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Enquête

LES CONTRÔLEURS

Enquête | publié le : 01.09.2003 |

Dignes des mésaventures des polyvalents du fisc, les visites des inspecteurs du travail sont parfois mouvementées. Surtout lorsque ces fonctionnaires de terrain font du zèle en présence de patrons de PME au sang chaud. Excédés, les producteurs de melons de Carpentras ont, un jour, passé la corde au cou d'un inspecteur, pour un simulacre de pendaison ! Une histoire ancienne mais pas unique en son genre. Pistolet à clous sur la poitrine, aspersion d'essence… les inspecteurs et contrôleurs du travail ou de l'Urssaf ne sont pas toujours accueillis à bras ouverts, quand ils ne sont pas accusés de mettre en péril l'entreprise par une application trop stricte de la réglementation. « L'inspecteur du travail peut contester l'autorité du patron dans sa propre maison. C'est ce qui pose problème », explique un directeur départemental du travail.

Depuis quelques années, les menaces et les violences physiques ont cependant cédé la place à des ripostes plus civilisées. « Aujourd'hui, des collègues sont poursuivis devant les tribunaux pour faux en écriture publique ou violation du secret professionnel », explique Bernard Grassi, de la Direction régionale du travail des Pays de la Loire. Cas d'école, un inspecteur du travail marseillais a été récemment accusé de trafic d'influence et de corruption passive par un directeur d'Intermarché, avec un faux témoignage à la clé.

Révélatrices de la méfiance réciproque que se vouent chefs d'entreprise et contrôleurs, ces affaires restent cependant exceptionnelles. Car, dans la plupart des cas, les visites se passent bien. « Les employeurs nous reprochent rarement de contrôler leur entreprise, dans la mesure où l'on va aussi regarder ce qui se passe chez le voisin », témoigne Martine Millot, inspectrice du travail dans le Val-d'Oise. Et, au final, les PV dressés sont plutôt rares : les plus gros « verbalisateurs » n'en délivrent guère plus d'une quinzaine par an… « Contrairement aux idées reçues, l'Inspection du travail n'est pas procédurière. On discute, on négocie. L'objectif est de remettre l'entreprise en conformité. Nous ne sommes pas des chasseurs, à l'opposé de nos collègues des impôts », résume Bernard Grassi.

Ce qui n'empêche pas certains inspecteurs de se montrer moins accommodants que d'autres. Au dire d'un ancien directeur régional du travail, la « virulence » se serait même aujourd'hui « féminisée ».

Nathalie Meyer La championne du référé

Une pure et dure, Nathalie Meyer. Pas le genre à « prendre le thé dans le bureau du DRH de chez machin », contrairement à certains de ses collègues. Pas le genre non plus à renoncer à sa section de contrôle pour devenir directrice adjointe. « Un poste pas très intéressant, car on n'a plus les pieds dans la réalité. On entre dans l'univers de l'administration, donc de la fiction. » Inspectrice du travail dans le sud de l'Essonne depuis sept ans, cette jeune quadragénaire a fait des questions d'hygiène et de santé son cheval de bataille. « Sur ces sujets, mon service a la réputation d'être assez dur », reconnaît-elle. Une intransigeance qui lui vaut quelques solides inimitiés dans les rangs du Groupement des industries métallurgiques.

Au quotidien, Nathalie Meyer s'intéresse peu aux grandes entreprises de son secteur, comme Microsoft. « Ils ont beaucoup d'argent, l'urgence n'est pas là. » Sa terre de mission, c'est la PME. « C'est là qu'on trouve les risques classiques, et les salariés qui ne savent pas se défendre. » Depuis deux ans, cette adhérente de L 611-10 s'est fait une spécialité du référé. Une procédure ancienne, datant de 1974, qu'elle est quasiment la seule à utiliser en France. « Il faut aller plaider sa cause devant le juge, comme un avocat. Ce qui fiche la trouille à beaucoup d'entre nous. » Mais pas à elle, confrontée une dizaine de fois au cours des deux dernières années au juge des référés du TGI d'Évry. Pour des affaires d'installations électriques non vérifiées ou d'utilisation de chariots non conformes. « Le référé, c'est magique. C'est un accélérateur de décision. On n'est pas, comme avec le PV, dans la punition, mais dans la cessation du risque. » Voire, parfois, dans la cessation pure et simple d'activité, comme pour cette petite entreprise de soudure dont le patron a préféré mettre la clé sous la porte plutôt que de réaliser les travaux demandés. « Là aussi, j'ai fait mon travail, plaide Nathalie Meyer. Elle aurait de toute façon fermé dans un an ou deux, avec une continuation des risques pour les salariés. »

Reste à convaincre ces derniers du bien-fondé de la procédure, qui les prive d'emploi. « Pour eux, ça n'est pas facile, reconnaît-elle. Mais ils doivent comprendre que l'inspecteur du travail n'est pas le super délégué du personnel. C'est d'abord le garant de l'ordre public. »

