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Enquête

ET LE P-DG SE FOURVOYA

Enquête | publié le : 01.10.2003 |

Le golden parachute de Messier, les rémunérations exorbitantes des dirigeants de Gemplus… De quoi scandaliser des salariés dans des entreprises où le management n'a pas fait la preuve de sa performance.

Gemplus Pas de régime sec pour les dirigeants

Trop, c'est trop ! Quand les salariés de Gemplus ont découvert, au printemps 2003, les conditions, sensiblement revues à la baisse par rapport au précédent, du second plan social du leader mondial de la carte à puce, leur sang n'a fait qu'un tour. Bilan : dix jours de grève. « Du jamais vu dans la culture de Gemplus », note un cadre. Il faut dire que la success story de cette start-up vedette des années 90 a viré au roman à scandale, depuis l'arrivée comme actionnaire principal du fonds d'investissement américain Texas Pacific Group (TPG) et l'entrée en Bourse. Le départ du charismatique fondateur de l'entreprise, Marc Lassus, l'irruption d'une direction aux méthodes anglo-saxonnes ont été vécus comme une première secousse pour les Gemplusiens, véritable tribu régie par les lois du PIF (profit, innovation, fun). « Quand TPG est arrivé, on était prêt à jouer le jeu. Fin 2000, on nous a annoncé une optimisation des coûts. On a vu débarquer des consultants prônant un management à l'américaine. Alors que les salariés étaient habitués à être associés à la stratégie, l'information n'a été donnée qu'au compte-gouttes. Au point qu'on s'est demandé s'il en existait une », raconte Franck Casalini, fondateur du syndicat maison majoritaire, l'USG (Union des salariés de Gemplus), sur le départ.

D'autant que l'éclatement de la bulle télécoms a bouleversé la donne. En deux ans, le groupe a accumulé 400 millions d'euros de pertes, vu s'effondrer son cours boursier, aligné deux plans sociaux (900 licenciements en France) et fait valser trois dirigeants. Pendant cette descente aux enfers, des rumeurs ont prêté aux actionnaires américains l'intention de déposséder Gemplus de ses brevets. En 2002, les salariés apprennent que leur nouveau P-DG, Alex Mandl, négocie un salaire annuel de 600 000 euros, un golden parachute de 500 000 euros et des frais d'entretien à domicile de 80 000 euros mensuels, alors que le chiffre d'affaires a sombré et qu'un second plan social est dans l'air. Le P-DG s'est dit prêt à revoir ses avantages à la baisse. Mais, selon les syndicats, il n'en aurait rien fait. « L'exemplarité, c'est pourtant le seul mode de management qui vaille, estime Franck Casilini. Il faut qu'il y ait une cohérence entre les actes et les déclarations. » D'où l'explosion du printemps.

À la suite de ce mouvement social, les salariés ont obtenu une amélioration des conditions de départ, avec des indemnités relevées de 30 000 à 52 000 euros par employé, et de dix à dix-huit mois de salaire pour les cadres. Ils ont également obtenu un coup de pouce financier pour les rescapés, via une augmentation de 2,5 % en moyenne en 2003 et 2004. « On voulait un signe fort pour contrebalancer le scandale des indemnités des dirigeants », souligne Franck Casilini, signataire de l'accord. Or, pour l'USG, cette hausse « est quasi inespérée dans une entreprise en perte ». De quoi mettre un peu de baume au cœur du personnel. Même s'il n'y a jamais eu de plan d'actionnariat salarié, certains ont en effet laissé des plumes dans l'effondrement de l'action, cotée 6 euros lors de l'entrée en Bourse, en décembre 2000, et dégringolée à 0,37 euro en juin 2003. À l'instar de cet opérateur qui s'est endetté pour investir plus de 2 134 euros à titre individuel, et se sent aujourd'hui « berné ». Ou comme beaucoup de cadres dont le portefeuille de stock-options a été réduit à néant.

Autre signal envoyé par la direction, un accord garantissant le maintien de l'activité pendant trois ans a été signé par quatre syndicats sur six au mois de mai. Cependant, « les salariés n'ont plus guère d'illusions », selon Dominique Schembri, de la CGT, non signataire. « Ils sont persuadés que l'actionnaire veut seulement faire remonter l'action. Et qu'il cherchera à réduire les effectifs. Depuis plusieurs années, le niveau de production baisse en France. Il ne représente plus que 20 % du total. En 2002, des sites ont été ouverts en Pologne », note Franck Casilini, de l'USG. Autre anomalie, pointée parla CGT, « l'accord est conditionné au même volume de cartes à produire qu'en 2002, alors que les effectifs ont été réduits ». « L'accord n'est valable que si les salariés atteignent un certain niveau de performance, basé sur cinq critères dont la baisse de l'absentéisme de 10-15 % à 5 %. La direction peut difficilement le remettre en cause, à moins que trois critères ne soient pas atteints pendant trois mois », tempère l'USG, signataire.

