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Enquête

COMMENT REMONTER LE MORAL DES TROUPES

Enquête | publié le : 01.10.2003 | Sandrine Foulon, Anne Fairise

Souvent confrontés, en interne, à un déni de la crise, les salariés qui réchappent à la tourmente tombent vite dans la déprime. Les remobiliser suppose de parler vrai et de communiquer autrement. Un exercice que les entreprises maîtrisent mal. Contre-exemples avec Noos ou Buffalo Grill.

Une journée au vert pour sortir de la crise ! Le Jardin d'acclimatation, en bordure de Paris, a vu débarquer le 1er juillet une drôle de troupe, casquette sur la tête, arborant le même badge « Noos passe au vert ». Tout un symbole pour le premier câblo-opérateur français qui vient de renouer avec les bénéfices après des années de crise. Au programme : un rallye pédestre où les 550 salariés, répartis en une vingtaine d'équipes, se sont affrontés pour la bonne cause. Ils remettront prochainement un chèque de 10 000 euros aux Restos du cœur. Même les membres de la direction ont joué le jeu. À commencer par le P-DG, Patrick Leleu, qui s'est affublé, en riant, d'une perruque blonde pour affronter lors d'un bras de fer un Monsieur Muscle, emblème des campagnes publicitaires du groupe.

Suffisant pour remobiliser des salariés qui ont vu, en quelques mois, leurs rangs presque réduits de moitié ? Directeur général adjoint chargé des RH, Hervé Hannebicque n'y voit, bien entendu, qu'une première étape. « Cette journée marque le lancement du plan « Refondation », le nouveau projet d'entreprise sur cinq ans présenté en mai. » L'objectif, il ne s'en cache pas, est de remobiliser et de fidéliser les troupes en proposant une véritable refonte des RH. Une promesse de longue date, faite dès décembre 2002, au moment même de l'annonce de la restructuration. Rien d'anodin : il s'agissait aussi, alors, d'éviter de trop grosses désaffections parmi le personnel, démoralisé par la mauvaise image de l'entreprise mais enjoint de faire mieux avec moins de moyens. D'autant plus que Noos avait choisi d'ouvrir un plan de départs volontaires plutôt avantageux, avec treize mois de salaire net ou, a minima, 19 000 euros. Paradoxalement, il a servi de première pierre à la politique de remobilisation. « Nous voulions nous assurer que les salariés quittant l'entreprise avaient tous un projet professionnel validé. C'était une exigence », reprend l'ancien vice-président de Bull et de Thomson Multimédia.

Noos a vu large. Avant l'ouverture du guichet départ, cette entreprise high-tech a proposé à tous les salariés un « rendez-vous carrière » d'une heure et un « plan perspective professionnelle » de quatre heures avec un cabinet extérieur. De quoi permettre à chacun de se positionner, de se confier, le cas échéant, mais aussi « d'affronter ses choix », reprend Hervé Hannebicque, qui souhaite insuffler une culture entrepreneuriale. Résultat, si 532 salariés ont signé au final une convention de départ, 700 salariés au total sont passés entre les mains des consultants. L'entreprise a embrayé en mettant l'accent sur les évolutions professionnelles, « facteur de motivation », et a ouvert une agence interne de la mobilité, avec bourse d'emplois à la clé. Pour anticiper les départs mais aussi répondre aux demandes d'évolution. Quant à l'actuelle « Refondation », elle met le paquet sur la communication, le management, la politique salariale et la formation. Le plan semble séduire la centaine de managers. Fin juin, 60 % d'entre eux se disaient « confiant » ou « enthousiaste »…

La politique de l'autruche

Un joli retournement de situation. Car si les DRH citent, à longueur de sondages, la motivation des salariés comme « principal enjeu de demain », force est de constater que cette belle idée passe à la trappe au moindre orage. Erreur la plus fréquente, selon l'Union des annonceurs, qui a planché durant un an sur la communication de crise : « oublier ceux qui restent quand certains partent ». Un oubli malheureusement trop fréquent pour Marie-Jo Chevallereau et Catherine Besiers, psychosociologues à la Délégation académique à la formation continue de Créteil, qui animent depuis trois ans un espace d'écoute-orientation-mobilité interentreprises, où elles accueillent les « rescapés des crises », notamment celles des fusions-restructurations. « Quand il y a un plan de départ, les directions ont tendance à considérer ceux qui restent comme des rescapés, plus chanceux que les autres. » Pourtant, leur accompagnement est encore plus indispensable qu'hier. « Car les structures internes, les collectifs de travail, les syndicats, qui prenaient en charge la souffrance et la parole des salariés, sont de plus en plus mis à mal », ajoutent-elles.

