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Enquête

ET LA DETTE SE CREUSA

Enquête | publié le : 01.10.2003 |

Quand seul le désendettement guide la stratégie, les salariés broient du noir. Pour calmer leurs inquiétudes, la pédagogie est bonne conseillère.

Rhodia Resserrer les rangs dans l'adversité

Comme si les mauvais résultats du premier trimestre 2003, l'aggravation de la dette et la dégringolade de l'action ne suffisaient pas, voilà que les minoritaires réclament la tête du P-DG ! Même si les salariés de Rhodia s'attendaient à une vive réaction des actionnaires d'un groupe au bord de l'asphyxie financière, ils n'imaginaient pas que certains d'entre eux demanderaient la révocation de Jean-Pierre Tirouflet. Éreintant sa stratégie de désendettement progressif et de cessions ciblées, et exigeant des mesures drastiques. Et si le président du groupe chimique a finalement sauvé son poste, avec plus de 67, 23 % des voix, lors d'une assemblée générale houleuse, le 29 avril, il le doit, aussi, aux nombreux appuis qu'il a reçus en interne.

Dont celui des… syndicats : la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC ont en effet publié une lettre ouverte pour approuver la stratégie de la direction. « L'avenir était en jeu. Si la résolution des actionnaires minoritaires était passée, le groupe aurait été démantelé plus qu'il ne l'est aujourd'hui », plaide le cédétiste Maurice Tritsch pour justifier cette démarche inhabituelle. Autres soutiens de poids : ceux de Rhodia Alliance, l'association d'actionnaires salariés (50 % du personnel détient 6,4 % du capital), et des 120 cadres dirigeants « ayant investi en moyenne un an de salaire dans le capital du groupe ». De son côté, la direction a beaucoup communiqué pour expliquer le bien-fondé de sa stratégie. Une lettre a été envoyée à l'ensemble du personnel. Et, à quelques jours de l'assemblée générale, Jean-Pierre Tirouflet est intervenu devant un bureau restreint du comité de groupe européen, avant que la direction ne réunisse les syndicats. Avec un message simple : « Ça ira mieux en 2005. Rhodia ne procédera pas à des désinvestissements massifs, mais chirurgicaux », raconte la CFE-CGC.

« La direction délivre une communication régulière », reconnaît Maurice Tritsch, de la CFDT. Canal privilégié : l'intranet. « La transparence est un terreau de mobilisation », indique le service communication, qui rappelle que Jean-Pierre Tirouflet passe une journée par mois sur un site afin de rencontrer les cadres. Autre courroie de transmission : le CE européen et le comité de groupe. « Il y a quatre ans, Jean-Pierre Tirouflet semblait réticent face à ces instances, il les pratique davantage aujourd'hui. La direction y fait beaucoup d'efforts d'explication sur la dégradation financière », reprend Philippe Gaeger, de la CFE-CGC.

Car il y a fort à faire pour soutenir le moral au sein d'un groupe engagé depuis plusieurs années dans une restructuration drastique. Depuis 2000, les effectifs ont diminué de 12,8 %, à 24 500 salariés (dont 9 000 en France). En février dernier, la direction décide de réduire encore de 10 % le nombre de sites. Même les notes de frais subissent un régime minceur. « Les cadres supérieurs voyagent en seconde. L'exemplarité compte », raconte l'un d'entre eux. Mais il reste beaucoup d'inquiétudes parmi les salariés. Pour l'emploi d'abord. « La plus grande peur, c'est la cession. Beaucoup de ventes ont été faites à des fonds d'investissements, pas réputés pour leur politique sociale », reprend la CFDT. Pour le reste, les syndicats reconnaissent que les restructurations sont menées avec douceur : pas de licenciements secs, tradition de l'ex-maison mère Rhône-Poulenc oblige, mais des départs, principalement sous forme de préretraites.

Un mois après l'AG, les syndicats ont signé un nouvel accord de cessation anticipée d'activité pour 400 salariés âgés et postés. Ils partiront avec 75 à 85 % du salaire brut. Pas de quoi « acheter la paix sociale », estime la CFDT. « Mais cela contribue à soutenir une certaine confiance. »

Même la chute brutale du cours de l'action ne semble pas l'avoir entamée. Elle a été pourtant divisée par cinq depuis l'entrée en Bourse en juin 1998. « Rhodia a mis en place des systèmes de garantie : les actionnaires salariés récupéreront a minima le capital investi », explique Henri Alline, secrétaire général de Rhodia Alliance. Assurés de récupérer leurs billes, les salariés n'en sont pas moins inquiets : « Quand l'action est passée au-dessous de 6 euros, un cap psychologique a été franchi. Tout le monde craint l'OPA », note un actionnaire salarié. Cela réalimente les doutes sur la stratégie, le bien-fondé de certaines acquisitions ou de ventes jugées bradées. Pour Philippe Gaeger, de la CFE-CGC, la seule solution, c'est de « prendre son mal en patience. La chimie finira bien par redémarrer ».