Nouveau DRH groupe, en provenance de Canal +, Philippe Duranton défend avec ardeur le « contrat d'activité extrêmement novateur » signé par son prédécesseur. « Connaissez-vous beaucoup d'entreprises qui se soient ainsi engagées ? À ma connaissance, c'est une première en France. » Pour le DRH, il ne s'agit que de la « première étape dans la reconstruction de la confiance ». Un de ses axes de travail majeurs. Il compte s'appuyer sur le management et mettre l'accent sur la communication, en travaillant des valeurs telles « l'exemplarité, la transparence et l'équité » et en multipliant la présence du management sur le terrain. Enfin, il projette de lancer une enquête interne sur le plan mondial, d'ici à fin 2003, « pour dégager des indicateurs de suivi » : « Gemplus doit regarder de l'avant. C'est une boîte bourrée de talents. Il faut l'aider à les exprimer dans un contexte où les marchés sont plus difficiles. »

Vivendi Universal Après Messier, le déluge… et l'addition

Comme tous les salariés de Vivendi Universal, y compris les derniers pro-Messier, Catherine Grangeon est encore sous le coup de la décision du tribunal arbitral américain d'octroyer 20,5 millions d'euros d'indemnités à l'ancien P-DG du groupe. « Quand je pense que j'ai passé deux ans à convaincre les salariés qu'accepter un cadeau de plus de 200 euros s'assimilait à de la corruption ! » soupire l'ancienne responsable de la communication interne de Vivendi, qui s'était vu confier par J2M le projet « éthique » du groupe. « Indécence » est le terme qui revient sans cesse dans la bouche de cette cédétiste qui a quitté la holding en août pour créer sa propre agence de conseil spécialisée en accompagnement des entreprises… en mutation. Car, en matière de crise, elle a été à bonne école. « Avant tout, il faut reconnaître qu'il y a crise, parler vrai. Or, jusqu'au dernier moment, Messier nous disait que tout allait bien, qu'on était les meilleurs, qu'il ne fallait pas croire au complot orchestré par la presse. Lors du dernier séminaire de Deauville, il s'est adressé en anglais à une majorité de salariés français. Autour de moi, les gens riaient. Ils n'y croyaient plus. Et fin juin il a réuni le comité d'entreprise pour nous dire que ça allait secouer mais qu'il n'y aurait pas de plan social. Trois jours après, il partait. »

Et après lui le déluge. Dans le rôle du superpompier, Jean-René Fourtou s'est surtout employé à vendre des actifs pour combler la dette, à renoncer à sa participation dans Vivendi Environnement, aujourd'hui Veolia, et à recentrer ses activités sur la téléphonie, Internet, l'audiovisuel et la musique. En moins d'un an, l'empire est passé de 320 000 salariés à moins de 70 000. Et la gestion des hommes ? Néant. « Il n'y a plus de corporate. Chacun se replie sur lui-même. Les communiqués se limitent aux résultats financiers. Quant à l'ambiance, elle est étrange. Dans les filiales, VTI ou VU Net, les salariés partent avec des indemnités loin d'être à la hauteur de celles de certains cadres de la holding », raconte un manager de la holding.

Certains attendaient un virage, ne serait-ce que symbolique, dans la politique de l'équipe Fourtou. « La semaine suivant le départ de Jean-Marie Messier, tous les canapés du sixième étage, celui de la direction, ont été changés, souligne un cadre supérieur. Et la cuisine de Messier n'a jamais aussi bien fonctionné. Même le dimanche. Jamais je n'ai vu passer une note de service demandant de réduire les frais. » Et question gros sous, les salariés sont sensibles. Notamment les salariés actionnaires de l'entreprise. « à l'époque, j'avais placé 600 000 francs, soit plus de 91 000 euros sur le plan d'épargne entreprise. Il m'en reste 80 000 », constate, dépité, un cadre. Certes, tous n'y ont pas perdu. « Messier avait lancé des plans Pégase à effet de levier qui permettaient de voir la hausse des actions multipliée par dix grâce à un accord conclu avec une banque et de bénéficier au minimum de 5 % de rendement par an. C'était alléchant, explique Patrick Deswartes, aujourd'hui secrétaire général CFE-CGC chez Veolia. Et malgré la chute de l'action, beaucoup ont profité de ces 5 %. Le problème, c'est que des salariés, de leur propre chef ou contactés par d'autres banques, ont emprunté de l'argent pour investir dans le plan d'épargne classique, sans aucune garantie. Et ils remboursent aujourd'hui des sommes qu'ils n'ont jamais perçues. »

Normalement, les salariés étaient tenus de n'investir qu'un quart de leur rémunération – participation, intéressement… –, mais, dans l'euphorie, certains ont franchi le seuil et s'en mordent maintenant les doigts. Car l'action a dégringolé de 140 à 13 euros. Beaucoup ont le sentiment d'un énorme gâchis. « Vivendi avait un vrai projet social. En 1997, plus de 7 000 jeunes chômeurs avaient été recrutés, suivis par des milliers d'autres jusqu'en 2000, se souvient un cadre de la holding. Nous étions fiers. Aujourd'hui, tout est en miettes et personne n'est là pour nous consoler. »