Mais encore faut-il faire admettre aux entreprises les conséquences traumatiques des crises. Or celles-ci ont déjà du mal à reconnaître l'existence même de difficultés, adoptant souvent la politique de l'autruche. En premier lieu dans les journaux d'entreprise qui ne sortent pas du « tout va toujours bien, même quand ça va mal », comme le constate Euro RSCG Publishing dans une récente étude (voir encadré page 30). « Les entreprises ont du mal à dire la vérité sur les mauvaises nouvelles sociales. Même si elles le voulaient, elles risquent le conflit de droit boursier ou de droit social. De plus, elles sont entrées dans l'espace du jugement du public qui, lui, est immédiat », commentent Joël Amar et Robert Tixier-Guichard, consultants du cabinet Co-Managing, spécialisé dans la communication de crise.

L'art difficile de la communication

Mais quand le silence radio se prolonge un peu trop, la fracture se creuse vite avec des salariés informés par les médias. Chez Toys « R » Us, le personnel a appris par la radio diffusée dans les magasins l'annonce du plan de restructuration, alors même que la direction n'avait pas encore déterminé quels sites allaient fermer. Certaines fuites tombent à pic. À l'usine Bataville de Moussey, en Moselle, aujourd'hui fermée, c'est la divulgation en juin 2001 aux grilles de l'entreprise d'un rapport confidentiel, contenant les différents scénarios de désengagement, et le choix retenu par le comité de direction de Bata qui ont accéléré la décision de communiquer, rappelle un consultant. « La direction, réticente jusqu'alors, s'est laissé convaincre qu'il fallait donner une information fiable aux salariés, à la presse pour faire partager un diagnostic. » Histoire de rattraper le coup, tant bien que mal.

Mais bien communiquer est un art difficile. « Chez Vivendi, Messier communiquait trop, tout le temps, mais oubliait totalement les salariés. Le service de presse a été pour une grande part responsable de sa chute », estime un cadre de la direction. Une erreur que n'a pas commise Buffalo Grill. « Il y a un an, vous nous auriez demandé une interview, nous aurions refusé, admet Michel Tandia, le DRH. Le groupe s'est toujours montré discret. » Mais l'annonce brutale, le 18 décembre 2002, de la mise en examen de quatre dirigeants pour homicide involontaire et viol d'embargo sur la viande bovine, et les incendies criminels de trois restaurants quelques mois plus tard ont amené l'entreprise à tourner casaque. Car l'effet est immédiat : la fréquentation des restaurants chute de 40 %, la COB suspend le cours de Bourse et les 6 700 employés des 257 restaurants de l'enseigne sont menacés.

« Lors de notre première réunion de CE à Lesquin, 50 journalistes nous attendaient. On n'avait jamais vu ça. Alors, on a accentué la communication vis-à-vis des salariés. Nous avons multiplié les CE extraordinaires, renforcé le dialogue avec les syndicats, créé des sous-commissions juridiques pour tenter d'y voir clair dans les procédures pénales mais aussi dédiées à la communication. Trois salariés étaient élus pour relayer nos explications. Nous avons réactivé les commissions économiques et sociales qui se tenaient normalement tous les trois mois. Nous avons essayé d'être le plus transparents possible. » Résultat, même si la crainte de perdre leur emploi a pour une grande part poussé près de 2 000 salariés de Buffalo à battre le pavé parisien cet hiver, à l'initiative de la CGT, salariés et patrons ont défilé ensemble, une fois n'est pas coutume.

Gare au syndrome du survivant !

Communiquer ne signifie pas se répandre à tort et à travers. Jean-Pierre Beaudoin, directeur général d'I & E, une agence spécialisée dans la communication, va jusqu'à défendre le cloisonnement des infos. « D'accord pour la notion de transparence. Mais il est inutile de tout mettre indifféremment sur la place publique. Cela crée de la confusion. Il est nécessaire d'apporter à chacun des acteurs concernés, salariés, fournisseurs, actionnaires, collectivités locales, les seuls éléments nécessaires à leur compréhension. » Une mauvaise communication, tout comme le silence radio, entame vite la confiance. Plus les groupes ont été portés au pinacle, plus le retour de manivelle est violent. « Le choc serait moins rude pour les salariés si la vie des entreprises n'était pas présentée comme une saga idyllique », commente un cadre désabusé. Ou si les salariés possédaient une plus grande culture économique…

