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Enquête

LES SYNDICALISTES

Enquête | publié le : 01.09.2003 |

Exsangue, le contre-pouvoir syndical ? Pas vraiment. Car s'il s'exprime de moins en moins sur les piquets de grève, ses représentants ont désormais investi les prétoires. La complexification croissante du droit du travail y a largement contribué, faisant peser de réelles incertitudes sur les accords d'entreprise, attaqués plus souvent qu'à leur tour devant les tribunaux. Axa est bien placé pour le savoir. Création d'une représentation syndicale de groupe, mise en place d'une UES, élection des représentants du personnel… autant de sujets qui ont donné lieu à une incessante guérilla juridique entre la direction et son syndicat FO, emmené par le redoutable Jean-Claude Stefanini. « On a la réputation d'être procéduriers. Mais si on fait la liste, c'est la direction qui nous traîne le plus souvent devant les tribunaux », assure cet irréductible. Et celui-ci d'accuser Claude Bébéar et son successeur, Henri de Castries, de « tenter en permanence de passer en force avec des accords en dehors de la légalité ».

Autre arme, utilisée sans modération par les poils à gratter des employeurs : la médiatisation. Les organisations syndicales ont en effet bien compris à quel point les dirigeants sont aujourd'hui soucieux de l'image de marque de leur entreprise. Le groupe hôtelier Accor l'a, par exemple, appris à ses dépens, obligé d'intervenir pour régler le très long conflit qui a opposé l'un de ses sous-traitants, Arcade, et… une dizaine de femmes de ménage soutenues par SUD Propreté, la CNT et la CGT. Une technique qui ne s'avère pas gagnante à tous les coups : chez Danone ou Michelin, la bronca médiatique qui a accompagné l'annonce des plans sociaux n'a pas fait fléchir Franck Riboud ou Édouard Michelin.

Mais ils y regarderont probablement à deux fois avant d'annoncer un nouveau plan de restructuration.

Les formes traditionnelles de lutte, bâties sur le simple rapport de force, sont, elles, en net recul. La bête noire forte en gueule qui, juchée sur une caisse, pouvait faire cesser le travail dans un atelier en quelques minutes est en voie d'extinction. Dans le secteur privé, tout au moins. « C'est difficile aujourd'hui de mobiliser. Les gens s'imaginent que l'organisation syndicale, c'est comme l'Inspection du travail, que ça existera toujours », confirme François Boisset, leader CGT chez Michelin. Pas sûr que les patrons s'en réjouissent. Car, à tout prendre, mieux vaut un leader qui tient ses troupes plutôt qu'une myriade d'électrons libres, tous susceptibles de mettre le feu aux poudres…

Abdel Mabrouki Le croisé de Pizza Hut

À 30 ans, Abdel Mabrouki habite toujours chez papa-maman, à Levallois, dans les Hauts-de-Seine. Enfant sage à la maison, il se révèle tout autre au boulot : employé à temps partiel chez Pizza Hut depuis dix ans, il consacre l'essentiel de son temps à y dénoncer les conditions de travail. « Dans la restauration rapide, on est considéré comme des chiens. C'est une zone de non-droit », martèle-t-il. Un discours radical qui n'a pas l'heur de plaire à sa direction. Par deux fois, la DRH, Sandrine Maurice, a essayé de le licencier. En vain. Et en juin c'est finalement elle qui a quitté l'entreprise.

Délégué syndical CGT, Abdel Mabrouki a fait ses premières armes dans sa centrale de livraison, à Levallois. Avec des résultats mitigés. « Le problème, c'est que quand on débraye dans une petite rue, derrière une église, il n'y a personne pour le voir. » Sauf si France 3 ou le Parisien couvrent l'événement. De ce constat est née une certitude : la médiatisation est une arme dont il ne faut surtout pas se priver. « Dans ce secteur, on a le turnover contre nous. Mais la pression médiatique avec, car ces multinationales sont très sensibles à leur image. On sait en jouer », admet le jeune militant. La direction de Pizza Hut en a fait l'expérience lors des récents conflits dans ses restaurants parisiens de l'Opéra et de Bonne-Nouvelle, où la presse a pris fait et cause pour les salariés grévistes. Autres « victimes » d'Abdel Mabrouki et de ses potes des collectifs antiprécarité : les pubs Frog et, surtout, McDonald's. Quêtes dans les manifestations anti-Fillon, ventes de tee-shirts « Mc-Merde », concerts de soutien, les idées ne manquent pas pour financer le combat des employés en grève.

Peu apprécié – et pour cause – des restaurateurs parisiens, Abdel Mabrouki ne fait pas non plus l'unanimité au sein de sa propre maison, la Fédération CGT du commerce. En cause, son goût prononcé pour les médias. « Il agit en solo et ne travaille pas assez à la pérennisation des rapports de force », dit-on de lui à Montreuil. « Ce qui m'importe, c'est que les salariés se révoltent contre ce système qui les écrase et ne les respecte pas. Pas qu'ils prennent immédiatement leur carte à la CGT. En face de nous, il y a d'énormes multinationales. Je ne vais pas commencer à demander aux gens s'ils sont de SUD, de la CFDT ou de la CNT », répond l'intéressé.

