logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Le bal des prétendants à la succession de Marc Blondel

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.09.2003 | Stéphane Béchaux

Alors que son mandat prend fin en février 2004, le patron de FO n'a toujours pas de successeur officiel. Même s'il penche pour son bras droit Jean-Claude Mailly, le candidat des réformistes, Jean-Claude Mallet a ses chances. Pour Blondel, faire émerger une candidature unique ne sera pas tâche facile.

Curieuse campagne ! À six mois de son congrès confédéral, début février à Villepinte (Seine-Saint-Denis), la CGT-FO ne connaît toujours pas officiellement le nom des candidats à la succession de Marc Blondel. Début mars, Jean-Claude Mallet a, certes, pris officiellement son dossard, par le biais d'une lettre envoyée à tous les patrons de fédérations et d'unions départementales. « J'ai voulu m'adresser à ceux qui vont voter, en toute transparence. J'estime qu'ils ont le droit de savoir à qui ils vont confier les clés de la maison. » Depuis, six mois ont passé. Mais l'ancien président de la Cnam est toujours seul dans les starting-blocks… Le rival pressenti depuis longtemps pour lui donner la réplique, le secrétaire confédéral chargé de la communication, Jean-Claude Mailly, n'a toujours pas jugé utile de se présenter sur la ligne de départ. « Pas dans l'immédiat », répond invariablement l'intéressé, quand on souhaite évoquer avec lui l'après-Blondel. Un mutisme qui donne lieu à toutes les interprétations. « Il a raison, ce n'est pas le bon moment pour se découvrir », affirment ses partisans, en vantant son sens tactique. « Il hésite, il y va à reculons ! » se réjouissent les pro-Mallet, dont les plus optimistes veulent croire qu'il renoncera finalement à briguer le fauteuil.

Une hypothèse qu'on n'envisage guère au siège de la confédération. D'autant moins qu'au printemps, sous l'amicale pression de Marc Blondel, Jean-Claude Mailly a confirmé à ses 12 collègues du bureau confédéral qu'il entendait bien postuler au secrétariat général. De la miniconsultation qui s'est ensuivie au sein de l'instance dirigeante, le bras droit de Marc Blondel est même sorti vainqueur. Jean-Claude Mallet aurait ainsi reçu le soutien de Bernard Devy (retraites), Jean-Marc Bilquez (Europe), Jean-Claude Quentin (formation), Michèle Monrique (sujets de société) et Roland Houp (trésorier). Son adversaire, celui des autres, dont René Valladon (international) et Michelle Biaggi (négociation collective), parfois cités comme de possibles, mais improbables, « troisièmes hommes ».

Sujet tabou Avenue du Maine

Excepté lors de cette discrète discussion au sommet, le dossier de l'après-Blondel reste un sujet tabou Avenue du Maine. Lors du dernier CCN ordinaire, mi-avril, Marc Blondel avait d'ailleurs pris soin de prévenir ses troupes que seuls trois dossiers revendicatifs méritaient d'occuper les débats et les esprits : la retraite, l'assurance maladie et la décentralisation. « Le reste, je m'en charge », a-t-il dit en substance, répétant ce qu'il avait écrit la veille dans un éditorial paru dans FO Hebdo : « Il est clair et confirmé que je ne demanderai pas le renouvellement de mon mandat. Des consultations internes auprès des responsables me conduiront à faire une proposition en temps opportun aux instances délibérantes. Mon souhait est de ne présenter qu'une seule candidature, afin d'éviter une polarisation et des engagements internes qui, s'ils sont signes de démocratie, laissent des traces et des oppositions personnelles durables. »

Une allusion très claire à la guerre des clans ouverte lors de la succession d'André Bergeron, en 1989, qui a profondément divisé l'organisation. Avec, d'un côté, les tenants d'un syndicalisme dit « d'accompagnement », emmenés par Claude Pitous puis Jacques Mairé, et, de l'autre, les partisans d'un syndicalisme « de contestation » porté par Marc Blondel. Un scénario que personne ne souhaite revivre aujourd'hui. « Beaucoup d'entre nous restent traumatisés par 1989. L'organisation a eu beaucoup de mal à retrouver un équilibre interne », souligne Michel Huc, patron de FO Métaux. « Le désir ultramajoritaire des militants, c'est de ne pas revivre cette période-là. On a mis des années à recoller les morceaux », renchérit Pierre Gendre, de FO Banques.

Vents contraires sur la centrale

Un argument choc qu'utilisent les partisans de Jean-Claude Mallet. En affirmant que leur poulain sera « candidat jusqu'au bout, quoi qu'il arrive », ils espèrent décourager son challenger. « Si Marc Blondel veut réussir sa sortie, il n'a d'autre choix que de soutenir Mallet, qui est le seul capable de rassembler l'organisation sur son nom », prévient le leader d'une des grosses fédérations. « Si un deuxième candidat surgit, il est clair qu'on peut avoir une confrontation et revivre la succession de Bergeron », abonde Bernard Sohet, secrétaire général de la très réformiste UD du Nord.