Le meilleur moyen de les mobiliser est d'identifier le passage à vide, qui se manifeste toujours. Que ce soit par la hausse du taux d'absentéisme ou par des demandes de formation inhabituelles. Sans repères, les salariés ont tôt fait de sombrer dans la déprime. « Faute de vision claire, on a vu des cadres d'Alcatel trouver des motifs de revendication proches de ceux de la CGT sur le thème on veut bien se défoncer mais qu'on nous dise où on va », note Laurent Weil, consultant chez BPI. Le déni va tellement loin dans certaines entreprises que des consultants se trouvent devant des équations insolubles. Appelé en renfort pour remobiliser les troupes d'un petit établissement d'un grand équipementier automobile aux performances jugées médiocres, Patrick Chaniaud, spécialiste de la motivation chez BPI, a trouvé une société en plein chaos. « Le corps social est totalement déstructuré. Les hommes travaillent à la chaîne. Leurs épaules se touchent presque. Ils en viennent parfois aux mains. Les conditions de travail sont stressantes. Le comité de direction est instable, les managers sont divisés. Il faut réduire les effectifs. Avec tout ça, on nous demande de faire de la performance. Si la direction n'apporte pas de nouveaux moyens, c'est peine perdue. »

Car reconnaître la crise, et surtout la perte d'effectifs quand elle s'accompagne de licenciements, permet aux rescapés d'évacuer leur culpabilité. « Les manuels de management des années 80 faisaient déjà référence au syndrome du survivant – se sentir coupable d'être toujours là quand d'autres sont partis – qu'a développé entre autres le psychiatre Boris Cyrulnik », rappelle Frank Bournois, professeur à Paris II et à l'ESCP-EAP. Pourtant, trente ans plus tard, le travail de deuil est rarement fait. « La plupart des entreprises sont dans le déni. Plus elles se sont comportées en mères nourricières, protégeant leurs salariés, plus le sentiment d'abandon de ceux-ci est fort », souligne Maryse Dubouloy, psychosociologue et psychanalyste. Professeur à l'Essec, elle prône des espaces d'écoute pour accompagner les « survivants ». Car les rites sont importants, explique-t-elle en se référant à l'ethnologie. « On enterre collectivement ses morts. On pleure ensemble, on parle de sa souffrance. Dans l'entreprise, on brûle les étapes. » Elle veut passer très vite à autre chose, se mobilise sur des projets. « Mais il est essentiel de s'arrêter sur le passé avant de reconstruire, plaide Maryse Dubouloy. Un travail sur le passé permet de se remettre en perspective individuellement et collectivement et de ne pas se laisser envahir que par les émotions. On découvre les cadavres dans le placard, on mesure à quel point tout n'était pas aussi rose et surtout on réalise qu'on est capable de survivre à des ruptures. »

Place à la créativité !

Pour restaurer la confiance et mobiliser les salariés, mieux vaut rompre avec les habitudes. Du jamais vu chez Noos : le câblo-opérateur a projeté en 2002 une petite vidéo sur les déboires techniques des clients, lors d'une grande soirée d'annonces. « L'ambiance était très tendue, parce que les salariés ne savaient pas ce qu'on allait leur dire. Avec le film, elle a basculé. La salle a fini par applaudir. Le personnel ne se moquait pas des clients, il applaudissait un changement de mentalité. Un tabou avait sauté », analyse un salarié. Mieux, la direction avait mis en place un standard pendant les annonces des dirigeants. De quoi permettre aux salariés, sous couvert de l'anonymat, de réagir instantanément aux annonces des dirigeants et de les interpeller. « La confiance se bâtit sur un parler vrai. Il ne faut pas hésiter à bousculer les moyens de communication. Car il y a un dysfonctionnement entre la communication interne et la communication de crise », souligne Jean-Michel Hieaux, vice-président d'Euro RSCG Corporate.

Place, donc, à la créativité ! Sans oublier les recettes qui ont fait leurs preuves pour galvaniser les équipes. Poser des repères clairs sur l'avenir, transformer les managers en messagers et faire descendre le P-DG dans l'arène. Noos a choisi de communiquer autrement. Pas de recette extraordinaire, mais une communication adaptée. Il n'était pas question pour l'entreprise high-tech de s'adresser par mail aux salariés : « Trop d'intranet tue la communication », explique Hervé Hannebicque. Le DRH s'est saisi d'un moyen plus sommaire : le « Noos deal », un bon vieux tract à la périodicité incertaine, vite surnommé « le tract de la direction » par les salariés. Qu'importe, les membres de la DRH n'hésitent pas à le distribuer eux-mêmes lors des AG.

