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Débat

Faut-il créer un cinquième risque de Sécurité sociale pour la dépendance ?

Débat | publié le : 01.10.2003 |

Il aura fallu un été caniculaire pour que le sort des personnes âgées soit érigé au rang de priorité nationale. Alors que l'État et les départements peinent à financer l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), créée par le gouvernement Jospin, des voix s'élèvent pour réclamer la prise en charge de la dépendance par la Sécurité sociale. Trois experts de cette question, un chercheur et deux politiques, donnent leur avis.

« L'adoption du principe de l'assurance serait déjà une sérieuse avancée. »

CLAUDE MARTIN Directeur de recherche au CNRS.

On est loin d'avoir tiré toutes les leçons de la canicule de l'été 2003. Cette hécatombe a obligé le gouvernement à réviser ses projets. Au printemps, le discours dominant dans la majorité était encore celui du surcoût et des difficultés de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), adoptée fin 2001 par le précédent gouvernement. Cette mesure semblait victime de son succès. Si la PSD permettait de soutenir (modestement) 15 % des personnes dites dépendantes, l'APA a permis de secourir près de 70 % d'entre elles, en ayant recours à un système de ticket modérateur, c'est-à-dire un copaiement entre la collectivité et l'usager, en fonction de son revenu.

Face à la crise provoquée par la canicule, les priorités changent. La question est moins actuellement de savoir si l'on dépense trop pour la dépendance, malgré un contexte économique particulièrement difficile, mais comment dépenser plus pour éviter ce genre de situation extrême et inacceptable. En politique, beaucoup est affaire de priorité et d'agenda. C'est sans doute la raison pour laquelle l'hypothèse d'un « risque dépendance » revient à l'ordre du jour. Du coup, on se tourne vers ces pays qui, comme l'Allemagne, le Japon ou le Luxembourg, ont franchi le pas de l'assurance. C'est probablement le dispositif allemand qui a inspiré l'idée de l'abandon d'un jour chômé. En 1994, le législateur allemand a instauré une assurance en ayant recours à une cotisation partagée à parité entre salariés et employeurs (0,85 % chacun), avec en compensation pour les employeurs l'abandon d'une journée chômée.

Ce dispositif connaît pourtant un déficit de l'ordre de 500 millions d'euros pour 2003 et suscite de vives critiques. Si l'on suit cette hypothèse, il s'agit de consacrer 0,5 % de la masse salariale française, soit environ 3 milliards d'euros. Ce qui reste à préciser, c'est la répartition entre salariés et patronat. La bataille est engagée avec le Medef pour savoir ce que sera le niveau de sa contribution. En toute hypothèse, l'adoption du principe de l'assurance serait déjà une sérieuse avancée, susceptible d'amélioration dans le futur. Ce qui était impensable il y a quelques mois est possible aujourd'hui et pourrait être mis en œuvre par ceux qui s'interdisent à la fois d'augmenter les charges sociales et de recourir à l'impôt.

D'innombrables questions se posent encore. Faut-il créer une nouvelle branche de la Sécurité sociale, une sous-branche de l'assurance maladie, comme en Allemagne, ou inscrire la dépendance dans la branche famille ? Enfin, quelles conséquences aura ce nouveau mode de financement sur la mise en œuvre et le pilotage de cette politique ? Faut-il revenir sur le rôle des conseils généraux ? Une chose est certaine, il faudra augmenter l'effort collectif pour faire face à cette demande croissante qui pèse déjà lourdement sur les familles et essentiellement sur des femmes qui, contrairement au discours entendu en septembre, n'abandonnent pas leurs parents âgés, mais éprouvent de plus en plus de difficultés à faire face aux contraintes qu'impose la prise en charge quotidienne d'un parent dépendant. De même, il faudra bien parvenir à mieux valoriser ce travail de soins par des formations, des diplômes et des salaires qui tiennent compte de la qualité du lien que ces professionnels facilitent.

« Avec la création d'un cinquième risque, attention à ne pas tomber dans une fuite en avant. »

JACQUES BARROT Ancien ministre, député et président du conseil général de la Haute-Loire (UMP), maire d'Yssingeaux.

Aujourd'hui, nous comptons près de 800 000 personnes dépendantes : ce nombre pourrait augmenter de 30 à 50 % dans les vingt prochaines années. La dépendance est donc un phénomène en voie d'aggravation que nous devons prendre très au sérieux. Lorsque est apparue la nécessité de créer une prestation pour accompagner les personnes âgées dépendantes est née la prestation spécifique dépendance, remplacée par l'aide personnalisée à l'autonomie (APA). Cette dernière n'est ni une prestation d'aide sociale dès lors que l'on a supprimé le recours sur succession ni une prestation de Sécurité sociale puisqu'elle reste subordonnée à un niveau de ressources. Globalement, son bilan apparaît positif. Mais la mise en œuvre de l'APA s'est avérée laborieuse pour les personnes hébergées en maison de retraite. Les initiateurs de l'APA ont voulu une tarification faisant apparaître une dépense d'hébergement régie par l'aide sociale, une dépense liée aux soins de vie couverte par l'APA et une prise en charge des soins médicaux et infirmiers par l'assurance maladie. Mais la répartition entre ces trois financements s'avère difficile et on ne peut pas dire que les maisons de retraite disposent des moyens nécessaires pour un accueil valable des personnes concernées.

