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Repères

Le « revival » de l'extrême gauche

Repères | publié le : 01.09.2003 | Denis Boissard

Curieuse rentrée sociale. Certains l'annoncent chaude, d'autres (José Bové) brûlante. Mais, pour parler de rentrée, encore aurait-il fallu qu'il y ait eu une sortie. Or, depuis le printemps, la France vit dans un état d'agitation permanente, les mouvements sociaux s'enchaînant les uns derrière les autres. Sortant d'une rude épreuve de force sur les retraites, le gouvernement n'a bénéficié en juillet-août d'aucun répit : la traditionnelle trêve estivale a, cette année, joué les filles de l'air. À la mobilisation des fonctionnaires contre la réforme Fillon, à celle des enseignants contre les projets de décentralisation de Luc Ferry ont succédé la poussée de fièvre des intermittents du spectacle qui a perturbé les festivals de l'été puis la colère des urgentistes et du personnel hospitalier face à la crise sanitaire provoquée par la canicule.

Le plus inquiétant pour l'équipe aujourd'hui au pouvoir, et de façon plus générale pour les partis de gouvernement et le camp des réformistes, c'est l'agrégation de ces mouvements disparates derrière la bannière nébuleuse et attrape-tout du combat contre la « mondialisation libérale ». Le dernier festival de l'été, celui du théâtre de rue d'Aurillac, a ainsi vu défiler un cortège hétéroclite réunissant intermittents, enseignants, agents de la SNCF et altermondialistes à l'appel de la CGT Spectacle, de la CGT Cheminots, de SUD Santé-Sociaux, de SUD Éducation et de la Confédération paysanne. Peu de temps auparavant, José Bové avait réussi la prouesse de rassembler quelque 200 000 personnes sur le plateau du Larzac dans une sorte de bric-à-brac de la contestation, regroupant profs, fonctionnaires, syndicalistes, artistes, agriculteurs, sympathisants de causes les plus diverses (immigration, logement, environnement…) et militants antimondialistes. L'émergence de ce front du refus, fédérant des revendications catégorielles les plus diverses – parfois contradictoires – derrière des slogans réducteurs et démagogiques, n'est pas une bonne nouvelle pour l'action réformatrice, qu'elle soit conduite par la droite, la gauche ou les partenaires sociaux.

Surfant habilement sur les inquiétudes des Français face à l'évolution de la société et du monde, dopée par l'impuissance des politiques à endiguer la montée du chômage (hormis de courtes phases de répit quand la croissance est au rendez-vous), récupérant la composante protestataire de l'opinion orpheline d'un parti communiste moribond et d'une CGT en perte de vitesse, l'extrême gauche connaît un revival inespéré. Bénéficiant d'une place forte syndicale avec SUD et d'une plate-forme politique avec l'association Attac, fort influente au sein de Force ouvrière, infiltrée dans certaines fédérations et unions locales cégétistes, et de façon plus marginale à la CFDT, très agissante dans des collectifs pour le logement, les sans-papiers ou contre le chômage, relayée par quelques médias bienveillants, elle a lourdement pesé dans les récentes mobilisations sur les retraites, à l'Éducation nationale ou contre le nouveau régime des intermittents.

Cette renaissance de la gauche radicale est un retour en arrière préoccupant pour notre société. Récusant l'économie de marché comme la social-démocratie, et fonctionnant sur un logiciel marxiste éculé, elle n'offre ni projet alternatif ni débouché politique. Même grimés en altermondialistes, les antimondialistes n'ont aucune proposition concrète, hormis la création de la taxe Tobin et la suppression de l'OMC. Plutôt maigre. Confondant allégrement la fin et les moyens, la mouvance gauchiste ne poursuit qu'un seul objectif : le conflit. Au cœur de l'été, Olivier Besancenot, le candidat postier à la présidentielle, déclarait benoîtement qu'il manquait en France « un parti de la grève ». Formidable perspective que celle de paralyser le pays et son économie ! Et la nostalgie révolutionnaire de ses militants masque en réalité une posture terriblement conservatrice : il n'est plus question de faire du passé table rase, mais au contraire de préserver tous les avantages acquis, quels qu'en soient le coût (notamment pour l'emploi) et la justification réelle.

Mais il y a plus grave. Le réveil de l'extrême gauche et la séduction qu'exerce son discours simpliste auprès d'une partie non négligeable de l'opinion, notamment des salariés du secteur public, n'aident pas à la gestion de la complexité et à la pédagogie de la réforme. Côté syndical, son influence perturbe – on l'a vu avec le conflit des intermittents – le difficile recentrage dans lequel s'est engagée la CGT. Côté politique, elle empêche les socialistes d'assumer clairement leur réformisme, nombre d'entre eux étant même tentés de courir derrière la mouvance radicale. Enfin, elle contraint le gouvernement à faire une pause dans son programme de réformes et à jouer les démineurs : réforme de l'assurance maladie prudemment étalée jusqu'au printemps 2004, création de 4 000 postes supplémentaires d'assistants d'éducation, diminution homéopathique du nombre de fonctionnaires…

Auteur

  • Denis Boissard