France Télécom Après l'âge d'or, les années de plomb

Lorsqu'à l'automne 2002 Michel Bon s'efface au profit de Thierry Breton, c'est la douche froide pour les salariés de France Télécom. « On ne s'y attendait pas du tout, confie Valérie, cadre à France Télécom SA. L'endettement, tout le monde trouvait ça normal, y compris les analystes boursiers. Il fallait investir, se battre pour décrocher des licences UMTS. Et soudain, c'est l'annonce du gouffre, le débarquement de Michel Bon, qui était très apprécié. Finie, la superbe marque qui faisait rêver. » D'autant que si le nouveau P-DG concocte, d'emblée, un plan de relance, baptisé Ambition 2005, celui-ci va de pair avec un plan d'économies drastiques, Top 15. « Thierry Breton s'intéresse à une seule chose, la réduction de la dette, et accessoirement à la paix sociale dans l'entreprise », résume Jean-Pierre Forbé, secrétaire du Syndicat national des télécommunications CFE-CGC. Tout est dit : la remobilisation des salariés n'est pas la préoccupation première d'un P-DG surtout affairé à combler une dette abyssale de 70 milliards d'euros.

Signe des temps, oublié l'écran géant où chacun pouvait voir l'action France Télécom atteindre des sommets, dans le hall d'entrée du siège. En 2001, quelque 140 000 salariés actionnaires assistent médusés à la plongée du cours en enfer. En mars 2000, l'action valait 208 euros. En septembre 2002, elle touche le fond, à 8 euros. « J'ai eu de la chance. J'ai souscrit au premier plan, achetant des actions à un prix inférieur au marché, abondées par l'entreprise, que j'ai revendues à un prix supérieur. D'autres collègues ont souscrit au moment où l'action était au plus haut et ont perdu des plumes », poursuit Valérie, qui s'est contentée cette année des 2 % d'augmentation collective, la plus faible hausse de salaire qu'elle ait connue depuis son arrivée il y a sept ans. Comme grand enjeu social, Michel Bon avait parié sur l'actionnariat salarié pour rallier sous une même bannière fonctionnaires et agents de droit privé. Le succès avait été total. En 2000, l'entreprise pouvait fièrement annoncer que 92 % des salariés étaient devenus actionnaires de France Télécom, dont ils détenaient 3,4 % du capital. Aujourd'hui c'est l'amertume qui l'emporte.

À la tête de l'entreprise, il ne s'agit pas de s'apitoyer. « La crise ? Mais c'est loin. Motiver les salariés ? Oui, sans doute… », soupire-t-on à la direction de la communication, où l'on se refuse à remuer le passé. Certes, les canaux officiels d'information jouent leur rôle. « Tout est fait pour nous tranquilliser. Nous sommes abreuvés d'informations. En juillet dernier, l'avant-projet de loi concernant France Télécom a été immédiatement envoyé sur l'intranet et commenté, explique une salariée. On est tenu au courant des restructurations. Mais il n'empêche, il règne un sentiment d'instabilité. Chacun sait qu'il va être touché mais ignore comment. » Une inquiétude encore plus perceptible dans les filiales, à l'instar d'EGT et d'Internet Télécom…

« Les patrons de filiale, souvent issus du public, n'ont pas toujours une bonne connaissance du droit du travail. Des départs se sont déroulés dans des conditions désastreuses. Parfois hors plan social, sous forme de licenciements déguisés. De quoi paniquer ceux qui restent », explique un cadre qui travaille à l'international. « Les gens ont peur pour leur emploi mais ils voient aussi les conditions de travail changer. La culture d'entreprise en prend un coup. Nous sommes notés sur le comportement. Du management américain à la sauce française. Des salariés compétents partent. Cette réorganisation totale et le non-renouvellement des départs rendent les choses plus ardues », explique un salarié d'Equant, filiale de France Télécom.

Pour rassurer les salariés, un accord sur la sauvegarde de l'emploi et le redéploiement de personnels vers les administrations publiques a été signé le 5 juin dernier. « Mais il est à double tranchant, reconnaissent Thierry Mouton et Philippe Ocdé, délégués cédétistes, qui l'ont pourtant signé. Il favorise la mobilité en interne et limite les licenciements mais il n'évite pas la tendance à travailler avec toujours moins de personnel. » Jadis chouchoutés, aujourd'hui livrés à eux-mêmes sans véritable politique de motivation, les salariés découvrent la rudesse de restructurations parfois passées en force.

Mais difficile de jauger le moral des 100 000 fonctionnaires et des quelque 25 000 salariés de droit privé. René Ollier, secrétaire général de Sud PTT, voit de la lassitude chez les agents. « Depuis dix ans, les salariés n'ont rien gagné. En 1996, la bataille contre la privatisation a été perdue puisque France Télécom est devenue société anonyme. Rebelote aujourd'hui : la privatisation totale est envisagée même si on conserve le statut de fonctionnaire. Les luttes entre la direction et les organisations syndicales, et entre ces dernières, ont débouché sur une incapacité à se mobiliser de manière générale et à empêcher les projets majeurs. Du coup, on voit des salariés changer quatre à cinq fois de métier. Et, pour faire passer la pilule, la manière classique de rallier les troupes est de leur dire : on est dans un champ concurrentiel, le salarié doit s'adapter. Il y a forcément affrontement. Songez que depuis des années il n'y a pas eu de rencontres avec la direction pour parler politique de formation ! »