Lucien Contou Le pourfendeur du travail clandestin

Un restaurant indien près de la gare de l'Est à Paris, à l'heure du déjeuner. Lucien Contou et ses trois inspecteurs font mine de chercher une table. Une ruse pour s'approcher des cuisines sans éveiller les soupçons. Au moment où le serveur veut leur barrer la route, ces fins limiers dégainent leur carte professionnelle : service de contrôle du travail clandestin de l'Urssaf. En quelques secondes, cuisiniers et plongeurs sont pris au piège. Sous le regard ébahi des clients, les inspecteurs épluchent le registre du personnel et interrogent le gérant qui, au bout d'un certain temps, avoue dissimuler une partie des heures de travail.

Du menu fretin pour Lucien Contou, le responsable de la division chargée de la lutte contre le travail illégal de l'Urssaf de Paris. La veille, ses inspecteurs ont mis au jour une escroquerie autrement plus importante : l'affaire concernait un organisme de formation qui n'avait quasiment versé aucune cotisation sociale pour ses 15 salariés depuis deux ans. « Je prends mon travail à cœur, explique Lucien Contou. Je ne supporte pas de tels comportements alors que le déficit de la Sécurité sociale se creuse. J'essaie de cibler tous les secteurs et je ne lâche pas un dossier avant l'encaissement des cotisations. »

Pour mener son combat, l'homme n'hésite pas à recourir à la médiatisation. Un reportage sur la fraude dans les petites entreprises d'intérim diffusé en prime time a fait grand bruit dans la profession. « C'est un acharné, estime un responsable du secteur du travail temporaire. Il a fait de sa mission un combat personnel. » Lucien Contou n'a pas la carrure d'un rugbyman. Mais lorsqu'il se retrouve face aux vigiles d'une boîte de nuit, il ne se laisse pas intimider. En novembre 2002, dans le hall d'un palace parisien, il se frotte au service d'ordre musclé de la famille royale d'Arabie saoudite en vacances dans la capitale. Les chauffeurs mis à disposition par des prestataires français étaient payés de la main à la main. Gardiennage, intérim, restauration, textile, bâtiment… « Dans tous ces secteurs, il faut maintenir en permanence une pression du contrôle, sinon la fraude s'installerait de façon importante. » À son âge et avec tous ses jours de RTT cumulés, Lucien Contou pourrait faire valoir ses droits à la retraite. Mais il continuera sa traque le plus longtemps possible.

Sylvie Catala Fer de lance des durs de L 611-10

« Les inspecteurs du travail […] constatent les infractions par des procès-verbaux […]. » Cette petite phrase est extraite de l'article L 611-10 du Code du travail qui a donné son nom à l'association que préside Sylvie Catala. « Le rôle d'un corps de contrôle, c'est de contrôler. Et d'utiliser tous les moyens coercitifs pour faire appliquer la loi », souligne la fondatrice de l'association, inspectrice du travail dans le 15e arrondissement de Paris. Une conception très réglementaire des missions de l'Inspection, qui rompt avec une pratique largement répandue dans les services, consistant à ne verbaliser qu'en ultime recours. « Les inspecteurs passent leur temps à dire : la prochaine fois, ça va aller mal. Nous, nous considérons qu'on n'a pas vidé son barillet parce qu'on a mis un PV », explique Sylvie Catala.

En pratique, l'intéressée ne sort pas pour autant son carnet à tout bout de champ. Sur la centaine d'entreprises qu'elle contrôle chaque année, elle n'en verbalise qu'une douzaine. « Si on respectait à la lettre le Code du travail, on verbaliserait toutes les entreprises. Je suis donc bien obligée de transiger. Sauf sur les questions de santé et de sécurité, où je ne laisse rien passer. » Sylvie Catala, qui visite en priorité les entreprises du secteur du bâtiment – « c'est là qu'il y a le plus de problèmes » –, n'hésite pas non plus à arrêter les chantiers lorsqu'elle constate des risques de chute ou d'ensevelissement. « Le minimum pour un homme qui part travailler le matin, c'est quand même de rentrer entier chez lui le soir », justifie-t-elle.

Avec une vingtaine d'adhérents – des femmes, pour l'essentiel, travaillant en région parisienne –, L 611-10 ne représente qu'un courant minoritaire parmi les 450 inspecteurs. « Mais l'association rencontre un certain écho, à hauteur de 20 à 30 %, avec plus ou moins d'intensité selon les individus », estime un directeur départemental du travail francilien. Décrite comme « très sèche et très pugnace », sa présidente est reconnue par ses pairs comme une « grande professionnelle ». « Elle bosse beaucoup, réfléchit et produit de la méthodologie », confirme-t-on au ministère de l'Emploi. Ses détracteurs, eux, lui reprochent une vision trop réglementaire et répressive de sa fonction et une certaine tendance à voir dans « chaque patron un délinquant en puissance ».