Christophe Mongermont Le franc-tireur de Veolia Water

Entré en mai 1984 à la Compagnie générale des eaux comme commis administratif, Christophe Mongermont aura acquis, sous l'ère Messier, une formidable spécialisation en droit social. Depuis 2001, une centaine de procédures ont opposé son syndicat, Force ouvrière, à la direction ! « Je rédige 80 à 90 % des conclusions. Et on gagne très souvent, alors qu'en face de nous on a une multinationale avec une direction juridique et des cabinets d'avocats », se targue Christophe Mongermont. Parmi ses motifs de fierté, les sept arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation qui, depuis novembre 2001, lui ont donné raison. Avec, à la clé, la suspension de l'accord 35 heures en Bretagne – « on n'avait pas informé et consulté le CE » – et l'annulation de l'UES du pôle eau – « elle mélangeait des établissements et des sociétés ».

Cette guérilla juridique ne semble pas près de se terminer. « Le combat n'aura pas de fin tant qu'on ne respectera pas la liberté syndicale telle qu'elle est prévue par la loi et la jurisprudence », prévient ce syndicaliste qui, à 39 ans, a du temps devant lui. Joignant les actes à la parole, son organisation a lancé une procédure pénale pour entrave à l'exercice du droit syndical à l'encontre des directeurs régionaux et du P-DG de Veolia Environnement, Henri Proglio. « Pourquoi au pénal ? Parce que les procédures civiles, ils s'en moquent. C'est une société sans foi ni loi. »

Inutile de dire que ce combat personnel agace au plus haut point la direction de Veolia Water. « Une entreprise digne de ce nom doit avoir des syndicats forts. Mais ce monsieur n'a pas d'éthique, de projet. C'est juste un hyperprocédurier qui abuse du droit d'ester en justice », assure-t-on au siège. Le directeur des relations sociales, Bruno Séguy, préfère, lui, insister sur les 38 accords signés, depuis cinq ans, au bénéfice des 14 000 salariés de la CGE et de ses filiales. Un bilan également brandi par les six autres organisations syndicales, qui ne portent pas davantage Christophe Mongermont dans leur cœur. Et pour cause ! Ce dernier, qui a entamé devant les tribunaux une procédure pour discrimination syndicale, les accuse de profiter d'un « système de corruption des délégués syndicaux nationaux ». Ambiance…

Mimoun Nhari L'as du rapport de force

À la tour Total de la Défense, il est l'interlocuteur incontournable de tout prestataire de nettoyage. Depuis mars 2001, c'est Penauille Polyservices Alliance qui s'y frotte. Mais des entreprises, Mimoun Nhari en a vu passer d'autres, depuis son embauche en 1990 comme agent d'entretien au siège du groupe pétrolier : Multiser, Amex Lorraine, La Providence… Non syndiqué au départ, ce père de deux enfants d'origine marocaine prend sa carte à la CFDT en 1993, sur les conseils du délégué syndical CFDT de Total. « À peine arrivé, notre nouvel employeur avait commencé à muter des gens loin de chez eux et à nous faire travailler comme des esclaves, avec plus d'étages à nettoyer en moins de temps », explique Mimoun Nhari. Dans ce désert syndical, ils sont alors sept à prendre leur carte.

Dix ans plus tard, les 75 salariés chargés du nettoyage des 34 étages de la tour Total sont tous syndiqués à la CFDT. Un tour de force qui ne s'est pas fait en un jour. « On a commencé par défendre tous les salariés, les syndiqués comme les autres. Il a fallu convaincre, et montrer notre efficacité », explique Mimoun Nhari. En quelques années, l'équipe CFDT obtient de nouvelles embauches, une réorganisation du travail, des augmentations de salaire, la mise en place progressive d'un treizième mois. « Chaque fois qu'on a menacé de faire grève, on a obtenu l'ouverture de négociations », assure Mimoun Nhari.

De ce rapport de force, Penauille Polyservices a dû s'accommoder, lorsqu'il a repris le personnel, en mars 2001. L'entreprise signe alors immédiatement un accord avec la CFDT du site, dans lequel elle s'engage à maintenir les avantages acquis et à obtenir l'aval des salariés et de leurs représentants avant toute réorganisation. « Un accord quasi unique dans ce secteur, se félicite Mimoun Nhari, par ailleurs secrétaire général adjoint du syndicat de la propreté. Impossible de nous muter ou de nous faire changer d'étage sans notre accord. » Impossible, aussi, pour le prestataire de promouvoir les salariés selon son bon vouloir. Pour avoir tenté d'imposer, en novembre 2001, un chef de site sans l'aval de Mimoun Nhari, Penauille a essuyé dix jours de grève totale avec occupation du site. Avant de reculer. « On a maintenant le respect de Total et de la société. Si la direction veut faire quelque chose, elle est obligée de passer par nous », s'enorgueillit le délégué syndical.