La menace ne peut être écartée d'un revers de main. La récente bataille contre la réforme des retraites a en effet montré que la centrale syndicale était toujours traversée par des vents contraires. Début mai, Michel Huc faisait entendre sa différence en rappelant dans les colonnes de FOMétaux les revendications de ses troupes : une « retraite pleine et entière à 60 ans après… quarante ans de cotisation ». Épaulé par Rafaël Nedzynski (alimentation) et Gilbert Lebrument (pharmacie), il récidivait peu après en envoyant aux présidents des groupes parlementaires quatre propositions d'amendement au projet Fillon. Au moment même où sa centrale en appelait à la grève générale !

Une initiative que l'intéressé a pris soin de commenter, dans une circulaire envoyée à toutes les UD et fédérations. « À force de glisser, nous nous retrouvons bien à gauche d'une CGT dont le discours plus modéré que celui de FO fait qu'au bout du bout elle gagnera et que les gens préférant l'original à une pâle copie, c'est Force ouvrière qui paiera l'addition après celle des prud'hommes », y écrivait Michel Huc, en dénonçant les « pratiques staliniennes » de certains militants. Un argumentaire qui n'a pas valu que des compliments à son auteur, lors du CCN extraordinaire du 1er juillet consacré aux retraites…

Tous blondélistes !

Si les réformistes de la centrale ont fait de Jean-Claude Mallet leur candidat, rien ne différencie au premier abord les deux prétendants. Aucun n'a jamais fait entendre – publiquement tout au moins – de voix discordante quant à la stratégie suivie par Force ouvrière sous l'ère Blondel. « Ils ont soutenu la même ligne. Je ne vois pas de différence fondamentale entre eux », constate Pierre Gendre. « Schématiquement, on est tous d'accord avec l'impulsion donnée par le secrétaire général. On est tous blondélistes ! » abonde Michel Decayeux, patron de la Fédération de la chimie.

En témoignent les résolutions adoptées lors des derniers CCN, dans un bel unanimisme. Rien à voir avec les violents débats qui animaient les instances au début des années 90, quand les « réformistes », emmenés par l'UD de Paris de Jacques Mairé et de Jean Grosset, affichaient ouvertement leurs différences. « On s'affrontait sur les grandes orientations en défendant des positions divergentes sur la Sécu, les 35 heures ou l'exclusion », se souvient Jean Grosset. À l'époque, aucun des « deux Jean-Claude » ne faisait partie de la bande des contestataires.

« Personne n'a jamais imaginé que Mallet revienne radicalement sur les orientations de FO depuis 1989 car le contexte politique, économique et social a totalement changé. Mais on ne peut être crédible en restant exclusivement contestataire, sauf à prendre le risque de se mettre définitivement hors jeu dans le dialogue social », répond Bernard Sohet. À l'instar du patron de l'UD du Nord, les tenants d'une CGT-FO plus « bergeronienne » jugent donc le spécialiste de l'assurance maladie plus pragmatique que son adversaire et davantage attaché à la place de la confédération dans les organismes paritaires et la négociation collective. « Comme président de la Cnam, j'ai tenu des positions à la fois fermes et modérées, avance Jean-Claude Mallet. Pendant six ans, il n'y a pas eu de conflits avec les professionnels de santé, qui n'ont pourtant pas la réputation d'être faciles. C'est une carte de visite que les copains apprécient. »

Outre les fédés de la métallurgie, de la pharmacie et de l'alimentation, l'ancien patron de la Cnam devrait pouvoir compter sur le soutien des fédérations des télécoms et, sans doute, des services publics et de la santé. Mais c'est du côté des UD que les suffrages devraient être le plus nombreux, si l'on en croit ses supporteurs, qui citent le Nord, les Bouches-du-Rhône, la Haute-Garonne, les Alpes-Maritimes ou le Rhône. « La grande majorité des secrétaires départementaux le soutiennent, car ils se reconnaissent dans son parcours. Il fait plus « France d'en bas » que Mailly », explique l'un deux. À presque 56 ans, l'homme bénéficie en effet d'un incontestable ancrage de terrain, dont témoignent ses treize années passées, de 1976 à 1988, à la tête de l'UD de la Mayenne.

Le soutien implicite du général

Par comparaison, Jean-Claude Mailly fait figure d'homme d'appareil. Fils et petit-fils de syndicaliste FO, cet employé de la Sécu a été pendant vingt-cinq ans le secrétaire particulier de Marc Blondel, d'abord à la Fédération des employés et cadres puis à la confédération. Élu au bureau confédéral en mars 2000, il occupe un poste stratégique qui lui assure, chaque semaine, une tribune dans FO Hebdo, l'organe de la centrale syndicale.