C'est à la lumière de tout cela que refait surface l'idée d'une cinquième branche de Sécurité sociale chargée de relayer une assurance maladie défaillante.

Elle peut paraître séduisante, mais présente des inconvénients majeurs. D'abord, comment identifier les dépenses liées aux soins médico-infirmiers et celles correspondant aux soins de vie ? Si le risque dépendance devient spécifique, comment l'isolera-t-on des pathologies ordinaires qui peuvent frapper des personnes âgées non dépendantes ? On risque aussi de recentraliser la gestion de la dépendance qui doit être de proximité. En outre, si on prend complètement en charge les personnes âgées dites dépendantes, comment éviter de les stigmatiser ? Il y aurait ainsi des personnes vieillissantes qui, n'étant pas dépendantes au sens strict, seraient prises en charge par l'assurance maladie et des personnes qualifiées de dépendantes qui relèveraient de cette nouvelle branche ! Voilà pourquoi il apparaît pour le moment inopportun de créer une nouvelle branche.

Cela étant, il faut imaginer de nouveaux moyens pour garantir à l'avenir un financement plus généreux à la mesure des besoins créés par la dépendance.

L'argument selon lequel une cinquième branche permettrait de légitimer plus facilement un effort supplémentaire des Français paraît à la fois contestable et peu convaincant. Ils n'y consentiront que s'ils ont le sentiment que l'ensemble des sommes très importantes mobilisées par la solidarité collective en matière de santé fait l'objet d'une gestion sérieuse et attentive aux vraies priorités. Attention à ne pas tomber avec le cinquième risque dans une fuite en avant qui pourrait générer des besoins financiers impossibles à couvrir par la collectivité nationale.

« Oui, mais le cinquième risque ne peut pas reposer exclusivement sur les cotisations. »

JEAN-PIERRE SUEUR Sénateur (PS) du Loiret.

Les événements de cet été ont montré combien les critiques faites à l'APA étaient injustifiées. On ne peut plus ignorer que la prise en charge de la dépendance ou, pour mieux dire, du degré le plus élevé d'autonomie possible jusqu'au dernier jour de la vie, a un coût, et que ce coût ne peut que croître. Lorsque j'ai rédigé, en 2000, le rapport qui a servi de base à la loi créant l'APA, la plupart des représentants des syndicats, associations et organismes de Sécurité sociale ont défendu la mise en œuvre d'un cinquième risque. Pour moi, l'APA est une étape qui représente un pas important vers le cinquième risque. Elle constitue, en effet, un objet original : c'est une prestation légale dont les conditions d'attribution fixées sont identiques dans toute la France ; elle fait appel au financement d'une collectivité locale à côté de celui de l'État ; elle est mise en œuvre au plus près du terrain, de manière à prendre en compte la spécificité de chaque situation. Il faut maintenant aller plus loin et continuer d'avancer vers ce cinquième risque, par étapes successives. On fait souvent référence au modèle allemand. Mais celui-ci n'est pas transposable tel quel. C'est ainsi qu'il ne paraît pas conforme aux principes de notre Sécurité sociale de transposer la clause du système allemand selon laquelle, au-dessus d'un certain niveau de revenus, la perception de la prestation est subordonnée à une obligation d'assurance auprès de compagnies privées.

Les évolutions souhaitables vers le cinquième risque supposent que l'on réponde à plusieurs questions. La première est de savoir si on se limite à la dépendance des personnes âgées ou si, comme c'est le cas en Allemagne, on englobe la situation de « toutes les personnes souffrant d'une maladie corporelle, psychique ou mentale et qui ont un besoin d'aide régulier et récurrent », quel que soit leur âge. L'intégration dans le cinquième risque de l'ensemble du handicap, demandée par un certain nombre d'associations, exige d'abord un dialogue approfondi avec celles-ci.

La seconde est de savoir si on continue ou non à faire appel au financement des conseils généraux. Les prestations de la Sécurité sociale ne relèvent pas, historiquement, de la contribution financière des collectivités locales. Mais la CMU constitue désormais un contre-exemple. On voit mal, aussi, comment se priver de ces sommes. La question est donc de savoir s'il faut inventer un dispositif original à cet égard ou transférer les sommes apportées par les départements vers des cotisations, ce qui serait problématique, ou leur substituer une hausse de la CSG, ce qui reviendrait à substituer un impôt national à un impôt local. Mais la question principale reste celle du coût. À cet égard, les propositions du type « jour férié » sont des gadgets. La vérité est que, quels que soient l'emballage ou la présentation qu'on en fait, on n'échappe pas au recours à des ressources complémentaires. Et si l'on veut que le cinquième risque s'inscrive vraiment dans le cadre de la solidarité nationale, il paraît difficile que celui-ci repose exclusivement sur les cotisations. Il faut donc définir, selon des règles de justice, la contribution des différentes formes de revenus – et non seulement des revenus liés au travail – à son financement.