent être d'autant plus innovantes que la confiance a été mise à mal. Une réflexion dont les entreprises ne peuvent plus s'exonérer à l'heure où une crise en chasse une autre.

Auteur

  • Sandrine Foulon, Anne Fairise