Plus jeune (50 ans) et meilleur tribun que son rival, il peut compter sur le soutien implicite de Marc Blondel – un argument de taille dans une organisation très légitimiste. « En tant que bras droit de Blondel, c'est l'interlocuteur de beaucoup d'UD et de fédés quand elles ont des problèmes à régler. Il a souvent mis les mains dans le cambouis pour faire le lien avec le gouvernement ou les conseillers techniques. Ce qui explique qu'il dispose d'un capital de sympathie plus grand que ce qu'on pourrait penser », dit de lui le patron d'une fédé du public. Pour finir de gommer son profil « d'apparatchik », Jean-Claude Mailly s'est efforcé de labourer le terrain pour se faire un nom.

Politiquement, le bras droit du « général » incarne la continuité avec la ligne actuelle de la centrale, très radicale. « Il nous apparaît comme le candidat qui prolonge naturellement l'action syndicale engagée depuis 1989 », confirme Jacky Lesueur, ex-numéro un de la Fédération des finances. À l'instar des militants de cette dernière, le gros des troupes du public et du para-public devrait se ranger derrière lui.

Les voix des trotskistes

Autre soutien de poids : les trotskistes du Parti des travailleurs, dont l'influence n'aurait cessé de grandir dans l'appareil. « C'est Bergeron qui les a fait entrer dans la centrale, par le biais de la fédé des enseignants. Mais Blondel, qui leur doit son élection, ne s'est jamais opposé à eux. Il les a même confortés », affirme le patron d'une grosse fédération pour qui l'enjeu de l'élection se situe dans la « somme d'idéologie que FO est prête à accepter ». De leur influence réelle dépend peut-être le sort de l'élection. Car ceux-ci ne font pas mystère de leur préférence pour Jean-Claude Mailly. Ce dernier devrait donc pouvoir compter sur les voix des fédérations de l'enseignement, des employés et cadres, de l'équipement et des transports et de la presse. Et sur celles des UD de Loire-Atlantique, du Finistère, des Ardennes et de la Moselle.

Dans la confédération, on attend maintenant avec une curiosité mêlée d'appréhension le CCN de Lens, prévu les 17 et 18 septembre. Si Marc Blondel tient sa feuille de route, il devrait enfin ouvrir le débat sur la délicate question de sa succession. « Ce sera un CCN de clarification, tout simplement parce qu'il n'y en a pas d'autre avant le congrès », pronostique René Valladon. « Si Blondel ne règle pas le problème en septembre, il ne lui sera pas plus facile de le régler plus tard, quelques semaines avant le congrès », abonde Michel Huc.

Difficile de faire des pronostics, chacun des deux camps revendiquant environ 60 % des soutiens. Une parité qui, si elle se confirmait, pourrait compliquer la tâche de l'actuel secrétaire général, farouchement attaché à une candidature unique. Et si, finalement, Marc Blondel prolongeait son mandat ? L'hypothèse est formellement démentie par l'intéressé, qui vient de fêter ses 65 ans. Mais, au CCN, certains n'excluent plus aujourd'hui cette éventualité…

Les dessous de l'élection

Blondel ! Blondel ! Les milliers de délégués qui, du 3 au 6 février 2004 à Villepinte (Seine-Saint-Denis), participeront au XXe congrès de la CGT-FO auront toute latitude pour acclamer leur chef sortant, friand des discours-fleuves. Chargés de voter les rapports moral et financier, ils n'auront, en revanche, aucun rôle direct dans la désignation de son successeur. Cette lourde tâche incombera, au lendemain de la clôture du congrès, au comité confédéral national (CCN).

Sorte de parlement de la centrale, l'instance est tout d'abord composée des secrétaires généraux des unions départementales. Chacun y dispose d'une voix, quelle que soit la taille de la structure qu'il représente. Avec 20 000 adhérents revendiqués, Gérard Dossetto, patron de l'UD des Bouches-du-Rhône, pèse donc autant que Gérard Meilleur, dont l'union des syndicats FO en Allemagne réunit quelques dizaines de militants !

Le CCN regroupe également les patrons des 26 fédérations. Quatre fois moins nombreux que leurs collègues des unions départementales, ils comptent cependant autant dans l'élection du secrétaire général de la confédération : un coefficient multiplicateur, appliqué à leurs suffrages, permet de rétablir la parité entre les branches et les territoires lors du vote. Pour eux aussi, le principe « un homme, une voix » prévaut. En théorie tout au moins. Car en pratique, certains secrétaires généraux « valent » plus que d'autres. À la CGT-FO, les fédérations qui fusionnent gardent, en effet, leur droit de vote d'origine, sans limite de temps. « Sans ça, il serait quasiment impossible de faire évoluer nos champs fédéraux », justifie Robert Santune, secrétaire confédéral à l'organisation.

Résultat : Michel Huc, patron de FO Métaux, pourtant à la tête d'une des plus grosses structures en termes d'adhérents, pèse aujourd'hui deux fois moins que Rose Boutaric, dont la Fédération des employés et cadres (FEC) vient d'absorber les VRP. Et trois fois moins que Rafaël Nedzynski, leader de la FGTA, structure née du regroupement de l'agriculture, de l'alimentation et des tabacs.

Auteur

  • Stéphane Béchaux