Buffalo Grill a créé une hot line spécialement destinée aux salariés. Au bout du fil, des personnes notamment formées à la paie. Car les salariés en contact avec la clientèle y ont laissé quelques plumes. « Nous avons décidé de maintenir ce service au-delà de la crise. Nous nous sommes rendu compte que les salariés avaient besoin de ce contact direct et pouvaient aussi aborder d'autres thèmes, comme les difficultés relationnelles sur leur lieu de travail. Nous avions un service marketing mais pas de communication. C'est désormais chose faite. Deux personnes ont été recrutées pour assurer la communication externe et interne. Nous avons tiré la leçon de tout ça. Toute entreprise doit être prête à affronter une crise », reprend Michel Tandia.

Plus rarement, les entreprises recourent, pour mettre du baume au cœur de leurs salariés, aux espèces sonnantes et trébuchantes. Après la fusion HP-Compaq, des primes de motivation ont été octroyées aux salariés restants. Chez Noos, une prime exceptionnelle liée au dépassement des objectifs de croissance a été créée. « Lier l'intéressement à la diminution de la dette peut être une solution originale, note Liliane Aurousseau, consultante du cabinet éponyme. Mais ce genre de piste reste peu emprunté. » L'essentiel des moyens part souvent dans l'accompagnement de la restructuration. Mobilité, formation, changement de métier sont d'autres ressorts connus. « Profiter des départs pour doper la mobilité interne contribue à aider les survivants, souligne Liliane Aurousseau. Installés dans de nouvelles fonctions, ils n'ont pas le sentiment de prendre, voire de voler la place d'un salarié licencié. »

Mais, pour Frank Bournois, professeur à Paris II et à l'ESCP-EAP, la meilleure solution reste de prévenir la crise en mettant les salariés en posture de responsabilité : « Les entreprises n'ont d'autre choix que de stimuler et de développer les capacités d'anticipation permanente chez leurs collaborateurs. Cela participe du devoir managérial. » D'autant que la crise est devenue une réalité courante dans notre « société du risque ». Noos, décidément un cas d'école, souhaite rendre obligatoire pour tous un bilan annuel de carrière et de formation. De quoi rendre les salariés acteurs et les aider à ne plus faire naufrage dans les tourmentes qui peuvent malmener leur entreprise…

Ça va bien, même quand ça va mal
La presse d'entreprise surexploite les succès et garde le silence sur les problèmes

Les entreprises vivraient-elles dans un monde sans nuage ? C'est l'illusion qu'entretient, pourtant, leur presse interne, selon Euro RSCG Publishing, qui a décortiqué le contenu de 40 journaux d'entreprise, avec des sémiologues et des linguistes de la Sorbonne. Le constat est sans appel : silence radio sur les couacs, les ratés, toutes les informations sensibles ou fragilisantes.

« Les mauvais résultats financiers, les licenciements, les fermetures de sites ne sont pas évoqués ou rarement dans la presse d'entreprise », note Céline Labat, directrice des stratégies et du développement. Seuls 10 % des titres étudiés évoquent ouvertement la tempête traversée. Mais l'approche est soigneusement pensée : « Soit ils livrent des chiffres sous forme de tableau, sans commentaire. Soit ils font référence à des difficultés, passées et résolues, pour introduire un nouveau projet. » Et les journaux d'entreprise n'évoquent pas plus l'environnement, la concurrence, le marché sur lequel elles évoluent (8 % des contenus). Ce qui aiderait cependant les salariés à mieux comprendre les turbulences du moment.

Vu le recours excessif aux termes exprimant le succès, la méthode Coué compte de nombreux adeptes dans les services de la communication interne.

« Ils voient dans la valorisation des succès un moyen de mobiliser. Mais surexploiter ce champ sémantique peut mettre en cause la crédibilité des contenus et générer des doutes sur l'objectivité de l'information », analyse Céline Labat. Les rencontres sont trop souvent « prometteuses », les échanges systématiquement « fructueux » et les mises en service « réussies ».

Euro RSCG a même découvert un journal interne qui était parvenu à placer « succès » ou « réussite » dans un titre d'article sur deux !

Une explication à ce triste constat : la presse interne ressemble de plus en plus à de la communication externe. Les contenus « pourraient dans leur quasi-totalité être livrés tels quels à des publics extérieurs », ajoute l'étude. L'espace qui est réservé au personnel de l'entreprise se restreint. Seuls 30 % des articles proposent des informations relatives au quotidien professionnel, depuis les conditions de travail jusqu'à la politique RH… Pis, les salariés n'ont plus guère voix au chapitre. La parole, qui est plus volontiers accordée aux managers, leur est rarement donnée (20 % des interventions seulement). Salariés, clients : même combat ? Pas de quoi, en tout cas, mobiliser les troupes en interne… A.F.

Auteur

  • Sandrine Foulon, Anne Fairise